Né au Havre le 19 janvier 1737, mort le 21 janvier 1814 à Eragny-sur-Oise, Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, après une jeunesse aventureuse, indécise et tourmentée, où il avait accumulé les voyages (Allemagne, Pologne, Russie etc.), avait été envoyé à l’île de France (Ile Maurice) en qualité de capitaine ingénieur (1768) grâce à son protecteur, le baron de Breteuil. Après son retour en France (1771), il écrivit son Voyage à l’île de France (1773) dans lequel il dénonça avec véhémence l’esclavage, et se mit, tout en publiant une sorte de poème en prose, l’Arcadie (1781), à travailler à un grand ouvrage, les Etudes de la Nature, dont la publication (1784) le rendit tout d’un coup célèbre.
Tout le monde connaît le prodigieux succès du petit roman de Paul et Virginie (1787), inspiré de ses amours déçues d’avec Françoise Robin, mais Bernardin de Saint-Pierre composa encore, outre plusieurs opuscules et deux charmantes nouvelles, la Chaumière indienne et le Café de Surate, les Harmonies de la nature (1796), dans lesquelles il exagère le système qu’il avait développé dans ses Etudes : cette recherche incessante des causes finales, des intentions providentielles, qu’il croit toujours réussir à découvrir, l’amène souvent à donner , des divers phénomènes, des explications puériles et presque ridicules. Mais, disciple enthousiaste de Rousseau, il fit preuve d’un talent de description égal à celui du maître, dont le génie est sans doute bien plus vaste et plus original que le sien, mais qui n’a du moins rien écrit de plus simple et de plus touchant que Paul et Virginie.
Avant de reparler de ce roman qui le fit passer définitivement à la postérité, je recommande plus particulièrement à ceux qui ont dans leur bibliothèque les Harmonies de la nature, le livre deux (Harmonies aériennes des végétaux), plus particulièrement le passage le plus connu sur les Forêts agitées par le vent, qui commence par cette question : « qui pourrait décrire les mouvements que l’air communique aux végétaux » ? Il évoque à propos du « bruissement des prairies », des « gazouillements des bois », des charmes qui le plongent dans « d’ineffables rêveries », et qui lui parlent « comme ceux de Dodone ». Pour mémoire, Dodone est une ancienne ville d’Epire, située près d’une forêt consacrée à Jupiter et dont les arbres passaient pour révéler par leurs murmures les volontés du dieu.
Cela dit, c’est évidemment dans Paul et Virginie que Bernardin de Saint-Pierre a le mieux exercé son talent, en précisant que l’action de ce roman se passe à l’Ile de France. Le morceau le plus significatif en est incontestablement celui sur le Naufrage du Saint-Géran et la mort de Virginie. La description de la tempête est remarquable par son caractère propre, le lecteur s’associant à toutes les angoisses des personnages, qu’ils en soient les acteurs ou les victimes, au fur et à mesure que ladite tempête se déchaîne davantage. A ce propos, on notera que Bernardin de Saint-Pierre avait déjà décrit dans son œuvre les signes avant-coureurs des tempêtes, notamment dans la dixième des Etudes de la Nature où il écrivait : « La nature veut-elle donner sur la mer le signal d’une tempête ; elle rassemble dans le ciel et sur les eaux une multitude d’oppositions heurtées qui annoncent de concert la destruction ». Il faut aussi préciser que la catastrophe du vaisseau Saint-Gérant n’a pas été inventée. C’est un fait historique, dont l’écrivain a simplement modifié la date, la plaçant à la nuit de Noël 1741, alors qu’elle a eu lieu en réalité le 17 août de la même année.
Un dernier mot enfin, pour souligner que rarement un auteur a aussi bien décrit les derniers instants d’une jeune fille (Virginie), et la douleur des survivants, qu’il s’agisse de Paul bien évidemment, mais aussi de son serviteur Domingue, qui échappa à la mort par miracle et qui s’écria à genou sur le sable : « O mon Dieu ! vous m’avez sauvé la vie : mais je l’aurais donnée de bon cœur pour cette digne demoiselle ». Une demoiselle qui mourut pour avoir refusé d'ôter ses vêtements devant un marin qui pouvait la sauver à la nage, et qui fut engloutie par les flots sous les yeux de Paul, impuissant, et de la population.
Une demoiselle qui tenait dans sa main fermée et raidie une petite boîte dans laquelle il y avait le portrait de Paul, qu’elle lui avait promis de ne jamais abandonner tant qu’elle vivrait. Paul qu’elle allait rejoindre après une séparation douloureuse qui consumait les deux amants, et qui ne pourra que l’ensevelir. Paul qui lui-même fit preuve d’une intrépidité sans pareille pour sauver sa belle, et qui faillit perdre la vie, ayant été retiré des flots sans connaissance et gravement blessé. Sans doute eut-il mieux valu qu’il pérît lui aussi à cet instant, ce qui lui aurait évité de sombrer dans le désespoir. Bref, un bien beau roman à lire et à relire, sans s’arrêter uniquement à la vie et à la mort de deux jeunes gens qui s’aiment, car c’est aussi le récit tragique de l’esclavage qui sévissait dans l’île de France, approuvée en métropole par la tante de Virginie, femme austère et intéressée.
Bonne et heureuse année 2013 !
Michel Escatafal