De tous les écrivains de l’ancienne Rome, Horace est celui dont la vie nous est le mieux connue. Quoiqu’il n’ait pas écrit ses mémoires, il a beaucoup parlé de lui, et toujours sur un ton de sincérité et de franchise qui attire la confiance et ne laisse pas désirer d’autre biographie que le poète lui-même. Son père, esclave affranchi, avait été receveur ou collecteur pour les ventes à l’enchère, quelque chose comme commissaire-priseur de nos jours. Il sut s’enrichir, car l’emploi était bon, et put acheter un petit bien près de l’Aufidus, à quelques milles de Venusium (Basilicate), où naquit son fils le 8 décembre 65 av. J.C. C’est là que se passa l’enfance d’Horace. Un jour, nous dit-il, qu’il avait parcouru les pentes du Vultur, il s’endormit fatigué de ses jeux, et pour le protéger contre les ours et les vipères, des colombes messagères des dieux vinrent le couvrir de branches de myrte et de laurier.
Bien sûr, tout ceci n’était que légende, mais c’est le tableau qui ressort de sa première éducation. Pour faire d’Horace un honnête homme et un homme d’esprit, son père ne voulait rien négliger. C’est la raison pour laquelle il l’envoya à Venusium, en classe chez Flavius, un magister qui donnait ses leçons aux enfants des centurions en retraite, les importants personnages de l’endroit. Plus tard il le conduisit à Rome et, sous la férule d’Orbilius, Horace acheva ses premières études. Cela étant, nulles leçons ne furent plus profitables à l’âme du jeune homme que celles de son père. Avec une délicatesse morale, rare déjà dans la société romaine, surtout chez les hommes d’origine servile, ce père n’eut pas de soin plus cher que d’inspirer à son fils le dégoût du mal et du laid, l’amour de l’honnête et du beau.
« Incorruptible gardien de ma jeunesse, il me suivait chez tous mes maîtres. Grâce à lui le soupçon même du vice n’approcha jamais de moi, et mes mœurs conservèrent leur pureté, cette fleur de la vertu ». On imagine quand même que derrière tout cela il y ait eu quelque ambition de la part de ce père attentionné, mais si Horace devint un des plus grands poètes de l’Antiquité, il resta un bon fils. D’ailleurs, même au moment où il fut le favori de Mécène, il n’hésitait pas à dire : « J’aurais à recommencer ma vie, je pourrais naître parmi les faisceaux et la pourpre que je ne choisirais pas un autre père ».
Il n’y avait plus à ce moment d’éducation complète sans un voyage à Athènes, et Horace n’échappa pas à la règle. Il alla donc dans la ville classique des arts et des lettres. Lié avec toute la colonie aristocratique des jeunes étudiants romains, il écoutait les leçons des philosophes, lisait assidûment les poètes et entre temps écrivait des vers grecs quand Brutus, après le meurtre de César, arriva en Grèce et appela à la défense de la liberté les descendants des nobles familles qui avaient fondé et illustré la République. Cette jeunesse entendit l’appel héroïque tyrannicide, et Horace, avec toute l’ardeur et la générosité des belles années, suivit ses compagnons d’étude et de plaisir sous les drapeaux de Brutus.
Dans l’armée qui figura à Philippes (42 av. J. C.), il avait même le titre de tribun militaire, et il commandait une légion. Faut-il le croire lorsqu’il nous dit que dans la déroute il jeta son bouclier ? Pour beaucoup il y avait là un souvenir des poètes de la Grèce, Alcée, Archiloque, qui ironiquement se vantèrent, après avoir fait leur devoir, de s’être conduits en peureux, comme d’autres se targuent de leur bravoure après avoir tourné les talons. Et si c’était la plaisanterie d’un homme désabusé, revenu des inutiles enthousiasmes de la jeunesse ? Sans doute, car Horace put bien ne point se battre en héros, mais tout fait croire qu’il n’aurait pas su se conduire en lâche.
Il s’était en tout cas compromis pour la cause de la République, et à son retour à Rome ses biens et sa petite fortune lui furent confisqués. La poésie, qui jusque-là avait été pour lui un divertissement élégant, devint son gagne-pain. L’audace que donne la pauvreté l’engagea à faire des vers : un peu meurtri, les ailes coupées, en un mot mécontent, la satire le tentait. Il débuta en effet par des satires et par des épodes qui ne sont que des satires lyriques, dans lesquelles respirait le regret du passé et le ressentiment des luttes stériles engagées par l’ambition des chefs. Mais bientôt, le succès aidant, l’amertume s’estompa. Il se lia avec Varius, avec Virgile, qui le présentèrent à Mécène.
Le nouveau pouvoir songeant à se gagner les sympathies des hommes de mérite, Mécène jouait le rôle d’un engageant intermédiaire entre Auguste et les gens de lettres. Sans faire le sacrifice de son indépendance, Horace ne repoussa pas de flatteuses avances. Sans se renier, il comprit qu’il pouvait renoncer à un régime qu’il n’était plus possible de ressusciter et, sans complaisance intéressée, il se rallia au nouveau régime qui donnait à Rome la prospérité et la paix. Certains ont signalé des flatteries dans ses vers, sans prendre assez garde que ce ne sont sans doute que les hyperboles ordinaires à un lyrisme de convention. En tout cas, nul n’a pu dire qu’il ait manqué de dignité dans sa conduite. Quand Mécène lui fit don d’une villa dans la Sabine, Horace accueillit ce présent non comme un salaire payé par un protecteur, mais comme un gage d’affection offert à un ami.
On sait qu’avec Auguste il ne voulut jamais s’engager, au point que pour obtenir que le poète lui dédiât une de ses épîtres, l’empereur était obligé de l’en prier. En outre, malgré ses demandes pressantes, il ne put jamais se l’attacher comme secrétaire, au point que cet amour de l’indépendance ait pu paraître excessif. Ce ne fut apparemment pas le cas d’Auguste qui n’a jamais tenu rigueur à Horace de ce refus, ce dernier prétextant des ennuis de santé plus ou moins diplomatiques, mais cependant bien réels. Cette santé allait d’ailleurs s’altérer de manière plus marquée à l’approche de la cinquantaine.
Le séjour à Rome le fatiguait, et il ne pouvait plus supporter l’air trop vif des âpres montagnes de la Sabine. Il lui fallait la température plus douce de la villa qu’Auguste lui donna à Tibur, ou la tiédeur du climat des villes de mer. Lorsque Mécène mourut, depuis longtemps Horace souffrait d’un malaise vague et général. Le chagrin qu’il ressentit à la mort de son ami aggrava son état. « Le même coup nous frappera tous deux, avait-il écrit. Je l’ai juré. Je le jure encore : dès que tu me montreras le chemin, je serai prêt. Nous irons, oui nous irons ensemble à notre dernier asile ». Il tint parole, et s’éteignit quelques mois après Mécène (8 av. J.C.). L’empereur, seul héritier de la fortune de Mécène, prit soin que les tombeaux du poète et de l’homme d’Etat fussent voisins l’un de l’autre.
Michel Escatafal
Commentaires
Je vous vante pour votre éditorial. c'est un vrai travail d'écriture. Continuez .