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histoire - Page 9

  • Aperçu des œuvres d’Horace

    Délicat et sévère pour lui-même, Horace n’a pas laissé une oeuvre étendue. Il y avait plus la qualité que la quantité ! Son recueil se compose de poésies lyriques, de mètres très divers (odes et épodes) et de satires et d’épîtres écrites en hexamètres. C’est par les Satires et les Epodes qu’il débuta (entre l’an 35 et l’an 30 av. J. C.), ensuite il donna les trois premiers livres d’Odes (de l’an 20 à l’an 18 av. J.C.), et enfin, dans les dernières années de sa vie, il composa son second livre d’Epîtres, dont la dernière, adressée aux Pisons, est connue sous le nom d’Art poétique.

    Les Odes, dont  le nombre s’élève à cent trois, traitent des sujets fort divers : les évènements politiques (ode sur la victoire d’Actium en 31 av. J.C., sur la reddition des drapeaux pris sur Crassus par les Parthes, sur la soumission des Cantabres, sur la troisième clôture du temple de Janus), les incidents de sa vie particulière (ode sur un arbre dont la chute avait failli l’écraser, sur la fontaine Bandusie, témoin de son enfance, sur ses amours, sur ses plaisirs), les incidents de la vie de ses amis (départ de Virgile, mort de Quintilius Varus), des réflexions sur le bonheur que donne la modération des désirs.

    Les Satires au nombre de dix-sept, dont dix pour le premier livre et sept pour le second, traitent des lieux communs de morale que relèvent des attaques contre les personnages ridicules ou vicieux. Tour à tour il y raille l’inconstance des hommes toujours mécontents de leur sort, le faste grossier des riches parvenus, l’avidité des captateurs de testaments, ou bien il nous parle de son dessein quand il compose ses satires, et fait de la véritable critique littéraire en se comparant à son prédécesseur Lucilius.

    Les Epîtres ne diffèrent guère des Satires par le fond. Horace appelait d’un même nom (entretiens) cette double série d’ouvrages, mais dans les Epîtres, sans cesser d’être familier, le tour est moins vif, le langage moins libre et la versification plus soignée. Les pièces du premier livre sont des conversations animées avec ses amis sur le bonheur de la vie des champs (à Aristius Fuscus, à son métayer), sur les joies que donne une vie simple et unie (à Torquatus, à Numicius, à Ballutius), sur ses lectures (à Lollius), sur le désir de garder son indépendance (à Mécène). Enfin les épîtres du livre II (à Auguste, à Julius Florus, aux Pisons) nous font connaître les goûts et les opinions littéraires d’Horace.

    Horace fut un poète lyrique, même si c’était une entreprise malaisée que d’essayer de donner, à Rome, des poésies lyriques parce que celles-ci ne s’accommodaient guère aux besoins du caractère et du génie national. Dans ces conditions on comprend que l’ambition d’Horace fut surtout d’acclimater un genre hellénique jusqu’alors peu pratiqué, mais en prenant soin de n’emprunter aux lyriques grecs que ce qui pouvait le moins répugner aux habitudes romaines. Par exemple il se garda bien d’imiter Pindare,  parce que les amples compositions du poète de Thèbes  n’eussent rien dit aux Romains : « Celui qui cherche à égaler Pindare s’appuie sur des ailes de cire, pareilles à celles de Dédale, et donnera son nom au cristal des mers ».

    Mais d’autres en Grèce, Alcée, Sapho, Anacréon ont chanté leurs joies et leurs tristesses, leurs ennuis, leurs amours, bref ont parlé de ce qui intéresse tout un peuple, le respect pour les dieux, l’amour de la patrie et de la liberté. Mais ils n’ont pas alors prétendu se faire les interprètes de tout un peuple, se contentant d’être lus et goûtés par les lettrés et les délicats. C’est donc à ces poètes que s’adressera l’imitation d’Horace, ses odes n’étant faites que pour une élite cultivée.

    En tout cas il y a de l’accent et de l’émotion dans ses odes, et l’inspiration d’Horace est presque toujours franche. Pour son âme la religion, qui avait inspiré tant de beaux vers aux poètes lyriques grecs, ne pouvait plus être un besoin, car il était nourri de philosophie et était l’enfant d’un siècle sceptique. Simplement il a éprouvé ce respect ému que les âmes élevées, même vides de foi, ressentent pour la noblesse et la douceur des croyances. Cela dit Horace ne fréquentait guère les temples et ne s’acquittait pas des dévotions païennes, ce qui ne l’empêcha pas de satisfaire à la demande d’Auguste, qui lui demanda de relever par ses chants le prestige du culte national. Ainsi il composa le Chant séculaire en l’honneur de Diane et d’Apollon…sans que rien n’y sonne faux, malgré un manque évident d’élan mystique.

    Le patriotisme romain s’étant fait raisonnable, la tradition des antiques vertus n’en restait pas moins une partie de la grandeur de Rome. Il restait donc au grand poète de la faire aimer, et il n’y a pas failli. Et quoi de mieux dans ses vers que faire revivre la vertu de la Rome rustique, comme la vaillance de la Rome guerrière. Pourtant, comme le lui suggéra son esclave Dave, Horace reconnaît qu’il préfère vivre à son époque plutôt qu’à ce que Dave appelle « le vieux temps », parce que la vie y était infiniment plus douce et plus paisible.

    Dans les odes officielles, adressées à Auguste, il y a sans doute un peu d’apprêt, mais aussi beaucoup de sincérité et même d’élan. Horace parle certes en homme de cour, mais la grandeur de Rome lui inspire un  patriotique orgueil, surtout quand il songe à cet empire « dont la capitale est Rome, et les frontières les extrémités du monde connu ». « Ton règne, ô César, a ramené l’abondance dans nos campagnes, il a rendu à notre Jupiter ces drapeaux arrachés aux temples orgueilleux des Parthes ; il a fermé le temple de Janus, dont l’autel n’est plus livré au dieu des combats ; il a imposé de justes bornes à la licence effrénée et porté la gloire et la majesté de l’empire jusqu’aux lieux où le soleil se lève ». Voilà quelques phrases qui témoignent certes d’un minimum de flatterie pour l’empereur, mais aussi de l’honneur d’être né citoyen romain.

    La nature a été la grande inspiratrice de nos lyriques modernes, et on a dit qu’Horace ne l’avait point aimée, ce qui n’est pas la vérité. Elle a plu à Horace comme le cadre aimable des joies et des plaisirs de l’homme. Ses tableaux sont exacts  et soignés, ses descriptions sont faites d’un trait net et luisant, et ce qu’il peint, il l’a observé et rendu avec sincérité. Certes on est loin de l’attendrissement et de la mélancolie d’un autre temps, mais il ne chante pas faux. Si je dis cela c’est parce qu’il dit ses plaisirs et ses amours avec naturel, qu’il évoque avec bonne humeur un repas bien arrosé avec de bons amis, bref parce qu’il écrit de véritables chansons. Ses vers ne planent pas comme savent le faire les aigles, mais ils volent gaiement et vite comme les petits oiseaux, si l’on ose la comparaison. Tout cela nous donne-t-il un poète inspiré ? Sans doute pas. Un artiste sincère ? Certainement.

     Si l’on regarde ses Satires et ses Epîtres, les classifications littéraires les rangent dans le genre didactique, mais c’est lui faire un peu tort, car notre poète ne moralise et ne régente jamais. Il n’y a pas chez lui un enseignement méthodique et solennel. Simplement il cause, il peint, sa vie, celle des hommes de son temps, et ces peintures font avant tout l’intérêt de ses satires et de ses épîtres. Il peint les hommes tels qu’ils sont avec des originaux qui se détachent par leurs travers ou leurs manies. Parmi ceux-ci il  y a l’usurier Fufidius qui ne cherche que gruger les fils de famille, le prodigue insensé Esopus le fils qui, pour avaler d’un seul coup un million de sesterces, détacha la perle qui brillait à l’oreille de Métella et la fit fondre dans du vinaigre, sans oublier l’avare Ummidius, si riche qu’il mesurait ses écus au boisseau, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir constamment la crainte de mourir de faim.

    D’autres font dans le grotesque, notamment les philosophes stoïciens, avec leur bâton, leur manteau troué, leur longue barbe et leur crâne tondu, qui sont un divertissement pour les gamins de Rome qui les bousculent et les huent. Enfin, il y a le fâcheux, qui impose sa compagnie aux gens, « semblable à la sangsue qui ne lâche prise qu’après s’être gorgée de sang ». Néanmoins de tous ces portraits, le plus complet, le plus vivant, et le plus intéressant c’est celui d’Horace lui-même. On apprend tout de lui, sa figure, sa santé, sa petite taille, sa fortune, ses relations, ses goûts, le tout dit avec esprit, simplicité et bonhomie. Il n’hésite pas à nous dire qu’il a vieilli vite, qu’il était très frileux, coléreux aussi par exemple quand un esclave tardait à le servir. A côté de cela il convint de ne jamais se plaindre de la vie, d’autant que son père lui avait appris à rire de la sottise et à aimer la vérité. Pour toutes ces raisons, il n’hésitait pas à affirmer : « Les honnêtes gens  se sont plu à mes vers et ont apprécié mon commerce libre et honnête ; ceux qui auraient pu être mes protecteurs ou mes rivaux n’ont voulu être que mes amis. Mécène et Auguste, Fundanius, Varius, Tibulle et Virgile m’ont recherché et m’ont aimé », tout cela lui attirant la jalousie de ceux  qu’il appelait « des envieux  et des importuns ».  Il n’empêche, à la fin de sa vie il pouvait dire : «  Ainsi j’ai vécu doucement, et quand la mort est venue, je suis parti comme un convive, non rassasié, mais satisfait du banquet de la vie ».

    Si l’on examine à présent la morale d’Horace, nous pourrions dire que ce sage sensé n’eut la prétention de ne convertir personne, mais avait assez de bonne volonté pour conseiller tout le monde. De ses leçons insinuantes, de ses conseils engageants, on peut tirer toute une morale qui ne sort nullement de l’école, mais d’une conscience éclairée. Epicurien aux premières heures de la jeunesse, il devint peu à peu un stoïcien tempéré. Esprit ouvert, il ne voulut jamais « jurer sur les paroles d’aucun maître » (allusion aux Grecs), ni s’enfermer dans aucun dogme, et tint toujours compte des circonstances « non pour les subir, mais pour se les soumettre ».  Sa morale n’a donc rien d’héroïque, mais elle n’est ni dangereuse ni corruptrice, ce qui peut la rendre d’autant plus utile. Pour lui il y a beaucoup plus de sottise que de méchanceté parmi les hommes. Cela ressemble fort à la morale de La Fontaine, plus faite pour nous soutenir et nous préserver que pour nous élever.

    Reste à voir, pour terminer, les opinions littéraires d’Horace. Je dirais en premier que dans sa critique, comme dans sa morale,  nous ne trouvons nulle trace de pédantisme. Il ne forme pas notre goût, il nous confie les siens. Par exemple, on lui a reproché sa sévérité à l’égard des anciens poètes latins comme Ennius, moquant ses songes pythagoriciens, ou Plaute, « trop soucieux d’empocher de l’argent, pas assez de construire ses pièces ». En fait Horace ne supportait plus cette divinisation des morts qui étouffait le renom des vivants.

    Cependant, il n’y avait pas que de l’aigreur dans ses remarques, dans la mesure où il considérait dans l’Epître aux Pisons que ce qui doit prédominer dans l’art c’est la raison. « Point de belle œuvre si la raison n’en est pas le principe et la source ». Il était aussi très soucieux du travail bien fait, ce qui nécessitait pour lui de disposer d’une solide culture : « Je ne vois pas ce que peut le génie sans culture ». A partir de là on peut soigner le détail…pour approcher de la perfection, « car la médiocrité est interdite au poète ». Et pour cela  il faut avoir du goût, ce qui nous ramène à la culture, que l’on trouve dans les belles œuvres des modèles de la Grèce. Et dans ce précepte, se résume bien la poétique d’Horace, qui est devenue celle de notre art classique, et qui a pour caractère de concilier dans l’imitation des maîtres l’indépendance et le respect.

    En résumé, il n’y a pas de poète au siècle d’Auguste qui, mieux qu’Horace, exprime l’état moyen des esprits et des âmes à cette époque. Ovide, trop spirituel, fait déjà pressentir la décadence, et avec Virgile on voit se lever l’avenir, vague encore mais tout proche du christianisme. Avec Horace nous sommes dans un moment unique où l’esprit et le caractère romain se confondent avec la culture grecque, tout en gardant la saveur du terroir indigène. C’est ce que certains ont appelé l’urbanité romaine, qui est un ensemble de qualités aimables et brillantes, sans oublier d’être solides. Horace, au contact de la Grèce a allégé et affiné la gravité romaine.

    Michel Escatafal

  • La vie d’Horace

    littérature,histoire,romeDe tous les écrivains de l’ancienne Rome, Horace est celui dont la vie nous est le mieux connue. Quoiqu’il n’ait pas écrit ses mémoires, il a beaucoup parlé de lui, et toujours sur un ton de sincérité et de franchise qui attire la confiance et ne laisse pas désirer d’autre biographie que le poète lui-même.  Son père, esclave affranchi, avait été receveur ou collecteur pour les ventes à l’enchère, quelque chose comme commissaire-priseur de nos jours. Il sut s’enrichir, car l’emploi était bon, et put acheter un petit bien près de l’Aufidus, à quelques milles de Venusium (Basilicate), où naquit son fils le 8 décembre 65 av. J.C. C’est là que se passa l’enfance d’Horace. Un jour, nous dit-il, qu’il avait parcouru les pentes du Vultur, il s’endormit fatigué de ses jeux, et pour le protéger contre les ours et les vipères, des colombes messagères des dieux vinrent le couvrir de branches de myrte et de laurier.

    Bien sûr, tout ceci n’était que légende, mais c’est le tableau qui ressort de sa première éducation. Pour faire d’Horace un honnête homme et un homme d’esprit, son père ne voulait rien négliger. C’est la raison pour laquelle il l’envoya à Venusium, en classe chez Flavius, un magister qui donnait ses leçons aux enfants des centurions en retraite, les importants  personnages de l’endroit. Plus tard il le conduisit à Rome  et, sous la férule d’Orbilius, Horace acheva ses premières études. Cela étant, nulles leçons ne furent plus profitables à l’âme du jeune homme que celles de son père. Avec une délicatesse morale, rare déjà dans la société romaine, surtout chez les hommes d’origine servile, ce père n’eut pas de soin plus cher que d’inspirer à son fils le dégoût du mal et du laid, l’amour de l’honnête et du beau.

    « Incorruptible gardien de ma jeunesse, il me suivait chez tous mes maîtres. Grâce à lui le soupçon même du vice n’approcha jamais de moi, et mes mœurs conservèrent leur pureté, cette fleur de la vertu ».  On imagine quand même que derrière tout cela il y ait eu quelque ambition de la part de ce père attentionné, mais si Horace devint un des plus grands poètes de l’Antiquité, il resta un bon fils. D’ailleurs, même au moment où il fut le favori de Mécène, il n’hésitait pas à dire : « J’aurais à recommencer ma vie, je pourrais naître parmi les faisceaux et la pourpre que je ne choisirais pas un autre père ».

    Il n’y avait plus à ce moment d’éducation complète sans un voyage à Athènes, et Horace n’échappa pas à la règle. Il alla donc dans la ville classique des arts et des lettres. Lié avec toute la colonie aristocratique des jeunes étudiants romains, il écoutait les leçons des philosophes, lisait assidûment les poètes et entre temps écrivait des vers grecs quand Brutus, après le meurtre de César, arriva en Grèce et appela à la défense de la liberté les descendants des nobles familles qui avaient fondé et illustré la République. Cette jeunesse entendit l’appel héroïque tyrannicide, et Horace,  avec toute l’ardeur et la générosité des belles années, suivit ses compagnons d’étude et de plaisir sous les drapeaux de Brutus.

    Dans l’armée qui figura à Philippes (42 av. J. C.), il avait même le titre de tribun militaire, et il commandait une légion. Faut-il le croire lorsqu’il nous dit que dans la déroute il jeta son bouclier ? Pour beaucoup il y avait là un souvenir des poètes de la Grèce, Alcée, Archiloque, qui ironiquement se vantèrent, après avoir fait leur devoir, de s’être conduits en peureux, comme d’autres se targuent de leur bravoure après avoir tourné les talons. Et si c’était la plaisanterie d’un homme désabusé, revenu des inutiles enthousiasmes de la jeunesse ? Sans doute, car Horace put bien ne point se battre en héros, mais tout fait croire qu’il n’aurait pas su se conduire en lâche.

    Il s’était en tout cas compromis pour la cause de la République, et à son retour à Rome ses biens et sa petite fortune lui furent confisqués. La poésie, qui jusque-là avait été pour lui un divertissement élégant, devint son gagne-pain. L’audace que donne la pauvreté l’engagea à faire des vers : un peu meurtri, les ailes coupées, en un mot mécontent, la satire le tentait. Il débuta en effet par des satires et par des épodes qui ne sont que des satires lyriques, dans lesquelles respirait le regret du passé et le ressentiment des luttes stériles engagées par l’ambition des chefs. Mais bientôt, le succès aidant, l’amertume s’estompa. Il se lia avec Varius, avec Virgile, qui le présentèrent à Mécène.

    Le nouveau pouvoir songeant à se gagner les sympathies des hommes de mérite, Mécène jouait le rôle d’un engageant intermédiaire entre Auguste et les gens de lettres. Sans faire le sacrifice de son indépendance, Horace ne repoussa pas de flatteuses avances.  Sans se renier, il comprit qu’il pouvait renoncer à un régime qu’il n’était plus possible de ressusciter  et, sans complaisance intéressée, il se rallia au nouveau régime qui donnait à Rome la prospérité et la paix. Certains ont signalé des flatteries dans ses vers, sans prendre assez garde que ce ne sont sans doute que les hyperboles ordinaires à un lyrisme de convention. En tout cas, nul n’a pu dire qu’il ait manqué de dignité dans sa conduite. Quand Mécène lui fit don d’une villa dans la Sabine, Horace accueillit ce présent non comme un salaire payé par un protecteur, mais comme un gage d’affection offert à un ami.

    On sait qu’avec Auguste il ne voulut jamais s’engager, au point que pour obtenir que le poète lui dédiât une de ses épîtres, l’empereur était obligé de l’en prier. En outre, malgré ses demandes pressantes, il ne put jamais se l’attacher comme secrétaire, au point que cet amour de l’indépendance ait pu paraître excessif. Ce ne fut apparemment pas le cas d’Auguste qui n’a jamais tenu rigueur à Horace de ce refus, ce dernier prétextant des ennuis de santé plus ou moins diplomatiques, mais cependant bien réels. Cette santé allait d’ailleurs s’altérer de manière plus marquée à l’approche de la cinquantaine.

    Le séjour à Rome le fatiguait, et il ne pouvait plus supporter l’air trop vif des âpres montagnes de la Sabine. Il lui fallait la température plus douce de la villa qu’Auguste lui donna à Tibur, ou la tiédeur du climat des villes de mer. Lorsque Mécène mourut, depuis longtemps Horace souffrait d’un malaise vague et général. Le chagrin qu’il ressentit à la mort de son ami aggrava son état.  « Le même coup nous frappera tous deux, avait-il écrit. Je l’ai juré. Je le jure encore : dès que tu me montreras le chemin, je serai prêt. Nous irons, oui nous irons ensemble à notre dernier asile ». Il tint parole, et s’éteignit quelques mois après Mécène (8 av. J.C.). L’empereur, seul héritier de la fortune de Mécène, prit soin que les tombeaux du poète et de l’homme d’Etat fussent voisins l’un de l’autre. 

    Michel Escatafal

  • La littérature au siècle d’Auguste

    littérature,histoire,romeLa littérature au siècle d’Auguste représente le moment où elle atteint sa maturité, grâce à un ensemble de circonstances favorables qui permit aux écrivains de profiter pleinement du long travail de préparation qui s’était accompli aux époques antérieures. Cela me fait un peu penser à ce qui s’est passé en France au dix-septième siècle, époque ô combien dorée dans l’histoire de la littérature de notre pays.

    Après les dernières années de la République à Rome, pendant lesquelles l’activité politique avait été tendue à l’extrême, le calme était devenu une nécessité, comme à la fin de chaque période où règnent le  conflit violent des idées, des intérêts et des passions. Les révolutions, en effet, sont pareilles aux flots qui ne fécondent le sol que lorsqu’ils s’en sont retirés. Ainsi, à ce moment de l’histoire romaine, la littérature s’est surtout attachée à ce qu’il y avait de plus général, étudiant l’homme dans ce qu’il a de permanent, ses créations acquérant le caractère d’intérêt éternel, qui est la marque des œuvres classiques.

    C’est d’ailleurs dans ce contexte que les Romains, ayant avant tout besoin de calme, ont souhaité et accepté  volontiers un pouvoir fort leur garantissant le repos, pour peu que celui-ci soit relativement modéré, ce qui n’était  pas nécessairement antinomique à cette époque. C’est ce que comprit Auguste qui,  bien qu’exerçant un pouvoir absolu, l’exerça avec une certaine mesure, au moins pendant les premières années de son long règne (27 av. J. C. à  14). Et cette modération s’étendit des choses du gouvernement à celles de l’esprit, avec des écrivains qui, se trouvant indépendants, mirent dans toutes leurs conceptions un heureux et harmonieux équilibre.

    Auguste eut même l’habileté de laisser au peuple romain l’illusion que la perte de sa souveraineté ne coûtait rien à son orgueil.  Il sut conserver les formes républicaines, allant même jusqu’à laisser croire que l’empire naissant était le vrai restaurateur de la république. Dans ce cadre, il marqua nettement son désir de respecter les traditions du passé, rendant sans cesse hommage au génie et aux vertus de la civilisation romaine. Cela ne l’empêcha pas de rendre plus visible la grandeur de Rome, maîtresse de l’univers connu à l’époque, par la construction de superbes édifices, comme le théâtre de Marcellus, le Panthéon d’Agrippa, le temple d’Apollon Palatin, sans parler de l’ouverture de magnifiques promenades qui donnaient à la ville un aspect digne de la capitale du monde.

    Dans un tel cadre, l’inspiration patriotique ne manquait pas aux grands artistes, ces derniers célébrant le passé pour mieux préparer l’avenir éclatant qui se préparait. Les écrivains furent ainsi les grands bénéficiaires de cette paix publique, qui leur assurait à la fois leur entrée dans la postérité et le public, pour récompenser au présent la qualité de leurs travaux. Les Romains en effet, se désintéressant de plus en plus de la politique, finirent par se passionner pour la littérature, du moins dans les hautes classes de la société, qui appréciaient d’autant plus de se livrer au plaisir des arts qu’elles étaient  réduites à l’inaction civique.

    Auguste traitait les grands écrivains, Virgile, Horace, Tite-Live, avec une familiarité spirituelle et affectueuse. Mécène (70-8 av. J.C.), très proche d’Auguste qui était aussi l’amant de sa femme,  réunit autour de lui une sorte d’académie de beaux-esprits où l’on cherchait à découvrir et à recommander le mérite. Ce surintendant des beaux-arts allait ainsi regrouper les talents autour du pouvoir. Quant aux aristocrates, y compris ceux qui sont méfiants vis-à-vis du nouveau régime, ils croient s’honorer en imitant la faveur que le nouvel homme fort témoigne aux lettres. Simplement ils étaient peut-être encore plus exigeants en termes de qualité que les autres. Bref, il fallait pour  plaire à tout ce joli monde, ce qu’on nommait à Rome l’urbanité.

    Avec eux « il faut que la précision donne des ailes à la pensée, pour qu’elle ne s’empêtre pas dans un verbiage dont l’oreille se fatigue ; il faut savoir passer du sévère au gracieux, se montrer tantôt orateur, tantôt poète, et quelquefois avec le tact d’un homme du monde, ménager ses forces et en cacher à dessein la moitié » ( Horace, Satires, 1,10). Dit autrement, ce que réclame un tel public, c’est surtout le soin, la justesse, la souplesse, la variété, le goût en un mot, et ce sont ces qualités en effet que les grands écrivains de cette époque possédèrent en perfection.

    Toutefois ce moment de grâce si brillant fut finalement très court et, très vite, on commença à déceler les premiers symptômes de quelques uns des défauts qui marquent le déclin des lettres latines. Tout d’abord, faute de vie et de réelles discussions, l’éloquence du Forum ne pouvait survivre, même si le goût des Romains pour la parole vivante continuait à maintenir, ça et là, des écoles où la jeunesse pouvait se livrer à des exercices oratoires. On y apprenait à partir d’un fait imaginaire à discuter et à appliquer un texte de loi, ces controverses (comme on les appelait) préparant au barreau. On faisait même débattre des questions politiques…empruntées à l’histoire (suasoriae), la déclamation devenant de l’art pour l’art.

    Mais il n’y avait pas que des jeunes gens pour se livrer à ces exercices, car pour certains c’était devenu une profession où la subtilité côtoyait l’emphase. Parmi ceux-ci il faut citer  Asinius Pollion (76 av. J.C.- 4 de notre ère), à la fois orateur, historien et poète, Albucius Silus (60 av. J.C.-10 de notre ère), écrivain-déclamateur, mais aussi Porcius Latro, originaire de Cordoue comme le père de Sénèque (60 av. J.C.-39 de notre ère), les deux hommes ayant terminé leurs études à Rome sous la direction d’un de leurs compatriotes, Marullus, qui tenait une école de rhétorique.

    Ensuite, avec Horace et Virgile, la poésie donna des modèles accomplis, mais elle se ressentait du divorce de plus en plus grand entre la plèbe et les classes supérieures, déjà perçu dès l’époque précédente.  Le peuple n’était plus que la populace, et les genres populaires disparaissaient presque entièrement. Il n’y avait plus de théâtre, et le mime cède alors la place à la pantomime, qui n’était rien d’autre qu’un spectacle. Quant aux tragédies, elles ne se font tolérer qu’au prix d’un grand déploiement de mise en scène. Horace en avertit ses lecteurs, en affirmant « qu’on ne va plus au théâtre pour charmer les oreilles, mais pour n’y goûter que le plaisir des yeux ». Quand aux œuvres qui s’adressent au public distingué, la plupart laissent voir qu’elles sont faites pour un public restreint, donc pour une élite. Résultat, elles s’arrêtent au cénacle et à la coterie.

    Conclusion, les artistes n’écrivent plus que pour des petits groupes qui ont leurs engouements et leurs manies, recherchant avant tout les habiletés de métier ou les tours d’adresse, qui seront applaudis par les cercles d’amateurs. Or, si l’on en croit Horace, le goût pour les vers dégénéra assez vite en métromanie, et la sincérité du goût se perdit dans ce milieu devenu très artificiel, où on ne lisait plus que des poèmes devant un auditoire choisi et, disons-le, conquis d’avance. On retrouve l’influence fâcheuse de ces lectures publiques, comme on les appelait, non seulement chez des auteurs de second ordre, mais aussi chez Ovide.

    En contrepartie, elles ont permis aux auteurs de s’affranchir de l’arbitraire et même de la tyrannie des libraires, si l’on en croit Juvénal dans ses Satires, et d’échapper au contrôle de la production littéraire, car les successeurs d’Auguste n’ont pas eu tous la sagesse dont ce dernier a fait preuve pendant la première partie de son règne. D’ailleurs Sénèque (2-65), le philosophe, mais aussi Tacite (35-120) et Juvénal (42-125), ont attesté de la vitalité de la littérature latine grâce à ces lectures publiques.

    Michel Escatafal

  • Le Sage, l'auteur de l'histoire de Gil Blas de Santillane et bien plus encore

    Le Sage.jpgAlain-René Lesage est né à Sarzeau (Morbihan) le 6 mai 1668 et mort à Boulogne-sur-Mer le 17 novembre  1747. Après s’être essayé à divers métiers et avoir traduit, pour gagner de l’argent, plusieurs pièces espagnoles, il obtint son premier succès en 1707 avec la petite comédie de Crispin rival de son maître. Ensuite il donna, la même année, un roman imité d’un auteur picaresque espagnol, le Diable boiteux. Pour mémoire je rappellerais que l’adjectif picaresque vient de l’espagnol picaro (vaurien), et se dit d’un genre de romans, fort nombreux en Espagne, et consacrés à la peinture des mœurs de la partie la moins recommandable de la société.

    Fermons la parenthèse, pour noter qu’en 1709 Lesage fait représenter Turcaret ou le Financier, comédie en cinq actes et en prose, un des chefs d’oeuvre de la scène française, et la comédie de mœurs la plus forte qui ait été écrite dans toute cette période si curieuse, qui comprend à peu près les trente dernières années du règne de Louis XIV. Mais le meilleur était encore à venir avec l’Histoire de Gil Blas de Santillane, publiée en trois fois (1715-1724-1735), et qui est  restée le titre définitif de Le Sage à l’admiration de la postérité.

    Cet ouvrage marque en effet  avec éclat une sorte de renouvellement du roman. Ce genre, qui s’était complu presque uniquement dans le récit des aventures et dans la description des passions héroïques ou héroï-comiques, revendiquait enfin pour lui la peinture des caractères et des mœurs, jusque-là réservée à la comédie et aux livres des moralistes. Le Sage n’oublie de dépeindre personne,  qu’il s’agisse des médecins,  poètes, comédiens, pédants, valets, voleurs, bourgeois, petits-maîtres, hommes d’Etat, hommes de loi ou hommes d’église. Mais il n’y a pas non plus une condition sociale par laquelle il néglige de faire passer son héros, dans cet ample récit constamment gai, même si cette gaieté est parfois un peu âpre et tendue, dont le style est un modèle de pureté, de vivacité et de malice.

    Le Sage a aussi composé quelques autres comédies et romans, notamment le Bachelier de Salamanque (1736), sans oublier une centaine de pièces pour le théâtre de la Foire avec Fuzelier (à la fois poète et chansonnier) à l’époque où ce dernier était un des principaux rédacteurs du Mercure de France. Ces pièces  contiennent souvent des scènes parfois très amusantes et finement satiriques.

    Toutefois, quelle que soit la qualité de toutes ces pièces, c’est quand même dans l’œuvre maîtresse de Le Sage, l’Histoire de Gil Blas de Santillane, que son génie s’exprime le mieux. Dans ce roman il peint effectivement les travers généraux de l’humanité, mais il a aussi attaqué à plusieurs reprises les défauts et les ridicules de ses contemporains. Il lui est même arrivé de faire des portraits, ce qui nous permet de reconnaître Voltaire dans le poète tragique Triaquero, dont il est question dans le livre X, que Le sage oppose, pour le rabaisser à Lope de Vega (Corneille) et à Calderon (Racine).

    Sous le nom de la marquise de Chaves, chacun savait qu’il voulait parler de Madame de Lambert (1647-1733), l’auteur des Avis d’une mère à sa fille et des Avis d’une mère à son fils, femme remarquable dont Fontenelle a écrit l’éloge, et dans le salon de laquelle se réunissaient les hommes les plus distingués de l’époque. Ses envieux et ses ennemis  reprochaient à ce salon de rappeler un peu trop ceux des anciennes précieuses, et c’est un sentiment que Le Sage ne paraît pas éloigné de partager.

    Dans le livre IV il est écrit : « La marquise de Chaves était une veuve de trente-cinq ans, belle, grande, et bien faite. Elle jouissait d’un revenu de dix mille ducats, et n’avait point d’enfant. Je n’ai jamais vu de femme plus sérieuse, ni qui parlât moins. Cela ne l’empêchait pas de passer pour la dame de Madrid la plus spirituelle. Le grand concours de personnes de qualité et de gens de lettres qu’on voyait chez elle tous les jours contribuait peut-être plus que son mérite à lui donner cette réputation. C’est une chose que je ne déciderai point. Je me contenterai de dire que son nom emportait une idée de génie supérieur, et que sa maison était appelée par excellence, dans la ville, le bureau des ouvrages d’esprit. Effectivement on y lisait chaque jour tantôt des poèmes dramatiques et tantôt d’autres poésies. Mais on n’y faisait guère que des lectures sérieuses ; les pièces comiques y étaient méprisées. On y regardait la meilleure comédie, ou le roman le plus ingénieux et le plus égayé, que comme une faible production qui ne méritait aucune louange ; au lieu que le moindre ouvrage sérieux, une ode, une églogue, un sonnet, y passait pour le plus grand effort de l’esprit humain. Il arrivait souvent que le public ne confirmait pas les jugements du bureau, et que même il sifflait impoliment les pièces qu’on y avait fort applaudies ».  

    C’est bien dit, c’est fin, mais c’est aussi assez mordant. Cela dit, tout ce roman est aussi admirable par  la façon dont Le Sage a su faire passer ses messages, en contournant la censure de l’époque. Il est vrai que le cadre tout espagnol du roman était un bon moyen pour apporter une satire sociale sans que celle-ci fût trop voyante.

    Michel Escatafal

  • Destouches représentait sur la scène les moeurs de son époque

    Philippe Néricault-Destouches, né le 9 avril 1680 à Tours d’un père écrivain et organiste, mort le 4 juillet 1754 à Villiers-en-Bière, mérite une des premières places parmi nos auteurs comiques de second ordre. C’était un homme d’un esprit inventif et chercheur. Chargé, de 1717 à 1723, d’une mission diplomatique à Londres, il connut le théâtre  anglais et sut en apprécier les mérites. D’ailleurs, on trouve dans ses œuvres, en même temps que le Dissipateur (1736), qui n’est pas sans analogie avec le Timon d’Athènes de Shakespeare, une traduction de quelques scènes de la Tempête de Dryden (1631-1700)) et Davenant (1605-1668), qui n’est elle-même qu’un remaniement peu heureux de la Tempête de Shakespeare. A cela s’ajoute une comédie, le Tambour nocturne, imitée d’Addison (1672-1719), homme politique et écrivain anglais, qui fut rendu célèbre plus par les articles qu’il fournit au journal le Spectateur que par ses poésies et ses œuvres dramatiques, trop peu originales.

    Les comédies originales de Destouches sont généralement considérées comme dignes d’attention. Sans renoncer à peindre, à l’exemple de Molière, des caractères généraux, Destouches cherche à représenter sur la scène les mœurs de son époque. De plus, il introduit le premier dans la comédie un élément pathétique et sérieux, et mérite d’être mis au nombre de ceux qui, avec des talents et des succès divers, et malgré les railleries des contemporains, ont contribué à renouveler en France le genre comique. Cependant il prend trop souvent le ton d’un moraliste, et, à part quelques scènes excellentes et sa farce de la Fausse Agnès, ses comédies, bien écrites et sagement conduites, paraissent manquer de gaieté, ce qui est pour le moins gênant. Ses deux meilleures œuvres sont le Philosophe marié (1727) et le Glorieux (1732).

    Dans le Philosophe marié, j’ai apprécié plus particulièrement la scène IV de l’acte I, avec comme personnages Ariste et Finette. Ariste a épousé Mélite qu’il aimait. Mais il redoute d’être déshérité par un oncle qui avait pour lui d’autres desseins. De plus, en sa qualité de philosophe, qui raisonne librement de toute chose, il s’est autrefois moqué du mariage et redoute à son tour les moqueries. Il veut donc  que tout le monde ignore qu’il est marié. Cette situation singulière et, avouons-le, assez invraisemblable, en amène d’autres fort piquantes et dans lesquelles la philosophie d’Ariste, qui est d’ailleurs un honnête homme, reste sans cesse en défaut, quand ses passions ou ses intérêts sont en jeu. Quant à Finette, elle est la suivante de Mélite, femme d’Ariste, et a, comme les servantes de Molière, son franc parler dans la maison.

    Finette en fait preuve,  notamment lorsque Ariste insiste pour qu’elle consente une fois pour toutes à garder le secret sur le mariage, ce qui lui vaut cette réplique : « C’est conscience à vous que de vouloir forcer,/ Pendant deux ans entiers, des femmes à se taire./ Pour moi, j’aimerais mieux vivre en un monastère,/ Jeûner, prier, veiller, et parler tout mon soûl ». Et pour bien se faire comprendre, Finette ajoute un peu plus loin : « Parmi vingt bons ragoûts, la plus grossière viande,/ Que l’on me défendrait constamment de goûter,/ Serait le seul morceau qui pourrait me tenter ». Cette réplique va finir de mettre en colère Ariste qui ira jusqu’à dire : « Quel travers ! Quel esprit de contradiction !/ Quel fonds d’intempérance et d’indiscrétion !.../ Voilà les femmes ». Il n’empêche, Ariste reconnaît bien volontiers que les « discours malins » de Finette « sont remplis de bon sens », et va essayer régler le problème en proposant de l’argent à Finette pour l’apaiser et lui imposer silence…ce que cette dernière accepte par cette remarque : « Tant que vous paierez bien, je vous réponds de moi ». Bien entendu tout s’arrangera à la fin, et chacun y trouvera son compte.

    En résumé, Destouches est assurément le meilleur de tous nos auteurs de comédies en vers, après Molière et Regnard, même si sa versification manque, comme ses inventions, de vivacité et de gaieté. Il aura en outre laissé à la postérité trois expressions que tout le monde connaît : « Les absents ont toujours tort » (l’Obstacle imprévu), « la critique est aisée, et l’art est difficile » (Le Glorieux) et « chassez le naturel, il revient au galop »(Le Glorieux). Et pour terminer cette période si riche en auteurs de théâtre de grand talent, je voudrais mentionner deux comédies qui furent célèbres dans la première partie du dix-huitième siècle, le Méchant (1733) de Gresset (1709-1777), et la Métromanie (1738) de Piron (1689-1773). La première, écrite en vers sans grand relief, mais non sans élégance, met en scène un caractère très général et assez peu net qui se développe à travers les incidents d’une intrigue enfantine. Quant à la seconde, plus vivante et pleine de verve, elle met en scène un caractère très particulier et dans lequel bien peu de gens peuvent se reconnaître, mais généreux autant que plaisant, et par la-même assez original.

    Michel Escatafal