Marie-Jeanne ou Manon Phlipon, née à Paris le 17 mars 1754, épousa en 1788 Roland de la Platière (1732-1793), écrivain politique d’un caractère austère, qui devint ministre en 1792. Nourrie à l’école de Rousseau, cette femme d’un esprit étendu et d’un cœur ardent devint, à l’époque de la Révolution, l’âme du parti girondin, et fut enveloppée dans la disgrâce de ses amis. Arrêtée le 2 juin 1793, elle comparut le 8 novembre devant le Tribunal révolutionnaire, et monta le lendemain, d’un cœur ferme, sur l’échafaud.
C’est pendant sa captivité qu’elle composa ses Mémoires célèbres, dont le style est parfois déparé par quelque déclamation, mais qui sont également remarquables par la sincérité du récit et la vivacité des tableaux et des portraits. A ces Mémoires, il faut ajouter différentes pièces, notamment les Notices historiques et les Portraits et anecdotes, également composés en prison. Nous avons encore de Madame Roland des Lettres, qui sont comme le commentaire perpétuel des Mémoires et qui, tout en ayant les mêmes mérites, paraissent, elles aussi, parfois fort emphatiques : c’est la marque du temps et de l’influence que la lecture de Rousseau exerça sur Madame Roland.
Dans les Mémoires particuliers, qui est le titre des Mémoires proprement dits de Madame Roland, il y a un portrait remarquable sur sa grand’mère, « petite femme de bonne grâce et de belle humeur », qui « avait soixante-cinq ou six ans », et qui avait eu l’infortune d’être « veuve au bout d’un an de mariage ». Chez cette grand’mère qu’elle aimait beaucoup, Manon Phlipon passa une année entière alors qu’elle était âgée de douze ans, après avoir vécu une année au couvent. Mais ce document est évidemment moins poignant que celui que l’on peut intituler Dernière lettre à sa fille, qui figure dans Mes dernières pensées, écrites à la suite des Mémoires.
A ce propos, il faut savoir que le 3 octobre 1793, la Convention avait décrété la proscription en masse des Girondins. Madame Roland, qui était elle-même en prison depuis quatre mois, résolut alors, dans un moment de désespoir, de ne pas attendre son jugement et de se laisser mourir de faim. Elle changea de résolution quelques jours après. Mais c’est sous l’empire de ce projet de suicide, c’est-à-dire entre le 4 et le 8 octobre, que fut écrite la lettre à sa fille qu’elle termina par un sanglot dont la sobriété n’avait d’égale que la douleur contenue : « Adieu mon Eudora ». Cette dernière avait alors douze ans. Elle survécut à sa mère jusqu’en 1858.
Michel Escatafal