Né à Hyères le 24 juin 1663, mort le 28 septembre 1742, évêque de Clermont, l’oratorien Massillon a mérité par ses Sermons d’être mis au nombre de nos meilleurs prédicateurs. Sa prédication est loin cependant d’être aussi originale que celle de Bossuet, ni même que celle de Bourdaloue. On peut même dire qu’il est assez difficile d’en signaler les mérites distinctifs. Il faut du moins noter chez Massillon l’élégance soutenue, sinon variée, du style, et une abondance dans l’argumentation qui ne se lasse pas, et qui se manifeste souvent par des divisions parfois trop subtiles.
Il faut aussi ajouter qu’à la nouveauté assez hardie de certains traits, on sent que Massillon s’adresse à un public déjà différent de celui que ses grands prédécesseurs avaient connu. On cite surtout, parmi ses sermons, ceux qu’il prononça sur la Mort, sur les Délais de la conversion, sur le Petit nombre des élus, sur la Mort du pécheur, pour la Bénédiction des drapeaux du régiment de Catinat, et ceux qui composent son chef d’œuvre, le Petit Carême, ainsi appelé parce qu’il fut prêché devant le petit roi Louis XV (1718), âgé de seulement huit ans. Le petit Carême réunit douze sermons traitant des devoirs des grands, dont un Sermon sur les vices et vertus des grands. Il faut noter aussi parmi ses Oraisons funèbres, celle de Louis XIV.
Dans le Petit Carême, plus particulièrement dans le Sermon pour le second dimanche, Massillon s’adresse aux grands personnages de son époque, en leur disant pour commencer que ce n’est pas un hasard qui les a fait naître ainsi, puisque c’est Dieu qui les avait destinés à cette gloire. Mais il leur dit aussi qu’ils n’en sont pas moins « de la même source empoisonnée qui a infecté tout le genre humain », allusion au péché originel, ce qui devrait les inciter à la réflexion. En effet, comme leur rappelle Massillon, ils se sont « trouvés en naissant en possession de tous ces avantages », et ils ont cru qu’ile leur étaient dus parce qu’ils en avaient toujours joui. Problème pour eux, si l’on en croit Massillon, plus ils ont reçu de Dieu, et plus il attend d’eux, ce qui implique une reconnaissance qui devrait être écrite dans leurs cœurs. Mais comme ils refusent cette reconnaissance, Dieu transportera cette gloire « à une race plus fidèle », ce qui conduit Massillon à prévenir ces hauts personnages de ce qui les attend dans un futur sans doute pas si éloigné : « Vos descendants expieront peut-être dans la peine et dans la calamité le crime de votre ingratitude ».
En ce sens Massillon s’avéra être un visionnaire puisque cette prédiction s’est trouvée justifiée à la fin du siècle avec la période révolutionnaire. Il est vrai que dans le Petit Carême, et notamment le Sermon pour le petit dimanche, Massillon parle au nom de la religion comme les philosophes, les satiriques, les auteurs comiques, parleront après lui au nom de la raison humaine. La sévérité du langage est certes tempérée par la charité, mais on sent déjà dans la prédication de Massillon, ce qui est une de ses caractéristiques, se dessiner le mouvement qui va emporter bientôt le siècle tout entier. Par ailleurs, peu de lectures sont aussi instructives que celle de l’Oraison funèbre de Louis le Grand (1715), que prononça Massillon, pour nous faire comprendre jusqu’à quel point l’esprit public a changé depuis le moment où Bossuet célébrait la gloire du roi dans l’Oraison funèbre de Marie-Thérèse (1683).
Bien sûr Massillon n’a pas manqué de parler de la grandeur de Louis, mais c’est surtout pour souligner que ce fut dans la guerre en mettant en évidence que ce fut « un siècle entier d’horreur et de carnage », avec des « villes désolées » ou encore « des peuples épuisés. Il souligne aussi que le progrès des lettres, des sciences et des arts, a été merveilleux pendant le règne de Louis XIV, mais que ce progrès a aidé à la corruption des mœurs : même « l’éloquence, toujours flatteuse dans les monarchies, s’est affadie par des adulations dangereuses aux meilleurs princes ». Bref, pour Massillon, autant de « grands évènements qui nous attiraient la jalousie bien plus que l’admiration de l’Europe ! Et des évènements qui font tant de jaloux peuvent bien embellir l’histoire d’un règne, mais ils n’assurent jamais le bonheur d’un Etat ».
Un dernier mot enfin, dans le Sermon pour le lundi de la troisième semaine de Carême : sur le Petit Nombre des Elus, Massillon, dans un morceau pathétique devenu très célèbre, met d’une certaine façon en scène le jugement dernier et fait apparaître à nos yeux Dieu, les justes et les réprouvés, ce que Voltaire regardait (Dictionnaire philosophique, article Eloquence) comme « un des plus beaux traits d’éloquence qu’on puisse lire chez les nations anciennes et modernes ». Quel plus bel hommage pour Massillon, qui mérite amplement la place que la postérité lui a réservé dans l’histoire de notre littérature, même si elle n’est pas parmi les toutes premières.
Michel Escatafal
Né à Rouen en 1657, mort en 1757, Bernard Le Bovier de Fontenelle, était le fils d’un avocat et le neveu des frères Corneille. Après avoir fréquenté le collège des jésuites, il étudia le droit avant de se consacrer très jeune à la littérature. Avant de débuter sa vraie carrière, il commença par collaborer à la revue de son oncle Thomas Corneille, le Mercure galant. Ensuite il écrivit d’assez fades productions en vers et en prose, et n’en fut pas moins recherché par les sociétés les plus délicates du temps, pour l’agrément de son esprit et de sa conversation. Ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), qui mettaient, pour la première fois, les grandes découvertes astronomiques à la portée des gens du monde, parurent et paraissent encore aux meilleurs juges trop gracieux et trop plein d’affectations.
Né à Paris le 6 avril 1670, Jean-Baptiste Rousseau était le fils d’un cordonnier, condition dont il rougissait volontiers bien que son père ait pu lui donner une bonne éducation (collège Louis le Grand chez les Jésuites). Il se fit d’abord connaître par des poésies légères et par des poésies religieuses, et donna sans succès quelques comédies au théâtre, ce qu’il attribua à des cabales montées par ses nombreux détracteurs. En effet sa vanité et son humeur à la fois satirique et mordante lui attirèrent bien des ennemis, et à la suite d’un procès en diffamation, sur les conclusions duquel certains discutent encore de nos jours, le poète dut s’exiler (1712).
Né à Paris en 1655, mort en 1709 au château de Grillon (près de Dourdan), Jean-François Regnard qui a bénéficié très jeune de la fortune laissée par son père, a passé une bonne partie de sa jeunesse à parcourir la moitié de l’Europe entre 1675 et 1683, ce qui lui valut aussi en 1678 d’être pris par des pirates et vendu comme esclave à Alger. Il appartient par ses comédies à ce groupe intéressant d’auteurs comiques, dont les pièces nous représentent fidèlement les changements qui s’accomplirent dans les mœurs sociales, pendant les trente dernières années du siècle de Louis XIV. Cela dit, il n’a produit aucune œuvre qui puisse se comparer, pour l’âpreté satirique et la peinture sérieuse des caractères, avec le Turcaret de Le Sage (1709), ou qui jette autant de lumière sur la société du temps que certaines pièces de Dancourt.