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histoire littéraire

  • A propos du caractère de Sénèque et de son enseignement

    Il y a dans la vie de Sénèque des actes que rien n’excuse, mais que tout explique. Il ne pouvait empêcher ni l’assassinat de Britannicus, ni celui d’Agrippine. Néanmoins, en mourant, il pouvait se dispenser d’avoir à louer le parricide.  Il eut le tort de vivre quelques années de trop, non par lâcheté sans doute, mais parce qu’il pensa pouvoir encore faire quelque bien et prévenir de nouveaux crimes. L’illusion était grande et on est libre de la lui reprocher. Mais il ne faut pas en abuser contre un homme qui fut dupe et victime autant que complice. Il ne faut pas surtout reprendre contre lui les accusations des délateurs de son temps, refuser toute autorité, toute dignité à son caractère et dire comme Saint-Evremond : « Il est ridicule qu’un homme qui vivait dans l’abondance et se conservait avec tant de soin, ne prêchât que la pauvreté et la mort ».

    Entre les mœurs et les écrits de Sénèque, il n’y a point de contradiction. Sans doute il posséda d’immenses richesses, mais il les posséda un peu à son corps défendant et en fit bon usage : sa bienfaisance était proverbiale, comme en a témoigné Juvénal. Quand il le fallut, il se priva sans peine des jouissances de la fortune et, gaiement, vécut comme un pauvre : « Mon matelas est à terre et moi sur mon matelas. De deux manteaux l’un sert de couverture et l’autre de courtepointe. Il n’y a rien à retrancher de notre dîner, car il est prêt en moins d’une heure. Mais, comme je ne suis jamais sans figues, non plus que sans tablettes, elles me servent de viande quand j’ai du pain, et de pain quand je n’ai point de viande ». 

    Par la façon dont il mourut, il montra bien qu’il n’était point esclave de l’amour de la vie et, ainsi, sa conduite appuie les paroles par lesquelles il se défendait contre les reproches de ses ennemis : «  Je n’aime pas les richesses, mais je les préfère…je ne rejette pas celles que je possède, mais je les domine. Je veux qu’une matière plus ample soit fournie à ma vertu…En quelque moment que la nature rappelle mon âme, ou que ma raison la délivre, je m’en irai en prouvant que j’aimais les belles études et la bonne conscience ». Il est d’ailleurs bien étonnant qu’on ait si vivement attaqué un homme qui n’eut point d’arrogance, qui ne prétendit jamais avoir atteint la perfection et au contraire confessa volontiers sa faiblesse. « C’est bien tard, nous dit-il, après m’être lassé à courir de tous côtés, que j’ai connu le droit chemin…J’ai reconnu les effets des préceptes salutaires par l’application que j’en ai faite sur mon propre mal. Il n’est pas tout à fait guéri, mais du moins ne s’aggrave plus ».

    Sénèque pensait que nul ne saurait donner efficacement un enseignement moral, s’il ne le fortifie par ses exemples : « Platon et Aristote, et tous les philosophes qui se sont partagées en diverses sectes, ont plus appris des mœurs que de la doctrine de Socrate ». Il lui parut, comme il nous paraît, que sa vie ne lui interdisait pas d’être un maître de sagesse. Et de fait ses leçons furent précieuses à bien des titres, souvent par le tact et le bon sens, plus souvent par l’ingéniosité et l’éloquence, toujours par la bonne volonté et l’ardeur qu’il y apporte. Il avait vraiment la vocation de l’enseignement, comme en témoigne ces deux phrases : « Je ne prends plaisir à apprendre quelque chose que pour l’enseigner aux autres. Je refuserais même la sagesse, si elle m’était offerte à condition de la tenir cachée et de ne la communiquer à personne ».  Avec de pareilles dispositions, il devait naturellement chercher par tous les moyens à agir fortement sur ceux à qui il s’adressait. Aussi son premier soin fut-il de restreindre le nombre de ses disciples pour pouvoir bien les connaître. Avec une attentive pénétration il les observe, tient compte de leur âge, de leur condition, surprend les secrets de leur cœur, entre dans les replis de leur conscience, et alors, approprie ses conseils à leur nature et à leur fortune.

    A un jeune homme comme Sérénus, affecté de langueurs sans cause, de tristesses sans motif, qui s’ennuie et ne sait quoi faire de son existence, il prescrira la vie politique qui occupera son âme. Un autre jour, sans doute parce qu’il avait affaire alors à quelque ambitieux ardent, il vantera la retraite, l’abstention politique (De la brièveté de la vie). Il n’y a d’utile que ce qui est possible, ce qui signifie qu’il faut se garder d’avoir trop d’exigences. Lucius est procurateur en Sicile, et il jouit d’une trop grande opulence. Sénèque en célébrant la pauvreté, n’ira point lui demander de se dépouiller de ses richesses. « Oh, que celui-là est grand, lui dit-il, qui se sert de sa vaisselle de terre comme si c’était de la vaisselle d’argent ! Mais celui-ci n’est pas moindre, qui se sert de vaisselle d’argent comme si c’était de la vaisselle de terre. En vérité c’est une imbécilité d’esprit de ne pouvoir supporter les richesses ».

    Rien d’absolu, comme nous pouvons le constater, dans cet enseignement. Il tient compte des personnes plus que des abstractions et Sénèque applique, en morale, ce que pourrait dire un médecin de notre époque : « Il n’y a pas de maladies ; il y a des malades ». Pas de préceptes généraux, mais beaucoup de maximes pratiques fréquemment répétées sous des formes diverses. « Ce qui nous est salutaire doit souvent être manié et retourné, afin que cela nous soit familier, que nous l’ayons sous la main ». En même temps, persuadé qu’on enseigne mal, lorsqu’on ennuie, Sénèque se met en grande dépense d’esprit pour intéresser à ce qu’il dit. Il est tout plein de comparaisons ingénieuses : veut-il montrer comme nous sommes aveugles sur nos défauts ? « La folle de ma femme, nous dit-il, a perdu subitement la vue…Elle ne sait pas qu’elle est aveugle, elle croit que c’est la maison qui est obscure, et prie son gouverneur de l’en déloger. Or sachez que ce défaut qui nous fait rire nous est commun avec cette folle ». Il place de piquants tableaux de mœurs, au point que certains ont écrit que plusieurs de ces tableaux appelait la comparaison avec La Bruyère. Enfin, sa riche mémoire lui fournit en abondance les anecdotes qui délassent et renouvellent l’attention, et qu’il sait conter à merveille. Tacite avait bien raison de dire de lui qu’il « donnait des grâces à la sagesse ».

    Michel Escatafal

  • Henri Beyle, cet inconnu très connu…sous le pseudonyme de Stendhal

    Stendhal, Napoléon Bonaparte, campagne d'Italie, Chartreuse de Parme, littérature, histoireNé à Grenoble le 23 janvier 1783, mort le 23 mars 1842 à Paris, Henri Beyle qui publia ses ouvrages sous divers pseudonymes, dont celui de Stendhal, suivit d’abord avec enthousiasme l’armée de Napoléon comme attaché  à l’intendance de la maison de l’Empereur.  Après la chute de l’Empire, il se livra à son goût pour la littérature, les arts, les voyages. Ainsi il publia en 1817 l’Histoire de la peinture italienne, et la même année les Vies de Haydn, Mozart et de Métastase (1698-1782), qui fut un célèbre poète italien dont Haydn et Mozart ont mis en musique quelques tragédies lyriques. Un peu plus tard, c’est la Vie de Rossini (1824) qui parut, autant d’ouvrages vraiment neufs pour le temps.  Enfin on n’omettra pas ses Promenades dans Rome (1827), pas plus que la préface de Cromwell  et son opuscule  Racine et Shakespeare (1823), destiné à soutenir contre l’école classique les théories des novateurs.

    Après 1830, il fut nommé consul à Trieste, puis à Civita-Vecchia, dans cette Italie dont il aimait passionnément le sol, les arts et les mœurs. C’est alors qu’il donna ses deux livres les plus célèbres, le Rouge et le Noir (1834) et la Chartreuse de Parme (1839). L’action de ces deux romans s’agite dans des milieux bien différents, mais ils sont tous deux également remarquables par la vérité des peintures, qui procèdent par traits serrés et précis, fruits d’une observation pénétrante et pleine d’un scepticisme dont l’amertume et la sécheresse ont quelque chose de voulu. Beyle mériterait une place entre Balzac et Mérimée, qui tous deux le regardaient comme un maître. En effet, à l’égal du premier, il avait le souci du réel, affectant, comme le second, une sorte d’indifférence ironique et froide. Cependant nul ne contestera que Beyle ait été plus profond penseur que l’un et l’autre. En revanche Balzac  l’emporte sur lui par la fécondité de l’invention, et Mérimée par les mérites délicats du style et de la composition.

    A propos de la Chartreuse de Parme, que j’ai eu grand plaisir à relire, je voudrais dire deux mots d’un passage relatif à Milan le 15 mai 1796 (au début du Livre premier), ville dans laquelle « le général Bonaparte fit son entrée à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur ». Rien que dans cette phrase on découvre l’admiration qu’avait Beyle pour le génie militaire de Napoléon Bonaparte! En outre cet amoureux de l’Italie ne supportait pas que le duché de Milan, que l’Autriche avait récupéré lors du traité d’Utrecht (1713), fût toujours sous la domination de « Sa Majesté Impériale et Royale » l’empereur d’Autriche et roi de Hongrie, en fait le dernier roi des Romains puisque le Saint-Empire romain germanique fut dissous par François II en 1806. Voilà pourquoi aussi Beyle écrivait, qu’après être plongés dans une nuit profonde, les Lombards « renversèrent leurs statues, et tout à coup ils se trouvèrent inondés de lumière », attitude des peuples trop longtemps soumis.

    Fermons la parenthèse pour noter que cette admiration de Beyle-Stendhal pour Bonaparte, j’ai bien dit Bonaparte et non Napoléon qu’il a fini par considérer  comme un tyran, allait tellement loin qu’il écrivit, toujours dans ce morceau, que les soldats avaient souffert « depuis deux ans dans les montagnes du pays de Gênes » parce qu’ils étaient retenus « par de vieux généraux imbéciles ». C’était quand même faire bon marché de ces généraux, parmi lesquels Scherer qui avait participé très jeune à la bataille de Valmy, et qui avait remporté le 23 novembre 1795 la victoire de Loano, avec pour lieutenants des hommes comme Masséna et Sérurier, deux des plus brillants généraux de Napoléon. Cela étant le personnage imaginaire de Beyle parlait en homme qui avait été immédiatement conquis par l’aura et le prestige de Bonaparte. On retrouve d’ailleurs ce contraste entre la description qui est faite du futur empereur et de ses prédécesseurs en Italie, dans les écrits de Stendhal lui-même, Vie de Napoléon (1817-1818) composée à Milan, et Taine dans Les Origines de la France contemporaine - le Régime moderne (1893). 

    Toujours dans le même livre, au chapitre III, dans un récit relatif à la bataille de Waterloo, on voit Fabrice del Dongo, enthousiaste à propos de Napoléon, la tête et le cœur plein d’un idéal épique, réaliser à quel point il lui serait difficile de se battre, compte tenu de son manque de formation au métier militaire. Cela étant, cet épisode peu glorieux permet à Stendhal de montrer qu’un idéaliste qui rencontre la réalité, devient vite un idéaliste qui voit l’homme tel qu’il est. Certains appellent cela un réalisme éclairé, même si l’ironie apparaît un peu trop fortement. Toutes ces remarques font de Beyle-Stendahl un de nos plus grands romanciers, même si l’admiration que certains professent à son égard apparaît un peu exagérée, en opposition totale avec le jugement que lui ont porté ses contemporains…qui ne le connaissaient pas.  

    Michel Escatafal

  • Regnard : un bon imitateur de Molière

    littérature,histoireNé à Paris en 1655, mort en 1709 au château de Grillon (près de Dourdan), Jean-François Regnard qui a bénéficié très jeune de la fortune laissée par son père, a passé une bonne partie de sa jeunesse à parcourir la moitié de l’Europe entre 1675 et 1683, ce qui lui valut aussi en 1678 d’être pris par des pirates et vendu comme esclave à Alger. Il appartient par ses comédies à ce groupe intéressant d’auteurs comiques, dont les pièces nous représentent fidèlement les changements qui s’accomplirent dans les mœurs sociales, pendant les trente dernières années du siècle de Louis XIV. Cela dit, il n’a produit aucune œuvre qui puisse se comparer, pour l’âpreté satirique et la peinture sérieuse des caractères, avec le Turcaret de Le Sage (1709), ou qui jette autant de lumière sur la société du temps que certaines pièces de Dancourt.

    A propos de Dancourt (1661-1725), notons qu’il fut comédien en même temps qu’auteur de comédies, et qu’il a surtout excellé dans la peinture des bourgeois et de ceux que l’on appelait « les petites gens ». Il y déployait beaucoup de verve et d’aisance, au point qu’on puisse louer comme une œuvre vraiment profonde son Chevalier à la mode (1687), comédie en cinq actes et en prose qui, dans toute la période allant de Molière à Marivaux, ne le cède qu’à Turcaret.

    Pour revenir à Regnard, il a pour lui, avec l’aisance du dialogue et de la versification, une gaieté que rien ne déconcerte. C’est par ces qualités que brillent ses principales comédies, le Joueur (1696), où l’on trouve le caractère le plus approfondi qu’ait tracé Regnard, le Distrait (1697), Démocrite (1700), les Folies Amoureuses (1704), les Ménechmes (1705), le Légataire universel (1708), sans doute son chef d’oeuvre. Regnard a aussi écrit un assez grand nombre de farces pour les Comédiens Italiens, et publié une narration romanesque de ses voyages, notamment la Provençale, roman posthume qui paraîtra en 1731. Autant de raisons d'affirmer qu'il mérite de figurer parmi les meilleurs imitateurs de Molière, lui empruntant des idées, des procédés ou des jeux de scène, mais avec sa note à lui. 

    Un dernier mot enfin, pour souligner que les Comédiens Italiens furent établis à Paris d’une manière permanente à partir de 1662. Quand l’ancienne troupe de Molière et celle de l’Hôtel de Bourgogne se réunirent pour constituer la Comédie Française (1680), les Italiens prirent pour eux la salle de l’Hôtel de Bourgogne. Dès lors s’établit entre les deux théâtres une sorte de rivalité, qui se termina tout d’un coup en 1697, quand les Italiens, pour des raisons qui ne sont pas bien éclaircies, se virent interdire de continuer leurs représentations. Toutefois cette rivalité recommença très vite, les théâtres populaires de la Foire Saint-Laurent et de la Foire Saint-Germain ayant repris pour eux le répertoire et les traditions des Italiens.

    Michel Escatafal

  • Molière, suite...

    Dans la suite de ce que j’écrivais sur Molière, j’ai voulu noter quelques remarques ou anecdotes qui m’ont particulièrement marqué en relisant  son œuvre, avec quelques pièces qui méritent davantage considération que celle qu’on leur accorde généralement. La première qui me vient à l’esprit est l’Ecole des Maris, peut-être parce que je suis un admirateur inconditionnel du théâtre espagnol. Cette pièce, écrite en 1661, présente en effet une ressemblance frappante entre la situation des deux frères de l’Ecole des Maris à l’égard des deux jeunes filles dont l’éducation leur est confiée, et celle des deux principaux héros d’une comédie espagnole d’Antonio de Mendoza, El marido hace mujer (1643), qui est sans nul doute l’une des principales sources de la pièce de Molière. Cela étant, l’idée de traduire sur la scène deux systèmes d’éducation opposés, a fourni matière à un grand nombre d’auteurs comiques depuis les Adelphes  de Térence, dont Molière s’est certainement souvenu, comme s’en était souvenu au seizième siècle, Pierre de Larivey dans sa comédie des Esprits.

    Dans cette pièce, comme dans d’autres, on voit souvent apparaître le nom de Sganarelle. Sganarelle est un nom traditionnel, à l’origine incertaine, que Molière a donné plusieurs fois dans ses comédies à un personnage comique dont il remplissait lui-même le rôle. Autre nom qui m’a interpellé, Ariste, mot grec francisé qui signifie « très bon », et qui n’est donné qu’aux personnages qui représentent le bon sens. Dans un tout autre ordre d’idées, on trouve dans  l’Ecole des Maris des renseignements intéressants sur la manière d’être des gens à l’époque.

    Ainsi dans une longue tirade de Sganarelle, on évoque des jeunes élégants qui se parfumaient avec de l’essence de muguet, d’où le nom de « jeunes muguets » donné par Molière. Ce dernier parle aussi de « blonds cheveux », ce qui permet de  découvrir que les jeunes gens qui avaient des cheveux naturellement abondants et bouclés les laissaient flotter sur leurs épaules, préparant ainsi l’arrivée en masse de la perruque (1661), laquelle ne l’oublions pas est devenue à la mode suite à la perte de cheveux de Louis XIV après la fièvre typhoïde qu’il contracta en 1658.

    Un peu plus loin, Sganarelle évoque aussi « ces cotillons appelés hauts-de-chausses », larges comme des jupes de femme, et qui étaient la partie du vêtement des hommes qui couvrait le corps de la ceinture aux genoux. Ce haut-de-chausses très large s’appelait en réalité rhingrave. Il faisait partie des vêtements favoris des hommes de la cour, la mode en ayant été introduite par un prince allemand ou rheingraf (comte du Rhin), que l’on croit être Frédéric, seigneur de Neuviller, gouverneur de Maëstricht pour la Hollande (mort en 1673), qui à plusieurs reprises séjourna longuement à Paris, et qu’on appelait particulièrement Monsieur le Rhingrave.

    Autre pièce qui a suscité mon intérêt, Mélicerte. La pastorale de Mélicerte (1666) avait été composée pour prendre place dans le Ballet des Muses (auteur Benserade 1612-1691),  dansé en présence de toute la cour et dans lequel le roi tenait un rôle. Dans l’acte 1, Lycarsis dit du roi de Thessalie : « Dans toute sa personne il a je ne sais quoi/ Qui d’abord fait juger que c’est un grand roi », ce qui en réalité est une manière de louer Louis XIV sans sortir du ton de la comédie, comme en témoigne la manière dont il égratigne au passage les courtisans : « Et l’on dirait d’un tas de mouches reluisantes/ Qui suivent en tous lieux un doux rayon de miel ».

    Enfin comment ne pas parler d’une pièce écrite en prose, Les Précieuses Ridicules, qui vaut non seulement par ses éléments de comique, mais aussi par la manière dont Molière fait ressortir un mouvement  à la fois social, intellectuel et artistique qu’est la préciosité. A ce propos il faut savoir que ce mouvement avait dans un premier temps suscité l’admiration. Les habitués de l’hôtel de Rambouillet avaient été honorés, en signe précisément de l’admiration qu’ils inspiraient, du nom de « précieux » et « précieuses », c’est-à-dire hommes, femmes d’un grand prix. Mais lorsque les romans de Mademoiselle de Scudéry eurent mis à la mode, jusque dans la bourgeoisie  et dans les provinces, le langage raffiné et la délicatesse excessive des sentiments, le mot de « précieux »commença à être pris péjorativement.

    Au reste Molière, dans sa préface de la comédie (1659), écrivait : « Les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes qui méritent d’être bernés ; ces vicieuses imitations de ce qu’il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la comédie ; et, par la même raison que les véritables savants et les vrais braves ne se sont point encore avisés de s’offenser du Docteur de la comédie et du Capitan, non plus que les juges, les princes et les rois de voir Trivelin, ou quelque autre, sur le théâtre, faire ridiculement le juge, le prince ou le roi, aussi les véritables Précieuses auraient tort de se piquer, lorsqu’on joue les ridicules qui les imitent mal ».

    Il est vrai que parler constamment par métaphores, et utiliser systématiquement les adverbes « furieusement », « terriblement », « épouvantablement », « horriblement », dans le sens de « très », « beaucoup » a effectivement de quoi être considéré comme autant de marque d’affectation. Cependant  je préfère encore cette affectation que cette manie que l’on a aujourd’hui d’employer à tout propos des mots anglais, notamment à la télévision, qui pourraient avantageusement être remplacés par des mots bien français. Dommage que Molière ne soit plus là pour se moquer de ces gens qui, à défaut d'être « précieux », sont « furieusement » ridicules.

    Michel Escatafal

  • Paul de Gondi, un polémiste de grand talent

    de Retz.jpgNé en 1613, mort en 1679, Jean-François-Paul de Gondi, qui devint plus tard cardinal de Retz fut, fort jeune encore, nommé coadjuteur de l’archevêque de Paris, son oncle. Désireux d’arriver au gouvernement de l’Etat et aux grandes dignités par tous les moyens, il passa la plus grande partie de sa vie à conspirer. Tout d’abord contre Richelieu en 1636, puis ensuite contre Mazarin (1648),  jouant pendant la Fronde (1648-1653) un rôle prépondérant s’alliant à la Reine contre Condé (1650), et après bien des aventures, bien des succès et beaucoup de revers, il passa ses dernières années dans la retraite après avoir été emprisonné, puis exilé en Italie et en Flandres.

    C’est alors qu’il écrivit ses célèbres Mémoires, dans lesquels la vivacité admirable du récit s’allie à un sens plus profond qu’on ne le soupçonne ordinairement de l’histoire et de la politique. Ils sont divisés en trois parties, dont la première n’est qu’une sorte d’introduction (1613-1643). La troisième (1654-1655) pour sa part est inachevée, mais la seconde (1643-1654) est de beaucoup la plus longue et la plus intéressante.

    Nous avons encore du cardinal de Retz quelques Sermons, un ouvrage de jeunesse, la Conjuration de Fiesque et, avec différentes pièces, des lettres nombreuses, presque aussi intéressantes pour l’histoire de la langue et de la littérature que pour l’histoire politique de la France à l’époque de la Fronde, même si on peut lui reprocher çà et là quelques inexactitudes de détail qui n’infirment en rien ce qu’il affirme, et ne diminuent pas la force de ses dissertations.

    Dans la deuxième partie des Mémoires, j’ai plus particulièrement relevé les Considérations sur l’exercice du pouvoir monarchique en France, où il évoque le pouvoir royal et l’absolutisme, faisant remarquer que l’autorité des rois dans notre pays « n’a jamais été réglée, comme celle des rois d’Angleterre et d’Aragon, par des lois écrites », allusion à la Grande Charte d’Angleterre, signée en 1215 par Jean sans Terre (roi d’Angleterre entre 1199 et 1216), et aux « fueros », antiques privilèges de l’Aragon et des autres provinces du nord de l’Espagne.

    Il est également d’un grand intérêt de savoir Comment éclatèrent les troubles de la Fronde, avec une évocation  de la fondation de la république des Provinces-Unies. En effet, dès 1564, le peuple hollandais avait commencé à se soulever contre la domination espagnole. Les cruautés du duc d’Albe, lieutenant du roi d’Espagne Philippe II et gouverneur des Flandres (1567-1573), furent impuissantes à le faire rentrer dans l’obéissance.  En 1579, Guillaume 1er de Nassau, prince d’Orange, fit signer aux sept provinces bataves l’Union d’Utrecht, qui affirmait l’indépendance des Pays-Bas. En 1648 (Traité de Westphalie), l’Espagne dut reconnaître l’existence de la république des Provinces-Unies.  

    Comme quoi  les révolutions les plus improbables peuvent changer radicalement de statut, à l’image aux yeux du Cardinal de Retz de ce qui s’est passé au début de la Fronde. C’est pour cela qu’il écrit : « Qui eût dit  trois mois devant la petite pointe des troubles, qu’il en eût pu naître dans un Etat où la maison royale était parfaitement unie, où la cour était esclave du ministre, où les provinces et la capitale lui étaient soumises, où les armées étaient victorieuses, où les compagnies paraissaient de tout point impuissantes ; qui l’eût dit eût passé pour un insensé ».

    Enfin  comment ne pas citer les inévitables portraits (dix-sept en tout), tellement à la mode dans les salons et les romans de l’époque, par exemple ceux de la reine Anne d’Autriche et de Gaston d’Orléans (frère de Louis XIII et oncle de Louis XIV). Ainsi on découvre qu’Anne d’Autriche « avait plus que personne…de cette sorte d’esprit qui lui était nécessaire pour ne pas paraître sotte à ceux qui ne la connaissaient pas ». Quant au duc d’Orléans, « il avait, à l’exception du courage, tout ce qui était nécessaire à un honnête homme ; mais comme il n’avait rien, sans exception, de tout ce qui peut distinguer un grand homme, il ne trouvait rien dans lui-même qui  pût ni suppléer, ni même soutenir sa faiblesse ».

    Avec une telle description de deux personnages aussi importants, on comprend parfaitement que cela n’ait pas arrangé sa réputation. Ses ennemis, au demeurant très nombreux, seront d’ailleurs très sévères avec lui, ne lui trouvant que peu de qualités et beaucoup de défauts. Pour La Rochefoucauld, « sa pente naturelle est l’oisiveté », et « son imagination lui fournit plus que sa mémoire ». Il n’empêche, Paul de Gondi, nous laisse une œuvre agréable à lire, et restera dans notre littérature comme un polémiste et un pamphlétaire de grand talent.

    Michel Escatafal