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histoire de la littérature

  • Marivaux fait de la peinture de l'amour l'objet même de la comédie

    littérature, histoire de la littératureNé à Paris le 4 février 1688, mort le 12 février 1763, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux a commencé par écrire des oeuvres fort médiocres. Ensuite il se rattrapa en  écrivant des comédies et des romans, sans oublier les recueils périodiques qu’il a rédigés. Dans ces recueils, le Spectateur français, l’Indigent philosophe, le Cabinet du philosophe, les Pièces détachées, comme dans ses romans, Marianne (1731-1736) et le Paysan parvenu (1735) , on trouve des peintures de mœurs et de caractères intéressantes et fortes, même si elles manquent de cette légèreté, de cette vivacité mordante et un peu âpre, qui fait le premier charme des romans de Le Sage.

    Comme auteur dramatique, Marivaux ne mérite qu’un seul reproche : ses comédies manquent de variété. Il semble qu’entre la Surprise de l’amour (1727), le Jeu de l’amour et du hasard (1730), les Fausses confidences (1736), le Legs (1736), l’Epreuve (1740), il n’y ait d’autre différence que celles des circonstances extérieures au milieu desquelles l’action se déroule, et que cette action soit toujours la même. D’ailleurs Marivaux le premier fait, non plus de l’étude des caractères généraux, mais de la peinture de l’amour, l’objet même de la comédie. Toutefois ce sentiment, toujours sérieux et profond, n’a rien ici de la violence avec laquelle il se déchaîne ordinairement dans la tragédie.

    Marivaux ne met en scène que des personnages dans l’âme desquels la passion qui doit les animer pendant tout le cours de la pièce est, dès l’exposition, déjà née où tout près de naître. Un très léger obstacle seul la contrarie et l’empêche de se déclarer : comment arrivera-t-elle à en triompher, par quels états successifs passera-t-elle pendant cette très courte crise? C’est là ce qu’étudie notre auteur, et l’on voit assez quelle prodigieuse finesse d’analyse il faut déployer dans de pareils sujets. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que personne n’ait réussi à imiter Marivaux, qui n’avait lui-même imité personne, et qu’il y ait lieu de le regarder comme le plus grand  des auteurs comiques que la France a produits, depuis la mort de Molière jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle, à l’exception peut-être de Beaumarchais  qui l’a parfois égalé.

    J’avoue que c’est en lisant l’Epreuve, représentée pour la première fois le 19 novembre 1740 par les Comédiens Italiens au théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, que j’ai ressenti tout le talent de Marivaux, et plus particulièrement la scène même de l’épreuve. Pour résumer, Lucidor, jeune seigneur de Paris, aime Angélique et il est aimé d’elle. Cela se ressent, mais Lucidor n’est pas absolument sûr de l’affection d’Angélique, craignant que cette dernière ne l’aime d’abord que pour sa fortune. C’est la raison pour laquelle il a résolu de l’éprouver avant de demander sa main. Alors il essaie de se faire passer pour un autre, ce qu’Angélique devine tout de suite. Néanmoins Lucidor insiste en faisant passer son valet Frontin, habillé avec des habits de maître, comme le prétendant à la main d’Angélique.

    C’est par cette ruse qu’il éprouvera  Angélique, lui demandant après lui avoir présenté le faux prétendant : « Jetez les yeux dessus : comment le trouvez-vous ?  Angélique répliquera en repoussant le faux prétendant par cette expression : « Je n’y connais pas », manifestant ainsi son courroux contre tout le monde, à commencer par Lisette sa servante, mais aussi sa mère indignée que sa fille refuse le bon parti qu’on lui offre, et enfin contre Lucidor parce qu’il ne lui a pas fait confiance. Elle est tellement en colère qu’elle consent à épouser le personnage qu’on lui a présenté en essayant de l’aimer. Heureusement tout est bien qui finira bien, et Angélique épousera l’homme qu’elle aime, lui-même ayant pu constater que sa bien-aimée l’aimait d’un amour sincère.

    Au passage on peut admirer la simplicité et le naturel parfait des attitudes et du style dans cette scène, qui va nous amener au plus touchant et au plus imprévu coup de théâtre. Et là on retrouve l’immense talent de Marivaux qui sait produire de grands effets par des moyens très simples, ce qui est toujours le propre des écrivains de premier ordre, catégorie à laquelle Marivaux appartient.

    Michel Escatafal

  • L’œuvre de Virgile

    littérature,histoire de la littératureAvant d’écrire les Bucoliques, il est vraisemblable que Virgile avait déjà fait ses armes dans des petites pièces que l’on met parfois dans le recueil de ses œuvres, comme la Cabaretière, l’Aigrette, sans parler des vers qu’il avait écrits dans sa prime jeunesse. Si je dis cela, c’est parce que dans les Bucoliques,  rédigées en hexamètres dactyliques (Virgile fut le premier auteur latin à adopter cette forme poétique), la langue et la versification sont déjà pleines de sûreté, même si son génie ne ressort pas aussi nettement que dans l’Enéide. Le recueil des Bucoliques (poème sur les bouviers) ou des Eglogues se compose de dix morceaux d’inspiration très diverse, mais dont le sujet se déroule toujours dans un cadre emprunté à la vie pastorale. Entre les plus remarquables, sont la première et la neuvième églogue où, sous les noms supposés de Mélibée et de Tityre (première), de Ménalque, Lycidas et Méris (neuvième), Virgile rapporte ses angoisses et les bienfaits d’Octave, quand les vétérans ont envahi son domaine. La quatrième, assez mystérieuse, où le poète annonce la naissance d’un enfant qui doit donner la paix au monde, a fort intrigué et intriguera encore les commentateurs, surtout en raison de l’époque où elle fut écrite. La cinquième chante l’apothéose de Daphnis, l’Orphée de la poésie pastorale qui, par une allégorie un peu forcée, se trouve ici  désigner  Jules César. Dans la sixième, Silène chargé de liens par la jeune Eglé et les bergers Chromis et Mnasyle, est sommé de chanter, s’il veut recouvrer sa liberté, et il s’exécute en exposant en fort beaux verts une sorte de genèse épicurienne. La huitième dans sa partie la plus belle, nous fait assister aux cérémonies magiques, par lesquelles une bergère espère ramener un berger volage. Dans la dixième enfin, Virgile cherche à consoler Gallus, trahi par Lycoris qu’il aimait.

    Les Georgiques (du grec "georgos": le paysan),  poèmes sur les travaux de la terre, divisées en quatre chants, sont composées sur un plan très simple et où l’intérêt est habituellement gradué. Le premier chant traite du labourage, et il dit comment le laboureur doit étudier la nature du sol, celle du climat, quels sont les instruments dont il se servira, à quelles époques il convient de faire certains travaux, comment on doit observer l’état du ciel pour prévenir les accidents causés par le vent, la pluie, etc.  Au chant deux, le cultivateur apprend les soins qu’il faut donner aux arbres et aux plantes utiles à l’homme, l’olivier surtout et la vigne. Le chant trois est un véritable traité sur l’élevage des bestiaux et l’art vétérinaire. Ce qui regarde les bœufs, les chevaux et les chiens, y tient la plus large place. Au chant quatre, enfin, sont décrits les travaux, les combats, les maladies des abeilles. On croirait lire un livre d’agriculture pour les jeunes préparant un brevet agricole !

    D’ailleurs nombreux furent ce qui pensaient que Virgile avait étudié les traités d’agronomie composés par les Grecs et les Romains, notamment Xénophon, Varron, Caton, et Magon le Carthaginois, mais en réalité Virgile parle des choses de la terre, non comme un savant, mais tout simplement comme un paysan. Plus encore que l’exactitude des descriptions et la sûreté des enseignements, c’est ce sentiment profond de la nature qui a inspiré à Virgile des vers que tous les commentateurs jugeront immortels, au point qu’ils diront que nul poète n’a chanté avec plus de sincérité et de plénitude de cœur l’existence de l’homme des champs, qui vit proche de la nature, et qui serait heureux entre tous, « s’il pouvait connaître son bonheur ». En fait Virgile voulait inspirer de la sympathie pour les hommes, aussi rares à l’époque que de nos jours, qui restaient fidèles à la terre, loin de cette fièvre de luxe et de plaisir dont ses contemporains étaient déjà dévorés. Enfin c’était aussi une manière d’honorer un passé qui lui donnait à la fois de la fierté et des regrets : « Salut, terre de Saturne, Italie, mère des moissons, mère des héros, c’est pour toi que je chante l’art du labour, et sa gloire antique » !

    Restait maintenant, après avoir chanté la mère des moissons, à chanter la mère des héros. Et c’est ainsi que Virgile, à peine achevées les Georgiques, commença à travailler à l’Enéide. L’entreprise était hardie, car jusque là les tentatives épiques n’avaient pas été heureuses à Rome, Névius et Ennius s’y étant essayé sans réel succès. Certains même s’imaginaient que l’épopée ne pouvait pas convenir à une civilisation aussi avancée que le siècle d’Auguste. Et pourtant personne aujourd’hui n’oserait dire qu’il ne faut voir dans l’Enéide que la glorification d’Auguste et de la famille Julia, car c’est un monument élevé à la gloire de Rome, ce qui est très différent. A ce propos Virgile avait un sentiment très vif de la grandeur de Rome qu’il appelait « la plus belle des choses », ce qui ne l’empêchait pas de rattacher la Rome moderne à l’Italie antique, comme si cette Rome devait constamment se rappeler d’où elle venait. A travers les aventures d’Enée après la ruine de Troie, les combats qu’il dut livrer avant d’avoir la chance de pouvoir s’établir en Italie, qui forment la matière de l’Enéide, Virgile a surtout voulu que le peuple romain se souvienne de son berceau et garde une tradition nationale.

    Les représentants des vieilles familles trouvaient dans l’Enéide leurs pères aux côtés d’Enée : Mnesthée est l’aïeul des Memmius, Sergeste celui des Sergius, Gyas des Géganius, Cloanthe des Cluentius etc. Le peuple aussi voyait revivre ses obscurs ancêtres dans ces laboureurs, bergers et bûcherons, que Tyrrhée, l’intendant de Latinus, soulève contre l’envahisseur troyen. Tous accourent, « les uns armés de bâtons durcis au feu, les autres de lourdes et noueuses massues ». La terre même, qui avait nourri les générations du passé et bu le sang de tant de héros, était décrite avec amour et illustrée par de belles légendes. Mais l’Enéide n’est pas qu’une œuvre patriotique, tout le monde reconnaissant ses mérites littéraires. Certes on a pu reprocher à Virgile de manquer d’invention, comme dans les six premiers livres où le poète ne fait qu’accommoder à la légende de son héros les aventures d’Ulysse dans l’Odyssée, et les six derniers chants sont un faible pastiche des combats de l’Iliade.  En outre les caractères manquent de relief, de vigueur et de vie. En un mot, Virgile a peu créé.

    Macrobe, écrivain et philosophe des quatrième et cinquième siècles, soulignait les multiples emprunts de Virgile faits non seulement à Homère, mais aussi aux poètes cycliques, à Appolonius de Rhodes, à Sophocle, à Euripide et même aux Latins, à Ennius et plus encore à Nervius, sans toutefois que ces emprunts ne soient blâmés par les anciens. Au contraire, ces derniers admiraient l’habileté avec laquelle Virgile avait su fondre tant d’imitations et leur donner une couleur propre. En outre, si les érudits peuvent reconnaître ces emprunts, le lecteur ordinaire éprouvera en lisant l’Enéide une véritable unité d’impression. De plus Virgile a renouvelé nombre de passages qu’il a imités, par exemple dans le sixième livre où Enée descend aux enfers, comme Ulysse dans l’Odyssée, mais avec une inspiration très différente. Dans Virgile, il y a toujours un effort ardent pour montrer aux hommes un idéal de moralité et de justice réalisé dans une autre vie, alors que dans Homère ce sont des croyances grossières sur l’état de l’âme après mort, l’idée morale de châtiments et de récompense apparaissant à peine.

    En ce qui concerne les caractères, Virgile a voulu peindre avant tout avec Enée le fondateur d’un empire, prêtre et roi bien plus que guerrier, même si parfois il se laisse aller à prêter à Enée des attitudes et des paroles qui ne peuvent convenir qu’aux héros fougueux des poèmes homériques, notamment quand Enée dit au jeune Lausus qui, avec son père Mézence, combattait contre les Troyens, et qu’il vient de frapper : « Tu tombes sous les coups du grand Enée ». Cela dit, on retrouve généralement dans la figure d’Enée les traits du Romain idéal, avec une piété grave et formaliste, des vertus solides à l’abri des entraînements de la passion, la bravoure mesurée, bref un héros qui pleure sur les malheurs des mortels, et donc qui n’est pas sans humanité, à une époque où ce mot n’avait pas la valeur qu’il devrait avoir.

    Les personnages de second plan, sur lesquels se projette moins la grande ombre de Rome, ont une empreinte plus nette. Les jeunes gens, par exemple, ont toutes les grâces de leur âge, ce qui ne les empêche pas d’être aussi des héros. J’ai déjà évoqué Lausus, mais il y aussi Pallas, Nisus et Euryale, ces deux derniers voulant percer les lignes rutules pour avertir Enée que son camp est investi. Cet héroïsme va leur coûter la vie, mais va offrir à Virgile l’occasion de nous livrer son émotion à travers des mots pleins de pitié qu’il ne peut retenir. On a même parfois l’impression qu’il vient de vivre ce qu’il nous décrit, tellement tout cela est bouleversant. Comme disait Sainte-Beuve, les deux figures de ces deux jeunes gens représentent « le délice des âmes pures ».

    Virgile excelle aussi dans la peinture des femmes. Il y a de tout dans ces héroïnes, des mères emportées jusqu’à la folie par leur tendresse, comme Amata, touchantes de désespoir comme la mère d’Euryale, des amantes passionnées comme Didon, des jeunes filles chastes, timides et résignées comme Lavinie, ou gracieuses dans leur attitude héroïque comme Camille, sans oublier la plus virgilienne des figures, Andromaque, à la fois veuve d’Hector et mère d’Astyanax, mais qui est surtout remarquable par le fait qu’avec elle « l’amour est plus fort que la mort ». Certains diront que Virgile a fait de cette femme « le type des affections impérissables ».

    La supériorité du style de Virgile se caractérise d’abord par ce mélange de piété et d’indépendance avec lequel le poète latin imite et renouvelle les beautés d’expression des poètes grecs. On peut faire ressortir l’élégance soutenue qui donne à son langage la convenance, l’unité de ton et de couleur. Il y a surtout un grand respect de la langue, avec le souci de l’enrichir par des emprunts discrets. Il y a aussi une grande sobriété dans le choix des détails, mais aussi une variété sans désordre. Les qualificatifs manquent pour bien analyser la qualité de l’écriture de Virgile, ce qui fait penser à la phrase de Vauvenargues jugeant Racine : « Personne n’éleva plus haut la parole et n’y versa plus de douceur », une douceur qui se goûte comme quelque chose d’indéfinissable et de mystérieux.

    Michel Escatafal

  • Terence (vers 190-159 avant J.C.) : le sourire plutôt que le rire

    Térence.jpgAncien esclave venu de Carthage où il est né entre la deuxième et la troisième guerre punique, arrivé à Rome on ne sait comment, Térence a été affranchi très jeune par le sénateur Terentius Lucanus.  Celui-ci ébloui par son intelligence lui permit d’acquérir une éducation très littéraire, lui donna son nom comme c’était l’usage, et l’introduisit dans la société des Scipion dont il devient le protégé attitré. La maison de Scipion Emilien, lui-même de grande culture, est le rendez-vous des lettrés et des hommes du monde. Ils l’étaient tellement d’ailleurs que certains, du vivant de Térence, n’ont pas hésité à dire que ce cercle avait largement participé à la rédaction de ses pièces, ce que le poète réfuta.

     Térence fit représenter sa première  comédie à l’âge de dix neuf ans. Ensuite il en donna cinq autres, et il partit pour la Grèce qui est la terre où vécurent ses modèles. Il y resta un an où il écrivit beaucoup, avant de décider de retourner en Italie. Il mourut pendant le voyage, sans que l’on sache s’il périt dans un naufrage, ou s’il mourut simplement du regret d’avoir perdu, avec ses bagages, tout le fruit de son travail. Il avait tout juste une trentaine d’années. Il ne nous reste de lui que six comédies, dont la succession chronologique nous est connue, ce qui est rare dans les œuvres de l’Antiquité.

    Sa première pièce, la plus célèbre, s’appelle l’Andrienne (166 avant J.C) où l’on découvre le pouvoir de la tentation charnelle face aux préceptes enseignés. Ensuite il y aura l’Hécira (belle-mère) en 165, sorte de drame bourgeois avec un adultère qui finit bien, puis un peu plus tard Heautontimorumenos (bourreau de soi-même) en 163, qui contient nombre de situations curieuses avec un père qui ne supporte pas les folies de son fils mais qui, quelque part, s’en rend coupable au point de souffrir d’une mesure disciplinaire dont il a frappé son fils. Phormion (161) est une pièce dont Molière s’est inspirée pour écrire les Fourberies de Scapin,  qui retrace les aventures d’un parasite complaisant, empressé et dévoué.

    Dans l’Eunuque (161 également), tirée de Ménandre mais tellement bien aménagée qu’elle ressemble à un original, on décrit un jeune homme tiraillé entre sa passion pour une courtisane et le sentiment de sa dignité, ce qui fait penser à certaines pièces de Corneille.  Ce fut son succès le plus populaire qui, en outre, lui rapporta beaucoup d’argent.  Enfin en 160, Térence donna sa dernière pièces, les Adelphes (les frères), dont Molière a emprunté l’idée première de l’Ecole des Maris, avec deux frères très dissemblables, l’un prenant la vie avec bonne humeur et l’autre au contraire constamment dur avec lui-même, en total  désaccord sur l’éducation des enfants.

    Autant de situations ingénieusement inventées qui ne suffisent pas toutefois pour attirer le public comme l’a fait Plaute. Ses pièces sont plus élégantes que celles de Plaute, mais elles font moins rire un public dont on a vu qu’il se plaisait dans le genre vulgaire, et qui admire avant tout les gladiateurs ou les funambules. Le théâtre de Térence lui s’adresse à la haute société des lettrés qui, groupée autour de Lélius et Scipion, formait ce que l’on appelait « les honnêtes gens ».  Plaute avait surtout imité des poètes d’inspiration populaire, alors que Térence suivit surtout Ménandre chez qui il trouvait tout à la fois la mesure et la convenance, qualités qui pouvaient le plus charmer ses illustres amis, et  qui s’accommodaient tout simplement à son talent personnel.

    Cependant, comme je l’ai dit précédemment, Térence ne s’est pas contenté de marcher servilement sur les traces de Ménandre.  Lui aussi comme Plaute, mais différemment, aura toujours grand soin de donner une physionomie romaine aux détails de mœurs. En outre il sera différent de son modèle dans la forme en accélérant l’intrigue, les Grecs plus subtils que les Romains acceptant des monologues ou des tirades avançant  dans une douce tranquillité. Au contraire, il faut aux Romains des personnages qui viendront mettre de l’animation, mais qui n’obligent pas à trop réfléchir. 

    Bref, à partir de textes grecs il veulent des pièces latines, et Térence essaiera de répondre à ces desiderata, au point d’être considéré comme « un profanateur » par le vieux poète Luscius Lavinius, ce que certains ont pris pour de la jalousie. C’était surtout très injuste, car malgré ses efforts pour nourrir ses intrigues avec plus de vivacité, l’action a du mal à s’emballer comme certains l’auraient souhaité, à commencer par César qui regrettait que Térence n’ait pas eu « la verve ». D’ailleurs jusqu’à la fin de l’empire romain, on n’a repris que des pièces de Plaute ce qui est sans aucun doute une faute de goût.   

    Un dernier mot enfin,  le style du grand poète est d’une grande pureté, et cela s’applique à l’ensemble de son œuvre.  Le langage n’est jamais grossier dans ses pièces, y compris celui sortant de la bouche des esclaves. Térence,  qui s’est complu essentiellement dans les scènes de la vie de famille,  fait toujours preuve de sobriété et d’aisance dans son expression. Il circule dans ses écrits une sensibilité exquise, une imagination discrète mais aussi riante et lumineuse. En fait certains ont osé dire que le langage de Térence prépare la prose charmante des lettres de Cicéron (106-43 av. J.C.), et plus loin les plus délicieuses pages de Virgile (70-19 av. J.C.). N’est-ce pas le plus beau compliment dont il eut rêvé ?

    Michel Escatafal

  • Théodore de Bèze : un auteur aux croyances exacerbées

    de Bèze.jpgNé en 1519 à Vezelay dans l’Yonne, mort en 1605, Théodore de Bèze se rendit en 1548 à Genève pour faire profession publique de calvinisme, après avoir abjuré le catholicisme. Il fut d’abord chargé de l’enseignement de la langue grecque à Lausanne et publia plusieurs ouvrages, tous inspirés par ses croyances ou par le désir de les défendre.

    Il mit en effet à leur service un talent poétique qui, dans sa jeunesse, l’avait déjà fait apprécier en France, et publia, outre plusieurs ouvrages de controverse, Abraham sacrifiant, œuvre austère, à la fois enflammée et sobre, courte tragédie française (1550) ayant pour particularité de n’être pas divisée en actes, mais seulement interrompue à deux reprises par une pause, et une traduction en vers des Psaumes non traduits par Marot…qui parut aux juges impartiaux inférieure encore à celle qu’elle continuait.

    Il publia en 1560 une œuvre sous le titre Traité de l’autorité du magistrat en la punition des hérétiques. Dans ce traité Théodore de Bèze fait preuve d’un exceptionnel manque de tolérance en prônant  les châtiments les plus extrêmes contre ceux qu’il appelait les hérétiques. Il écrivit aussi une Histoire ecclésiastique des Eglises Réformées du Royaume de France (1580), où il met en exergue la portée ecclésiologique et apocalyptique du martyre. 

    Il  fut au colloque de Passy (1561) le principal orateur des réformés, puis resta en France, prêchant et suivant l’armée du prince de Condé jusqu’à la paix d’Amboise en 1563. Après la mort de Calvin (1564) dont il avait fait sa biographie (Une vie de Calvin) peu avant (1563), il hérita de son pouvoir et de son influence et demeura jusqu’à la fin, grâce à son activité, à son intelligence et à son dévouement, le docteur et le principal chef de son parti.

    Michel Escatafal

  • Bonaventure des Périers

    On ne connaît pas très précisément la vie de Bonaventure des Périers né, sans doute à Arnay-le- Duc près de Beaune, au tout début du 16è siècle. En revanche on est certain qu’il était secrétaire et valet de chambre de Marguerite, reine de Navarre et sœur de François 1er. Nous savons aussi qu’il s’est converti au protestantisme, et qu’il publia en 1537 quatre dialogues satiriques sous le titre de Cymbalum mundi en réaction aux nombreuses controverses religieuses de l’époque.

     

    Cette publication lui valut de multiples ennuis car, en plus de combattre le christianisme, elle le ridiculisait profondément. Il perdit ainsi  la protection dont il bénéficiait auprès de la reine de Navarre, cette dernière n’osant pas le soutenir malgré l’estime qu’elle lui portait en raison notamment de son art de conteur enjoué. Il mourut entre 1543 et 1544, probablement par un suicide.

     

    Son meilleur titre au souvenir de la postérité est un recueil de contes en prose plein de bonne humeur, qui ne fut publié que longtemps après sa mort (en 1558), sous le titre  de Nouvelles Récréations et Joyeux Devis, ce mot de devis signifiant propos ou conversations. Il importe de dire que quelques uns de ces contes ne sont certainement pas de des Périers, certains de ses adversaires ayant même contesté, mais sans aucune vraisemblance, que le recueil ait pu lui appartenir même partiellement. Nous avons encore de lui une traduction du Lysis de Platon, et on lui attribue une traduction en vers de l’Andrienne de Térence, qui parut en 1555.

     

    Michel Escatafal