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démosthène

  • Courier, pamphlétaire à son propre jugement

    Paul-Louis Courier, Démosthène, Pascal, littérature, histoirePaul-Louis Courier de Méré, né à Paris  le 4 janvier 1772, mort assassiné le 10 avril 1825 à Véretz, sans doute pour des motifs politiques, servit comme officier d’artillerie dans les armées de la République et de l’Empire et, passionné pour la littérature grecque, consacra tous ses loisirs à des travaux philologiques. Esprit aiguisé et nourri de la lecture des anciens et des grands écrivains du seizième et du dix-septième siècle, tout dévoué d’ailleurs aux principes libéraux de la révolution de 1789, il commença dès 1816 à exercer sa verve contre le gouvernement de la Restauration. Ecrits dans un style dont la précision et le tour rappellent tout à fait la prose du dix-septième siècle, ses pamphlets sont des œuvres achevées, dont on peut dire toutefois ce que Fénelon disait des discours de Cicéron : « L’art y est merveilleux ; mais on l’entrevoit ». Les Lettres de Courier sont, elles aussi, toutes pleines d’une grâce malicieuse, dont l’aisance même sent encore le travail.

     

    En ce qui concerne l’œuvre elle-même de Courier, je voudrais souligner plus particulièrement deux morceaux qui la représentent parfaitement. Le premier est extrait de la Pétition aux deux Chambres, modèle de narration oratoire et pathétique qui permet de retrouver la passion de l’auteur pour les orateurs grecs. Ainsi dans ce morceau composé de petites phrases séparées par des points virgules, on retrouve un mouvement très proche de celui de Démosthène dans son célèbre Discours sur la Couronne, même si évidemment les situations sont très différentes. Prenons un exemple en commençant par Démosthène : « C’était le soir ; arrive un homme qui annonce aux prytanes qu’Etatée est prise. Ils soupaient : à l’instant ils se lèvent de table ; les uns chassent les marchands des baraques de la place publique ; les autres mandent des stratèges et appellent le trompette de ville : et toute la cité était remplie de tumulte… »

     

    Examinons à présent la narration de Courier, et l’on verra qu’elle présente les faits un à un, avec toutes leurs circonstances, dans une longue suite de courtes phrases, pour se terminer par quelques exclamations et quelques adjurations pathétiques. Ainsi on peut lire dans une scène qui se passe en 1816 à Luynes, tout près de Tours, où Courier adresse sa « pétition » et son récit aux membres de la Chambre des députés et de la Chambre des pairs : « Ce fut le jour de la mi-carême, le 25 mars, à une heure du matin ; tout dormait ; quarante gendarmes entrent dans la ville ; là, de l’auberge où ils étaient descendus d’abord, dès la première aube du jour ils se répandent dans les maisons.  L’épouvante fut bientôt partout. Chacun fuit ou se cache ; quelques uns, surpris au lit, en sont arrachés ; on les amène ; leurs parents, leurs enfants les auraient suivis si l’autorité l’eut permis... ». Effectivement nous retrouvons bien Démosthène dans cette narration, même s’il manque à Courier cette perfection suprême des chefs d’œuvre de premier ordre, dans lesquels on ne sent plus même l’art et les procédés de l’écrivain.

     

    Le second morceau est extrait du Pamphlet des pamphlets, où Courier évoque la définition du mot « pamphlet »,  anglais à l’origine avant de devenir français, qui désigne, à proprement parler, un petit livre de peu de pages, et qui, par dérivation, a pris le sens d’écrit satirique, comme en témoigne l’apostrophe que reçut Courier, se faisant de traiter de « Vil pamphlétaire » par Monsieur de Broë. Cet avocat général avait, en effet, prononcé le réquisitoire contre Courier, traduit en cour d’assises, après la publication de son Simple discours…à l’occasion d’une souscription…pour l’acquisition de Chambord (1821). Un discours qui ne pouvait qu’être nocif aux yeux des jurés, certains n’ayant même pas pris la peine de le lire…parce qu’un « pamphlet ne saurait être bon », mais aussi parce qu’un pamphlet est « un écrit tout plein de poison », aux yeux du procureur du roi. A ce propos, Courier raconte qu’un employé de la police, après l’avoir interrogé sur divers points, lui avait conseillé en le quittant, d’employer « son grand génie à faire autre chose que des pamphlets », ce à quoi Courier répondait en disant que les Lettres provinciales de Pascal, « ce chef d’œuvre divin », étaient aussi des pamphlets. Ah, la dialectique !

     

    Michel Escatafal

  • Mirabeau symbolise la puissance et la gloire oratoires

    mirabeau,révolution,démosthène,eschine,littérature,histoirelGabriel-Honoré de Riquetti, comte de Mirabeau, est né au château du Bignon, situé aujourd’hui dans le département du Loiret (arrondissement de Montargis), le 9 mars 1749, d’un père illustre et terrible, notamment par la manière dont il a traité sa femme, Marie Geneviève de Vassan, vicomtesse de Saint Mathieu. Victor Riquetti, marquis de Mirabeau (1715-1789), passionné d’économie politique, a beaucoup écrit pour soutenir les réformes qui lui paraissaient profitables au plus grand nombre, revendiquant pour lui-même le titre d’un de ses ouvrages, l’Ami des Hommes.

    Deuxième enfant (sur dix) du couple, le comte de Mirabeau ou Mirabeau comme l’a toujours appelé la postérité, a composé un grand nombre d’ouvrages divers, romanesques, politiques et historiques. Mais c’est surtout comme orateur qu’il est connu. Député du Tiers aux Etats généraux, dont il sera la figure de proue en 1789, il y apporte, après une jeunesse orageuse, et avec un sentiment de la liberté individuelle exaspéré par ses propres aventures, le fruit de ses études et de ses réflexions sur la politique et l’histoire.

    Doué d’une extraordinaire puissance oratoire, il affirme son génie et son autorité dès les premières séances de l’assemblée des Etats généraux. Ensuite, son ascendant sur ses collègues et sur la nation ne fait que s’accroître, et, quoiqu’il ait perdu de sa popularité dans les derniers temps de sa vie, il meurt le 2 avril 1791, laissant, auprès de beaucoup de bons esprits, la réputation du seul homme qui se fût peut-être montré capable de modérer le mouvement révolutionnaire, et de réconcilier  la royauté avec les représentants de l’esprit nouveau.

    On ne peut lire les discours de Mirabeau comme on lirait une œuvre écrite à loisir par un écrivain de profession, ou même comme ces grands discours des orateurs anciens, qui, dans toute la chaleur de leur inspiration, n’ont jamais oublié les règles de l’école, et chez lesquels les apparentes négligences sont elles-mêmes voulues et calculées pour produire des effets certains. Il faudrait, si l’on voulait bien lire de pareils morceaux, se représenter le monstre lui-même rugissant, pour appliquer à Mirabeau les  mots d’Eschine sur Démosthène, et se laisser entraîner par le mouvement de son éloquence, en fermant les yeux aux mille imperfections du style d’un orateur qui veut, non pas se faire admirer, mais convaincre.

    Parmi ses plus célèbres discours, je retiendrais celui que l’on appelle Discours sur la banqueroute (26 septembre 1789).  Pour mémoire il faut rappeler que le ministre des finances Necker, pour pourvoir aux besoins de l’Etat, sur le point de faire banqueroute, proposait de lever, à titre de secours extraordinaire, un impôt égal au quart des revenus de chaque citoyen. Mirabeau avait déjà parlé à trois reprises pour défendre ce plan, ou plutôt pour demander qu’on l’adoptât sans discussion, tout en rédigeant avec le plus grand soin le projet de décret qui disait : « Vu l’urgence des circonstances, et ouï le rapport du comité des finances, l’Assemblée nationale accepte de confiance le plan de Monsieur le premier ministre des finances ». C’est  pour vaincre les dernières hésitations qu’il prononça ce discours.

    Dans ce discours, il y a un passage qui m’a particulièrement interpellé : « Eh Messieurs, à propos d’une ridicule motion du Palais-Royal, d’une risible insurrection qui n’eut jamais d’importance que dans les imaginations faibles ou les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de Rome, et l’on délibère ! Et certes, il n’y avait autour de nous  ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome. Mais aujourd’hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là ; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur…et vous délibérez ». A noter que l’allusion à Catilina, le célèbre conjurateur romain (108-62 av. J.C.), s’adressait à un député qui avait accusé faussement Mirabeau d’être à la tête d’un parti qui voulait changer l’ordre de la succession au trône.

    Michel Escatafal