Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

histoire de la littérature - Page 3

  • Pierre Corneille, le créateur de la tragédie française

    corneille.jpgNé à Rouen le 6 juin 1606, Pierre Corneille qui mourut doyen de l’Académie le 1er octobre 1684 à Paris, donna au théâtre trente-trois pièces, tragédies mais aussi comédies, dont les sujets sont empruntés aux époques et aux histoires les plus diverses, ce qui lui valut d’être surnommé « le Grand Corneille » et « le Père de la Tragédie ». Pour certains il est même le créateur de la tragédie française, car avant lui celle-ci était un poème sans vie ou une œuvre désordonnée. Il fut aussi le premier à avoir enfermé un drame humain et vivant dans un cadre régulier.

     Etant donné que nombre d’entre elles ne sont pas connues ou peu étudiées, je vais donner la liste de ses oeuvres de la première, Mélite ou les Fausses Lettres, comédie sortie en 1929, à la dernière, Suréna général des Parthes, tragédie datant de 1674. Entre temps, il y eut Clitandre ou l’Innocence délivrée, Tragédie (1632) ; la Veuve ou le Traître puni, comédie (1633) ; la Galerie du palais ou l’Amie rivale, comédie (1634) ; la Suivante, comédie (1634) ; la Place Royale ou l’Amoureux extravagant, comédie (1635) ; Médée, tragédie (1633) ; l’Illusion comique, comédie (1636) ; le Cid, tragédie traduite dans la quasi-totalité des langues européennes (1636 ou 1637) ; Horace, tragédie (1640) ; Cinna ou la Clémence d’Auguste, tragédie (1640) ; Polyeucte, tragédie (1643) ; Pompée, tragédie (1643) ; le Menteur, comédie (1643); la Suite du Menteur, comédie (1644) ; Rodogune, tragédie (1644) ; Théodore, vierge et martyre, tragédie (1645) ; Héraclius, tragédie (1647) ; Andromède, tragédie-ballet (1650) ; Don Sanche d’Aragon, comédie héroïque (1650) ; Nicomède, tragédie (1651) ; Pertharite, rois des lombards, tragédie (1652) ; Œdipe, tragédie (1659) ; la Toison d’Or, tragédie à machines (1660) ; Sertorius, tragédie (1662) ; Sophonisbe, tragédie (1663) ; Othon, tragédie (1664) ; Agésilas, tragédie en vers libres (1666) ; Attila, tragédie (1667) ; Tite et Bérénice, comédie héroïque écrite à la demande de la duchesse d’Orléans (1670) ; Psyché, tragédie-ballet (1671) ; Pulchérie, tragédie (1672). A cette énumération il faut ajouter que la date de toutes ces pièces est controversée, et qu’il est seulement certain que Horace, Cinna, Polyeucte, le Menteur, la Suite du Menteur, Rodogune et Théodore ont été représentées dans cet ordre, entre les années 1640 et 1646.

    Aucune de ces œuvres n’est indigne d’attention. Les plus faibles, parmi les premières ou les dernières, contiennent au moins une scène, quelques vers, quelques indications, qui font pressentir ou qui rappellent le poète du Cid, son œuvre majeure, ou encore de Cinna, Horace ou Polyeucte. Mais seules ces quatre tragédies ont été louées quasiment sans restriction, parce qu’il n’y a que dans ces pièces que Corneille, dont l’esprit était naturellement porté au grand, au sublime, à l’emphase, comme tous les poètes de sa génération élevés à l’école des poètes espagnols et des imitateurs de Sénèque, a su tempérer par la représentation des passions ordinaires de la faible humanité, la peinture des sentiments héroïques et sans nuances, à l’expression desquels il s’est complu le plus souvent.

    Seules dans tout son théâtre, ces quatre tragédies sont à peu près exemptes de complication dans l’intrigue, de négligence, d’obscurité dans le style, de déclamation, de fade galanterie. Seules aussi, elles suffiraient à assurer à Corneille une très grande place dans l’histoire de notre littérature dramatique, quand bien même on refuserait d’ouvrir les yeux à tous les mérites qui distinguent encore ses autres œuvres, à savoir la variété des desseins, la noblesse des sentiments, sans oublier un sens assez juste de la vérité historique. En 1660, Corneille, publiant son théâtre, enrichit ce recueil de l’examen de chacune de ses pièces et des trois Discours sur l’art dramatique.

    Ces examens et discours sont remarquables non seulement par l’originalité de certaines théories qui y sont exposées, mais encore par la candeur avec laquelle Corneille critique plusieurs de ses propres œuvres, et tout ensemble l’humeur combattive qui l’anime contre ses adversaires, défenseurs trop zélés des règles d’Aristote. Enfin on n’oubliera pas qu’il écrivit des Poésies diverses d’excellente facture, avec  notamment une petite pièce adressée à Mademoiselle Du Parc, actrice de la troupe de Molière dont Corneille était épris (en vain), tout comme sa traduction en vers de l’Imitation de Jésus-Christ (1651-1656) qui contient plusieurs morceaux jugés estimables par la postérité, même s’il s’agit surtout d’une paraphrase qui n’égale pas toujours le texte.

    Pour terminer, après avoir relu ces derniers jours plusieurs pièces de cet immense auteur que fut Corneille, au point qu’Isaac Vossius, érudit hollandais et parmi les plus brillants esprits de l’époque, le préférait à Sophocle et à Euripide, j’ai peut-être compris pourquoi la tragédie que Corneille « aimait le mieux » était Rodogune. Dans cette pièce en effet, on découvre en Cléopâtre une femme certes perverse et cruelle, mais aussi héroïque dans sa perversité et sa cruauté, ce qui suffit à en faire une vraie figure cornélienne, très différente de celles beaucoup plus emblématiques de l’auteur que sont Chimène, Rodrigue ou Polyeucte.

    Cela dit, la scène où Polyeucte retrouve Pauline après avoir brisé les idoles, ce qui lui vaut d'attendre le martyre dans sa prison, est aussi extrêmement  émouvante. En effet, courant vers Dieu de tout son élan, il brise tous les obstacles qui le retiennent, mais il en est un plus difficile que les autres à franchir, Pauline qu’il aime. Aussi il redoute l’entrevue qu’il ne peut lui refuser, ce qui devient la lutte dramatique entre l’amour divin qui s’élève bien au-dessus de l’amour humain, et l’amour humain dans ce qu’il a de plus délicat et de plus haut, résumé dans cette phrase : « Je vous aime beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi-même ». Cela n’empêche pas les deux personnages, même l’héroïque Polyeucte, de rester profondément humains. Leur cœur est certes déchiré, mais la volonté reste la plus forte. Du grand art !

    Michel Escatafal

  • Louis Bourdaloue : un très grand sermonnaire

    bourdaloue.jpgNé à Bourges en 1632, mort en 1704, Louis Bourdaloue, de la Société de Jésus, est le plus grand de nos sermonnaires après Bossuet, à qui les contemporains semblent même l’avoir préféré. Boileau, par exemple, le considéra comme "le plus grand orateur dont le siècle se vante". D'autres le surnommèrent "roi des prédicateurs, prédicateur des rois". Sa carrière de prédicateur commença à Paris en 1669, c’est-à-dire l’année même où Bossuet, nommé précepteur du dauphin, allait être pour longtemps obligé à renoncer , ou peu s’en faut, à la prédication.

    Par rapport à Bossuet, dont la prédication était essentiellement dogmatique, Bourdaloue s’attachait surtout à l’enseignement de la morale, ce qui le rendait plus à même de captiver l’attention de ses auditeurs. Il était aussi plus polémique, comme nous dirions de nos jours, en remplissant ses sermons des attaques les plus vigoureuses et les plus précises contre les mœurs de son temps. D’ailleurs en étudiant ces sermons, on pourrait presque reconstituer le tableau de la société française dans la seconde moitié du dix-septième siècle (en plein dans le règne de Louis XIV), entre autres les débats sérieux suscités par le jansénisme qui ont agité la France et l’Église. 

    Cela dit, le succès de la prédication de Bourdaloue devait exercer une influence fâcheuse sur les jeunes prédicateurs qui, sans être animés de l’impétueuse charité qui faisait la force et la grandeur du maître, recherchèrent la faveur du public en peignant les mœurs à la façon des moralistes, au lieu d’enseigner purement et simplement la doctrine évangélique. Aussi, parlant de Bossuet et de Bourdaloue, La Bruyère a-t-il pu dire qu’ils "ont eu le destin des grands modèles : l’un a fait de mauvais censeurs, l’autre de mauvais copistes". En tout cas, en lisant quelques uns de ses sermons, notamment le Sermon sur la Pénitence, j’ai pu constater que Bourdaloue ne mâchait pas ses mots vis-à-vis des grands seigneurs qui avaient la mauvaise habitude, entre autres, de ne pas payer leurs dettes.

    Il suffit de lire dans ce sermon le passage consacré au vrai repentir du pécheur à qui Bourdaloue s’adresse : "Vous êtes un homme du monde, un homme distingué par votre naissance, mais dont les affaires (ce qui n’est aujourd’hui que trop commun) sont dans la confusion et dans le désordre. Que ce soit par un malheur ou par votre faute, ce n’est pas là maintenant de quoi il s’agit. Or, dans cet état, ce qui vous porte à mille péchés, c’est une dépense qui excède vos forces et que vous ne soutenez que parce que vous ne voulez pas vous régler, et par une fausse gloire que vous vous faites de ne pas déchoir. Car de là les injustices, de là les duretés criantes envers de pauvres créanciers que vous désolez ; envers de pauvres marchands aux dépens de qui vous vivez ; envers de pauvres artisans que vous faites languir ; envers de pauvres domestiques dont vous retenez le salaire". Effectivement ce pécheur n’a vraiment rien d’un véritable pénitent !

    Michel Escatafal

  • Bossuet : un prosateur et orateur de génie au service de l’Eglise

    bossuet.jpgNé en 1927 à Dijon, entré dans les ordres en 1648, Jacques-Benigne Bossuet  prononça à Paris, Metz et Dijon, entre 1648 et 1659, une suite de sermons à travers laquelle on peut étudier le développement de son génie oratoire. En 1659 il se fixe définitivement à Paris, et se fait de plus en plus connaître et admirer en prêchant le carême de 1660 aux Minimes, celui de 1661 aux Carmélites, celui de 1662 au Louvre, devant le roi. En 1669, il est nommé évêque de Condom et prononce l’oraison funèbre de la reine d’Angleterre. L’année suivante, il prononce celle de la duchesse d’Orléans. De 1670 à 1679 il remplit les fonctions de précepteur du Dauphin, et compose pour son royal élève, entre autres ouvrages, le Traité de la connaissance de Dieu  et de soi-même, la Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture sainte, le Discours sur l’histoire universelle.

    En 1681, il est nommé évêque de Meaux, donne en 1682 les Méditations sur l’Evangile et les Elévations sur les mystères, et, de 1681 à 1687, prononce ses quatre dernières oraisons funèbres. En 1688, il publie l’œuvre la plus majestueuse que la controverse religieuse, appuyée sur la connaissance de l’histoire, ait jamais produite, l’Histoire des variations des églises protestantes. Ensuite il se retrouve tout entier pour lutter avec une incroyable ardeur contre les doctrines de Fénelon sur le quiétisme (1694-1699).

    Bossuet  meurt quelques années après, en 1704, après avoir présidé l’assemblée du clergé de 1700, et soutenu une dernière fois « la tradition et les Saints- Pères » contre l’oratorien Richard Simon (1638-1712), le savant et illustre fondateur de l’exégèse moderne, sans avoir négligé un instant  la bonne administration de son diocèse et la direction des âmes qui lui étaient confiées.  Bossuet, que La Bruyère saluait de son vivant du nom de « Père de l’Eglise », a été en effet, au dix-septième siècle, non seulement le plus glorieux représentant, mais aussi la personnification même de l’Eglise de France, dont il a établi et défendu contre toutes les attaques la discipline et la doctrine.

    Il faut ajouter que, ramenant toute chose aux principes d’une foi inébranlable, cet « homme de toutes les sciences et de tous les talents », pour parler comme Massillon (1663-1742), n’est resté étranger à aucune des questions qui pouvaient préoccuper un homme de son temps, et qu’on a pu l’admirer justement comme philosophe, historien, ou controversiste. Cela étant comme écrivain et comme orateur, il  soutient la comparaison avec les plus grands, y compris Démosthène (384-322 av. J.C.) ou Cicéron (106-43 av. J.C.). Et parmi nos prosateurs, il figure au côté de Voltaire, encore qu’ils soient séparés par de si profondes différences qu’aucune comparaison entre eux ne doit être esquissée, comme ceux qui peuvent le mieux donner l’idée du génie et des ressources de notre langue classique.

    Pour ma part je lui reprocherais la vigueur de ses attaques, dans les Maximes et réflexions sur la comédie, contre Molière d’abord, mais aussi Quinault, Lulli, Corneille et Racine, même si cette sévérité exagérée s’explique par la vigueur de sa foi et l’austérité de ses principes, en notant toutefois que Bossuet lui-même reconnaît que l’Eglise ne proscrit pas expressément les spectacles.  Cette foi si vive, il l’exprimera aussi tout particulièrement dans les Elévations à Dieu sur tous les mystères de la religion chrétienne,  où il développera sous une forme originale et avec un mouvement, une ardeur qui n’appartiennent qu’à lui, la célèbre preuve de l’existence de Dieu connue sous le nom de « preuve de Saint-Anselme », et, depuis Kant qui s’est attaché à la réfuter, sous celui de « preuve ontologique », qui peut s’énoncer ainsi : «  L’essence de l’être parfait implique son existence ».

    Michel Escatafal

  • Pierre Nicole et Antoine Arnauld : deux hommes qui ont marqué l’histoire du jansénisme

    nicole.jpgarnauld.jpgPierre Nicole est né le 19 octobre 1625 à Chartres d’une famille de poètes, et mort à Paris le 16 novembre 1695. Entré à Port-Royal comme professeur où il aurait eu comme élève un jeune Racine, à la fois théologien, écrivain et moraliste, il collabora aux excellents ouvrages d’enseignement qui sortirent de cette maison célèbre, et prit part à toutes les luttes que les jansénistes eurent alors à soutenir. Plus tard il combattit avec ardeur les protestants. Ses ouvrages théologiques sont nombreux, notamment la célèbre Logique de Port-Royal (La logique ou l’art de penser) qu’il écrivit conjointement avec Antoine Arnauld (1662), sans oublier sa contribution importante aux Provinciales de Pascal.

    Cependant c’est surtout par quelques-uns de ses Essais de morale (traités, dissertations, discours, pensées, lettres, instructions, réflexions) qu’il publia en 1671, dont Madame de Sévigné aurait voulu « faire du bouillon pour l’avaler », qu’il a mérité de survivre. Il est douteux en effet, qu’on ait jamais enseigné aux gens du monde les règles morales auxquelles la religion les oblige de se soumettre dans le cours ordinaire de la vie, en une meilleure langue et avec autant de sincérité, de discernement, et de finesse.

    Si j’ai parlé précédemment d’Antoine Arnauld c’est d’une part parce qu’il a travaillé avec Pierre Nicole, mais aussi pour ses propres écrits, par exemple le Jugement équitable. Ce contemporain de Nicole, né à Paris le 6 février 1612, était le vingtième enfant d’un avocat très connu à son époque, parce qu’il avait plaidé avec brio (en 1594) au Parlement de Paris la cause de l’Université contre les tout-puissants Jésuites. Cette notoriété ne fut pas suffisante pour que le jeune Antoine embrasse la même carrière que son père, puisqu’il préféra l’état ecclésiastique après des études de théologie fort brillantes, ce qui lui permit d’être admis en 1643 au nombre des docteurs de la maison de la Sorbonne. Très pénétré des sentiments de Saint-Augustin sur la grâce, il publia cette même année son traité de la Fréquente Communion, mais ce livre qui allait à l’encontre de la morale accommodante des Jésuites souleva de telles passions haineuses qu’il dut s’exiler.

    Mêlé de très près aux querelles religieuses de son temps provoquées par les doctrines jansénistes, il va être considéré comme un paria au point d’être effacé de la liste des docteurs de la Sorbonne. Il est vrai que ses fortes convictions ne pouvaient qu’engendrer à ce moment des querelles sans fin, d’autant qu’il n’hésitait pas à s’attaquer à certains des fondamentaux de l’Eglise catholique, par exemple quand il affirme que Saint-Pierre est un juste à qui il a manqué la grâce nécessaire pour bien agir. Toutefois il va bénéficier de la paix conclue en 1668 entre les divers protagonistes de ces querelles, appelée « paix de Clément IX », pour rentrer en grâce aux yeux du pouvoir.

    Mais cela ne dura guère plus d'une dizaine d'années, puisqu’en 1679 il dut se résoudre à quitter une nouvelle fois la France, en raison d’une part de son appartenance à Port-Royal, et d’autre part de l’hostilité du roi Louis XIV, qui venait de signer le traité de Nimègue et qui avait décidé d’en finir avec la célèbre abbaye, dont le ressentiment à l'égard d'Arnauld fut largement entretenu par l’archevêque de Paris de l’époque, de Harlay de Champvallon.  Après des séjours à Mons, puis Gand, Bruxelles et Anvers, où il ne cessa d’écrire et de combattre en particulier avec Jurieu, il mourut à Liège à l’âge de 83 ans le 8 août 1694.

    Il restera dans l’histoire de notre littérature, et dans l’histoire tout court, comme un des plus fiers représentants de l’Eglise catholique romaine, comme un adversaire irréductible des Jésuites et de la Réforme (Perpétuité de la Foi écrit entre 1669 et 1679), mais surtout comme un des plus remarquables penseurs de son temps. A ce sujet, il faut rappeler qu’il fut le seul à oser apporter ses commentaires sur les « Méditations » de Descartes avant que celui-ci ne les publiât, alors qu’il était à peine âgé de vingt-huit ans. Sans le savoir à ce moment, il allait porter son jugement sur un ouvrage qui contenait le germe de la philosophie moderne. Il écrira plus tard (en 1681) l’Apologie pour les catholiques, considérée comme un chef d’œuvre dans lequel il manifestera son accord avec Descartes sur les rapports de la foi et de la raison.

    Michel Escatafal

  • La Rochefoucauld, un moraliste aigri...

    La_Rochefoucauld.jpgNé le 15 décembre 1613, mort à Paris le 17 mars 1680 après avoir reçu l’extrême-onction de Bossuet, le duc François de la Rochefoucauld, prince de Marcillac, est surtout connu pour le petit livre intitulé Réflexions ou Sentences et maximes morales (1665), qui repose tout entier sur une doctrine cruelle autant que paradoxale : suivant ce moraliste, toutes nos actions et tous nos sentiments, même ceux qui semblent les plus louables et les plus désintéressés, procèderaient uniquement de l’égoïsme et d’une pensée d’intérêt personnel.

    Mais si l’on peut combattre un système qui a dû être inspiré  à La Rochefoucauld par une expérience amère de la vie, et probablement confirmé dans son esprit par les théories de ses amis jansénistes sur la condition de l’homme en dehors de l’état de grâce, il faut en revanche admirer comme un modèle de précision et de propriété, un style exempt de tout procédé et de tout artifice, patiemment perfectionné au long du temps.

    Si je dis cela c’est parce que quatre éditions des Maximes ont encore été publiées,  après la première, du vivant de la Rochefoucauld, et chacune d’elle diffère de la précédente par quelques corrections, additions ou suppressions.  La Rochefoucauld, qui avait été mêlé aux évènements de la Fronde, sans retirer de tant d’agitations et d’intrigues autre chose qu’un grand sentiment d’aigreur et de misanthropie, a encore laissé des Mémoires qui ne sont pas tous de lui mais qui sont un bon témoignage de son temps, même s’ils  pâlissent à côté de ceux du Cardinal de Retz…qu’il tenta de faire assassiner en 1651, ce qui lui valut de devoir quitter Paris avec Condé.

    Cet épisode peu glorieux n’est en réalité qu’une des multiples intrigues qu’il nourrit tout au long de sa vie, ce qui lui valut de nombreuses inimitiés bien qu’il passât pour quelques uns de ses contemporains pour un homme aimable et plutôt sensible. C’est sans doute cet aspect de sa personnalité qui plut à des femmes de la haute société de l’époque, par exemple Madame de Sablé, Madame de Sévigné et surtout Madame de Lafayette qui fut une amie intime jusqu’à la fin de sa vie.

    Parmi ses maximes les plus célèbres je citerais : « La petitesse de l’esprit fait l’opiniâtreté, et nous ne croyons pas aisément ce qui est au-delà de ce que nous voyons ». A noter que sur le même thème Madame de Sablé disait : « Le esprits médiocres, mal faits, surtout les demi-savants, sont les plus sujets à l’opiniâtreté ». Quant à Montaigne, il affirmait : « L’obstination et ardeur d’opinion est la plus sûre preuve de bestise ».

    Il y en a une autre, sur l’amitié, qui m’a beaucoup étonné quand on connaît l’esprit misanthropique de La Rochefoucauld : « Quand nos amis nous ont trompés, on ne doit que de l’indifférence aux marques de leur amitié, mais on doit toujours de la sensibilité à leurs malheurs ». Si cette sentence l’honore, on ne peut qu’être surpris quand nous savons qu’il a écrit un peu plus tard : « Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés », ou encore : « Ce que les hommes ont nommé amitié n’est qu’une société, qu’un ménagement réciproque d’intérêts et qu’un échange de bons offices ; ce n’est enfin qu’un commerce ou l’amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner ». On retrouve là l’esprit amer du moraliste chagrin.

    Michel Escatafal