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Molière, suite...

Dans la suite de ce que j’écrivais sur Molière, j’ai voulu noter quelques remarques ou anecdotes qui m’ont particulièrement marqué en relisant  son œuvre, avec quelques pièces qui méritent davantage considération que celle qu’on leur accorde généralement. La première qui me vient à l’esprit est l’Ecole des Maris, peut-être parce que je suis un admirateur inconditionnel du théâtre espagnol. Cette pièce, écrite en 1661, présente en effet une ressemblance frappante entre la situation des deux frères de l’Ecole des Maris à l’égard des deux jeunes filles dont l’éducation leur est confiée, et celle des deux principaux héros d’une comédie espagnole d’Antonio de Mendoza, El marido hace mujer (1643), qui est sans nul doute l’une des principales sources de la pièce de Molière. Cela étant, l’idée de traduire sur la scène deux systèmes d’éducation opposés, a fourni matière à un grand nombre d’auteurs comiques depuis les Adelphes  de Térence, dont Molière s’est certainement souvenu, comme s’en était souvenu au seizième siècle, Pierre de Larivey dans sa comédie des Esprits.

Dans cette pièce, comme dans d’autres, on voit souvent apparaître le nom de Sganarelle. Sganarelle est un nom traditionnel, à l’origine incertaine, que Molière a donné plusieurs fois dans ses comédies à un personnage comique dont il remplissait lui-même le rôle. Autre nom qui m’a interpellé, Ariste, mot grec francisé qui signifie « très bon », et qui n’est donné qu’aux personnages qui représentent le bon sens. Dans un tout autre ordre d’idées, on trouve dans  l’Ecole des Maris des renseignements intéressants sur la manière d’être des gens à l’époque.

Ainsi dans une longue tirade de Sganarelle, on évoque des jeunes élégants qui se parfumaient avec de l’essence de muguet, d’où le nom de « jeunes muguets » donné par Molière. Ce dernier parle aussi de « blonds cheveux », ce qui permet de  découvrir que les jeunes gens qui avaient des cheveux naturellement abondants et bouclés les laissaient flotter sur leurs épaules, préparant ainsi l’arrivée en masse de la perruque (1661), laquelle ne l’oublions pas est devenue à la mode suite à la perte de cheveux de Louis XIV après la fièvre typhoïde qu’il contracta en 1658.

Un peu plus loin, Sganarelle évoque aussi « ces cotillons appelés hauts-de-chausses », larges comme des jupes de femme, et qui étaient la partie du vêtement des hommes qui couvrait le corps de la ceinture aux genoux. Ce haut-de-chausses très large s’appelait en réalité rhingrave. Il faisait partie des vêtements favoris des hommes de la cour, la mode en ayant été introduite par un prince allemand ou rheingraf (comte du Rhin), que l’on croit être Frédéric, seigneur de Neuviller, gouverneur de Maëstricht pour la Hollande (mort en 1673), qui à plusieurs reprises séjourna longuement à Paris, et qu’on appelait particulièrement Monsieur le Rhingrave.

Autre pièce qui a suscité mon intérêt, Mélicerte. La pastorale de Mélicerte (1666) avait été composée pour prendre place dans le Ballet des Muses (auteur Benserade 1612-1691),  dansé en présence de toute la cour et dans lequel le roi tenait un rôle. Dans l’acte 1, Lycarsis dit du roi de Thessalie : « Dans toute sa personne il a je ne sais quoi/ Qui d’abord fait juger que c’est un grand roi », ce qui en réalité est une manière de louer Louis XIV sans sortir du ton de la comédie, comme en témoigne la manière dont il égratigne au passage les courtisans : « Et l’on dirait d’un tas de mouches reluisantes/ Qui suivent en tous lieux un doux rayon de miel ».

Enfin comment ne pas parler d’une pièce écrite en prose, Les Précieuses Ridicules, qui vaut non seulement par ses éléments de comique, mais aussi par la manière dont Molière fait ressortir un mouvement  à la fois social, intellectuel et artistique qu’est la préciosité. A ce propos il faut savoir que ce mouvement avait dans un premier temps suscité l’admiration. Les habitués de l’hôtel de Rambouillet avaient été honorés, en signe précisément de l’admiration qu’ils inspiraient, du nom de « précieux » et « précieuses », c’est-à-dire hommes, femmes d’un grand prix. Mais lorsque les romans de Mademoiselle de Scudéry eurent mis à la mode, jusque dans la bourgeoisie  et dans les provinces, le langage raffiné et la délicatesse excessive des sentiments, le mot de « précieux »commença à être pris péjorativement.

Au reste Molière, dans sa préface de la comédie (1659), écrivait : « Les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes qui méritent d’être bernés ; ces vicieuses imitations de ce qu’il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la comédie ; et, par la même raison que les véritables savants et les vrais braves ne se sont point encore avisés de s’offenser du Docteur de la comédie et du Capitan, non plus que les juges, les princes et les rois de voir Trivelin, ou quelque autre, sur le théâtre, faire ridiculement le juge, le prince ou le roi, aussi les véritables Précieuses auraient tort de se piquer, lorsqu’on joue les ridicules qui les imitent mal ».

Il est vrai que parler constamment par métaphores, et utiliser systématiquement les adverbes « furieusement », « terriblement », « épouvantablement », « horriblement », dans le sens de « très », « beaucoup » a effectivement de quoi être considéré comme autant de marque d’affectation. Cependant  je préfère encore cette affectation que cette manie que l’on a aujourd’hui d’employer à tout propos des mots anglais, notamment à la télévision, qui pourraient avantageusement être remplacés par des mots bien français. Dommage que Molière ne soit plus là pour se moquer de ces gens qui, à défaut d'être « précieux », sont « furieusement » ridicules.

Michel Escatafal

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