Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, est né à Versailles le 16 janvier 1675, d’un père âgé qui n’hésita pas à se remarier pour avoir un fils afin que son duché (octroyé par Louis XIII) ne soit pas perdu. Très fier de sa haute naissance, au point qu’il se maria en 1695 avec une petite nièce de Turenne, cousine avec le roi d’Angleterre, il fut de ceux qui regrettaient de voir que la noblesse eût conservé si peu de part au gouvernement de l’Etat, pensant que son influence était propre à tempérer l’autorité absolue des rois, tandis que des ministres de naissance médiocre ne pouvaient être que leurs serviles créatures. La rigidité honorable, mais hautaine, de son caractère et de ses principes, nuisit peut-être à sa fortune militaire ou politique. En 1702 il quitta l’armée, se croyant victime d’injustices répétées et, sous la Régence, renonça à la fois à l’amitié du duc d’Orléans et aux postes diplomatiques auxquels il avait été appelé, ou qu’il pouvait encore espérer se voir confier.
Ses Mémoires sont donc avant tout l’œuvre d’un mécontentement, mais ce mécontent fut aussi un homme d’un grand caractère, quoiqu’aveuglé par des préjugés qui ne peuvent paraître que mesquins. Ils sont aussi l’œuvre d’un écrivain incroyablement doué du don de pénétrer les cœurs à travers les visages et, en saisissant les moindres grimaces de ceux-ci, de peindre ceux-là jusque dans leurs replis les plus profonds. Aussi tout chez lui, jusqu’aux règles les plus élémentaires de la correction, est-il sacrifié au pittoresque du tour ou de l’expression, au point que certains affirment que ce très grand et très original écrivain serait le plus dangereux des modèles, s’il n’était inimitable. Au point de vue historique, pourvu qu’on se tienne en garde contre la partialité de Saint-Simon, ses Mémoires sont une source presque inépuisable de renseignements sur la dernière partie du règne de Louis XIV et la première de celui de Louis XV.
A propos de ses Mémoires, il faut noter que Saint-Simon avait commencé dès 1694 à noter tous les évènements dont il était témoin. En 1730 il connut le Journal de Dangeau, qui va de 1684 à 1720, et l’annota, complétant ses récits ou corrigeant ses jugements avec âpreté. Enfin, en 1740, il se mit, en continuant de profiter du récit de Dangeau comme d’une sorte de trame chronologique, à rédiger définitivement ses Mémoires. Celles-ci ne furent publiées, après la mort de l’auteur en mars 1755, que dans des éditions incorrectes et fragmentaires. Le texte authentique n’en fut donné pour la première fois qu’en1856.
Parmi les passages que j’ai retenus plus particulièrement de ces Mémoires, il y a celui relatif au Lit de justice du 26 août 1718. Je rappellerais qu’on appelait lit de justice le siège sur lequel s’asseyait le roi, dans certaines séances solennelles du Parlement, et par la suite la séance elle-même. Il s’agit ici de la séance dans laquelle tout pouvoir et tout droit furent enlevés au duc du Maine, fils de Louis XIV, et qui, en affermissant la régence du duc d’Orléans, donna toute satisfaction à la majorité de la noblesse. Celle-ci ,en effet, ne cacha pas son bonheur d’en avoir terminé avec ce règne de "vile bourgeoisie", appellation donnée au règne de Louis XIV par Saint-Simon, lequel nourrissait une haine violente contre la bourgeoisie et le Parlement.
Il y a aussi un magnifique portrait de la duchesse de Bourgogne, qui avait épousé à l’âge de douze ans le duc de Bourgogne, fils du grand Dauphin. Marie-Adélaïde était la fille de Victor-Amédée II, duc de Savoie et de la duchesse de Savoie, Anne d’Orléans, fille de Monsieur (frère de Louis XIV), et de sa première femme, Henriette d’Angleterre. A ce propos, on retrouve dans le portrait de la jeune duchesse de Bourgogne quelques-uns des traits de l’infortunée et charmante Henriette d’Angleterre. Passionnée par le jeu, on découvre qu’elle payait immédiatement à son adversaire l’enjeu qu’il avait tenu, ce qui contraste avec certains comportements de l’époque. Bien que n’étant pas belle, elle savait néanmoins charmer ses interlocuteurs y compris les plus prestigieux d’entre eux, le Roi et Madame de Maintenon, "qu’elle n’appelait jamais que ma tante, pour confondre joliment le rang et l’amitié", si l'on en croit Saint-Simon, qui ajoute un peu plus loin que la duchesse était "admise à tout, entrant chez le roi à toute heure, même des moments pendant le conseil".
Bien d’autres textes ou pages mériteraient d’être soulignés dans cette œuvre très importante, surtout si l’on s’intéresse à l’histoire. En tout cas la postérité a considéré Saint-Simon comme un des plus grands écrivains de son époque, une époque charnière entre la fin du règne de Louis XIV et l’avènement de celui de Louis XV. Oublions sa colère et ses rancoeurs, pour ne considérer que la manière dont il a su se servir de sa langue, mais aussi la servir. A ce propos, et ce sera le mot de la fin, je ne puis résister à l’idée de reprendre ce que dirent les Goncourt : "Il n’y a que trois styles : la Bible, les Latins et Saint-Simon". C’est peut-être lui faire trop d’honneur, mais cela donne quand même une idée de la place qui lui revient dans notre littérature.
Michel Escatafal
Alain-René Lesage est né à Sarzeau (Morbihan) le 6 mai 1668 et mort à Boulogne-sur-Mer le 17 novembre
Né à Hyères le 24 juin 1663, mort le 28 septembre 1742, évêque de Clermont, l’oratorien Massillon a mérité par ses Sermons d’être mis au nombre de nos meilleurs prédicateurs. Sa prédication est loin cependant d’être aussi originale que celle de Bossuet, ni même que celle de Bourdaloue. On peut même dire qu’il est assez difficile d’en signaler les mérites distinctifs. Il faut du moins noter chez Massillon l’élégance soutenue, sinon variée, du style, et une abondance dans l’argumentation qui ne se lasse pas, et qui se manifeste souvent par des divisions parfois trop subtiles.
Né à Rouen en 1657, mort en 1757, Bernard Le Bovier de Fontenelle, était le fils d’un avocat et le neveu des frères Corneille. Après avoir fréquenté le collège des jésuites, il étudia le droit avant de se consacrer très jeune à la littérature. Avant de débuter sa vraie carrière, il commença par collaborer à la revue de son oncle Thomas Corneille, le Mercure galant. Ensuite il écrivit d’assez fades productions en vers et en prose, et n’en fut pas moins recherché par les sociétés les plus délicates du temps, pour l’agrément de son esprit et de sa conversation. Ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), qui mettaient, pour la première fois, les grandes découvertes astronomiques à la portée des gens du monde, parurent et paraissent encore aux meilleurs juges trop gracieux et trop plein d’affectations.