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La vie et l’œuvre de Tibulle

littérature,histoire,romeAvec Virgile nous avons vu la poésie pastorale, didactique et épique, puis avec Horace ce fut la poésie lyrique et didactique.  Reste à voir la poésie élégiaque avec Tibulle, Properce et Ovide. Qui était Tibulle ? C’était un ami d’Horace, dont il était voisin. Tibulle est né à Pédum (54 av. J.C.), ville située entre Tibur (où est mort Horace en 8 av. J.C.) et Préneste. De famille d’ordre équestre, il eut des débuts aisés et brillants dans la vie. « Les dieux, nous dit Horace, lui avaient donné la beauté, la richesse, et avec elle l’art d’en jouir…, le goût, le talent de bien dire, un esprit aimable et gracieux ».  Hélas pour Tibulle, les revers vinrent vite, les guerres civiles lui enlevant  une bonne partie de son patrimoine.

C’est alors qu’il s’attacha à Valerius Messala Corvinus (64-8 av. J.C.), un grand seigneur qui, après avoir été républicain, s’était rallié à Auguste. Ce Corvinus était un homme d’esprit, qui eut une réputation de poète et d’orateur. Tibulle dut suivre son patron et guerroya avec lui en Aquitaine, malgré son horreur pour les combats, puis plus tard en Orient. Dans cette seconde expédition il tomba malade à Corcyre (aujourd’hui Corfou), et quand il revint en Italie il ne fit plus que languir. En vain, une fois à la retraite, à la campagne où il respirait « la vivace senteur des forêts », il essaya  de réparer sa constitution épuisée, mais il n’y parvint pas et mourut de consomption vers sa trente-cinquième année (19 av. J.C.).

Cette vie si courte ne lui a pas permis d’écrire beaucoup. Dans le recueil de ses œuvres on fait figurer sous son nom ses Elégies, en réalité quatre livres d’élégies, mais il est hors de doute que les deux premiers seuls peuvent lui être attribués. Les seize pièces qui les composent nous racontent les amours du poète, les joies et les peines qu’ils lui ont données. Il a aimé passionnément Délie, qui l’a trahi. Il a cherché à l’oublier, et il a voulu aimer une autre femme, Némésis, tout en essayant de s’étourdir au milieu de la dissipation. Cela dit, même quand il chante ses désordres, la voix du poète a parfois un accent de tristesse qui laisse voir que sa blessure n’est pas guérie.

Très lettré, Tibulle connaissait les élégies des poètes alexandrins, Philétas, Callimaque, et les autres. A ses débuts, il leur emprunta sans doute plus d’un procédé de développement et de versification. Mais lui, qu’Horace choisissait pour juge de ses écrits, ne pouvait manquer de sentir le ridicule de la galanterie érudite et prétentieuse qui dépare trop souvent l’élégie alexandrine. Il ne laissa donc pas entamer son originalité par ces modèles, alors si goûtés à Rome. L’élégie pour lui ne fut pas un pur jeu d’esprit, comme pour Ovide. Il y mettait son âme, car à ses yeux il y a dans l’amour autre chose que le plaisir. Il ne s’élève pas jusqu’à la pure tendresse, mais sa passion a des délicatesses bien rares de son temps.

La réalité ne le contente pas, il cherche l’idéal, veut ennoblir l’objet de son amour, et ne demande pas seulement à Délie d’être belle, il la souhaiterait vertueuse : « Je t’en conjure, conserve ta pureté ; qu’une vieille servante soit toujours assise près de toi…qu’à la clarté de la lampe elle tire en longs fils le lin de sa quenouille épaisse, et que ma Délie, attachée non loin d’elle à de graves travaux, laisse, vaincue par le sommeil, tomber peu à peu l’ouvrage de ses doigts ». Ailleurs il fait le rêve d’emmener Délie à sa maison des champs et d’y vivre avec elle d’une vie solitaire, tranquille et laborieuse : « Je cultiverai mes champs, me disais-je, et ma Délie sera là pour veiller sur mes récoltes, tandis que par un soleil ardent on battra les épis sur l’aire ».

La nature est en effet toujours voisine du cœur de Tibulle. Il en a goûté la douceur et le charme et l’a considérée comme un remède à la maladie d’amour. La vie rustique l’attire, et il aime les humbles divinités des champs : « Un pieux respect me saisit toujours près du tronc qui s’élève dans les campagnes désertes, près de la pierre antique où pendent dans les carrefours des guirlandes de fleurs ». Retrempée à cette source de vie, la poésie érotique, si souvent sèche dans les autres élégiaques latins, a parfois chez lui des accents d’une fraîcheur inattendue. Ajoutons que cette obscure maladie qui le mina lentement, lui inspira une sorte de tristesse vague et douce, assez semblable à la mélancolie virgilienne.

Le sentiment de la mort toute voisine donne à ses vers, même lorsqu’il chante le plaisir, une teinte voilée, un accent pénétrant qui nous remue et nous charme en même temps. « Puissé-je, dit-il à Délie, quand sera venue ma dernière heure, reposer sur toi mes yeux, et te presser, en mourant, de ma main défaillante ! Tu pleureras, Délie, lorsqu’on m’aura placé sur le bûcher qui me consumera, et à tes larmes amères tu mêleras des baisers ». On imagine qu’il se voyait déjà dans cette situation, pour en parler comme s’il l’avait vécue ! L’inspiration de Tibulle n’est ni haute, ni variée, mais il a traduit des émotions vraies avec un art délicat et un accent sincère. Ce fut assez pour que les plus grands poètes de son époque l’aient goûté et aimé, c’est assez encore pour que nous lisions ses vers avec un charme attendri.

Michel Escatafal

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