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histoire de la littérature - Page 2

  • Chamfort : la perfection dans l’éloge académique, mais pas seulement

    chamfort.pngNé le 6 avril 1741, Nicolas de Chamfort était un enfant trouvé, sans doute le fils d’un chanoine et peut-être adopté par un épicier,  ce qui explique en partie le portrait que l’on a fait de lui à son époque, une époque où la famille de naissance était de la plus haute importance. En fait il ne supporta  jamais son état, ce qui explique à la fois qu’il se soit fait appeler Monsieur de Chamfort, qu’il substitua à Sébastien–Roch, son vrai nom, se créant ainsi une noblesse qu’il n’a jamais eue, et qu’il soit devenu une sorte de misanthrope impitoyable. Sa naissance était tellement un boulet à ses yeux, qu’il répliqua à un personnage d’une authentique noblesse, comme le duc de Créqui, qui s’avisait de lui affirmer qu’un homme d’esprit était l’égal de n’importe qui : « Vous en parlez bien à votre aise, Monsieur le duc, mais supposez qu’au lieu de vous appeler Monsieur le duc de Créqui, vous vous appeliez Monsieur Criquet ; entrez dans un salon, et vous verrez si l’effet sera le même ».

    En tout cas, même s’il est difficile de savoir si son nouveau nom l’a réellement aidé à devenir lecteur de Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI, ou encore secrétaire du prince de Condé et protégé de Madame Helvétius, il sut se faire dans les salons du dix-huitième siècle une place prépondérante. En réalité ce premier de la classe, comme nous dirions aujourd'hui, ayant refusé la carrière ecclésiastique auquel on le prédestinait, doit surtout sa réputation à son esprit mordant et accessoirement à ses bons mots (réunis dans un volume en 1800 sous le titre de Chamfortioma). Cela lui valut d’entrer à l’Académie française en juillet 1781, après s’être vu préféré auparavant l’abbé Millot et le comte de Tressan, sans doute par la faute de d’Alembert qui ne l’appréciait guère.

    Ayant adopté les idées révolutionnaires, il fut un des collaborateurs du Mercure, devenant l’ami de Mirabeau au point de lui écrire un pamphlet contre l’Académie. Il regretta d’autant plus ce discours qu’il l’avait aussi publié, ce qui l’obligea à faire acte de repentance pour défendre l’Académie un peu plus tard. Il sera d’ailleurs nommé bibliothécaire de la Bibliothèque nationale en août 1792, à une époque où la célèbre Manon Roland, charmée par son esprit,  l’accueillait dans son salon. Mais cela ne dura pas très longtemps, car peu après il sera emprisonné aux Madelonnettes, anciennement maison de correction pour femmes avant de servir de lieu d’enfermement pour les prisonniers politiques pendant la période entre 1793 et 1794, pour s’être réjoui un peu trop bruyamment de la mort de Marat. Il finit sa vie de manière dramatique le 13 avril 1794, après plusieurs tentatives ratées de suicide par peur  de retourner en prison, peu après que les poursuites à son encontre furent abandonnées.

    Le souvenir qu’il laissera à la postérité sera celui d’un personnage que certains qualifiaient de "méchant", dans toute la force du terme. Il le fut sans doute, mais il ne connut jamais réellement le bonheur malgré ses succès mondains (sa femme avec qui il fut très heureux mourut après à peine cinq mois de mariage), malgré aussi ses amitiés avec quelques uns des puissants de l’époque. Parmi ceux-ci, outre ceux déjà cités il y eut Talleyrand, mais aussi Sieyès à qui il fournit le titre de sa brochure sur le Tiers Etat (Qu’est-ce que le tiers Etat) qui fit sa fortune littéraire et plus encore politique. Finalement il fut avant tout un excellent prosateur, que beaucoup ont comparé à Fontenelle, dont il a l’esprit mais avec plus de goût et de force. Il fut aussi d’une certaine manière comparé à Voltaire comme conteur, le génie en moins.

    Bref, depuis ses premiers textes, notamment une comédie satirique intitulée la Jeune Indienne (1764), jusqu’à ses Maximes et Pensées, caractères et anecdotes, publiées peu après sa mort et de nouveau en 1803, il restera comme un écrivain au style concis, avec des phrases courtes allégées de tout terme inutile, sachant écrire des dialogues vifs où chaque personnage ne dit que l’essentiel, introduisant dans ses récits quelques traits comiques de qualité. En revanche il ne sut jamais s’élever comme poète au-delà d’une certaine médiocrité. Cela ne l'a pas empêché de pénétrer dans l’Eloge de Molière et dans l’Eloge de La Fontaine l’émotion de ces deux merveilleux poètes.

    Michel Escatafal

     

  • Voltaire, le poète

    Après avoir étudié Voltaire sur un plan général, nous allons parler de Voltaire poète à travers quelques œuvres marquantes, à commencer par les Epîtres. Parmi celles-ci, il y a celle relative au souvenir d’un ami très cher, Lefèvre de La Faluère, conseiller au Parlement, qui se faisait appeler du nom de sa mère, Génonville.  Ce jeune homme, l’un des plus brillants et des plus chers compagnons de jeunesse de Voltaire, mort à l’âge de vingt-six ans, en 1723, victime d’une maladie très courante à l’époque, la petite vérole, a inspiré à Voltaire ces vers remarquables : « Loin de nous à jamais ces mortels endurcis,/ Indignes du beau nom, du nom sacré d’amis,/ Ou toujours remplis d’eux, ou toujours hors d’eux-mêmes,/ Au monde, à l’inconstance ardents à se livrer,/  Malheureux, dont le cœur ne sait pas comme on aime,/ Et qui n’ont point connu la douceur de pleurer ! »

    Dans une autre pièce des Epîtres, intitulée L’auteur arrivant dans sa terre près du lac de Genève, composée au mois de mars 1755, il y a un passage plus que surprenant de Voltaire où il évoque Virgile et Auguste, en des termes plutôt injurieux, Virgile étant traité de « chantre flatteur du tyran des Romains », même si au vers suivant il est jugé comme « l’auteur harmonieux des douces Georgiques ». En fait pour Voltaire,  Auguste est surtout un despote qui a imposé sa dictature tout autour de la Méditerranée, ce que Voltaire n’accepte pas au nom de la liberté des peuples. D’ailleurs, un peu plus loin, il vante la défense de l’indépendance des Suisses contre Charles le Téméraire (1476-1477), après avoir brisé au siècle précédent le joug de la domination autrichienne.

    Dans une autre épître composée en 1736, et adressée à la marquise du Châtelet (1706-1749), qui avait entre autres travaux scientifiques publié une traduction du principal ouvrage de Newton 1642-1727), Principes mathématiques de la philosophie naturelle, Voltaire aborde ce que l’on pourrait appeler la « philosophie de Newton ».  Il fait allusion à la théorie de la gravitation universelle, mais aussi à la gravitation qu’il appelle « l’âme de la nature », et, en parlant de « la robe étincelante », de la découverte de la décomposition de la lumière du soleil en sept couleurs simples. Peu après il reprendra  l’explication donnée par Newton sur le phénomène des marées, notamment le flux qui est causé par l’attraction de la lune et du soleil sur les eaux de la mer, avec l’eau qui cesse de monter  lorsque l’attraction de la lune et du soleil est égale au poids de cette eau, c’est-à-dire à l’attraction de la terre, ce que Voltaire traduit ainsi : « La mer entend sa voix. Je vois l’humide empire/ S’élever, s’avancer vers le ciel qui l’attire;/  Mais un pouvoir central arrête ses efforts:/ La mer tombe, s’affaisse et roule vers ses bords ». Bref, en lisant cette épître on apprend beaucoup de choses, certes bien connues des scientifiques, mais tellement éloignées des préoccupations du citoyen ordinaire. Cela est valable aussi pour  le phénomène des comètes, mais aussi pour les lois du mouvement de la lune ou la précession des équinoxes, ce que Voltaire traduit à sa façon…en nous obligeant à étudier de plus près tous ces phénomènes.

    Examinons à présent le passage de l’Henriade sur l’Angleterre, un pays que Voltaire (comme Montesquieu) a beaucoup admiré pour ses mœurs libérales, au vrai sens du terme, et son gouvernement constitutionnel. Rappelons que Voltaire, exilé dans ce royaume quand il publia sa Henriade (1728), traduit les éloges qu’il lui décerne, comme dans nombre de ses ouvrages de la même période (1728-1734), en critiques du gouvernement, des mœurs et des préjugés français. A propos de Français, Voltaire évoque Henri IV, le héros du poème, qui est allé demander du secours à la reine d’Angleterre, Elisabeth, secours que d’ailleurs il n’obtint pas réellement  dans les négociations sur la paix de Vervins entre la France et l’Espagne (1598). Fermons la parenthèse, pour noter que Voltaire était aussi très réaliste sur la société anglaise, faisant le constat que « l’éternel abus de tant de sages lois fit longtemps le malheur des peuples et des rois ». Pour mémoire il faut rappeler que la grande charte, fondement des libertés anglaises depuis 1215, n’empêcha pas la guerre civile d’éclater à plusieurs reprises en Angleterre. La guerre des Deux-Roses notamment, qui opposa de 1450 à 1485 deux branches des Plantagenêts, remplit une grande partie de la seconde moitié du quinzième siècle.

    Toujours dans La Henriade, on découvre une autre face de l’admiration de Voltaire pour l’Angleterre, à savoir son activité commerciale, et l’estime dans laquelle on y tenait les commerçants. A noter que Voltaire a consacré au commerce anglais la dixième de ses Lettres philosophiques (publiées en 1734), et qu’il dédia sa Zaïre (1732) à M. Falkener, « marchand anglais ». A ce propos dans la pensée de Voltaire, cette activité commerciale n’empêche pas l’Angleterre d’être en même temps la nation où les arts sont les plus honorés, et la première aussi par les succès guerriers. On comprend également qu’en feignant de peindre ce pays au temps d’Elisabeth, c’est surtout à l’Angleterre de son époque qu’il pense et qu’il veut rendre hommage, comme en témoignent ces vers : « Aux murs de Westminster, on voit paraître ensemble/Trois pouvoirs étonnés du nœud qui les rassemble,/Les députés du peuple, et les grands, et le roi,/ Divisés d’intérêts, réunis par la loi ;/ Tous trois membres sacrés de ce corps invincible,/ Dangereux à lui-même, à ses voisins terribles ». Quelques vers plus loin, quelque peu obséquieux, il en profite pour faire un éloge délicat du roi régnant à cette époque, Georges II, célèbre pour les conflits qui l’opposèrent à son père, Georges 1er.

    Enfin, toujours dans ce registre, on peut citer dans les Poésies mêlées, des vers adressés (en 1743) à la Princesse Ulrique de Prusse, sœur de Frédéric II, mariée en 1744 à Adolphe-Frédéric qui devint roi de Suède en 1751, qui peuvent passer pour le modèle du madrigal : « Souvent un peu de vérité/ Se mêle au plus grossier mensonge :/ Cette nuit, dans l’erreur d’un songe,/ Au rang des rois j’étais monté ;/ Je vous aimais, princesse, et j’osais vous le dire !/ Les dieux, à mon réveil, ne m’ont pas tout ôté:/ Je n’ai perdu que mon empire ».  A noter que Frédéric II, lui-même écrivain, (Anti-Machiavel très prisé de Voltaire), poète et musicien,  fit une réponse impolie  à ce madrigal, symbole d’une certaine manière des relations compliquées entre les deux hommes, au point que Voltaire fut emprisonné quelque temps à Francfort (1753), sans pour autant que la rupture soit consommée entre le monarque et le philosophe, puisqu’après s’être installé en Suisse, Voltaire reprendra sa correspondance avec le roi de Prusse.

    Michel Escatafal

     

  • Voltaire était le meilleur ou parmi les tous meilleurs dans tous les genres littéraires

    littérature,histoireAujourd’hui je vais évoquer un auteur dont on dirait de nos jours qu’il figure parmi les « monstres sacrés » de la prose comme de la poésie.  Il y a tant à dire sur cet écrivain qu’on ne peut pas se contenter de faire un résumé de sa vie, ni de son œuvre littéraire. Pour autant je vais essayer de retenir l’essentiel de François-Marie Arouet, né à Paris le 20 novembre 1694, qui prit le nom de Voltaire. Déjà il faut noter qu’il commença très tôt à faire des vers de qualité, à l’époque où il était élève au collège Louis-le-Grand. Il fut aussi, très jeune, secrétaire de l’ambassadeur de France aux Pays-Bas, poste qu’il occupa peu de temps, préférant revenir à Paris, où il fréquenta beaucoup la société du Temple. Pour mémoire on désigne sous ce nom le groupe d’écrivains et de gens du monde qui se réunissaient, pour y parler librement de toute chose, chez Philippe de Vendôme, grand prieur de France, dont l’hôtel était situé dans l’enclos du Temple.

    Soupçonné par deux fois d’avoir publié une satire politique, il fut d’abord exilé à Sully-sur-Loire, puis enfermé à la Bastille (1718). Cette même année il fit représenter son Œdipe, qui renouvelait jusqu’à un certain point le type de la tragédie classique. Lorsqu’à la suite d’une affaire pénible, Voltaire, outragé par le chevalier de Rohan-Chabot, fut arbitrairement obligé de quitter la France et de passer en Angleterre (1726), il mit ce nouvel exil à profit pour étudier les mœurs, la philosophie et la littérature des Anglais. Quand il revint à Paris (1729), un an après la publication de son poème épique la Henriade, il y rapportait, outre l’ébauche d’une tragédie de Brutus (1730), qui est l’une de ses plus fières inspirations, ses Lettres philosophiques ou Lettres sur les Anglais, dont la forme est si agréable et le fond si riche (1734). L’Histoire de Charles XII, cette brillante et exacte monographie, la tragédie de Zaïre, son chef d’œuvre dramatique, sont du même temps (1731-1732).

    Des inimitiés puissantes, que des œuvres comme le Temple du goût, cette  piquante critique de tant d’écrivains médiocres, n’étaient pas faites pour apaiser, forcèrent encore Voltaire à quitter Paris : de 1734 à 1749, il demeure pour la plupart du temps à Cirey, en Champagne, chez Madame du Chatelet, et produit alors les tragédies de la Mort de César (1735), d’Alzire (1736),  de Mahomet (1741), de Mérope (1743), que devaient suivre plus tard l’Orphelin de la Chine (1755) et Tancrède (1760), sans oublier  les Discours sur l’homme (1734-1737) en vers,  et un grand nombre d’épîtres, d’odes et de fantaisies diverses. Tout cela lui vaudra d’entrer à l’Académie française en 1746.

    En 1752, pendant un séjour à la cour du roi de Prusse, qui fut plus agité et qui se termina plus tôt que Voltaire ne l’eût pensé et souhaité (1750-1753), il publia, outre son Poème sur la Loi naturelle, le Siècle de Louis XIV. Ce livre célèbre se rattache à cette histoire universelle des temps modernes, histoire des progrès de la civilisation depuis le neuvième jusqu’au milieu du dix-septième siècle, à laquelle Voltaire donna le titre d’Essai sur l’esprit et les mœurs des nations (1758), et qui serait une œuvre de premier ordre, si le souci de faire servir le récit des faits à la démonstration d’une thèse y était moins apparent. Plus tard devaient paraître l’Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand (1759-1763) et  le Précis du siècle de Louis XV (1768).

    Quand à partir de 1770, Voltaire s’est fixé dans sa terre de Ferney, autour de laquelle il s’occupe efficacement, pour le bonheur des habitants de tout ce pays, de relever l’agriculture et l’industre, il est véritablement roi, roi de la pensée en Europe : les savants, les hommes de lettres, les grands seigneurs, les souverains de tous les pays correspondent avec lui. En outre, il élève victorieusement la voix dans toutes les affaires qui passionnent l’opinion publique. Enfin les lettres, les traités, les opuscules satiriques et philosophiques, les romans, les poésies légères, madrigaux, épigrammes, les satires mordantes, les épîtres pleines de finesse et d’élévation se multiplient sous sa plume, et son théâtre s’accroit encore d’un grand nombre de productions nouvelles.

    On sait que la sixième représentation de sa dernière tragédie, Irène, fut pour les Parisiens l’occasion de le faire assister vivant à sa propre apothéose (31 mars 1778). Il mourut un peu plus de trois mois après être rentré à Paris, dans la nuit du 30 au 31 mai 1778, laissant l’exemple d’une activité intellectuelle qu’on ne retrouve au même degré  chez aucun autre écrivain, pas même chez un Cicéron, un Bossuet ou un Goethe. Mais gardons-nous de croire que l’universalité de son esprit et de ses aptitudes soit son seul titre de gloire. La multiplicité seule des ouvrages de Voltaire nuit à leur popularité. La vérité c’est que nul, à l’exception de Corneille et Racine, ne peut lui être préféré dans la tragédie, que sa Henriade même est supérieure à tout ce que notre littérature classique a produit dans le genre épique, que si certains l’égalent, nul ne le dépasse dans la satire et dans l’épître, qu’enfin comme prosateur il est aussi grand que Bossuet, auquel d’ailleurs il ne ressemble en rien.

    Les narrations  de ses ouvrages historiques, ses Lettres sur les Anglais, quelques-uns de ses opuscules satiriques ou philosophiques, et, par-dessus-tout, ses romans et sa correspondance sont d’inimitables chefs d’œuvre. Enfin, sans parler de tant d’idées neuves en littérature, et sans chercher à le défendre contre les reproches trop souvent mérités de servilité, de mesquinerie, de fourberie même et d’impudence, sans refuser de déplorer, avec tous les bons esprits, la légèreté et l’injustice de ses attaques contre les croyances religieuses, il faut lui laisser la gloire suprême d’avoir , quoi qu’on en ait dit, passionnément aimé l’humanité et contribué, plus que personne, à répandre dans le monde quelques-uns des principes fondamentaux sur lesquels repose la société moderne.

    Michel Escatafal

     

  • La littérature au siècle d’Auguste

    littérature,histoire,romeLa littérature au siècle d’Auguste représente le moment où elle atteint sa maturité, grâce à un ensemble de circonstances favorables qui permit aux écrivains de profiter pleinement du long travail de préparation qui s’était accompli aux époques antérieures. Cela me fait un peu penser à ce qui s’est passé en France au dix-septième siècle, époque ô combien dorée dans l’histoire de la littérature de notre pays.

    Après les dernières années de la République à Rome, pendant lesquelles l’activité politique avait été tendue à l’extrême, le calme était devenu une nécessité, comme à la fin de chaque période où règnent le  conflit violent des idées, des intérêts et des passions. Les révolutions, en effet, sont pareilles aux flots qui ne fécondent le sol que lorsqu’ils s’en sont retirés. Ainsi, à ce moment de l’histoire romaine, la littérature s’est surtout attachée à ce qu’il y avait de plus général, étudiant l’homme dans ce qu’il a de permanent, ses créations acquérant le caractère d’intérêt éternel, qui est la marque des œuvres classiques.

    C’est d’ailleurs dans ce contexte que les Romains, ayant avant tout besoin de calme, ont souhaité et accepté  volontiers un pouvoir fort leur garantissant le repos, pour peu que celui-ci soit relativement modéré, ce qui n’était  pas nécessairement antinomique à cette époque. C’est ce que comprit Auguste qui,  bien qu’exerçant un pouvoir absolu, l’exerça avec une certaine mesure, au moins pendant les premières années de son long règne (27 av. J. C. à  14). Et cette modération s’étendit des choses du gouvernement à celles de l’esprit, avec des écrivains qui, se trouvant indépendants, mirent dans toutes leurs conceptions un heureux et harmonieux équilibre.

    Auguste eut même l’habileté de laisser au peuple romain l’illusion que la perte de sa souveraineté ne coûtait rien à son orgueil.  Il sut conserver les formes républicaines, allant même jusqu’à laisser croire que l’empire naissant était le vrai restaurateur de la république. Dans ce cadre, il marqua nettement son désir de respecter les traditions du passé, rendant sans cesse hommage au génie et aux vertus de la civilisation romaine. Cela ne l’empêcha pas de rendre plus visible la grandeur de Rome, maîtresse de l’univers connu à l’époque, par la construction de superbes édifices, comme le théâtre de Marcellus, le Panthéon d’Agrippa, le temple d’Apollon Palatin, sans parler de l’ouverture de magnifiques promenades qui donnaient à la ville un aspect digne de la capitale du monde.

    Dans un tel cadre, l’inspiration patriotique ne manquait pas aux grands artistes, ces derniers célébrant le passé pour mieux préparer l’avenir éclatant qui se préparait. Les écrivains furent ainsi les grands bénéficiaires de cette paix publique, qui leur assurait à la fois leur entrée dans la postérité et le public, pour récompenser au présent la qualité de leurs travaux. Les Romains en effet, se désintéressant de plus en plus de la politique, finirent par se passionner pour la littérature, du moins dans les hautes classes de la société, qui appréciaient d’autant plus de se livrer au plaisir des arts qu’elles étaient  réduites à l’inaction civique.

    Auguste traitait les grands écrivains, Virgile, Horace, Tite-Live, avec une familiarité spirituelle et affectueuse. Mécène (70-8 av. J.C.), très proche d’Auguste qui était aussi l’amant de sa femme,  réunit autour de lui une sorte d’académie de beaux-esprits où l’on cherchait à découvrir et à recommander le mérite. Ce surintendant des beaux-arts allait ainsi regrouper les talents autour du pouvoir. Quant aux aristocrates, y compris ceux qui sont méfiants vis-à-vis du nouveau régime, ils croient s’honorer en imitant la faveur que le nouvel homme fort témoigne aux lettres. Simplement ils étaient peut-être encore plus exigeants en termes de qualité que les autres. Bref, il fallait pour  plaire à tout ce joli monde, ce qu’on nommait à Rome l’urbanité.

    Avec eux « il faut que la précision donne des ailes à la pensée, pour qu’elle ne s’empêtre pas dans un verbiage dont l’oreille se fatigue ; il faut savoir passer du sévère au gracieux, se montrer tantôt orateur, tantôt poète, et quelquefois avec le tact d’un homme du monde, ménager ses forces et en cacher à dessein la moitié » ( Horace, Satires, 1,10). Dit autrement, ce que réclame un tel public, c’est surtout le soin, la justesse, la souplesse, la variété, le goût en un mot, et ce sont ces qualités en effet que les grands écrivains de cette époque possédèrent en perfection.

    Toutefois ce moment de grâce si brillant fut finalement très court et, très vite, on commença à déceler les premiers symptômes de quelques uns des défauts qui marquent le déclin des lettres latines. Tout d’abord, faute de vie et de réelles discussions, l’éloquence du Forum ne pouvait survivre, même si le goût des Romains pour la parole vivante continuait à maintenir, ça et là, des écoles où la jeunesse pouvait se livrer à des exercices oratoires. On y apprenait à partir d’un fait imaginaire à discuter et à appliquer un texte de loi, ces controverses (comme on les appelait) préparant au barreau. On faisait même débattre des questions politiques…empruntées à l’histoire (suasoriae), la déclamation devenant de l’art pour l’art.

    Mais il n’y avait pas que des jeunes gens pour se livrer à ces exercices, car pour certains c’était devenu une profession où la subtilité côtoyait l’emphase. Parmi ceux-ci il faut citer  Asinius Pollion (76 av. J.C.- 4 de notre ère), à la fois orateur, historien et poète, Albucius Silus (60 av. J.C.-10 de notre ère), écrivain-déclamateur, mais aussi Porcius Latro, originaire de Cordoue comme le père de Sénèque (60 av. J.C.-39 de notre ère), les deux hommes ayant terminé leurs études à Rome sous la direction d’un de leurs compatriotes, Marullus, qui tenait une école de rhétorique.

    Ensuite, avec Horace et Virgile, la poésie donna des modèles accomplis, mais elle se ressentait du divorce de plus en plus grand entre la plèbe et les classes supérieures, déjà perçu dès l’époque précédente.  Le peuple n’était plus que la populace, et les genres populaires disparaissaient presque entièrement. Il n’y avait plus de théâtre, et le mime cède alors la place à la pantomime, qui n’était rien d’autre qu’un spectacle. Quant aux tragédies, elles ne se font tolérer qu’au prix d’un grand déploiement de mise en scène. Horace en avertit ses lecteurs, en affirmant « qu’on ne va plus au théâtre pour charmer les oreilles, mais pour n’y goûter que le plaisir des yeux ». Quand aux œuvres qui s’adressent au public distingué, la plupart laissent voir qu’elles sont faites pour un public restreint, donc pour une élite. Résultat, elles s’arrêtent au cénacle et à la coterie.

    Conclusion, les artistes n’écrivent plus que pour des petits groupes qui ont leurs engouements et leurs manies, recherchant avant tout les habiletés de métier ou les tours d’adresse, qui seront applaudis par les cercles d’amateurs. Or, si l’on en croit Horace, le goût pour les vers dégénéra assez vite en métromanie, et la sincérité du goût se perdit dans ce milieu devenu très artificiel, où on ne lisait plus que des poèmes devant un auditoire choisi et, disons-le, conquis d’avance. On retrouve l’influence fâcheuse de ces lectures publiques, comme on les appelait, non seulement chez des auteurs de second ordre, mais aussi chez Ovide.

    En contrepartie, elles ont permis aux auteurs de s’affranchir de l’arbitraire et même de la tyrannie des libraires, si l’on en croit Juvénal dans ses Satires, et d’échapper au contrôle de la production littéraire, car les successeurs d’Auguste n’ont pas eu tous la sagesse dont ce dernier a fait preuve pendant la première partie de son règne. D’ailleurs Sénèque (2-65), le philosophe, mais aussi Tacite (35-120) et Juvénal (42-125), ont attesté de la vitalité de la littérature latine grâce à ces lectures publiques.

    Michel Escatafal

  • Le théâtre de Racine : le modèle le plus accompli de la tragédie française classique

    racine.jpgNé le 21 décembre 1639 à la Ferté-Milon (Aisne),  élevé en partie à Port-Royal, et destiné d’abord à la théologie, Jean Racine est le troisième monstre sacré du théâtre au dix-septième siècle, avec Molière et Corneille. Pourtant sa carrière commença bien mal puisqu’il fit représenter, en 1664, une première et médiocre tragédie, la Thébaïde, ou les Frères ennemis. La seconde, Alexandre (1665), fut déjà nettement meilleure. Puis Il faudra attendre Andromaque (1667) pour qu’enfin son génie se révèle dans toute sa splendeur. Ensuite viendront l’amusante comédie des Plaideurs (1668) ce qui témoigne de son éclectisme, et six tragédies qui sont autant de chefs d’œuvre : Britannicus (1669), Bérénice (1670), Bajazet (1672), Mithridate (1673), Iphigénie en Aulide (1674), Phèdre (1677).

    A cette époque, lassé des attaques de ses adversaires, de plus en plus préoccupé de son salut et de ce qu’il doit à Dieu, se consacrant aussi aux devoirs  nouveaux que lui crée son mariage (1677) après une vie dissolue jusque-là, plus le cœur qu’il met dans sa charge d’historiographe du roi, l’accompagnant dans toutes ses campagnes, il renonce au théâtre. Toutefois, cédant aux supplications de Madame de Maintenon, il fait représenter à Saint-Cyr, Esther (1689), et dans les appartements du roi, Athalie (1691), la plus originale de ses productions. A ce propos, plus généralement, le théâtre de Racine nous offre le modèle le plus accompli de la tragédie française classique, et l’on chercherait vainement quelle sorte de mérite a manqué à ce grand homme. Tout y était : propriété du style, souplesse de la versification, juste ordonnance d’une intrigue naissant du choc même des passions, mais aussi naturel et profondeur dans la peinture des caractères les plus complexes.

    Les chœurs d’Esther et d’Athalie, ainsi que les quatre Cantiques spirituels qu’il publia en 1694, assurent encore à Racine  un rang élevé parmi les poètes lyriques de la France. Ses épigrammes, ainsi que quelques uns de ses écrits en prose, décèlent l’esprit le plus fin, le plus aiguisé, parfois aussi le plus mordant, notamment vis-à-vis des Messieurs de Port-Royal, ces derniers ne louant que leurs amis et n’ayant de cesse de critiquer leurs ennemis au mépris de la vérité, sans oublier ses railleries cruelles à l’égard des magistrats dans les Plaideurs.  Bref, Racine était un génie de la littérature et du théâtre, ce qui lui permit, avec Boileau, d’être nommé historiographe du roi  (1677) sur proposition de la marquise de Montespan (maîtresse du roi) et sa sœur, Madame de Thianges. Cette nomination lui valut de nombreuses inimitiés, dont celle de Madame de Sévigné qui soutenait plutôt son cousin pour accomplir cette mission.

    Dans ce cadre il  s’était occupé d’amasser pendant des années des matériaux pour écrire l’histoire du règne de Louis XIV. Hélas, à l’exception de quelques fragments, tout périt dans l’incendie de la maison que Valincour, son successeur comme historiographe, possédait à Saint-Cloud (1726). Cet accident était d’autant plus fâcheux que les travaux de Racine avaient une haute valeur historique, même si certains lui avaient reproché de faire la part trop belle à son grand roi, ce en quoi ils avaient tort, car Racine s’était aussi plu à faire ressortir les belles actions des simples soldats, éternels oubliés après les combats. Racine mourut le 22 avril 1699 et fut enterré à Port-Royal.

    Parmi les écrits en prose de Racine, il y en a un qui retient particulièrement l’attention, le Discours prononcé dans l’Académie française le 2 janvier 1685, dans lequel Racine répond en qualité de directeur de l’Académie française au discours de réception de Thomas Corneille, élu en remplacement de son frère, et lui-même auteur d’un grand nombre de tragédies, dont les plus connues sont Ariane et le Comte d’Essex. Dans ce discours,  Racine fait ressortir les grandes qualités de Corneille, notamment celle consistant pour les auteurs s’inspirant de l’espagnol, d’avoir su prêter à des personnages héroïques un langage et des sentiments naturels. Il en profitera aussi, à travers son compliment à l’auteur du Cid, pour flatter une nouvelle fois Louis XIV qu’il appelle Louis le Grand, par une phrase admirable dont il avait le secret : « La France se souviendra avec plaisir que, sous le règne du plus grand de ses rois, a fleuri le plus grand de ses poètes ».

    Un dernier mot enfin pour souligner la chance que j’ai eue d’avoir des professeurs de français qui aimaient Racine, et qui m’ont fait découvrir à travers les pièces que nous étudions la diversité de son théâtre. Dans Bérénice, nous sommes en présence d’une pièce qui est d’abord une élégie sentimentale et romanesque. La séparation forcée de deux amoureux est toujours triste, comme en témoignent les larmes des deux héros, mais ce n’est pas pour autant un spectacle tragique. Dans Andromaque et Iphigénie Racine apparaît comme le poète de la passion et de ses désordres, ce qui n’empêche pas ses héros d’exprimer avec une touchante délicatesse les plus nobles sentiments du cœur. Dans Phèdre, la passion va au-delà de l’entendement et devient une folie qui provoque les pires catastrophes. En fait le poète est remarquable parce qu’il est capable de pénétrer jusqu’aux dernières divisions de la conscience.

    Michel Escatafal