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histoire de Rome

  • Quintilien : la vie et l'oeuvre de cet enseignant de l'éloquence

    Histoire romaine, littérature romaine, quintilien, Vespasien, DomitienComme Sénèque, Lucain, Martial, Quintilien était d’origine espagnole. Il naquit vers l’an 35, à Callaguris (aujourd’hui Calahorra), dans la grande province appelée à l’époque Tarraconaise (Aragon, Catalogne, Asturies). Son père qui fut rhéteur ou avocat, voulait certainement pousser son fils vers l’une de ces deux professions, car, amené de bonne heure à Rome, le jeune homme reçut d’abord les leçons du fameux grammairien Palémon et, plus tard, suivit Domitius Afer, un orateur qui prétendait alors soutenir la tradition classique. On a pensé que Quintilien, après ses études, ayant ouvert une école de rhétorique, ne connaîtrait pas la réussite, ce qui pouvait s’expliquer par le fait que le goût de Sénèque triomphait alors. Cela dit, il retourna en Espagne avec Galba, nommé par Néron gouverneur de la Tarraconaise (60). Au bout de huit ans, Galba, élevé à l’empire, ramenait avec lui Quintilien, qui commença sa carrière littéraire. Il débuta par des plaidoyers et obtint très vite un grand succès grâce à l’affaire d’un certain Naevius Arpinianus, mari trop violent, qui avait jeté sa femme par la fenêtre. Comme avocat, Quintilien nous apprend lui-même qu’il se distinguait par la méthode, disons plutôt sa méthode. Il excellait à établir la cause, à en tracer les grandes lignes, et, lorsque dans un procès il y avait plusieurs avocats, on le chargeait toujours de la narration, c’est-à-dire de l’exposé des faits.

    Au commencement du règne de Vespasien (69), sa réputation était faite : c’est alors que le nouvel empereur le nomma à la première chaire publique d’éloquence. Pour cela il recevait un traitement annuel de 100.000 sesterces, somme importante pour l’époque si l’on considère que cela pourrait représenter au moins autant d’euros de nos jours. Pendant vingt ans Quintilien, suivant le mot de Martial, « fut le guide éminent de la jeunesse romaine ». A peine avait-il pris sa retraite, comme nous dirions, que Domitien (empereur 81-96) lui confia l’éducation de deux de ses neveux. Ces enfants étaient les fils de Flavia Domitilla qui, accusée de superstition étrangère, sans doute de christianisme, ne tarda pas à être exilée. Pendant ce très court préceptorat, Quintilien fut comblé d’honneurs, Domitien lui accordant même les ornements consulaires. A ce propos on peut se demander pourquoi a-t-il fallu que le vieux maître ait cru devoir payer au prince sa dette de reconnaissance par les plus plates adulations ?

    Les dernières années de Quintilien connurent de douloureuses épreuves. Il perdit sa jeune femme, puis un fils et, peu de temps après, son dernier enfant, pour lequel il avait une tendresse particulière. « Ce fils, qui promettait tant, en qui j’avais placé toute l’espérance de ma vieillesse, ce fils m’a été ravi, et, avec lui, tout ce qui me consolait du passé ». Il poursuivit cependant la composition de son Institution oratoire commencée avant ce deuil cruel». Cet ouvrage, destiné d’abord à son fils et à celui de son ami Marcellus Victorius (sénateur) fut dès lors à l’adresse de toute la jeunesse studieuse. L’Institution oratoire, c’est-à-dire l’Education de l’orateur, est un cours complet d’enseignement oratoire.

    Quintilien lui-même a tracé les grandes divisions de son livre de façon à nous dispenser d’en faire l’analyse : « Mon premier livre, dit-il, contiendra tout ce qui précède les fonctions du rhéteur (c’est-à-dire l’éducation de la première enfance et l’enseignement donné par le grammairien). Dans le second, je traiterai des premiers éléments de la rhétorique, et des questions qui ont pour objet la nature même de la rhétorique. Je consacrerai les cinq livres suivants à l’invention et à la disposition, les quatre autres à l’élocution y compris la mémoire et l’action. Enfin dans un dernier livre, qui regardera la personne même de l’orateur, j’expliquerai… quelles doivent être ses mœurs, ce qu’il doit observer dans les causes qu’il entreprend… quel genre d’éloquence il y doit employer, quel doit être le terme de ses travaux oratoires et à quelles études il doit se livrer dans sa retraite ».

    Outre l’Institution oratoire nous avons, sous le nom de Quintilien, un recueil de Déclamations qu’on ne saurait vraiment lui attribuer. Les anciens possédaient aussi un traité sur les Causes de la corruption de l’éloquence et un Manuel de rhétorique.

    Michel Escatafal

  • L'historien Suétone avait aussi un talent d’écrivain

    Pour chacune de ses principales biographies, Suétone a suivi un plan uniforme : il conte d’abord la vie du prince avant son avènement, puis énumère les faits de son règne, en rapportant ses vices et ses vertus, en donnant des détails sur son genre de vie, sur sa personne. Ensuite il passe aux présages qui ont annoncé sa mort, au tableau de ses funérailles, et aux évènements qui les ont suivies. Nulle considération générale, nulle vue d’ensemble, rien que des détails. Bien plus, Suétone ne se préoccupe pas de savoir si ces détails sont caractéristiques : le lecteur fera son choix. En tout cas pour lui, il est suffisant qu’ils soient vrais. Du reste, jamais de passion, pas même de préférences : il ne songe pas, comme Tacite, en faisant son enquête, à assurer l’immortalité à la vertu et à vouer le vice à l’infamie. Sa curiosité, très vive, n’a d’autre objet qu’elle-même. Il enregistre toutes choses avec une parfaite impassibilité. Ce serait l’idéal du désintéressement scientifique, si ce n’était le comble de la froideur.

    En fait Suétone n’a pas composé une histoire, mais il a laissé les matériaux les plus précieux aux historiens à venir. Son extraordinaire tranquillité d’âme nous assure qu’il ne songe jamais à tromper le lecteur. Sa curiosité minutieuse, patiente et exacte est une garantie qu’il ne s’est guère laissé tromper lui-même. Comme il n’a aucune préoccupation d’artiste, qu’il ne choisit pas, qu’il dit tout ce qu’il sait, il peut aider à reconstituer des physionomies complètes, sans aucun trait de fantaisie. Avec lui apparaît une nouvelle conception de l’histoire, que Quintilien formulait déjà en disant « l’histoire a pour but d’exposer, non de prouver ».

    Donner à des faits exacts une forme précise et nette, là se borne l’ambition littéraire de Suétone. Il lui est toutefois arrivé d’atteindre à l’éclat et, soutenu par son sujet, à tracer un grand tableau : c’est quand il a raconté la mort de Néron. La fuite du tyran dans la nuit, ses hésitations devant la mort, sa folie de métromane qui fait des citations d’Homère quand ses ennemis approchent, son attendrissement vaniteux sur le « grand artiste » que Rome va perdre en lui, puis ce cadavre « avec ces yeux ouverts et fixes, objet d’horreur et d’épouvante pour ceux qui le regardaient », ce mélange de grotesque et de terrible, tout cela forme une scène telle que Montesquieu a pu dire : « Deux chefs-d’œuvre : la mort de Pompée dans Plutarque, et celle de Néron dans Suétone ». Tout cela pour dire qu’une fois au moins Suétone a eu l’honneur de pouvoir suppléer à Tacite, car la fin du règne de Néron manque dans les Annales.

    Michel Escatafal

  • Tacite, véritable historien du principat à Rome

    Tacite, Tite-Live, empire romain, NéronComme Tite-Live, et comme les anciens en général, Tacite a cru que l’histoire avait pour objet de donner un enseignement moral et politique : "Je suis persuadé, dit-il, que le principal objet de l’histoire est de préserver les vertus de l’oubli et d’attacher aux paroles et aux actions perverses la crainte de l’infamie et de la postérité". Il a écrit pour soulager sa conscience et celle de ses contemporains, pour témoigner contre les tyrans et en faveur des bons princes : « Je ne craindrai pas d’entreprendre des récits où seront consignés le souvenir de la servitude passée et le témoignage du bonheur présent ». Il a pensé que les exemples qu’on trouverait dans son livre aideraient les hommes à se guider dans la vie publique ou privée : « Peu de gens distinguent par leurs seules lumières ce qui avilit de ce qui honore, ce qui sert de ce qui nuit ; les exemples d’autrui sont l’école du plus grand nombre ». Il n’y a donc rien de nouveau dans le dessein que forme Tacite en écrivant l’histoire.

     

    Mais, dans l’exécution, son œuvre diffère de celle de Tite-Live. Bien plus que son devancier, il sentit le besoin de l’exactitude, éprouva aussi une curiosité bien plus vive, bien plus large et exerça sur les faits une enquête plus étendue et plus attentive. Comme Tite-Live, il a consulté tous les historiens qui l’ont précédé et les cite souvent, soit en les nommant, soit en faisant allusion à leurs ouvrages. Les mémoires des grands personnages, les discours des hommes politiques, les pièces officielles ont été mis en œuvre par lui, mais la tradition orale ne lui a pas paru devoir être négligée. En fait, la curiosité de Tacite est dirigée par une critique qui peut parfois manquer de sûreté, mais qui ne cesse pas d’être en éveil. Chez lui, nulle complaisance pour les légendes, et il nous en avertit : «  Je ne donne rien à l’amour du merveilleux ». Chaque témoignage est soigneusement pesé, et s’il prend parti, il n’omet pas de nous prévenir que son affirmation n’a que la valeur d’une opinion personnelle.

     

    On aurait donc grand-peine à nier son effort pour être vrai, mais cela n’empêchera jamais qu’on discute son impartialité, malgré ses dénégations. En vain a-t-il déclaré qu’il n’apportait dans son œuvre « ni haine, ni faveur », qu’il voulait éviter la malignité « qui plaît par un certain air d’indépendance ». On a vu en lui un partisan entêté de l’ancienne aristocratie, un adversaire du régime impérial, « un fanatique pétillant d’esprit », comme disait Voltaire. Et pourtant, rien dans sa conduite ni dans son œuvre, ne justifie ces imputations. Nous savons certes qu’il exerça des charges publiques sous Domitien, mais sa conduite consista alors à chercher un milieu « entre l’opposition qui amène la ruine et la servilité qui cause la honte ». Dans son livre il ne laisse jamais échapper une parole de révolte.

     

    Pour lui, après Actium « l’établissement du pouvoir d’un seul fut une des conditions de la paix publique ». Il ne regrette ni le gouvernement du peuple, « qui désire et redoute à la fois les révolutions », ni celui de l’aristocratie, « car la domination du petit nombre ressemble au despotisme des rois ». Un Etat, où démocratie, aristocratie, monarchie pourraient se mêler et se tempérer, voilà, selon lui, l’idéal, mais il n’y croit pas : « Un pareil gouvernement est plus facile à louer qu’à établir, et, fût-il établi, il ne saurait durer ». Ajoutons que le ton de Tacite est toujours grave, qu’il ne sent jamais le pamphlet ni la déclamation, que parfois même, au lieu de s’indigner de certains actes qui provoqueraient une indignation bien naturelle, il en recherche froidement les causes. Pourquoi donc l’accuser de partialité ?

     

    Ne serait-ce point qu’on a trouvé quelque invraisemblance dans les tableaux qu’il trace de la servilité du peuple, de la lâcheté du Sénat, de la cruauté des empereurs ?   Mais à lire ses contemporains, Pline le Jeune, Suétone, on s’aperçoit qu’ils confirment ses témoignages, quelquefois les aggravent. Ne serait-ce point encore qu’on sent partout chez lui l’amertume, une résignation au fait accompli, qui ressemble à du désespoir, la haute et profonde mélancolie d’une âme honnête et virile blessée par l’abaissement moral de son époque ? Mais cela, c’est le génie même de Tacite, et c’est ce qui donne à son livre son accent et sa couleur propres, sa vérité aussi,  car la poignante impression qu’il nous laisse est bien celle qu’il faut garder d’un temps, où de grands progrès de civilisation s’accomplirent sans doute, mais qui oppresse la conscience d’une angoisse pesante.

     

    En parlant de vérité, il faut quand même noter dans son œuvre, non seulement des erreurs de détail que l’on pourrait presque considérer comme inévitables, mais aussi quelques préjugés surannés, comme sa haine pour les étrangers, sa dureté pour les esclaves, ses préventions contre les juifs et les chrétiens, mais cela n’empêche pas Tacite de demeurer  le véritable historien, sinon de l’empire romain, du moins du principat, à Rome. A ce propos, Tacite  a fait plus de portraits à lui seul que tous ses devanciers et sans doute de plus vrais. Si j’écris « sans doute », c’est une manière de dire que s’ils ne sont pas plus vrais que ceux de Tite-Live et de Salluste, en tout cas ils sont plus réels, projetant sur ses personnages un rayon de lumière éclairant toute leur âme et mettant à nu le secret de leur vie. Le meilleur exemple en est Néron. En effet, après nous l’avoir montré avec ses mauvais instincts qui l’ont conduit à l’orgie sanglante de la fin de son règne, Tacite ajoute ces mots : « Néron eut la passion de l’impossible », ce qui peut conduire à comprendre d’une certaine manière la destinée à la fois grotesque et terrible de cet histrion couronné.    

     

    Ceci nous permet de comprendre pourquoi, contrairement à d’autres auteurs de son époque connus ou inconnus, il avait dans l’esprit trop d’élévation et de gravité pour être dominé par la préoccupation de faire une œuvre d’art. Cependant il vivait à une époque trop cultivée, et il était trop cultivé lui-même, pour dépouiller toute ambition littéraire en écrivant son livre. Ainsi, sur la fin de sa vie, quand il composa ses Annales, jetant un coup d’œil sur les tableaux qu’il avait déjà tracés, sur ceux qui lui restaient à tracer encore, et les comparant aux peintures de ses prédécesseurs, il s’inquiéta craignant que sa matière n’offre trop peu d’intérêt au lecteur. Il est certain que cette histoire du principat, restreinte presque complètement aux intrigues du palais, aux persécutions des adversaires de l’empereur, pouvait aisément devenir monotone et mesquine, mais Tacite sut triompher de ces difficultés. Chez lui, point d’uniformité dans son livre, mais une unité puissante de couleur et de ton. En outre, sous l’apparente monotonie des actes du despotisme, il savait retrouver et traduire l’éternelle variété de la nature humaine, soutenant l’âme du lecteur, que pourrait lasser l’abjection des acteurs de son drame, en évoquant partout la conscience comme un juge invisible et présent.

     

    Il chercha surtout l’intérêt dans les luttes qui se livraient au fond des âmes. Nul historien, dans aucun temps, n’a possédé plus que lui la faculté de démêler les motifs secrets des actions humaines. Son observation est si délicate et si pénétrante, elle parcourt avec une telle exactitude les replis des cœurs, que parfois ses maximes surprennent et ressemblent à des paradoxes : « Il est dans la nature humaine, dira-t-il par exemple, de haïr ceux qu’on a offensés ». Beaucoup ont discuté la valeur historique de l’ouvrage de Tacite, mais personne n’a songé à nier qu’il fût entre tous un psychologue délié et profond.

     

    Michel Escatafal

  • Pline l'Ancien : une vie assez courte, mais une oeuvre volumineuse

    histoire de rome,littérature romaine,pline l'ancien,pline le jeune,tibère,caligula,claude,titus,vespasien,herculanum,pompéiNé à Novum Comum (Côme aujourd’hui) en 23, sous Tibère, Pline l’Ancien fit ses études à Rome sous la direction du grammairien Apion qui, tout en enseignant les lettres et l’histoire, était aussi versé dans les diverses sciences. Ses études finies, Pline qui, en sa qualité de chevalier, était admis dans les grandes familles, vit de près la cour des empereurs Caligula (37-41) et Claude (41-54). Ensuite, après un court séjour en Afrique, il alla commander une aile de cavalerie en Germanie, où il fut le compagnon d’armes du futur empereur Titus (79-81). Très en faveur sous Vespasien (69-79), avec lequel il vécut dans une sorte d’intimité, il se vit chargé, avec le titre de procureur, de l’administration de plusieurs provinces. Enfin, c’est sous Titus, au moment de l’éruption du Vésuve qui engloutit Stabies, Herculanum et Pompéi, qu’il périt, à peine âgé de cinquante six ans, en observant le phénomène à Stabies (79). A cette époque il commandait une flotte rassemblée à Misène (près de Naples), pour défendre les côtes de l’Italie méridionale contre les pirates.

     

    Si cette vie assez courte se déroula presque tout entière dans les charges militaires et politiques, sans se dérober un seul instant, comme les anciens Romains, à ses devoirs civiques, elle n’empêcha pas son œuvre d’être volumineuse. En effet, outre son vaste ouvrage sur l’Histoire naturelle, il laissa un grand nombre d’écrits sur les sujets les plus divers : un traité d’art militaire sur la Manière de lancer le javelot à cheval, une Histoire des guerres de Germanie, très consultée par Tacite, un ouvrage sur l’Homme de lettres, une Dissertation grammaticale sur l’équivoque, enfin une Histoire de son temps.

     

    On aurait peine à comprendre pareille fécondité sans les détails que son neveu et lui-même nous ont laissés sur son prodigieux labeur. Levé avant le jour, Pline travaillait même la nuit : c’est ce qu’il appelait ses « moments de loisirs ». Partout il était accompagné d’un secrétaire à qui il dictait des notes et des extraits, écoutant des lectures jusque dans son bain. C’est ainsi qu’il laissa à son neveu, Pline le Jeune (61-112), cent soixante cahiers de notes écrits d’une écriture très fine au recto et au verso.

     

    Rien que son Histoire naturelle, le seul de ses ouvrages que nous possédions encore, eût suffi à défrayer l’activité d’un homme laborieux. On en jugera par l’énumération des matières qui y sont contenues. Divisée en trente sept livres, elle s’ouvre par une préface, sous forme de lettre à Titus, et par l’indication des sources où l’auteur a puisé : il a fait dit-il, « vingt mille extraits d’environ deux mille volumes qui proviennent de cent auteurs de choix ». Le second livre est une description physique du monde. La géographie prend les livres III à VI. Le septième livre est consacré à l’étude de l’homme. Il examine ensuite les mammifères dans le huitième, les poissons dans le neuvième, les oiseaux dans le dixième, les insectes dans le onzième. Puis, passant à la botanique, il traita des arbres, des arbrisseaux exotiques dans les livres XII et XIII, des arbres fruitiers dans les quatorzième et quinzième, des plantes et arbres sauvages dans le livre XVI, de l’arboriculture dans le dix-septième, des grains dans les dix-huitième et dix-neuvième, de l’agriculture du vingt au vingt-septième. Il reprend ensuite au point de vue médical l’examen de la botanique (XXVIII, XXXII), et de la zoologie. Enfin la minéralogie, considérée surtout dans ses rapports avec la vie et avec l’art, occupe la partie de l’ouvrage qui s’étend des livres XXXIII à XXXVII. Le livre XXXIV, sorte d’histoire de l’art antique, offre un intérêt tout spécial. Bref, un monument imposant, même s’il n’a rien de véritablement savant, surtout vu de nos jours.

     

    Michel Escatafall

  • Sénèque, à la fois historien, philosophe, scientifique et moraliste

    sénèque,empire romain,néron,caligula,pison,empereur claudeNé à Cordoue tout à la fin du premier siècle avant notre ère, le Sénèque que nous connaissons le mieux était le second fils de Sénèque le rhéteur. Il fut, nous dit-il, apporté à Rome dans les bras de sa tante, sœur d’Helvia, sa mère, et élevé par cette femme de grand mérite. Son père aurait voulu faire de lui un orateur, c’est-à-dire un rhéteur, mais Sénèque avait un goût déjà très vif pour la philosophie. Il suivit avec enthousiasme les leçons de Fabianus, du pythagoricien Sotion, et se laissa si bien prendre par l’enseignement de ce dernier maître, qu’il s’abstint de toute nourriture animale pendant quelque temps. Cependant l’ambition de son père le poussait au barreau, et il y fit des débuts si éclatants que Caligula, qui n’aimait pas les gens supérieurs au niveau intellectuel, songeait à le faire périr. Il ne le fit pas, parce qu’on fit comprendre à Caligula que Sénèque était fort chétif, et qu’il ne valait pas un arrêt de mort.

    Grâce à cette faiblesse physique, la philosophie romaine allait garder celui que la postérité considère souvent comme le plus brillant et le plus actif des philosophes de son siècle. Cela ne l’empêcha pas d’avoir des ennemis une bonne partie de sa vie. Ainsi, au début de règne de Claude (empereur de 41 à 54), nous le voyons exilé en Corse par une intrigue de cour. Il resta longtemps dans cette île, alors à moitié sauvage, résigné d’abord, comme il en témoigne dans l’ouvrage qu’il adressa à sa mère, puis lassé, ennuyé jusqu’à s’abaisser platement devant un certain Polybe, affranchi et favori de Claude (Consolation à Polybe). Au bout de huit ans, Sénèque est enfin rappelé à Rome et il songe à partir pour Athènes, quand Agrippine, qui a discerné son mérite et sait qu’il peut donner quelque popularité au nouveau prince, le fait nommer prêteur et lui confie l’éducation de Néron. Ce sera  l’époque la moins honorable de la vie de Sénèque.

    Tandis qu’il compose pour l’empereur l’éloge officiel du César défunt, il satisfait ses rancunes personnelles en écrivant l’Apocolocynthose (métamorphose de Claude en citrouille), pamphlet très spirituel, pas assez pourtant pour faire oublier que l’auteur  commettait une mauvaise action. Durant cinq ans il fit tout pour « emmuseler la bête féroce » qu’il y avait en Néron, sans toutefois quitter la cour à temps, sans doute parce qu’il s’était trop engagé pour le pouvoir. Ainsi, il n’empêcha ni le meurtre de Britannicus, ni celui d’Agrippine, faisant en plus l’apologie du parricide. Néanmoins il finit par vouloir partir, offrant à l’empereur de lui rendre tous ses biens qui étaient immenses. Néron refusa, craignant que Sénèque, en se dépouillant de sa fortune, ne se rendit modeste et donc moins docile. En fait il ne se fera jamais réellement oublier, et quand la conspiration de Pison éclata, on le dénonça comme un des complices, bien qu’il soit douteux qu’il eût trempé dans le complot, et il dut mourir.

    Il était alors près de Rome. Quand le centurion lui notifia la sentence fatale, « il demande son testament, sans se troubler, et, sur le refus du centurion, il se tourne vers ses amis et déclare que, puisqu’on le réduit à l’impuissance de reconnaître leurs services, il leur laisse le seul bien qui lui reste, l’image de sa vie ». Puis il s’ouvre les veines, appelle ses secrétaires, leur dicte un long discours, et, comme la mort tardait, il se fait porter dans un bain, et en y entrant il répand de l’eau sur les esclaves qui l’entouraient : « J’offre cette libation, dit-il, à Jupiter libérateur ». Il avait soixante-cinq ans. Sa jeune femme Pauline voulut mourir avec lui, s’ouvrant aussi les veines. Elle était prête à expirer quand Néron, par crainte de l’odieux, ordonna qu’on lui bandât les bras et qu’on arrêtât son sang. On la sauva finalement, mais toute sa vie elle garda sur son visage une pâleur mortelle et, dit Tacite, conserva une honorable fidélité à la mémoire de son mari.

    Malgré l’agitation de sa vie, Sénèque a beaucoup écrit, et dans des genres très divers. Les anciens avaient de lui des ouvrages, aujourd’hui perdus, sur l’histoire (Biographie de son père), sur la philosophie (Exhortations, des devoirs, sur la superstition, sur le mariage, sur l’amitié, sur la pauvreté), sur les sciences naturelles (Sur le mouvement de la terre, sur la forme du monde, sur les pierres, sur les poissons, sur la géographie de l’Inde, sur la géographie et la religion de l’Egypte). En dehors de son livre des Questions naturelles, il ne nous reste aujourd’hui que des traités de morale.

    Sous Caligula, il composa la Consolation à Marcia. Fille de l’historien Crémutius Cordus, persécuté par Tibère pour ses sentiments républicains, Marcia avait perdu un fils. Sénèque lui rappelle comment la philosophie a consolé Octavie, Livie, de pertes semblables. Il lui montre ainsi l’inutilité de la douleur, l’incertitude des évènements, la nécessité qui lie la vie à la mort, les dangers qu’eût courus son fils s’il eût vécu. Il lui affirme enfin que le jeune homme a été reçu au ciel par son aïeul Crémutius Cordus dans l’immortalité. En outre, de son exil, il adressa aussi une Consolation à sa mère Helvia pour l’engager à ne pas souffrir d’un sort auquel il se résigne, et à trouver un soulagement à sa peine dans la sagesse et aussi dans l’affection de ses enfants  qui restent auprès d’elle.

    Des années qui suivirent son rappel de Corse, et pendant lesquelles il fut précepteur de Néron, datent les traités sur la Tranquillité de l’âme, sur la Colère, sur la Brièveté de la vie. Le premier de ces ouvrages est adressé à un jeune courtisan, Sérénus, qui souffre d’un ennui vague, qui « sans être malade, ne se porte pas bien ». Sénèque essaie de l’arracher au spleen antique, qu’on appelle de nos jours dépression. Avec lui il recherche ce qu’est la tranquillité de l’âme, comment on la perd, comment on peut la recouvrer. Dans l’éloquent traité de la Colère, on voit une peinture de cette passion, une étude des causes qui la déchaînent, de ses conséquences et de ses effets. Les considérations morales y sont relevées par une foule d’anecdotes sur les contemporains de Tibère et de Caligula. C’est l’emploi et le prix du temps que nous enseigne l’opuscule sur la Brièveté de la vie.  Il peut se résumer en ces lignes : « Nous n’avons pas trop peu de temps ; nous en perdons trop… La vie serait assez longue et suffirait pour les plus grandes entreprises, si nous savions en bien placer les instants ».

    Pendant qu’il dirigeait les affaires de l’empire, l’activité philosophique de Sénèque ne fut point interrompue. Il donna alors le livre sur la Clémence, dédié à Néron. C’était une haute leçon offerte à un prince qui n’en profita guère. Dans ce livre l’empereur aurait pu apprendre ce qu’est la clémence, ses motifs, son utilité pour tous les hommes, sa nécessité pour les souverains. C’est là qu’on lit le beau récit où l’on voit Auguste pardonner à Cinna sa conspiration : Sénèque a fourni à notre Corneille la donnée d’un de ses chefs-d’œuvre. Très attaqué par les envieux, le ministre philosophe présente une sorte d’apologie de sa conduite dans le traité de la Vie heureuse. Dans les Bienfaits, il enseigne comment il faut savoir accorder et recevoir les services, ce que sont la reconnaissance et l’ingratitude. Très étendu, cet ouvrage est surtout riche en récits et en exemples. Les calomnies dont on harcelait Sénèque furent sans doute l’occasion des pages qu’il écrivit sur la Fermeté du sage : injure, outrage, vengeance, violence, le sage doit s’attendre et se résigner à tout. « Quel médecin se met en colère contre un frénétique ? Le sage est dans les mêmes dispositions envers tous, que le médecin envers les malades… et la même indifférence qu’il oppose aux hommages, il l’oppose aux insultes ». C’est aussi sans doute à ce moment de sa vie que Sénèque composa ses Tragédies.

    Quand l’heure de la disgrâce eût sonné et qu’il vécut dans la solitude, son ardeur intellectuelle ne se ralentit pas. Il entretenait alors Sérénus de la Retraite du philosophe. Zénon voulait que le sage prenne part aux affaires publiques, à moins d’en être empêché par quelque obstacle. Ces obstacles, Sénèque les énumère longuement et semble conclure en faveur de l’abstention politique. « Si je veux passer tous les gouvernements en revue, je n’en trouverai aucun qui puisse tolèrer le sage ou que le sage puisse tolérer… qu’un homme dise qu’il est fort bon de naviguer, et ensuite nie qu’il faille naviguer sur cette mer où l’on voit tant de naufrages… cet homme, je crois, me défend de lever l’ancre bien qu’il me prône la navigation ». Le traité de la Providence porte aussi la marque des préoccupations personnelles de Sénèque à cette heure de sa vie : il y a une Providence, les désordres de la nature, les vices de l’âme ne prouvent rien contre elle. Si le mal nous fait trop souffrir, la religion nous a donné le suprême remède. « Regardez, mortels, et vous verrez combien est courte et facile la voie qui conduit à la liberté… La mort est sous la main, et toutes les routes sont ouvertes… Eh quoi ! Balancez-vous ? Craindrez-vous si longtemps ce qui dure si peu ? » Dans ses dernières années, en même temps que Sénèque revenait aux études de sa jeunesse sur la nature (Questions naturelles) il écrivait pour son ami Lucilius ses admirables Epîtres qui restent son chef d’œuvre, où il a mis toute sa science, tout son esprit, toute son âme, et dont on s’est beaucoup servi surtout pour faire connaître son caractère et son enseignement. 

    Michel Escatafal