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histoire de la littérature

  • Pline le Jeune : sa vie, ses oeuvres

    Rien de plus calme, de plus uni et de mieux connu que la vie de Pline le Jeune. Né à Côme ( vers 61), il perdit son père, Cecilius dans sa quinzième année et fut alors adopté par son oncle maternel, Pline l'Ancien. Après avoir été élève de l'école de Quintilien, il alla porter les armes en Orient et profita surtout de ce séjour lointain pour écouter les rhéteurs et les philosophes qui y affluaient . Quand il arriva à Rome, sous Domitien (81-96), il entra dans la carrière des honneurs, qui aurait pu s'interrompre rapidement si la mort de l'empereur était intervenue plus tardivement.

    En effet, après la mort de Domitien, on trouva dans sa cassette une accusation contre Pline le Jeune, mais avec deux empereurs comme Nerva (96-98) et Trajan (98-117) les honnêtes gens se rassurèrent : Pline remporta de grands succès au barreau et dans le Sénat, où il accusait les gouverneurs concussionnaires Bebius Massa, Classicus et Marius Priscus. Très estimé de Trajan , il fut chargé par lui d'une mission extraordinaire en Bithynie (sur la côte Nord de l'Asie Mineure), avec le titre de légat. C'est là et à ce moment qu'il écrivit au prince, à propos des poursuites qu'il avait du exercer contre des chrétiens, la lettre fameuse qui est, avec la réponse du prince un des plus anciens et des plus importants documents sur l'histoire du christianisme. Il mourut peu de temps après son retour vers l'an 114.

    Son recueil de Lettres comprend neuf livres auxquels il faut ajouter sa correspondance avec l'empereur. Nous avons aussi de lui le Panégyrique de Trajan. Ce discours oppose, dans une longue suite de tableaux contrastés, la sécurité et la paix du nouveau régime à la tyrannie et à la terreur du temps de Domitien. Pline avait aussi publié ses plaidoyers, ses discours au Sénat, un recueil de vers, mais ces ouvrages sont hélas perdus.

    Michel Escatafal

  • Chateaubriand, le peintre de la civilisation chrétienne à son époque

     

    chateaubriand, madame de Staël, littérature et histoireNé à Saint-Malo le 4 septembre 1768, mort à Paris le 4 juillet 1848, François–Auguste de Chateaubriand, passionné d’histoire politique, aura connu dans sa vie trois révolutions (1789, 27, 28 et 29 juillet 1830 et 22 au 25 février 1848), et, peut-être ou à cause de cela, allait devenir un auteur prolifique en œuvres de genres divers. En effet, après avoir publié un petit nombre de poésies plutôt médiocres, il alla passer quelques mois en Amérique (1791), puis revint en France pour émigrer presque aussitôt. Etabli en Angleterre, il y donna un Essai sur les Révolutions (1797), qui n’attira point alors l’attention du public. C’est en 1800 que, rentré à Paris, il publia dans le Mercure une lettre sur le livre de Madame de Staël, De la Littérature, qui le fit tout d’un coup connaître comme un brillant apologiste de la religion. La publication du petit roman d’Atala (1801) le rendit célèbre, et celle du Génie du Christianisme (1802) mit le sceau à sa réputation.

    Cela dit, la nouveauté d’un style dont la poétique magnificence, l’éclat, le coloris n’allaient pas sans quelque mélange d’insupportable déclamation, et la hardiesse provocante des attaques de Chateaubriand contre les théories philosophiques du dix-huitième siècle, avaient suscité de vives et nombreuses critiques. Elles devinrent plus acerbes encore lorsque, après René,  nouvelle inspirée jusqu’à un certain point du Werther de Goethe, insérée d’abord dans le Génie du Christianisme, puis publiée à part (1807), Chateaubriand donna son œuvre la plus achevée, l’épopée en prose les Martyrs. Toutefois les connaisseurs et le public tout entier ne tardèrent pas à admirer cette vivante peinture de la civilisation chrétienne encore naissante et du monde païen en décadence, ces tableaux variés, tour à tour énergiques et touchants, mais tous si vrais, dans la précision de leurs détails, qu’ils devaient servir de modèles aux historiens à venir, ces caractères généreux et charmants, Eudore, Cymodocée, Démodocus, cette composition nette et habilement ménagée, cette prose enfin dans l’harmonieuse unité de laquelle viennent se fondre, avec toutes les hardiesses éclatantes de la poésie moderne, toutes les grâces de la muse homérique.

    L’Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811) contient l’intéressant récit du voyage de Chateaubriand à travers tous les pays qui sont décrits dans les Martyrs. Après la chute de l’Empire, qu’il avait toujours combattu, Chateaubriand, qui fut à plusieurs reprises ministre et ambassadeur, ne publia plus guère que des ouvrages politiques. A ceux-ci, il faut ajouter néanmoins le chevaleresque récit des Aventures du dernier Abencerage (1826), et les Natchez, sorte de roman poétique, composition de la jeunesse de l’auteur, de brillantes Etudes historiques, les Voyages en Amérique, en France, en Italie (1834), un médiocre Essai sur la littérature anglaise, précédant une traduction du Paradis Perdu de Milton (1836), une très faible Vie de Rancé (1844). Enfin il ne faut surtout pas oublier  les Mémoires d’Outre-Tombe, œuvre à la fois bizarre et prétentieuse, œuvre inégale surtout, parce que les diverses parties en ont été rédigées à des époques et dans des circonstances bien diverses. Cependant  les meilleures, par la poésie de certains tableaux, l’aisance et la variété des récits, la noblesse mélancolique ou passionnée des réflexions et des confidences, égalent les plus beaux ouvrages d'un auteur à qui la postérité a depuis longtemps signifié les mérites.

    Michel Escatafal

     

  • Madame Roland : un esprit étendu et un cœur ardent

    madame roland,roland de la platière,littérature,histoireMarie-Jeanne ou Manon Phlipon, née à Paris le 17 mars 1754, épousa en 1788 Roland de la Platière (1732-1793), écrivain politique d’un caractère austère, qui devint ministre en 1792. Nourrie à l’école de Rousseau, cette femme d’un esprit étendu et d’un cœur ardent devint, à l’époque de la Révolution, l’âme du parti girondin, et fut enveloppée dans la disgrâce de ses amis.  Arrêtée le 2 juin 1793, elle comparut le 8 novembre devant le Tribunal  révolutionnaire, et monta le lendemain, d’un cœur ferme, sur l’échafaud.

    C’est pendant sa captivité qu’elle composa ses Mémoires célèbres, dont le style est parfois déparé par quelque déclamation, mais qui sont également remarquables par la sincérité du récit et la vivacité des tableaux et des portraits. A ces Mémoires, il faut ajouter différentes pièces, notamment les Notices historiques et les Portraits et anecdotes, également composés en prison. Nous avons encore de Madame Roland des Lettres, qui sont comme le commentaire perpétuel des Mémoires et qui, tout en ayant les mêmes mérites, paraissent, elles aussi, parfois fort emphatiques : c’est la marque du temps et de l’influence que la lecture de Rousseau exerça sur Madame Roland.

    Dans les Mémoires particuliers, qui est le titre des Mémoires proprement dits de Madame Roland, il y a un portrait remarquable sur sa grand’mère, « petite femme de bonne grâce et de belle humeur », qui « avait soixante-cinq ou six ans », et qui avait eu l’infortune d’être « veuve au bout d’un an de mariage ». Chez cette grand’mère qu’elle aimait beaucoup, Manon Phlipon passa une année entière alors qu’elle était âgée de douze ans, après avoir vécu une année au couvent. Mais ce document est évidemment moins poignant que celui que l’on peut intituler Dernière lettre à sa fille,  qui figure dans Mes dernières pensées, écrites à la suite des Mémoires.

    A ce propos, il faut savoir que le 3 octobre 1793, la Convention avait décrété la proscription en masse des Girondins. Madame Roland, qui était elle-même en prison depuis quatre mois, résolut alors, dans un moment de désespoir, de ne pas attendre son jugement et de se laisser mourir de faim. Elle changea de résolution quelques jours après. Mais c’est sous l’empire de ce projet de suicide, c’est-à-dire entre le 4 et le 8 octobre, que fut écrite la lettre à sa fille qu’elle termina par un sanglot dont la sobriété n’avait d’égale que la douleur contenue : « Adieu mon Eudora ». Cette dernière avait  alors douze ans. Elle survécut à sa mère jusqu’en 1858.

    Michel Escatafal

  • Mirabeau symbolise la puissance et la gloire oratoires

    mirabeau,révolution,démosthène,eschine,littérature,histoirelGabriel-Honoré de Riquetti, comte de Mirabeau, est né au château du Bignon, situé aujourd’hui dans le département du Loiret (arrondissement de Montargis), le 9 mars 1749, d’un père illustre et terrible, notamment par la manière dont il a traité sa femme, Marie Geneviève de Vassan, vicomtesse de Saint Mathieu. Victor Riquetti, marquis de Mirabeau (1715-1789), passionné d’économie politique, a beaucoup écrit pour soutenir les réformes qui lui paraissaient profitables au plus grand nombre, revendiquant pour lui-même le titre d’un de ses ouvrages, l’Ami des Hommes.

    Deuxième enfant (sur dix) du couple, le comte de Mirabeau ou Mirabeau comme l’a toujours appelé la postérité, a composé un grand nombre d’ouvrages divers, romanesques, politiques et historiques. Mais c’est surtout comme orateur qu’il est connu. Député du Tiers aux Etats généraux, dont il sera la figure de proue en 1789, il y apporte, après une jeunesse orageuse, et avec un sentiment de la liberté individuelle exaspéré par ses propres aventures, le fruit de ses études et de ses réflexions sur la politique et l’histoire.

    Doué d’une extraordinaire puissance oratoire, il affirme son génie et son autorité dès les premières séances de l’assemblée des Etats généraux. Ensuite, son ascendant sur ses collègues et sur la nation ne fait que s’accroître, et, quoiqu’il ait perdu de sa popularité dans les derniers temps de sa vie, il meurt le 2 avril 1791, laissant, auprès de beaucoup de bons esprits, la réputation du seul homme qui se fût peut-être montré capable de modérer le mouvement révolutionnaire, et de réconcilier  la royauté avec les représentants de l’esprit nouveau.

    On ne peut lire les discours de Mirabeau comme on lirait une œuvre écrite à loisir par un écrivain de profession, ou même comme ces grands discours des orateurs anciens, qui, dans toute la chaleur de leur inspiration, n’ont jamais oublié les règles de l’école, et chez lesquels les apparentes négligences sont elles-mêmes voulues et calculées pour produire des effets certains. Il faudrait, si l’on voulait bien lire de pareils morceaux, se représenter le monstre lui-même rugissant, pour appliquer à Mirabeau les  mots d’Eschine sur Démosthène, et se laisser entraîner par le mouvement de son éloquence, en fermant les yeux aux mille imperfections du style d’un orateur qui veut, non pas se faire admirer, mais convaincre.

    Parmi ses plus célèbres discours, je retiendrais celui que l’on appelle Discours sur la banqueroute (26 septembre 1789).  Pour mémoire il faut rappeler que le ministre des finances Necker, pour pourvoir aux besoins de l’Etat, sur le point de faire banqueroute, proposait de lever, à titre de secours extraordinaire, un impôt égal au quart des revenus de chaque citoyen. Mirabeau avait déjà parlé à trois reprises pour défendre ce plan, ou plutôt pour demander qu’on l’adoptât sans discussion, tout en rédigeant avec le plus grand soin le projet de décret qui disait : « Vu l’urgence des circonstances, et ouï le rapport du comité des finances, l’Assemblée nationale accepte de confiance le plan de Monsieur le premier ministre des finances ». C’est  pour vaincre les dernières hésitations qu’il prononça ce discours.

    Dans ce discours, il y a un passage qui m’a particulièrement interpellé : « Eh Messieurs, à propos d’une ridicule motion du Palais-Royal, d’une risible insurrection qui n’eut jamais d’importance que dans les imaginations faibles ou les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de Rome, et l’on délibère ! Et certes, il n’y avait autour de nous  ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome. Mais aujourd’hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là ; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur…et vous délibérez ». A noter que l’allusion à Catilina, le célèbre conjurateur romain (108-62 av. J.C.), s’adressait à un député qui avait accusé faussement Mirabeau d’être à la tête d’un parti qui voulait changer l’ordre de la succession au trône.

    Michel Escatafal

  • Bernardin de Saint-Pierre n'est pas que l'auteur de Paul et Virginie

    bernardin de saint-pierre,paul et virginie,esclavage,littératureNé au Havre le 19 janvier 1737, mort le 21 janvier 1814 à Eragny-sur-Oise, Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, après une jeunesse aventureuse, indécise et tourmentée, où il avait accumulé les voyages (Allemagne, Pologne, Russie etc.),  avait été envoyé à l’île de France (Ile Maurice) en qualité de capitaine ingénieur (1768) grâce à son protecteur, le baron de Breteuil. Après son retour en France (1771), il écrivit son Voyage à l’île de France (1773) dans lequel il dénonça avec véhémence l’esclavage, et se mit, tout en publiant une sorte de poème en prose, l’Arcadie (1781), à travailler à un grand ouvrage, les Etudes de la Nature, dont la publication (1784) le rendit tout d’un coup célèbre.

    Tout le monde connaît le prodigieux succès du petit roman de Paul et Virginie (1787), inspiré de ses amours déçues d’avec Françoise Robin, mais Bernardin de Saint-Pierre composa encore, outre plusieurs opuscules et deux charmantes nouvelles, la Chaumière indienne et le Café de Surate, les Harmonies de la nature (1796), dans lesquelles il exagère le système qu’il avait développé dans ses Etudes : cette recherche incessante des causes finales, des intentions providentielles, qu’il croit toujours réussir à découvrir, l’amène souvent à donner , des divers phénomènes, des explications puériles et presque ridicules. Mais, disciple enthousiaste de Rousseau, il fit preuve d’un talent de description égal à celui du maître, dont le génie est sans doute bien plus vaste et plus original que le sien, mais qui n’a du moins rien écrit de plus simple et de plus touchant que Paul et Virginie.

    Avant de reparler de ce roman qui le fit passer définitivement à la postérité, je recommande plus particulièrement à ceux qui ont dans leur bibliothèque les Harmonies de la nature, le livre deux (Harmonies aériennes des végétaux), plus particulièrement le passage le plus connu sur les Forêts agitées par le vent, qui commence par cette question : « qui pourrait décrire les mouvements que l’air communique aux végétaux » ? Il évoque à propos du « bruissement des prairies », des « gazouillements des bois », des charmes qui le plongent dans « d’ineffables rêveries », et qui lui parlent « comme ceux de Dodone ».  Pour mémoire, Dodone  est une ancienne ville d’Epire, située près d’une forêt consacrée à Jupiter et dont les arbres passaient pour révéler par leurs murmures les volontés du dieu.

    Cela dit, c’est évidemment dans Paul et Virginie que Bernardin de Saint-Pierre a le mieux exercé son talent, en précisant que l’action de ce roman se passe à l’Ile de France. Le morceau le plus significatif en est incontestablement celui sur le Naufrage du Saint-Géran et la mort de Virginie. La description de la tempête est remarquable par son caractère propre, le lecteur s’associant à toutes les angoisses des personnages, qu’ils en soient les acteurs ou les victimes,  au fur et à mesure que ladite tempête se déchaîne davantage. A ce propos, on notera que Bernardin de Saint-Pierre avait déjà décrit dans son œuvre les signes avant-coureurs des tempêtes, notamment dans la dixième des Etudes de la Nature où il écrivait : « La nature veut-elle donner sur la mer le signal d’une tempête ; elle rassemble dans le ciel et sur les eaux une multitude d’oppositions heurtées qui annoncent de concert la destruction ». Il faut aussi préciser que la catastrophe du vaisseau Saint-Gérant n’a pas été inventée. C’est  un fait historique, dont l’écrivain a simplement modifié la date, la plaçant à la nuit de Noël 1741, alors qu’elle a eu lieu en réalité le 17 août de la même année.

    Un dernier mot enfin, pour souligner que rarement un auteur a aussi bien décrit les derniers instants d’une jeune fille (Virginie), et la douleur des survivants, qu’il s’agisse de Paul bien évidemment, mais aussi de son serviteur Domingue, qui échappa à la mort par miracle et qui s’écria à genou sur le sable : « O mon Dieu ! vous m’avez sauvé la vie : mais je l’aurais donnée de bon cœur pour cette digne demoiselle ». Une demoiselle qui mourut pour avoir refusé d'ôter ses vêtements devant un marin qui pouvait la sauver à la nage, et qui fut engloutie par les flots sous les yeux de Paul, impuissant, et de la population.

    Une demoiselle qui tenait dans sa main fermée et raidie une petite boîte dans laquelle il y avait le portrait de Paul, qu’elle lui avait promis  de ne jamais abandonner tant qu’elle vivrait. Paul qu’elle allait rejoindre après une séparation douloureuse qui consumait les deux amants, et qui ne pourra que l’ensevelir. Paul qui lui-même fit preuve d’une intrépidité sans pareille pour sauver sa belle, et qui faillit perdre la vie, ayant été retiré des flots sans connaissance et gravement blessé. Sans doute eut-il mieux valu qu’il pérît lui aussi à cet instant, ce qui lui aurait évité de sombrer dans le désespoir. Bref, un bien beau roman à lire et à relire, sans s’arrêter uniquement à la vie et à la mort de deux jeunes gens qui s’aiment, car c’est aussi le récit tragique de l’esclavage qui sévissait dans l’île de France, approuvée en métropole par la tante de Virginie, femme austère et intéressée.

    Bonne et heureuse année 2013 !

    Michel Escatafal