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Vauvenargues, "stoïcien à lier"

littérature et histoireLuc de Clapiers, marquis de Vauvenargues, né à Aix en Provence le 5 août 1715, mourut à Paris le 28 mai 1747. Forcé par sa mauvaise santé de quitter l’état militaire, dans lequel il s’était cependant distingué, il se consacra tout entier aux lettres, après avoir vainement tenté d’entrer dans la diplomatie. L’œuvre de Vauvenargues est marquée du même caractère de mélancolie et de fierté stoïcienne que sa courte vie. C’est par là que son Introduction à la connaissance de l’esprit humain,  ses Réflexions et maximes, ses Caractères et ses autres opuscules ont mérité l’attention et l’estime des contemporains et de la postérité, même si son style n’a pas l’éclat de celui de La Bruyère, ni la forte concision de celui de La Rochefoucauld.

Dans un Essai sur quelques caractères,  j’ai plus particulièrement relevé celui de Clazomène ou la vertu malheureuse, caractère où Vauvenargues pensait à sa propre destinée. On y découvre que « Clazomène a fait l’expérience de toutes les misères humaines ». Et de fait, ce pauvre Clazomène a connu nombre de maladies qui ont gâché sa jeunesse, mais aussi la disgrâce de ceux qu’il aimait, ce qui l’a sans doute conduit à « commettre des fautes irréparables ». Et quand il lui semblait que la fortune allait peut-être lui sourire un peu, la mort l’a surpris avant même qu’il ait pu « payer ses dettes » et « sauver sa vertu de cette tâche ». Bref une destinée cruelle, ce qui n’empêche pas qu’il n’aurait pour rien au monde échangé sa misère pour « la prospérité des hommes faibles ». Tout Vauvenargues était dans cette phrase.

J’ai aussi relevé quelques réflexions et maximes qui vont toutes dans ce sens. Parmi celles-ci il y en a quatre que je vais citer :

La servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer

Les grandes pensées viennent du cœur

La magnanimité ne doit pas compte à la prudence de ses motifs

On ne fait pas beaucoup de grandes choses par conseil

A noter que ce mot « conseil » doit être pris au sens de dessein prémédité, sens latin du mot, très usité au dix-septième et au dix-huitième siècle.  La grandeur d’âme de Vauvenargues se décelait, dès sa jeunesse, dans son goût pour les ouvrages de Plutarque et les écrits des stoïciens. Dans une lettre célèbre (22 mai 1740) au marquis de Mirabeau, son cousin et le père du grand orateur, il écrit ceci : « Les Vies de Plutarque sont  une lecture touchante ; j’en étais fou ; le génie et la vertu ne sont nulle part mieux peints…L’on ne mesure bien, d’ailleurs, la force et l’étendue de l’esprit et du cœur humains que dans ces siècles fortunés ; la liberté découvre, jusque dans l’excès du crime, la vraie grandeur de notre âme…Pour moi, je pleurais de joie lorsque je lisais ces Vies ; je ne passais point de nuit sans parler à Alcibiade, Agésilas et autres ; j’allais dans la place de Rome pour haranguer avec les Gracques, et pour défendre Caton, quand on lui jetait des pierres…Il me tomba, en même temps, un Sénèque dans les mains, je ne sais par quel hasard ; puis, des lettres de Brutus à Cicéron, dans le temps qu’il était en Grèce, après la mort de César : ces lettres sont si remplies de hauteur, d’élévation, de passion et de courage, qu’il m’était bien impossible de les lire de sang-froid ; je mêlais ces trois lectures, et j’en étais si ému, que je ne contenais plus ce qu’elles mettaient en moi ; j’étouffais, je quittais mes livres, et je sortais comme un homme en fureur, pour faire plusieurs fois le tour d’une assez longue terrasse, en courant de toute ma force, jusqu’à ce que la lassitude mît fin à la convulsion. C’est là ce qui m’a donné cet air de philosophie qu’on dit que je conserve encore ; car je devins stoïcien de la meilleure foi du monde, mais stoïcien à lier ; j’aurais voulu qu’il m’arrivât quelque infortune remarquable pour déchirer mes entrailles, comme ce fou de Caton qui fut si fidèle à sa secte ».

Je crois que cette magnifique lettre se suffit à elle-même, bien que je ne fasse pas partie de ceux qui trouvaient un énorme courage à des gens comme Brutus ou Cicéron. D’ailleurs Brutus ne représente-t-il pas un personnage ambitieux, avide d’action, mais au final déçu et frustré de n’avoir jamais réussi dans sa quête de la gloire. En outre, qu’est-ce que la postérité a retenu de Brutus à part les Ides de Mars ? A ce propos, on peut relever que Vauvenargues semble considérer que ce qu’a fait Brutus ne relève pas de la bassesse. Cela étant, Vauvenargues met au dessus de la raison qui calcule, le cœur qui va spontanément au bien, ce qui traduit un certain mysticisme, ce qu’on ne peut attribuer à Brutus et pas davantage à Cicéron.

Michel Escatafal

 

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