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Le Sage, l'auteur de l'histoire de Gil Blas de Santillane et bien plus encore

Le Sage.jpgAlain-René Lesage est né à Sarzeau (Morbihan) le 6 mai 1668 et mort à Boulogne-sur-Mer le 17 novembre  1747. Après s’être essayé à divers métiers et avoir traduit, pour gagner de l’argent, plusieurs pièces espagnoles, il obtint son premier succès en 1707 avec la petite comédie de Crispin rival de son maître. Ensuite il donna, la même année, un roman imité d’un auteur picaresque espagnol, le Diable boiteux. Pour mémoire je rappellerais que l’adjectif picaresque vient de l’espagnol picaro (vaurien), et se dit d’un genre de romans, fort nombreux en Espagne, et consacrés à la peinture des mœurs de la partie la moins recommandable de la société.

Fermons la parenthèse, pour noter qu’en 1709 Lesage fait représenter Turcaret ou le Financier, comédie en cinq actes et en prose, un des chefs d’oeuvre de la scène française, et la comédie de mœurs la plus forte qui ait été écrite dans toute cette période si curieuse, qui comprend à peu près les trente dernières années du règne de Louis XIV. Mais le meilleur était encore à venir avec l’Histoire de Gil Blas de Santillane, publiée en trois fois (1715-1724-1735), et qui est  restée le titre définitif de Le Sage à l’admiration de la postérité.

Cet ouvrage marque en effet  avec éclat une sorte de renouvellement du roman. Ce genre, qui s’était complu presque uniquement dans le récit des aventures et dans la description des passions héroïques ou héroï-comiques, revendiquait enfin pour lui la peinture des caractères et des mœurs, jusque-là réservée à la comédie et aux livres des moralistes. Le Sage n’oublie de dépeindre personne,  qu’il s’agisse des médecins,  poètes, comédiens, pédants, valets, voleurs, bourgeois, petits-maîtres, hommes d’Etat, hommes de loi ou hommes d’église. Mais il n’y a pas non plus une condition sociale par laquelle il néglige de faire passer son héros, dans cet ample récit constamment gai, même si cette gaieté est parfois un peu âpre et tendue, dont le style est un modèle de pureté, de vivacité et de malice.

Le Sage a aussi composé quelques autres comédies et romans, notamment le Bachelier de Salamanque (1736), sans oublier une centaine de pièces pour le théâtre de la Foire avec Fuzelier (à la fois poète et chansonnier) à l’époque où ce dernier était un des principaux rédacteurs du Mercure de France. Ces pièces  contiennent souvent des scènes parfois très amusantes et finement satiriques.

Toutefois, quelle que soit la qualité de toutes ces pièces, c’est quand même dans l’œuvre maîtresse de Le Sage, l’Histoire de Gil Blas de Santillane, que son génie s’exprime le mieux. Dans ce roman il peint effectivement les travers généraux de l’humanité, mais il a aussi attaqué à plusieurs reprises les défauts et les ridicules de ses contemporains. Il lui est même arrivé de faire des portraits, ce qui nous permet de reconnaître Voltaire dans le poète tragique Triaquero, dont il est question dans le livre X, que Le sage oppose, pour le rabaisser à Lope de Vega (Corneille) et à Calderon (Racine).

Sous le nom de la marquise de Chaves, chacun savait qu’il voulait parler de Madame de Lambert (1647-1733), l’auteur des Avis d’une mère à sa fille et des Avis d’une mère à son fils, femme remarquable dont Fontenelle a écrit l’éloge, et dans le salon de laquelle se réunissaient les hommes les plus distingués de l’époque. Ses envieux et ses ennemis  reprochaient à ce salon de rappeler un peu trop ceux des anciennes précieuses, et c’est un sentiment que Le Sage ne paraît pas éloigné de partager.

Dans le livre IV il est écrit : « La marquise de Chaves était une veuve de trente-cinq ans, belle, grande, et bien faite. Elle jouissait d’un revenu de dix mille ducats, et n’avait point d’enfant. Je n’ai jamais vu de femme plus sérieuse, ni qui parlât moins. Cela ne l’empêchait pas de passer pour la dame de Madrid la plus spirituelle. Le grand concours de personnes de qualité et de gens de lettres qu’on voyait chez elle tous les jours contribuait peut-être plus que son mérite à lui donner cette réputation. C’est une chose que je ne déciderai point. Je me contenterai de dire que son nom emportait une idée de génie supérieur, et que sa maison était appelée par excellence, dans la ville, le bureau des ouvrages d’esprit. Effectivement on y lisait chaque jour tantôt des poèmes dramatiques et tantôt d’autres poésies. Mais on n’y faisait guère que des lectures sérieuses ; les pièces comiques y étaient méprisées. On y regardait la meilleure comédie, ou le roman le plus ingénieux et le plus égayé, que comme une faible production qui ne méritait aucune louange ; au lieu que le moindre ouvrage sérieux, une ode, une églogue, un sonnet, y passait pour le plus grand effort de l’esprit humain. Il arrivait souvent que le public ne confirmait pas les jugements du bureau, et que même il sifflait impoliment les pièces qu’on y avait fort applaudies ».  

C’est bien dit, c’est fin, mais c’est aussi assez mordant. Cela dit, tout ce roman est aussi admirable par  la façon dont Le Sage a su faire passer ses messages, en contournant la censure de l’époque. Il est vrai que le cadre tout espagnol du roman était un bon moyen pour apporter une satire sociale sans que celle-ci fût trop voyante.

Michel Escatafal

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