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littérature - Page 9

  • Ovide : sa vie, son œuvre

    Ovide, né en mars 43 av. J.C. à Sulmone, surnommé Naso en raison de son nez proéminent, était d’une bonne famille, ce dont il faisait d’ailleurs assez bon marché : « Je possède, si l’on peut compter cela pour un avantage, un rang de chevalier, non par une faveur de la fortune, mais à titre d’héritier d’une race antique qui l’a possédé avant moi ». Sulmone, son pays natal, fut à l’en croire, un aimable coin de terre : « Quoique les rayons plus rapprochés du soleil y fendent le sol…les ruisseaux qui coulent au milieu des herbes toujours nouvelles couvrent cette terre ainsi rafraîchie d’un épais tapis de verdure ». Sa jeunesse ne connut ni difficulté, ni grandes émotions ; il voulait être poète, son père l’en détournait. Mais il ne contraignait pas très fort la vocation de son fils, puisqu’Ovide reçut la meilleure éducation, alla à l’école chez les maîtres les plus renommés, le rhéteur Arellius Fuscus, Porcius Latro, etc.

    Par respect sans doute pour des convenances de famille, il entra un moment dans les charges publiques : « Je fus, nous dit-il, créé triumvir ». Il y fit bonne figure, malgré son amour des loisirs et des vers. Toutefois, une fois cette satisfaction donnée à son père, il pensa qu’il était quitte envers lui et ne voulut pas aller jusqu’à la dignité sénatoriale : « ce fardeau excédait la mesure de mes forces », et, devenu résolument poète, il vécut avec les poètes Properce, Horace, Tibulle, lesquels plus âgés que lui firent bon accueil à cet aimable débutant.

    Il dut ses premiers succès, très prompts et très vifs, à des poésies érotiques. Pendant vingt-cinq ans tout lui sourit, la mode l’ayant adopté. Goûté des mondains, qui recherchaient l’homme autant qu’ils applaudissaient le poète, la faveur du public ne lui manquait pas : il était lu, nous dit-il, dans le monde entier. Pouvait-il, ainsi porté par la vogue, ne pas hausser son ambition ? Passé la quarantième année, lui convenait-il de s’attarder dans la poésie badine ? Il voulut donc élever le ton, et décida d’entreprendre ses poèmes des Métamorphoses et des Fastes. C’est alors qu’une mystérieuse disgrâce vint bouleverser cette existence jusque-là si aisée et si souriante. Ovide se vit (an 8), par ordre de l’empereur, condamnée à la « rélégation », c’est–à-dire au bannissement sans confiscation de ses biens.

    Quelle fut la cause de cette catastrophe ? Ovide ne s’est jamais  expliqué nettement à ce sujet. Ce fut d’ailleurs une belle occasion pour les commentateurs de faire des frais d’imagination, d’autant qu’on ne sut jamais réellement le motif de cette disgrâce, même si certains pensent que l’immoralité des premiers vers du poète avait indisposé Auguste. Dès lors il n’est pas étonnant ensuite que l’empereur ait pris occasion d’une imprudence, d’une indiscrétion, peut-être même d’un scandale auquel Ovide fut mêlé, pour le frapper.  Pour d’autres, au contraire, Ovide aurait assisté à une scène compromettante pour un membre de la famille de l’empereur. Dans le pays des Gètes, à Tomes (aujourd’hui Kustendjé) qui lui fut assigné comme résidence, le malheureux se consuma en regrets, et tant qu’Auguste vécut, il ne cessa de demander son rappel et allait peut-être l’obtenir, quand le vieil empereur mourut. L’exilé espéra contre toute espérance, flatta et supplia Tibère qui resta sourd, et il s’éteignit à soixante ans en 17 sans avoir pu revoir Rome, mourant dans ce « Pays du Pont, pays de galop et d'errance ». On n'a jamais retrouvé sa tombe.

    Ovide, qui avait une merveilleuse facilité, laissa une œuvre considérable. Il débuta par trois livres d’élégies intitulées Amours, donna ensuite les Héroïdes, c’est-à-dire des lettres écrites par des femmes, Pénélope, Briséis, Laodamie, etc., à des héros de la mythologie antique, puis l’Art d’aimer, les Cosmétiques. Vinrent ensuite les Métamorphoses. Dans les quinze livres qui composent le poème, se déroulent depuis l’origine du monde jusqu’à l’apothéose de César toutes les fables sur les transformations « qui ont revêtu les corps de formes nouvelles ». En dédiant les Fastes à Germanicus, Ovide indique lui-même dès le début le sujet de l’ouvrage : « Je chanterai l’année romaine, ses divisions, leurs causes ; je dirai quand les constellations apparaissent, quand elles descendent  sous l’horizon ». C’est le calendrier romain, mis en vers. Les Fastes, qui dans le plan du poète devaient avoir douze livres, s’arrêtent au sixième : l’exil survint et l’empêcha de terminer cette tâche, comme de retoucher les Métamorphoses que, dit-on, il voulut brûler.

    En exil il écrivit les cinq livres des Tristes, où il se plaint des dangers qu’il a courus dans son voyage, de la rigueur du climat sous lequel il vit, où il supplie sa femme, une Fabia, d’intercéder pour lui, où il présente son apologie à Auguste. Les Pontiques, en quatre livres, renferment une série de lettres adressées à ses anciens amis et protecteurs et qui ne font guère que répéter avec davantage de langueur les doléances des Tristes. A ces heures douloureuses, Ovide, qui restait malgré tout un versificateur infatigable, décrivait les poissons de la Mer Noire dans les Halieutiques (qu’il n’acheva pas) et dirigeait contre un personnage resté inconnu une satire imitée du poète alexandrin Callimaque (310 -235 av. J.C.) et intitulée Ibis, comme l’original grec.

    Michel Escatafal

     

  • Properce : sa vie, son œuvre, son talent

    Plus jeune que Tibulle, plus âgé qu’Ovide, Properce qui, comme eux, écrivit des élégies, était d’origine ombrienne. On ne connaît pas la date exacte de sa naissance (vers 47-48 av. J.C.), mais il en décrit lui-même le lieu précis : « Ma patrie est dans un vallon que la brumeuse Mévanie humecte de ses rosées, sur lequel durant l’été le lac Omber épand ses tièdes ondes, et où l’on voit un mur surgir au sommet d’une colline escarpée ».Il perdit son père de bonne heure, pendant les guerres civiles, dit-on. « J’ai recueilli les os d’un père avant l’heure où j’eusse dû les recueillir ». En même temps il fut ruiné : « Mon héritage fut restreint à bien peu de choses ». Un vétéran s’en était emparé : « Pendant que de nombreux taureaux retournaient la glèbe de mes champs si bien cultivés, la perche d’un barbare les mesurait et me les enleva ».

    Venu à Rome, ses débuts poétiques furent précoces : « Bientôt lorsque ma mère détachant de mon cou la bulle d’or m’eut revêtu devant les dieux de la toge qui donne la liberté, Apollon me dicta ses premières leçons ». La réputation ne se fit pas attendre, son recueil intitulé Cynthie ayant un grand succès. Désigné à l’attention de Mécène, Properce se vit bientôt admis dans sa maison des Esquilies et prit place dans le groupe de poètes dont s’entourait le favori d’Auguste, Horace, Virgile, Tibulle, Ovide. A noter qu’Horace, si lié avec Tibulle, ne paraît pas l’avoir goûté, au contraire de Virgile, car Properce annonçait magnifiquement l’Enéide , et dans une de ses élégies louait avec enthousiasme le poète des Eglogues et des Géorgiques. Pour Ovide surtout il semble avoir ressenti une vive amitié et faisait de lui son confident.

    On ne connaît nul évènement particulier dans la vie de Properce, qui se passa sans doute toute entière à Rome, sauf quelques voyages dans son pays natal. Un instant il projeta de partir pour Athènes : « Adieu, terre du Latium, adieu, mes amis…Je monterai le chemin de Thésée, entre ces deux murailles qui s’étendent comme de longs bras ». Mais rien ne montre qu’il ait exécuté ce projet. Sa santé d’ailleurs était délicate et la mort vint vite le prendre. Quand il mourut (vers 16 av. J.C.) il n’avait pas de beaucoup dépassé la trentième année.

    Son recueil, plus volumineux que celui de son prédécesseur, est aussi plus varié. Divisé en quatre livres, il contient un grand nombre d’élégies qui retracent l’éternel roman, les brouilles, les réconciliations et les infidélités suivies de pardon. Mais on y trouve aussi des pièces de ton et d’inspiration très différents. Quelques-unes sont de véritables satires morales où il condamne la corruption des mœurs de son temps, l’amour des richesses et du luxe. D’autres prennent pour sujets des évènements contemporains, la mort très jeune de Marcellus (en 23 av. J.C. à l’âge de dix-neuf ans), qui était le fils aîné d’Octavie, la soeur d’Auguste, mais aussi les préparatifs d’une expédition de l’empereur dans l’Inde. D’autres enfin, surtout les dernières, célèbrent des légendes religieuses et nationales, le dieu Vertumne, Hercule Sancus, Jupiter Férétrien, l’aventure de Tarpéia.

    Si l’on examine à présent le talent de Properce, il s’en faut de beaucoup que son goût soit aussi simple et aussi juste que celui de Tibulle. Disciple des alexandrins, il leur fait ses dévotions. « Mânes de Callimaque, ombre de Philétas, s’écrie-t-il, permettez, je vous en conjure, que j’entre dans vos bocages » ! Et, trop pieusement, il suit leurs traces en multipliant les comparaisons et les épisodes mythologiques. Ce procédé pédant fatigue le lecteur.

    Mais si l’on ne se laisse pas rebuter, on s’aperçoit qu’il y a dans Properce une poésie d’un accent bien personnel. L’histoire de sa passion pour Cynthie est banale. Ce qui ne l’est point, c’est cette passion même. Il aime dans cette femme non seulement sa beauté, mais surtout son esprit. « Ce n’est point son front, tout pur qu’il est, qui m’a séduit…ce ne sont pas non plus ses cheveux qui ondoient…ce qui me ravit, c’est comme elle chante, lorsque saisissant l’archet d’Eolie, elle essaie de doctes airs sur sa lyre rivale de celle des Muses. Ses vers alors l’emportent sur ceux de l’antique Corinne, et Erinna ne prétendrait pas que les siens pussent leur être comparés ».

    Voilà un sentiment de qualité rare chez les anciens. Plus rare encore le besoin d’aimer d’un amour éternel, de ne connaître qu’une affection unique. Il n’a jamais chanté que Cynthie : « Elle fut aimée la première, elle sera la dernière aimée ». Et souvent reviennent, dans ses vers, des traits qui montrent qu’il ne comprend pas qu’on puisse cesser d’aimer ce qu’on a aimé une fois : « Celui seul sera heureux qui, esclave à jamais de son amante, n’aura jamais son cœur vide de son image ». Sentir ainsi, au milieu de cette société légère et galante où vécut Properce, n’était point d’une âme commune.

    Cette passion forte et sérieuse dut surprendre ses contemporains. Elle nous intéresse et nous touche plus encore, et sauve ces vers de l’ennui qui trop souvent naît d’un genre dont on a dit : « La poésie érotique n’est pas l’enfance, mais l’enfantillage de la poésie ». Quelquefois aussi, au milieu de ses protestations de tendresse, passe la pensée de la mort, mais il ne songe pas comme les épicuriens à mieux jouir des heures brèves qu’elle nous laisse. Il n’éprouve pas comme Tibulle une douce mélancolie, mais il ressent une âpre satisfaction à penser que, dans la mort du moins, l’amour ne connaît ni partage, ni terme. Dans une de ses élégies il feint que l’ombre de Cynthie lui apparaît en songe, et voici les dernières paroles qu’elle lui adresse : « Bientôt tu seras à moi seule, tu seras à moi pour toujours, et nos os confondus reposeront dans la même tombe ».

    Dans un genre frivole Properce mettait ainsi de la gravité et de la force. On a dès lors moins lieu de s’étonner qu’il ait songé à traiter des sujets d’allure épique. Déjà dans le livre deux, tout plein encore d’élégies amoureuses, on voit poindre cette ambition : «  Au printemps de la vie on chante les amours ; dans l’âge mûr, le tumulte des camps. Ainsi donc, après Cynthie, la guerre sera le sujet de mes vers ». L’âge mûr n’était pas encore venu, qu’il avait commencé à exécuter son dessein. Il racontait la trahison de Tarpéia avec une simplicité vigoureuse ; son récit de la lutte d’Hercule et de Cacus ne fait pas trop mauvaise figure à côté des beaux vers de Virgile sur le même sujet ; avec une couleur robuste et franche, il peignait la Rome primitive, au temps « où une trompe de bouvier convoquait les premiers citoyens à l’assemblée », et où le Sénat « composé d’une centaine de pâtres s’assemblait dans une prairie ». Et, dans un bel élan de patriotisme sincère, il s’écriait : « Oh, la meilleure des nourrices, louve de Mars, comme ils ont grandi ces remparts, nés des gouttes de ton lait » !

    En résumé dans l’œuvre incomplète et inégale de Properce, il y a donc de hautes et nobles qualités, et lorsqu’on songe qu’il mourut peu après sa trentième année, on se dit qu’il n’a pas rempli son mérite. Si la vie lui avait donné davantage de temps, sans doute s’inscrirait-il plus haut dans la postérité des grands poètes romains.

    Michel Escatafal

  • La vie et l’œuvre de Tibulle

    littérature,histoire,romeAvec Virgile nous avons vu la poésie pastorale, didactique et épique, puis avec Horace ce fut la poésie lyrique et didactique.  Reste à voir la poésie élégiaque avec Tibulle, Properce et Ovide. Qui était Tibulle ? C’était un ami d’Horace, dont il était voisin. Tibulle est né à Pédum (54 av. J.C.), ville située entre Tibur (où est mort Horace en 8 av. J.C.) et Préneste. De famille d’ordre équestre, il eut des débuts aisés et brillants dans la vie. « Les dieux, nous dit Horace, lui avaient donné la beauté, la richesse, et avec elle l’art d’en jouir…, le goût, le talent de bien dire, un esprit aimable et gracieux ».  Hélas pour Tibulle, les revers vinrent vite, les guerres civiles lui enlevant  une bonne partie de son patrimoine.

    C’est alors qu’il s’attacha à Valerius Messala Corvinus (64-8 av. J.C.), un grand seigneur qui, après avoir été républicain, s’était rallié à Auguste. Ce Corvinus était un homme d’esprit, qui eut une réputation de poète et d’orateur. Tibulle dut suivre son patron et guerroya avec lui en Aquitaine, malgré son horreur pour les combats, puis plus tard en Orient. Dans cette seconde expédition il tomba malade à Corcyre (aujourd’hui Corfou), et quand il revint en Italie il ne fit plus que languir. En vain, une fois à la retraite, à la campagne où il respirait « la vivace senteur des forêts », il essaya  de réparer sa constitution épuisée, mais il n’y parvint pas et mourut de consomption vers sa trente-cinquième année (19 av. J.C.).

    Cette vie si courte ne lui a pas permis d’écrire beaucoup. Dans le recueil de ses œuvres on fait figurer sous son nom ses Elégies, en réalité quatre livres d’élégies, mais il est hors de doute que les deux premiers seuls peuvent lui être attribués. Les seize pièces qui les composent nous racontent les amours du poète, les joies et les peines qu’ils lui ont données. Il a aimé passionnément Délie, qui l’a trahi. Il a cherché à l’oublier, et il a voulu aimer une autre femme, Némésis, tout en essayant de s’étourdir au milieu de la dissipation. Cela dit, même quand il chante ses désordres, la voix du poète a parfois un accent de tristesse qui laisse voir que sa blessure n’est pas guérie.

    Très lettré, Tibulle connaissait les élégies des poètes alexandrins, Philétas, Callimaque, et les autres. A ses débuts, il leur emprunta sans doute plus d’un procédé de développement et de versification. Mais lui, qu’Horace choisissait pour juge de ses écrits, ne pouvait manquer de sentir le ridicule de la galanterie érudite et prétentieuse qui dépare trop souvent l’élégie alexandrine. Il ne laissa donc pas entamer son originalité par ces modèles, alors si goûtés à Rome. L’élégie pour lui ne fut pas un pur jeu d’esprit, comme pour Ovide. Il y mettait son âme, car à ses yeux il y a dans l’amour autre chose que le plaisir. Il ne s’élève pas jusqu’à la pure tendresse, mais sa passion a des délicatesses bien rares de son temps.

    La réalité ne le contente pas, il cherche l’idéal, veut ennoblir l’objet de son amour, et ne demande pas seulement à Délie d’être belle, il la souhaiterait vertueuse : « Je t’en conjure, conserve ta pureté ; qu’une vieille servante soit toujours assise près de toi…qu’à la clarté de la lampe elle tire en longs fils le lin de sa quenouille épaisse, et que ma Délie, attachée non loin d’elle à de graves travaux, laisse, vaincue par le sommeil, tomber peu à peu l’ouvrage de ses doigts ». Ailleurs il fait le rêve d’emmener Délie à sa maison des champs et d’y vivre avec elle d’une vie solitaire, tranquille et laborieuse : « Je cultiverai mes champs, me disais-je, et ma Délie sera là pour veiller sur mes récoltes, tandis que par un soleil ardent on battra les épis sur l’aire ».

    La nature est en effet toujours voisine du cœur de Tibulle. Il en a goûté la douceur et le charme et l’a considérée comme un remède à la maladie d’amour. La vie rustique l’attire, et il aime les humbles divinités des champs : « Un pieux respect me saisit toujours près du tronc qui s’élève dans les campagnes désertes, près de la pierre antique où pendent dans les carrefours des guirlandes de fleurs ». Retrempée à cette source de vie, la poésie érotique, si souvent sèche dans les autres élégiaques latins, a parfois chez lui des accents d’une fraîcheur inattendue. Ajoutons que cette obscure maladie qui le mina lentement, lui inspira une sorte de tristesse vague et douce, assez semblable à la mélancolie virgilienne.

    Le sentiment de la mort toute voisine donne à ses vers, même lorsqu’il chante le plaisir, une teinte voilée, un accent pénétrant qui nous remue et nous charme en même temps. « Puissé-je, dit-il à Délie, quand sera venue ma dernière heure, reposer sur toi mes yeux, et te presser, en mourant, de ma main défaillante ! Tu pleureras, Délie, lorsqu’on m’aura placé sur le bûcher qui me consumera, et à tes larmes amères tu mêleras des baisers ». On imagine qu’il se voyait déjà dans cette situation, pour en parler comme s’il l’avait vécue ! L’inspiration de Tibulle n’est ni haute, ni variée, mais il a traduit des émotions vraies avec un art délicat et un accent sincère. Ce fut assez pour que les plus grands poètes de son époque l’aient goûté et aimé, c’est assez encore pour que nous lisions ses vers avec un charme attendri.

    Michel Escatafal

  • Aperçu des œuvres d’Horace

    Délicat et sévère pour lui-même, Horace n’a pas laissé une oeuvre étendue. Il y avait plus la qualité que la quantité ! Son recueil se compose de poésies lyriques, de mètres très divers (odes et épodes) et de satires et d’épîtres écrites en hexamètres. C’est par les Satires et les Epodes qu’il débuta (entre l’an 35 et l’an 30 av. J. C.), ensuite il donna les trois premiers livres d’Odes (de l’an 20 à l’an 18 av. J.C.), et enfin, dans les dernières années de sa vie, il composa son second livre d’Epîtres, dont la dernière, adressée aux Pisons, est connue sous le nom d’Art poétique.

    Les Odes, dont  le nombre s’élève à cent trois, traitent des sujets fort divers : les évènements politiques (ode sur la victoire d’Actium en 31 av. J.C., sur la reddition des drapeaux pris sur Crassus par les Parthes, sur la soumission des Cantabres, sur la troisième clôture du temple de Janus), les incidents de sa vie particulière (ode sur un arbre dont la chute avait failli l’écraser, sur la fontaine Bandusie, témoin de son enfance, sur ses amours, sur ses plaisirs), les incidents de la vie de ses amis (départ de Virgile, mort de Quintilius Varus), des réflexions sur le bonheur que donne la modération des désirs.

    Les Satires au nombre de dix-sept, dont dix pour le premier livre et sept pour le second, traitent des lieux communs de morale que relèvent des attaques contre les personnages ridicules ou vicieux. Tour à tour il y raille l’inconstance des hommes toujours mécontents de leur sort, le faste grossier des riches parvenus, l’avidité des captateurs de testaments, ou bien il nous parle de son dessein quand il compose ses satires, et fait de la véritable critique littéraire en se comparant à son prédécesseur Lucilius.

    Les Epîtres ne diffèrent guère des Satires par le fond. Horace appelait d’un même nom (entretiens) cette double série d’ouvrages, mais dans les Epîtres, sans cesser d’être familier, le tour est moins vif, le langage moins libre et la versification plus soignée. Les pièces du premier livre sont des conversations animées avec ses amis sur le bonheur de la vie des champs (à Aristius Fuscus, à son métayer), sur les joies que donne une vie simple et unie (à Torquatus, à Numicius, à Ballutius), sur ses lectures (à Lollius), sur le désir de garder son indépendance (à Mécène). Enfin les épîtres du livre II (à Auguste, à Julius Florus, aux Pisons) nous font connaître les goûts et les opinions littéraires d’Horace.

    Horace fut un poète lyrique, même si c’était une entreprise malaisée que d’essayer de donner, à Rome, des poésies lyriques parce que celles-ci ne s’accommodaient guère aux besoins du caractère et du génie national. Dans ces conditions on comprend que l’ambition d’Horace fut surtout d’acclimater un genre hellénique jusqu’alors peu pratiqué, mais en prenant soin de n’emprunter aux lyriques grecs que ce qui pouvait le moins répugner aux habitudes romaines. Par exemple il se garda bien d’imiter Pindare,  parce que les amples compositions du poète de Thèbes  n’eussent rien dit aux Romains : « Celui qui cherche à égaler Pindare s’appuie sur des ailes de cire, pareilles à celles de Dédale, et donnera son nom au cristal des mers ».

    Mais d’autres en Grèce, Alcée, Sapho, Anacréon ont chanté leurs joies et leurs tristesses, leurs ennuis, leurs amours, bref ont parlé de ce qui intéresse tout un peuple, le respect pour les dieux, l’amour de la patrie et de la liberté. Mais ils n’ont pas alors prétendu se faire les interprètes de tout un peuple, se contentant d’être lus et goûtés par les lettrés et les délicats. C’est donc à ces poètes que s’adressera l’imitation d’Horace, ses odes n’étant faites que pour une élite cultivée.

    En tout cas il y a de l’accent et de l’émotion dans ses odes, et l’inspiration d’Horace est presque toujours franche. Pour son âme la religion, qui avait inspiré tant de beaux vers aux poètes lyriques grecs, ne pouvait plus être un besoin, car il était nourri de philosophie et était l’enfant d’un siècle sceptique. Simplement il a éprouvé ce respect ému que les âmes élevées, même vides de foi, ressentent pour la noblesse et la douceur des croyances. Cela dit Horace ne fréquentait guère les temples et ne s’acquittait pas des dévotions païennes, ce qui ne l’empêcha pas de satisfaire à la demande d’Auguste, qui lui demanda de relever par ses chants le prestige du culte national. Ainsi il composa le Chant séculaire en l’honneur de Diane et d’Apollon…sans que rien n’y sonne faux, malgré un manque évident d’élan mystique.

    Le patriotisme romain s’étant fait raisonnable, la tradition des antiques vertus n’en restait pas moins une partie de la grandeur de Rome. Il restait donc au grand poète de la faire aimer, et il n’y a pas failli. Et quoi de mieux dans ses vers que faire revivre la vertu de la Rome rustique, comme la vaillance de la Rome guerrière. Pourtant, comme le lui suggéra son esclave Dave, Horace reconnaît qu’il préfère vivre à son époque plutôt qu’à ce que Dave appelle « le vieux temps », parce que la vie y était infiniment plus douce et plus paisible.

    Dans les odes officielles, adressées à Auguste, il y a sans doute un peu d’apprêt, mais aussi beaucoup de sincérité et même d’élan. Horace parle certes en homme de cour, mais la grandeur de Rome lui inspire un  patriotique orgueil, surtout quand il songe à cet empire « dont la capitale est Rome, et les frontières les extrémités du monde connu ». « Ton règne, ô César, a ramené l’abondance dans nos campagnes, il a rendu à notre Jupiter ces drapeaux arrachés aux temples orgueilleux des Parthes ; il a fermé le temple de Janus, dont l’autel n’est plus livré au dieu des combats ; il a imposé de justes bornes à la licence effrénée et porté la gloire et la majesté de l’empire jusqu’aux lieux où le soleil se lève ». Voilà quelques phrases qui témoignent certes d’un minimum de flatterie pour l’empereur, mais aussi de l’honneur d’être né citoyen romain.

    La nature a été la grande inspiratrice de nos lyriques modernes, et on a dit qu’Horace ne l’avait point aimée, ce qui n’est pas la vérité. Elle a plu à Horace comme le cadre aimable des joies et des plaisirs de l’homme. Ses tableaux sont exacts  et soignés, ses descriptions sont faites d’un trait net et luisant, et ce qu’il peint, il l’a observé et rendu avec sincérité. Certes on est loin de l’attendrissement et de la mélancolie d’un autre temps, mais il ne chante pas faux. Si je dis cela c’est parce qu’il dit ses plaisirs et ses amours avec naturel, qu’il évoque avec bonne humeur un repas bien arrosé avec de bons amis, bref parce qu’il écrit de véritables chansons. Ses vers ne planent pas comme savent le faire les aigles, mais ils volent gaiement et vite comme les petits oiseaux, si l’on ose la comparaison. Tout cela nous donne-t-il un poète inspiré ? Sans doute pas. Un artiste sincère ? Certainement.

     Si l’on regarde ses Satires et ses Epîtres, les classifications littéraires les rangent dans le genre didactique, mais c’est lui faire un peu tort, car notre poète ne moralise et ne régente jamais. Il n’y a pas chez lui un enseignement méthodique et solennel. Simplement il cause, il peint, sa vie, celle des hommes de son temps, et ces peintures font avant tout l’intérêt de ses satires et de ses épîtres. Il peint les hommes tels qu’ils sont avec des originaux qui se détachent par leurs travers ou leurs manies. Parmi ceux-ci il  y a l’usurier Fufidius qui ne cherche que gruger les fils de famille, le prodigue insensé Esopus le fils qui, pour avaler d’un seul coup un million de sesterces, détacha la perle qui brillait à l’oreille de Métella et la fit fondre dans du vinaigre, sans oublier l’avare Ummidius, si riche qu’il mesurait ses écus au boisseau, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir constamment la crainte de mourir de faim.

    D’autres font dans le grotesque, notamment les philosophes stoïciens, avec leur bâton, leur manteau troué, leur longue barbe et leur crâne tondu, qui sont un divertissement pour les gamins de Rome qui les bousculent et les huent. Enfin, il y a le fâcheux, qui impose sa compagnie aux gens, « semblable à la sangsue qui ne lâche prise qu’après s’être gorgée de sang ». Néanmoins de tous ces portraits, le plus complet, le plus vivant, et le plus intéressant c’est celui d’Horace lui-même. On apprend tout de lui, sa figure, sa santé, sa petite taille, sa fortune, ses relations, ses goûts, le tout dit avec esprit, simplicité et bonhomie. Il n’hésite pas à nous dire qu’il a vieilli vite, qu’il était très frileux, coléreux aussi par exemple quand un esclave tardait à le servir. A côté de cela il convint de ne jamais se plaindre de la vie, d’autant que son père lui avait appris à rire de la sottise et à aimer la vérité. Pour toutes ces raisons, il n’hésitait pas à affirmer : « Les honnêtes gens  se sont plu à mes vers et ont apprécié mon commerce libre et honnête ; ceux qui auraient pu être mes protecteurs ou mes rivaux n’ont voulu être que mes amis. Mécène et Auguste, Fundanius, Varius, Tibulle et Virgile m’ont recherché et m’ont aimé », tout cela lui attirant la jalousie de ceux  qu’il appelait « des envieux  et des importuns ».  Il n’empêche, à la fin de sa vie il pouvait dire : «  Ainsi j’ai vécu doucement, et quand la mort est venue, je suis parti comme un convive, non rassasié, mais satisfait du banquet de la vie ».

    Si l’on examine à présent la morale d’Horace, nous pourrions dire que ce sage sensé n’eut la prétention de ne convertir personne, mais avait assez de bonne volonté pour conseiller tout le monde. De ses leçons insinuantes, de ses conseils engageants, on peut tirer toute une morale qui ne sort nullement de l’école, mais d’une conscience éclairée. Epicurien aux premières heures de la jeunesse, il devint peu à peu un stoïcien tempéré. Esprit ouvert, il ne voulut jamais « jurer sur les paroles d’aucun maître » (allusion aux Grecs), ni s’enfermer dans aucun dogme, et tint toujours compte des circonstances « non pour les subir, mais pour se les soumettre ».  Sa morale n’a donc rien d’héroïque, mais elle n’est ni dangereuse ni corruptrice, ce qui peut la rendre d’autant plus utile. Pour lui il y a beaucoup plus de sottise que de méchanceté parmi les hommes. Cela ressemble fort à la morale de La Fontaine, plus faite pour nous soutenir et nous préserver que pour nous élever.

    Reste à voir, pour terminer, les opinions littéraires d’Horace. Je dirais en premier que dans sa critique, comme dans sa morale,  nous ne trouvons nulle trace de pédantisme. Il ne forme pas notre goût, il nous confie les siens. Par exemple, on lui a reproché sa sévérité à l’égard des anciens poètes latins comme Ennius, moquant ses songes pythagoriciens, ou Plaute, « trop soucieux d’empocher de l’argent, pas assez de construire ses pièces ». En fait Horace ne supportait plus cette divinisation des morts qui étouffait le renom des vivants.

    Cependant, il n’y avait pas que de l’aigreur dans ses remarques, dans la mesure où il considérait dans l’Epître aux Pisons que ce qui doit prédominer dans l’art c’est la raison. « Point de belle œuvre si la raison n’en est pas le principe et la source ». Il était aussi très soucieux du travail bien fait, ce qui nécessitait pour lui de disposer d’une solide culture : « Je ne vois pas ce que peut le génie sans culture ». A partir de là on peut soigner le détail…pour approcher de la perfection, « car la médiocrité est interdite au poète ». Et pour cela  il faut avoir du goût, ce qui nous ramène à la culture, que l’on trouve dans les belles œuvres des modèles de la Grèce. Et dans ce précepte, se résume bien la poétique d’Horace, qui est devenue celle de notre art classique, et qui a pour caractère de concilier dans l’imitation des maîtres l’indépendance et le respect.

    En résumé, il n’y a pas de poète au siècle d’Auguste qui, mieux qu’Horace, exprime l’état moyen des esprits et des âmes à cette époque. Ovide, trop spirituel, fait déjà pressentir la décadence, et avec Virgile on voit se lever l’avenir, vague encore mais tout proche du christianisme. Avec Horace nous sommes dans un moment unique où l’esprit et le caractère romain se confondent avec la culture grecque, tout en gardant la saveur du terroir indigène. C’est ce que certains ont appelé l’urbanité romaine, qui est un ensemble de qualités aimables et brillantes, sans oublier d’être solides. Horace, au contact de la Grèce a allégé et affiné la gravité romaine.

    Michel Escatafal

  • La vie d’Horace

    littérature,histoire,romeDe tous les écrivains de l’ancienne Rome, Horace est celui dont la vie nous est le mieux connue. Quoiqu’il n’ait pas écrit ses mémoires, il a beaucoup parlé de lui, et toujours sur un ton de sincérité et de franchise qui attire la confiance et ne laisse pas désirer d’autre biographie que le poète lui-même.  Son père, esclave affranchi, avait été receveur ou collecteur pour les ventes à l’enchère, quelque chose comme commissaire-priseur de nos jours. Il sut s’enrichir, car l’emploi était bon, et put acheter un petit bien près de l’Aufidus, à quelques milles de Venusium (Basilicate), où naquit son fils le 8 décembre 65 av. J.C. C’est là que se passa l’enfance d’Horace. Un jour, nous dit-il, qu’il avait parcouru les pentes du Vultur, il s’endormit fatigué de ses jeux, et pour le protéger contre les ours et les vipères, des colombes messagères des dieux vinrent le couvrir de branches de myrte et de laurier.

    Bien sûr, tout ceci n’était que légende, mais c’est le tableau qui ressort de sa première éducation. Pour faire d’Horace un honnête homme et un homme d’esprit, son père ne voulait rien négliger. C’est la raison pour laquelle il l’envoya à Venusium, en classe chez Flavius, un magister qui donnait ses leçons aux enfants des centurions en retraite, les importants  personnages de l’endroit. Plus tard il le conduisit à Rome  et, sous la férule d’Orbilius, Horace acheva ses premières études. Cela étant, nulles leçons ne furent plus profitables à l’âme du jeune homme que celles de son père. Avec une délicatesse morale, rare déjà dans la société romaine, surtout chez les hommes d’origine servile, ce père n’eut pas de soin plus cher que d’inspirer à son fils le dégoût du mal et du laid, l’amour de l’honnête et du beau.

    « Incorruptible gardien de ma jeunesse, il me suivait chez tous mes maîtres. Grâce à lui le soupçon même du vice n’approcha jamais de moi, et mes mœurs conservèrent leur pureté, cette fleur de la vertu ».  On imagine quand même que derrière tout cela il y ait eu quelque ambition de la part de ce père attentionné, mais si Horace devint un des plus grands poètes de l’Antiquité, il resta un bon fils. D’ailleurs, même au moment où il fut le favori de Mécène, il n’hésitait pas à dire : « J’aurais à recommencer ma vie, je pourrais naître parmi les faisceaux et la pourpre que je ne choisirais pas un autre père ».

    Il n’y avait plus à ce moment d’éducation complète sans un voyage à Athènes, et Horace n’échappa pas à la règle. Il alla donc dans la ville classique des arts et des lettres. Lié avec toute la colonie aristocratique des jeunes étudiants romains, il écoutait les leçons des philosophes, lisait assidûment les poètes et entre temps écrivait des vers grecs quand Brutus, après le meurtre de César, arriva en Grèce et appela à la défense de la liberté les descendants des nobles familles qui avaient fondé et illustré la République. Cette jeunesse entendit l’appel héroïque tyrannicide, et Horace,  avec toute l’ardeur et la générosité des belles années, suivit ses compagnons d’étude et de plaisir sous les drapeaux de Brutus.

    Dans l’armée qui figura à Philippes (42 av. J. C.), il avait même le titre de tribun militaire, et il commandait une légion. Faut-il le croire lorsqu’il nous dit que dans la déroute il jeta son bouclier ? Pour beaucoup il y avait là un souvenir des poètes de la Grèce, Alcée, Archiloque, qui ironiquement se vantèrent, après avoir fait leur devoir, de s’être conduits en peureux, comme d’autres se targuent de leur bravoure après avoir tourné les talons. Et si c’était la plaisanterie d’un homme désabusé, revenu des inutiles enthousiasmes de la jeunesse ? Sans doute, car Horace put bien ne point se battre en héros, mais tout fait croire qu’il n’aurait pas su se conduire en lâche.

    Il s’était en tout cas compromis pour la cause de la République, et à son retour à Rome ses biens et sa petite fortune lui furent confisqués. La poésie, qui jusque-là avait été pour lui un divertissement élégant, devint son gagne-pain. L’audace que donne la pauvreté l’engagea à faire des vers : un peu meurtri, les ailes coupées, en un mot mécontent, la satire le tentait. Il débuta en effet par des satires et par des épodes qui ne sont que des satires lyriques, dans lesquelles respirait le regret du passé et le ressentiment des luttes stériles engagées par l’ambition des chefs. Mais bientôt, le succès aidant, l’amertume s’estompa. Il se lia avec Varius, avec Virgile, qui le présentèrent à Mécène.

    Le nouveau pouvoir songeant à se gagner les sympathies des hommes de mérite, Mécène jouait le rôle d’un engageant intermédiaire entre Auguste et les gens de lettres. Sans faire le sacrifice de son indépendance, Horace ne repoussa pas de flatteuses avances.  Sans se renier, il comprit qu’il pouvait renoncer à un régime qu’il n’était plus possible de ressusciter  et, sans complaisance intéressée, il se rallia au nouveau régime qui donnait à Rome la prospérité et la paix. Certains ont signalé des flatteries dans ses vers, sans prendre assez garde que ce ne sont sans doute que les hyperboles ordinaires à un lyrisme de convention. En tout cas, nul n’a pu dire qu’il ait manqué de dignité dans sa conduite. Quand Mécène lui fit don d’une villa dans la Sabine, Horace accueillit ce présent non comme un salaire payé par un protecteur, mais comme un gage d’affection offert à un ami.

    On sait qu’avec Auguste il ne voulut jamais s’engager, au point que pour obtenir que le poète lui dédiât une de ses épîtres, l’empereur était obligé de l’en prier. En outre, malgré ses demandes pressantes, il ne put jamais se l’attacher comme secrétaire, au point que cet amour de l’indépendance ait pu paraître excessif. Ce ne fut apparemment pas le cas d’Auguste qui n’a jamais tenu rigueur à Horace de ce refus, ce dernier prétextant des ennuis de santé plus ou moins diplomatiques, mais cependant bien réels. Cette santé allait d’ailleurs s’altérer de manière plus marquée à l’approche de la cinquantaine.

    Le séjour à Rome le fatiguait, et il ne pouvait plus supporter l’air trop vif des âpres montagnes de la Sabine. Il lui fallait la température plus douce de la villa qu’Auguste lui donna à Tibur, ou la tiédeur du climat des villes de mer. Lorsque Mécène mourut, depuis longtemps Horace souffrait d’un malaise vague et général. Le chagrin qu’il ressentit à la mort de son ami aggrava son état.  « Le même coup nous frappera tous deux, avait-il écrit. Je l’ai juré. Je le jure encore : dès que tu me montreras le chemin, je serai prêt. Nous irons, oui nous irons ensemble à notre dernier asile ». Il tint parole, et s’éteignit quelques mois après Mécène (8 av. J.C.). L’empereur, seul héritier de la fortune de Mécène, prit soin que les tombeaux du poète et de l’homme d’Etat fussent voisins l’un de l’autre. 

    Michel Escatafal