Né à Grenoble le 23 janvier 1783, mort le 23 mars 1842 à Paris, Henri Beyle qui publia ses ouvrages sous divers pseudonymes, dont celui de Stendhal, suivit d’abord avec enthousiasme l’armée de Napoléon comme attaché à l’intendance de la maison de l’Empereur. Après la chute de l’Empire, il se livra à son goût pour la littérature, les arts, les voyages. Ainsi il publia en 1817 l’Histoire de la peinture italienne, et la même année les Vies de Haydn, Mozart et de Métastase (1698-1782), qui fut un célèbre poète italien dont Haydn et Mozart ont mis en musique quelques tragédies lyriques. Un peu plus tard, c’est la Vie de Rossini (1824) qui parut, autant d’ouvrages vraiment neufs pour le temps. Enfin on n’omettra pas ses Promenades dans Rome (1827), pas plus que la préface de Cromwell et son opuscule Racine et Shakespeare (1823), destiné à soutenir contre l’école classique les théories des novateurs.
Après 1830, il fut nommé consul à Trieste, puis à Civita-Vecchia, dans cette Italie dont il aimait passionnément le sol, les arts et les mœurs. C’est alors qu’il donna ses deux livres les plus célèbres, le Rouge et le Noir (1834) et la Chartreuse de Parme (1839). L’action de ces deux romans s’agite dans des milieux bien différents, mais ils sont tous deux également remarquables par la vérité des peintures, qui procèdent par traits serrés et précis, fruits d’une observation pénétrante et pleine d’un scepticisme dont l’amertume et la sécheresse ont quelque chose de voulu. Beyle mériterait une place entre Balzac et Mérimée, qui tous deux le regardaient comme un maître. En effet, à l’égal du premier, il avait le souci du réel, affectant, comme le second, une sorte d’indifférence ironique et froide. Cependant nul ne contestera que Beyle ait été plus profond penseur que l’un et l’autre. En revanche Balzac l’emporte sur lui par la fécondité de l’invention, et Mérimée par les mérites délicats du style et de la composition.
A propos de la Chartreuse de Parme, que j’ai eu grand plaisir à relire, je voudrais dire deux mots d’un passage relatif à Milan le 15 mai 1796 (au début du Livre premier), ville dans laquelle « le général Bonaparte fit son entrée à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur ». Rien que dans cette phrase on découvre l’admiration qu’avait Beyle pour le génie militaire de Napoléon Bonaparte! En outre cet amoureux de l’Italie ne supportait pas que le duché de Milan, que l’Autriche avait récupéré lors du traité d’Utrecht (1713), fût toujours sous la domination de « Sa Majesté Impériale et Royale » l’empereur d’Autriche et roi de Hongrie, en fait le dernier roi des Romains puisque le Saint-Empire romain germanique fut dissous par François II en 1806. Voilà pourquoi aussi Beyle écrivait, qu’après être plongés dans une nuit profonde, les Lombards « renversèrent leurs statues, et tout à coup ils se trouvèrent inondés de lumière », attitude des peuples trop longtemps soumis.
Fermons la parenthèse pour noter que cette admiration de Beyle-Stendhal pour Bonaparte, j’ai bien dit Bonaparte et non Napoléon qu’il a fini par considérer comme un tyran, allait tellement loin qu’il écrivit, toujours dans ce morceau, que les soldats avaient souffert « depuis deux ans dans les montagnes du pays de Gênes » parce qu’ils étaient retenus « par de vieux généraux imbéciles ». C’était quand même faire bon marché de ces généraux, parmi lesquels Scherer qui avait participé très jeune à la bataille de Valmy, et qui avait remporté le 23 novembre 1795 la victoire de Loano, avec pour lieutenants des hommes comme Masséna et Sérurier, deux des plus brillants généraux de Napoléon. Cela étant le personnage imaginaire de Beyle parlait en homme qui avait été immédiatement conquis par l’aura et le prestige de Bonaparte. On retrouve d’ailleurs ce contraste entre la description qui est faite du futur empereur et de ses prédécesseurs en Italie, dans les écrits de Stendhal lui-même, Vie de Napoléon (1817-1818) composée à Milan, et Taine dans Les Origines de la France contemporaine - le Régime moderne (1893).
Toujours dans le même livre, au chapitre III, dans un récit relatif à la bataille de Waterloo, on voit Fabrice del Dongo, enthousiaste à propos de Napoléon, la tête et le cœur plein d’un idéal épique, réaliser à quel point il lui serait difficile de se battre, compte tenu de son manque de formation au métier militaire. Cela étant, cet épisode peu glorieux permet à Stendhal de montrer qu’un idéaliste qui rencontre la réalité, devient vite un idéaliste qui voit l’homme tel qu’il est. Certains appellent cela un réalisme éclairé, même si l’ironie apparaît un peu trop fortement. Toutes ces remarques font de Beyle-Stendahl un de nos plus grands romanciers, même si l’admiration que certains professent à son égard apparaît un peu exagérée, en opposition totale avec le jugement que lui ont porté ses contemporains…qui ne le connaissaient pas.
Michel Escatafal