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littérature et histoire

  • Chateaubriand, le peintre de la civilisation chrétienne à son époque

     

    chateaubriand, madame de Staël, littérature et histoireNé à Saint-Malo le 4 septembre 1768, mort à Paris le 4 juillet 1848, François–Auguste de Chateaubriand, passionné d’histoire politique, aura connu dans sa vie trois révolutions (1789, 27, 28 et 29 juillet 1830 et 22 au 25 février 1848), et, peut-être ou à cause de cela, allait devenir un auteur prolifique en œuvres de genres divers. En effet, après avoir publié un petit nombre de poésies plutôt médiocres, il alla passer quelques mois en Amérique (1791), puis revint en France pour émigrer presque aussitôt. Etabli en Angleterre, il y donna un Essai sur les Révolutions (1797), qui n’attira point alors l’attention du public. C’est en 1800 que, rentré à Paris, il publia dans le Mercure une lettre sur le livre de Madame de Staël, De la Littérature, qui le fit tout d’un coup connaître comme un brillant apologiste de la religion. La publication du petit roman d’Atala (1801) le rendit célèbre, et celle du Génie du Christianisme (1802) mit le sceau à sa réputation.

    Cela dit, la nouveauté d’un style dont la poétique magnificence, l’éclat, le coloris n’allaient pas sans quelque mélange d’insupportable déclamation, et la hardiesse provocante des attaques de Chateaubriand contre les théories philosophiques du dix-huitième siècle, avaient suscité de vives et nombreuses critiques. Elles devinrent plus acerbes encore lorsque, après René,  nouvelle inspirée jusqu’à un certain point du Werther de Goethe, insérée d’abord dans le Génie du Christianisme, puis publiée à part (1807), Chateaubriand donna son œuvre la plus achevée, l’épopée en prose les Martyrs. Toutefois les connaisseurs et le public tout entier ne tardèrent pas à admirer cette vivante peinture de la civilisation chrétienne encore naissante et du monde païen en décadence, ces tableaux variés, tour à tour énergiques et touchants, mais tous si vrais, dans la précision de leurs détails, qu’ils devaient servir de modèles aux historiens à venir, ces caractères généreux et charmants, Eudore, Cymodocée, Démodocus, cette composition nette et habilement ménagée, cette prose enfin dans l’harmonieuse unité de laquelle viennent se fondre, avec toutes les hardiesses éclatantes de la poésie moderne, toutes les grâces de la muse homérique.

    L’Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811) contient l’intéressant récit du voyage de Chateaubriand à travers tous les pays qui sont décrits dans les Martyrs. Après la chute de l’Empire, qu’il avait toujours combattu, Chateaubriand, qui fut à plusieurs reprises ministre et ambassadeur, ne publia plus guère que des ouvrages politiques. A ceux-ci, il faut ajouter néanmoins le chevaleresque récit des Aventures du dernier Abencerage (1826), et les Natchez, sorte de roman poétique, composition de la jeunesse de l’auteur, de brillantes Etudes historiques, les Voyages en Amérique, en France, en Italie (1834), un médiocre Essai sur la littérature anglaise, précédant une traduction du Paradis Perdu de Milton (1836), une très faible Vie de Rancé (1844). Enfin il ne faut surtout pas oublier  les Mémoires d’Outre-Tombe, œuvre à la fois bizarre et prétentieuse, œuvre inégale surtout, parce que les diverses parties en ont été rédigées à des époques et dans des circonstances bien diverses. Cependant  les meilleures, par la poésie de certains tableaux, l’aisance et la variété des récits, la noblesse mélancolique ou passionnée des réflexions et des confidences, égalent les plus beaux ouvrages d'un auteur à qui la postérité a depuis longtemps signifié les mérites.

    Michel Escatafal

     

  • La Thébaïde et les Sylves

    La Thébaïde

    Quand on songe que Stace avait mis dans ce poème épique ses plus chères ambitions, qu’il y donna douze ans de sa vie, on est attristé en constatant la disproportion entre l’effort et le résultat. D’un mot, il manque à la Thébaïde non pas seulement l’intérêt véritable, mais tout simplement un intérêt. Etéocle et Polynice, les héros, paraissent à peine et n’ont pas de caractère. Les différents personnages figurent tour à tour, ont chacun leur chant et leur épisode, mais aucun d’eux ne nous retient et ne nous attache. Enfin l’action traîne en longueur, car le poète n’a pas su engager le drame : « Par lequel de tant de héros commencerai-je, ô Clio ? dit-il au début…j’hésite entre le fougueux Hippomédon, faisant reculer le peuple devant une digue d’ennemis immobiles, et la mort tant pleurée du bel Arcadien et l’horreur de chanter Capanée ».

    Et de cette hésitation, Stace n’en sort point : il multiplie les digressions, songes, jeux, etc., accumule les discours, mais ne peut se faire illusion à lui-même : au chant sept, il introduit Jupiter et le maître des dieux déclarant que les évènements marchent d’un pas trop lent, se prend à gourmander Mars : « Maintenant il oublie son ardeur belliqueuse, il diffère sa vengeance;  mais s’il ne hâte le moment de combattre … qu’il me rende ses chevaux, son épée, et qu’il perde son droit du sang ; j’ordonnerai que la paix règne partout ; Pallas suffira pour la guerre de Thèbes ».  Cela étant,  Jupiter a beau dire, l’action ne se hâte pas davantage  et quand le dénouement vient, on se dit qu’il aurait pu être indéfiniment retardé.

    De plus on sent que le poète ne sait pas prendre partie entre deux écoles de poésie, l’école de Lucain, qui veut être moderne, et l’école alexandrine, qui reste attachée aux anciens sujets et aux procédés d’Appolonius.  Au lieu de se rendre indépendant de l’une et de l’autre, il emprunte à celle-ci son merveilleux usé, ses amplifications mythologiques, à celle-là son goût des épisodes romanesques et des détails horribles : ce pauvre poète, spirituel et doux, étale des spectacles hideux, des scènes de furieuse férocité. Par exemple Tydée se faisant apporter la tête de Ménalippe : « Il la prend de la main gauche, et contemple avec une joie sauvage ces yeux hagards que la mort n’a pas encore rendus immobiles… et bientôt on le voit, tout couvert du sang de cette tête coupée et souillant ses lèvres de sang tiède encore ».

    En vérité la Thébaïde n’est rien d’autre qu’une série de morceaux brillants, et il n’y a pas d’intérêt dans ce poème parce qu’il n’y a pas d’unité. Et ce défaut on se l’explique aisément, si l’on songe qu’en composant son œuvre, Stace en débitait des morceaux dans les lectures publiques. Il fallait plaire à l’auditoire, et celui de demain pouvait ne pas ressembler à celui d’hier. De là ce manque d’harmonie dans le goût déjà signalé. Du moins devant ce public d’un jour Stace obtint des succès très vifs. Lorsqu’il devait faire une lecture, Rome, nous dit Juvénal, était en joie. Dans ces séances rapides on n’avait pas à s’inquiéter de la composition, du développement des caractères. On goûtait l’ingéniosité des détails, l’habileté du style, la dextérité de la versification. Nous retrouvons encore dans la Thébaïde quelque   chose de cela, mais nous jugeons que ce n’est pas suffisant pour une épopée.

    Les Sylves

    En fait le vrai talent de Stace s’exprime dans ces pièces rapides qu’il écrivait aujourd’hui sans penser à demain. Il s’y montre avec toute sa facilité d’improvisateur napolitain, prompt à saisir les couleurs et les formes, et habile à les fixer dans une description nette et brillante. C’est à lui qu’il faut recourir si l’on veut avoir quelque idée de ces merveilleuses villas que les riches Romains faisaient alors construire dans des sites charmants. Il suffit de voir par exemple la peinture de la maison de Pollius Félix, qui fut son mécène,  à Sorrente. Délicatement artiste, il s’enchante à la vue des objets d’art qui parent ces somptueuses demeures, nous les fait goûter, et ce d’autant plus aisément qu’il aidait sans doute leurs possesseurs à s’aviser de leur beauté. Nonnius Vindex avait pour surtout de table une statuette d’hercule, œuvre de Lysippe. Elle a ravi Stace d’une admiration intelligente et communicative : « Le protecteur de notre table était un Hercule qui me plongea dans l’extase, et que mes yeux ne se lassèrent pas de contempler. Le travail en était si beau! Il y avait tant de majesté contenue dans des bornes si étroites!  Le Dieu ! M’écriai-je, voilà le Dieu ! Certes il posa devant toi, ô Lysippe, lorsqu’il t’arriva de le représenter si petit et de le faire concevoir si grand ».

    Parfois aussi, quand il est de loisir, il nous entretient de ceux qu’il aime,  pleurant  la mort de son père avec une émotion vraie. Il est aussi vraiment touchant dans l’épître qu’il adresse à Claudia sa femme : il voulait l’engager à quitter Rome et à venir à Naples avec lui. Pour la décider, il lui rappelle avec bien du charme leur longue union, leur dévouement mutuel, leurs communes affections et cette fille, si aimable, dont les épouseurs ne veulent pas parce qu’elle est pauvre : « A Naples, lui dit-il, l’hymen viendra pour elle, l’hymen avec tous ses flambeaux. N’en est-elle pas digne par sa beauté, par tous les dons du cœur et de l’esprit ? Soit qu’elle tienne le luth entre ses mains, soit qu’elle module avec la voix de son père des sons répétés par les Muses, soit qu’elle prête une nouvelle grâce à mes vers, ou qu’elle déploie la blancheur de ses bras dans une danse gracieuse, toujours sa vertu surpasse son esprit, et sa modestie ses talents ». Et la pièce se termine par une description des campagnes de Naples, où revivent frais et jeunes les souvenirs du pays natal.

    Dans ses Sylves, Stace ne voyait qu’un divertissement : « Le seul mérite qui recommande ces pièces, c’est celui de la rapidité, car aucune ne m’a coûté plus de deux jours : quelques unes même ont été faites de verve, dans l’espace d’une journée. J’ai bien peur qu’elles ne portent avec elles la preuve de ce que j’avance ». Où Stace se préoccupait  surtout des négligences, nous goûtons le naturel, et c’est ce qui nous fait préférer ces poésies fugitives aux grandes œuvres où il s’est essayé sans réel succès pour la postérité.

    Michel Escatafal

     

  • Vauvenargues, "stoïcien à lier"

    littérature et histoireLuc de Clapiers, marquis de Vauvenargues, né à Aix en Provence le 5 août 1715, mourut à Paris le 28 mai 1747. Forcé par sa mauvaise santé de quitter l’état militaire, dans lequel il s’était cependant distingué, il se consacra tout entier aux lettres, après avoir vainement tenté d’entrer dans la diplomatie. L’œuvre de Vauvenargues est marquée du même caractère de mélancolie et de fierté stoïcienne que sa courte vie. C’est par là que son Introduction à la connaissance de l’esprit humain,  ses Réflexions et maximes, ses Caractères et ses autres opuscules ont mérité l’attention et l’estime des contemporains et de la postérité, même si son style n’a pas l’éclat de celui de La Bruyère, ni la forte concision de celui de La Rochefoucauld.

    Dans un Essai sur quelques caractères,  j’ai plus particulièrement relevé celui de Clazomène ou la vertu malheureuse, caractère où Vauvenargues pensait à sa propre destinée. On y découvre que « Clazomène a fait l’expérience de toutes les misères humaines ». Et de fait, ce pauvre Clazomène a connu nombre de maladies qui ont gâché sa jeunesse, mais aussi la disgrâce de ceux qu’il aimait, ce qui l’a sans doute conduit à « commettre des fautes irréparables ». Et quand il lui semblait que la fortune allait peut-être lui sourire un peu, la mort l’a surpris avant même qu’il ait pu « payer ses dettes » et « sauver sa vertu de cette tâche ». Bref une destinée cruelle, ce qui n’empêche pas qu’il n’aurait pour rien au monde échangé sa misère pour « la prospérité des hommes faibles ». Tout Vauvenargues était dans cette phrase.

    J’ai aussi relevé quelques réflexions et maximes qui vont toutes dans ce sens. Parmi celles-ci il y en a quatre que je vais citer :

    La servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer

    Les grandes pensées viennent du cœur

    La magnanimité ne doit pas compte à la prudence de ses motifs

    On ne fait pas beaucoup de grandes choses par conseil

    A noter que ce mot « conseil » doit être pris au sens de dessein prémédité, sens latin du mot, très usité au dix-septième et au dix-huitième siècle.  La grandeur d’âme de Vauvenargues se décelait, dès sa jeunesse, dans son goût pour les ouvrages de Plutarque et les écrits des stoïciens. Dans une lettre célèbre (22 mai 1740) au marquis de Mirabeau, son cousin et le père du grand orateur, il écrit ceci : « Les Vies de Plutarque sont  une lecture touchante ; j’en étais fou ; le génie et la vertu ne sont nulle part mieux peints…L’on ne mesure bien, d’ailleurs, la force et l’étendue de l’esprit et du cœur humains que dans ces siècles fortunés ; la liberté découvre, jusque dans l’excès du crime, la vraie grandeur de notre âme…Pour moi, je pleurais de joie lorsque je lisais ces Vies ; je ne passais point de nuit sans parler à Alcibiade, Agésilas et autres ; j’allais dans la place de Rome pour haranguer avec les Gracques, et pour défendre Caton, quand on lui jetait des pierres…Il me tomba, en même temps, un Sénèque dans les mains, je ne sais par quel hasard ; puis, des lettres de Brutus à Cicéron, dans le temps qu’il était en Grèce, après la mort de César : ces lettres sont si remplies de hauteur, d’élévation, de passion et de courage, qu’il m’était bien impossible de les lire de sang-froid ; je mêlais ces trois lectures, et j’en étais si ému, que je ne contenais plus ce qu’elles mettaient en moi ; j’étouffais, je quittais mes livres, et je sortais comme un homme en fureur, pour faire plusieurs fois le tour d’une assez longue terrasse, en courant de toute ma force, jusqu’à ce que la lassitude mît fin à la convulsion. C’est là ce qui m’a donné cet air de philosophie qu’on dit que je conserve encore ; car je devins stoïcien de la meilleure foi du monde, mais stoïcien à lier ; j’aurais voulu qu’il m’arrivât quelque infortune remarquable pour déchirer mes entrailles, comme ce fou de Caton qui fut si fidèle à sa secte ».

    Je crois que cette magnifique lettre se suffit à elle-même, bien que je ne fasse pas partie de ceux qui trouvaient un énorme courage à des gens comme Brutus ou Cicéron. D’ailleurs Brutus ne représente-t-il pas un personnage ambitieux, avide d’action, mais au final déçu et frustré de n’avoir jamais réussi dans sa quête de la gloire. En outre, qu’est-ce que la postérité a retenu de Brutus à part les Ides de Mars ? A ce propos, on peut relever que Vauvenargues semble considérer que ce qu’a fait Brutus ne relève pas de la bassesse. Cela étant, Vauvenargues met au dessus de la raison qui calcule, le cœur qui va spontanément au bien, ce qui traduit un certain mysticisme, ce qu’on ne peut attribuer à Brutus et pas davantage à Cicéron.

    Michel Escatafal

     

  • Molière, le premier des auteurs comiques de tous les temps

    molière.jpgJean-Baptiste Poquelin, qui prit le nom de Molière, est né le 15 janvier 1622 à Paris, où il mourut le 17 février 1673. Après de fortes études, et malgré la volonté de son père détenteur de la charge assez relevée de valet de chambre tapissier du roi, il ne fit pas la carrière d’avocat à laquelle il semblait prédestiné. Tout jeune il préféra, avec quelques amis, fonder à Paris un théâtre qui ne réussit pas, ce qui l’obligea à partir de 1646 à courir la province à la tête d’une troupe de comédiens, pour laquelle il composa plusieurs canevas de farces, dont deux nous sont restés : la Jalousie du Barbouillé et le Médecin volant.

    Entre 1653 et 1655, Molière donna à Lyon sa première comédie, l’Etourdi, en cinq actes et en vers. Ensuite, en 1656, il fait représenter à Béziers le Dépit amoureux, en cinq actes et en vers. De retour à Paris, en 1658, la troupe de Molière joue, le 24 octobre, au Louvre devant le roi et prend le titre de Troupe de Monsieur, frère du roi, qu’elle devait échanger en 1665 contre celui de Troupe du Roi. Quant à Molière lui-même, ouvertement protégé par Louis XIV, il fait tour à tour représenter les Précieuses Ridicules (1659), Sganarelle (1660), Don Garcie de Navarre (1661), l’Ecole des Maris (1661), les Fâcheux (1661) et l’Ecole des Femmes (1662). Cette comédie fut la  première en cinq actes et en vers qu’il ait donnée depuis son arrivée à Paris, c’est-à-dire depuis le moment où il s’est proposé de faire naître l’intérêt de la peinture exacte des caractères, si on laisse de côté la comédie héroïque de Don Garcie, malheureux essai du poète dans un genre pour lequel il n’était pas fait.

    Le succès de l’Ecole des femmes fut éclatant, mais il souleva contre le poète bien des inimitiés. Molière répondra aux attaques de ses adversaires dans la Critique de l’Ecole des Femmes (1663) et dans l’Impromptu de Versailles (1663). Puis toujours harcelé par des ennemis qui, non contents de déprécier son mérite de poète et de comédien, l’accusent encore d’immoralité et d’irréligion, il écrit le Tartuffe (1664), satire passionnée de l’hypocrisie et de la fausse dévotion, qu’il n’obtiendra l’autorisation définitive de porter sur la scène qu’en 1669. Entre temps il compose, pour les divertissements de la cour, le Mariage forcé et la Princesse d’Elide (1664), et donne sur son théâtre une comédie profonde, qu’on sent inspirée par endroits des préoccupations sous l’empire desquelles il a déjà écrit le Tartuffe, et dont la représentation fut encore l’occasion de plusieurs attaques dirigées contre le poète, Don Juan ou le Festin de Pierre (1665).

    Puis viennent l’Amour médecin (1665), le Misanthrope (1666), chef d’œuvre vraiment unique, type immortel de la haute comédie, la jolie farce du Médecin malgré lui (1666), Mélicerte (1666), le Sicilien ou l’Amour peintre (1667), puis trois œuvres importantes en 1668, à savoir Amphitryon, George Dandin et l’Avare. Un peu plus tard viendront Monsieur de Pourceaugnac (1669), les Amants magnifiques et le Bourgeois gentilhomme (1670), Psyché, en collaboration avec Corneille et Quinault, les Fourberies de Scapin, la Comtesse d’Escarbagnas en 1671, les Femmes savantes (1672) et la plus achevée, sinon la plus forte de ses comédies, le Malade Imaginaire (1673).

    Quelle abondance et quelle variété ! Comment entreprendre l’appréciation, même rapide, des œuvres de ce grand homme, le premier des auteurs comiques de tous les temps et de tous les pays, qui avait à la fois la grâce, la fantaisie, mais aussi la force, le bon sens et la connaissance de la nature ! Simplement nous nous bornerons à affirmer que sa langue, quoi qu’on en ait dit, n’est pas moins remarquable que son génie. Les locutions et surtout les métaphores vicieuses qui la déparent parfois, il faut les imputer à la nécessité où il s’est toujours trouvé de composer et d’écrire vite. Aussi avait-il songé lui-même à donner au public une édition complète de ses œuvres, revues et corrigées, mais la mort ne lui en laissa pas le temps.

    Cela dit, ces imperfections passent sans être aperçues de l’auditeur, sinon du lecteur, dans le tissu d’une versification d’une aisance admirable, et d’un style abondant en tours dramatiques, rempli de ces expressions qui à elles seules caractérisent toute une situation ou tout un personnage, où enfin l’on chercherait vainement la plus légère trace d’affectation, le moindre effort pour faire briller l’esprit de l’auteur aux dépens du naturel. En tout cas aucun auteur n’avait autant que Molière le talent du caricaturiste, celui qui sait toujours voir le détail plaisant et le mettre en valeur.

    Un dernier mot enfin, pour noter que le génial auteur que fut Molière a fait l’objet de toutes les jalousies, y compris à travers le temps, au point qu’on ait contesté  depuis peu la paternité de son œuvre attribuée à Corneille, ce qui par parenthèse ne fut pas le cas de ses contemporains. Peut-être effectivement Corneille a-t-il pu collaborer à certaines œuvres de Molière, comme pour Psyché, mais les attaques des frères Corneille contre l’Ecole des femmes, où Molière se moque ouvertement de leurs titres de noblesse, sont suffisantes pour apporter un démenti à un débat qui a surgi plus de deux cents ans après la mort de celui qui incarne avec Voltaire l’image de la langue française.

    Bonne et heureuse année 2011 !

    Michel Escatafal

  • Cicéron : l’histoire de sa vie se confond avec celle de Rome à son époque

    Jusqu’aux Gracques, les orateurs romains avaient parlé un langage rude, simple et direct. Ensuite Tibérius  et Caius Gracchus apportèrent à la tribune la culture et le mouvement oratoires. Cette habileté de la parole allait désormais pouvoir s’exprimer pleinement, à travers les accusations auxquelles se livraient les partis se disputant le pouvoir. Le tournant se situa à l’époque de Marius (157-86 av. J.C.), sous la dictature de Sylla (138-78 av. J.C.), où l’on vit une foule d’avocats et d’hommes politiques devenir des praticiens adroits et descicéron.jpg parleurs experts. Parmi ceux-ci il faut citer Antoine, Crassus, Philippe, mais aussi Hortensius. Tous furent à des degrés divers de grands orateurs, mais sur ce plan aucun n’arriva à égaler Cicéron, lequel avait tellement de talent  que la postérité allait le classer comme le plus grand de l’Antiquité.

    Cicéron a eu vie tout à fait extraordinaire qui mérite d’être contée, tant au niveau de l’histoire que de la littérature. Aujourd’hui je vais me contenter d’évoquer l’homme public que fut Cicéron, pour la simple raison qu’il a toujours été mêlé aux affaires politiques de son temps. C’est tellement vrai que l’histoire de sa vie et celle de Rome à son époque se confondent. Déjà le fait qu’il soit né à Arpinum (3 janvier 106 av. J.C.), patrie de Marius, la même année que Pompée, six ans avant César, semble nous laisser penser que la vie qu’il avait menée  allait de soi. Il est vrai qu’avec un père tel que le sien, homme considérable dans sa petite ville mais quelque peu frustré de ne pas l’être ailleurs, il était normal qu’il réussisse au moins ses études, d’autant qu’il les fît chez un de ses oncles, Aculéo, entouré des maîtres les plus renommés. C’est là qu’il découvrit la rhétorique, la philosophie, et c’est à cette période qu’il lui fut donné d’écouter les orateurs illustres. Pendant ce temps, le jursiconsulte Scévola essayait de lui donner le goût du droit.

    J’ai bien dit essayait, parce qu’au départ il préférait la poésie, mais très vite il allait trouver sa véritable voie, favorisée par l’évolution politique à Rome. La noblesse, en effet, avait retrouvé toute sa puissance grâce à Sylla, mais elle s’avéra très vite incapable de la garder, à force d’abuser de la situation.  Du coup le jeune Cicéron, autant par générosité que par ambition calculée, se tourna du côté de la démocratie. Il fut ainsi amené à plaider, avant l’abdication de Sylla, pour quelques victimes des créatures du dictateur. Il obtint gain de cause pour le fils de Roscius, accusé de parricide par Chrysogonus, affranchi de Sylla, ce qui fut la première vraie démonstration de son talent, tout en le désignant à la faveur populaire. Ces débuts furent tellement éclatants, que certains pensèrent que le dictateur pût en prendre ombrage, ce qui incita Cicéron à partir pour la Grèce et l’Asie Mineure, officiellement pour raison de santé.

    Il ne reviendra à Rome que deux ans plus tard, juste après la mort du dictateur, ce qui a priori laissait la voie libre à la démocratie. Pour cela il fallait un chef pour conduire ce changement, et il parut un instant que Pompée (106-48 av. J.C.) pourrait jouer ce rôle. Cicéron se rangea parmi ses partisans, ce qui lui valut d’exercer la questure en Sicile (75 av. J.C.) avec un certain succès, comme en témoigne la popularité qu’il y avait acquise.  Et c’est tout naturellement lui qui fut chargé d’accuser l’odieux gouverneur Verrès, lequel  avait mis à feu et à sang la malheureuse province de Sicile. Quelle occasion magnifique offerte au jeune avocat, sauf que finalement  Verrès se déroba avant que le procès ait pu être plaidé. Mais Cicéron publia les discours qu’il allait prononcer et ce fut la gloire pour lui. Peu après, le soutien à la loi du tribun Manilius, proposant de proroger le commandement de Pompée luttant en Orient contre Mithridate, lui valut d’être désigné pour le Consulat en 63 av. J.C.

    Cela dit, Cicéron  arrivait au pouvoir au moment où la démocratie, du moins telle qu’il la concevait, subissait une grave crise. Parmi les démocrates, certains  voulaient  l’empire, d’autres l’anarchie, à l’image de Catilina, homme rempli de dettes et de vices, d’une ambition sans bornes, mais soutenu par des gens de talent. Du coup le consulat de Cicéron se résumera à la lutte contre Catilina et ses partisans, ce qui l’obligea à se retourner de nouveau vers l’aristocratie, laquelle évidemment préféra l’ordre au désordre.  Cette stratégie fut payante dans un premier temps, puisque Catilina fut vaincu et ses complices mis à mort. Mais cette victoire fut de courte durée puisque Clodius, un chef factieux, souleva la populace contre Cicéron, et le fit condamner à l’exil (à Thessalonique).

    Ce revers de fortune l’affecta énormément, et il crut sa carrière terminée. En fait sa disgrâce fut de courte durée, car Pompée inquiet des menées de Clodius fit rappeler Cicéron et lui offrit un retour triomphal.  Cependant, à peine de retour, Cicéron allait très vite devoir choisir entre les ambitions de Pompée et les manoeuvres  non moins ambitieuses de César, ce qu’il ne fit pas réellement, allant tantôt du côté de César, demandant qu’on prolonge son commandement en Gaule, tantôt du côté de Pompée. En fait il ne se détournera de César qu’après que celui-ci eût franchi le Rubicon (11 janvier 49 av. J.C.), son honneur lui commandant de partager la défaite des derniers défenseurs de la loi.

    César ne lui en voulut point, ou plutôt trouva avantage à faire preuve de clémence vis-à-vis du grand orateur. Il le laissa rentrer de nouveau à Rome, le combla de prévenances et de témoignages d’admiration, accorda le pardon à quelques uns de ses amis, et lui assura la sécurité dans sa retraite. Cicéron put ainsi se consacrer tout entier à ses travaux de littérature et de philosophie, au point qu’il ne vit pas le complot qui se tramait contre César, malgré son amitié avec Brutus. Le moment de stupeur passé, il put penser un instant qu’il allait de nouveau jouer un rôle comme à l’époque de son consulat. Hélas pour lui il n’en fut rien, même s’il se jeta de toutes ses forces dans  la lutte contre Antoine, lequel voulait recueillir à son profit l’héritage de la dictature. Cela  permit à Cicéron d’écrire ses quatorze discours pleins de passion et de flamme qu’il appela les Philippiques (44 et 43 av. J.C.).

    Il crut pourtant le jour du  triomphe tout proche suite à la défaite d’Antoine à Modène (43 av. J.C.), battu par les légions d’Hirtius, de Pansa et surtout d’Octave, mais ce dernier au lendemain de la bataille allait former avec son vaincu le second triumvirat, scellant leur alliance par un échange de prisonniers. C’en était trop pour Cicéron qui quitta Rome, erra dans ses villas, avant de vouloir s’embarquer pour fuir de nouveau. Finalement il  se ravisa, et alla au devant de la mort, tendant le cou  au centurion Popilius, qu’il avait naguère défendu (7 décembre 43 av. J.C.). La tête et les mains de Cicéron furent apportées à Rome, et Antoine ordonna qu’elles fussent attachées à la tribune, au-dessus des rostres. Il n’avait survécu à César qu'un peu plus d'un an et demi!

    Michel Escatafal