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histoire - Page 11

  • Regnard : un bon imitateur de Molière

    littérature,histoireNé à Paris en 1655, mort en 1709 au château de Grillon (près de Dourdan), Jean-François Regnard qui a bénéficié très jeune de la fortune laissée par son père, a passé une bonne partie de sa jeunesse à parcourir la moitié de l’Europe entre 1675 et 1683, ce qui lui valut aussi en 1678 d’être pris par des pirates et vendu comme esclave à Alger. Il appartient par ses comédies à ce groupe intéressant d’auteurs comiques, dont les pièces nous représentent fidèlement les changements qui s’accomplirent dans les mœurs sociales, pendant les trente dernières années du siècle de Louis XIV. Cela dit, il n’a produit aucune œuvre qui puisse se comparer, pour l’âpreté satirique et la peinture sérieuse des caractères, avec le Turcaret de Le Sage (1709), ou qui jette autant de lumière sur la société du temps que certaines pièces de Dancourt.

    A propos de Dancourt (1661-1725), notons qu’il fut comédien en même temps qu’auteur de comédies, et qu’il a surtout excellé dans la peinture des bourgeois et de ceux que l’on appelait « les petites gens ». Il y déployait beaucoup de verve et d’aisance, au point qu’on puisse louer comme une œuvre vraiment profonde son Chevalier à la mode (1687), comédie en cinq actes et en prose qui, dans toute la période allant de Molière à Marivaux, ne le cède qu’à Turcaret.

    Pour revenir à Regnard, il a pour lui, avec l’aisance du dialogue et de la versification, une gaieté que rien ne déconcerte. C’est par ces qualités que brillent ses principales comédies, le Joueur (1696), où l’on trouve le caractère le plus approfondi qu’ait tracé Regnard, le Distrait (1697), Démocrite (1700), les Folies Amoureuses (1704), les Ménechmes (1705), le Légataire universel (1708), sans doute son chef d’oeuvre. Regnard a aussi écrit un assez grand nombre de farces pour les Comédiens Italiens, et publié une narration romanesque de ses voyages, notamment la Provençale, roman posthume qui paraîtra en 1731. Autant de raisons d'affirmer qu'il mérite de figurer parmi les meilleurs imitateurs de Molière, lui empruntant des idées, des procédés ou des jeux de scène, mais avec sa note à lui. 

    Un dernier mot enfin, pour souligner que les Comédiens Italiens furent établis à Paris d’une manière permanente à partir de 1662. Quand l’ancienne troupe de Molière et celle de l’Hôtel de Bourgogne se réunirent pour constituer la Comédie Française (1680), les Italiens prirent pour eux la salle de l’Hôtel de Bourgogne. Dès lors s’établit entre les deux théâtres une sorte de rivalité, qui se termina tout d’un coup en 1697, quand les Italiens, pour des raisons qui ne sont pas bien éclaircies, se virent interdire de continuer leurs représentations. Toutefois cette rivalité recommença très vite, les théâtres populaires de la Foire Saint-Laurent et de la Foire Saint-Germain ayant repris pour eux le répertoire et les traditions des Italiens.

    Michel Escatafal

  • Boileau a jugé ses contemporains comme la postérité devait le faire.

    litttérature,poésie,histoireNicolas Boileau Despréaux est né à Paris le 1er novembre 1636 et mort le 13 mars 1711. De 1660 à 1705 il publia douze Satires, dix Epîtres, un  Art poétique en quatre chants (1674), un poème héroï-comique en quatre (1674), puis en six chants (1683), le Lutrin. Ses œuvres comprennent encore, outre des lettres adressées pour la plupart à ses amis Brossette et Racine, quelques poésies diverses, quelques fantaisies en prose, enfin une traduction (1674) du Traité du sublime de Longin, rhéteur grec du troisième siècle de notre ère, qui fut ministre de la reine de Palmyre, Zénobie.  A cela s’ajoutent des Réflexions sur Longin (1693), publiées pour défendre les Anciens contre Perrault (1628-1703) qui, dans son Parallèle des Anciens (ou des Classiques) et des Modernes (1688), avait essayé de rabaisser leur gloire. Enfin on n’oubliera pas qu’il fut nommé historiographe officiel par Louis XIV, avant d’être élu à l’Académie en 1684.

    Boileau n’est sans doute remarquable ni par cette exaltation lyrique, ni par cette imagination puissante, ni par cette variété pittoresque de la versification que l’on a voulu de nos jours mettre au-dessus de toutes les autres qualités des poètes. Mais il a tous les mérites que son temps pouvait attendre d’un poète satirique et didactique, à savoir l’ironie modérée, sans malveillance excessive et sans beaucoup d’originalité, la justesse de la pensée, la netteté de la composition, la précision aisée et l’élégance soutenue de l’expression. Bref, c’était un excellent critique littéraire.

    On trouve aussi chez lui les sentiments d’un honnête homme,  dont la vie est remplie de beaux traits, et qui fut passionné pour la vertu comme pour la vérité.  On notera aussi son combat,  dès ses débuts, contre les auteurs qui défigurent la nature, en l’ennoblissant outre mesure, en l’affadissant, voire même en la ridiculisant. Ce combat deviendra une doctrine qu’il établit définitivement dans son Art poétique, véritable bulletin de victoire de l’école qui ne veut pas « quitter la nature d’un pas », de l’école de Molière et de Racine. En fait, si l’érudition de Boileau est parfois en défaut, et s’il a eu le tort de mal parler d’anciens auteurs qu’il ne connaissait pas assez, il a, seul peut-être de tous les critiques, le mérite d’avoir jugé ses contemporains comme la postérité devait le faire. Ceux qu’il a exaltés n’ont rien perdu de leur renommée, et ceux qu’il a décriés, appelés les « victimes de Boileau », n’ont jamais franchi les marches de la postérité.

    Parmi les Satires que j’ai lues ou relues,  j’ai bien aimé le Repas ridicule (Satire III), où Boileau démontre à merveille l’art de regarder et peindre la réalité. Il sait regarder les objets au repos, et il en fait voir nettement les lignes, les couleurs et la consistance. Accessoirement  j’ai découvert ce qu’était un godiveau, sorte de pâté composé de veau haché et d’andouillettes. J’ignorais aussi que Mayence avait un jambon célèbre, et surtout que cette ville abritait une foire aux jambons très renommée. Enfin, intéressant sur le plan historique, j’ai appris que l’Université de Paris à l’époque du règne de Louis XIV avait quatre facultés, la Faculté des Arts (lettres et sciences), la Faculté de Médecine, celle du Droit et évidemment celle de la théologie.

    Dans l’Epître V (Se connaître soi-même) à M. de Guilleragues (1674), on retrouve le Boileau moraliste avec la soif de l’or qui mène le monde, lequel n’a pas beaucoup changé depuis trois cents ans. Dans cette Epître il y a un vers qui interpelle : « L’argent seul au Palais peut faire un magistrat ». Pour mémoire à l’époque on achetait un siège de magistrat comme aujourd’hui une étude de notaire.  Dans l’Epître VII, celle à Racine, peut-être la plus intéressante et la plus admirable, on découvre un Boileau prêt à tout pour défendre le grand poète contre une cabale, dirigée par le duc de Nevers et sa sœur, la duchesse de Bouillon, qui opposa avec succès Phèdre et Hippolyte, la tragédie de Pradon (1632-1698), poète tragique sans grande envergure, à la Phèdre de Racine infiniment supérieure, une des pièces majeures du théâtre français .

    Cette affaire connut un grand retentissement au point que Madame Deshoulières (1637-1694), poète connue à l’époque aux convictions de Moderne, avait lancé un sonnet satirique contre la Phèdre de Racine, auquel des amis du poète répondirent par un autre sonnet injurieux pour le Duc de Nevers, protecteur de Pradon. Le duc, dans un troisième sonnet, menaça Racine et Boileau de les punir par des coups de bâton, et le bruit mensonger, recueilli par le poète et ecclésiastique Sanlecque (1652-1714) dans un quatrième sonnet, avait couru que la menace avait été mise à exécution. C’est peut-être à ce bruit calomnieux que Boileau fait allusion dans le vers où il dit : « La calomnie en main quelquefois te poursuit ».

    Enfin dans ses Poésies diverses,  nous retiendrons l’Epitaphe d’Arnauld. Cet Arnauld (1612-1694) était un des plus ardents défenseurs des doctrines jansénistes sur la grâce, ce qui lui valut de devoir s’exiler à plusieurs reprises, et d’être enterré secrètement dans l’église Sainte-Catherine à Paris. Cela dit, Arnauld était très célèbre pour l’abondance de son érudition théologique, ce qui plaisait à Boileau, lui-même loin d’être hostile aux doctrines jansénistes et à leurs défenseurs.  Dans cette épitaphe Boileau parle d’Arnauld comme « le plus savant mortel qui jamais ait écrit », au point que « Plein du feu qu’en son cœur souffla l’esprit divin/ Il terrassa Pélage, il foudroya Calvin ».  Ce Pélage était un moine breton du cinquième siècle, qui soutint contre Saint-Augustin la doctrine hérétique de la prédominance du libre arbitre sur la grâce. Quant à l’allusion à Calvin, c’est pour souligner qu’Arnauld a beaucoup écrit contre les protestants.

    En résumé, dans ses meilleurs pages Boileau s’affirme comme un poète de grande qualité, ce que la postérité n’a peut-être pas suffisamment souligné, parce qu’il a vécu à l’époque de Corneille, Racine, Molière ou dans un autre genre La Fontaine. Malgré tout il restera dans l’histoire de notre littérature, comme un poète capable d’écrire avec des vers harmonieux qu’il a mis au service de la satire et de la critique littéraire. En outre il fut considéré comme un théoricien du « classicisme », doctrine qui a permis à son époque d’être une période de référence de notre culture. Il aura eu aussi le mérite d’avoir essayé d’imposer un art d’écrire qui aura inspiré nombre de jeunes écrivains.

    Enfin on retiendra aussi de lui quelques phrases qui ont toujours fait le bonheur des amoureux de belles lettres, et dont ils doivent toujours s’inspirer. Parmi celles-ci  je citerais : « Rien n’est beau que le vrai : le vrai seul est aimable » (Epîtres).  « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ; Polissez-le sans cesse et repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez » (L’Art Poétique). « Aimez qu'on vous conseille, et non pas qu'on vous loue » (l’Art Poétique). « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » (l’Art Poétique). « Le plus sage est celui qui ne pense point l'être » (SatireIV). « Avant donc que d’écrire, apprenez à penser » (L’Art Poétique ».

    Michel Escatafal

  • Le théâtre de Racine : le modèle le plus accompli de la tragédie française classique

    racine.jpgNé le 21 décembre 1639 à la Ferté-Milon (Aisne),  élevé en partie à Port-Royal, et destiné d’abord à la théologie, Jean Racine est le troisième monstre sacré du théâtre au dix-septième siècle, avec Molière et Corneille. Pourtant sa carrière commença bien mal puisqu’il fit représenter, en 1664, une première et médiocre tragédie, la Thébaïde, ou les Frères ennemis. La seconde, Alexandre (1665), fut déjà nettement meilleure. Puis Il faudra attendre Andromaque (1667) pour qu’enfin son génie se révèle dans toute sa splendeur. Ensuite viendront l’amusante comédie des Plaideurs (1668) ce qui témoigne de son éclectisme, et six tragédies qui sont autant de chefs d’œuvre : Britannicus (1669), Bérénice (1670), Bajazet (1672), Mithridate (1673), Iphigénie en Aulide (1674), Phèdre (1677).

    A cette époque, lassé des attaques de ses adversaires, de plus en plus préoccupé de son salut et de ce qu’il doit à Dieu, se consacrant aussi aux devoirs  nouveaux que lui crée son mariage (1677) après une vie dissolue jusque-là, plus le cœur qu’il met dans sa charge d’historiographe du roi, l’accompagnant dans toutes ses campagnes, il renonce au théâtre. Toutefois, cédant aux supplications de Madame de Maintenon, il fait représenter à Saint-Cyr, Esther (1689), et dans les appartements du roi, Athalie (1691), la plus originale de ses productions. A ce propos, plus généralement, le théâtre de Racine nous offre le modèle le plus accompli de la tragédie française classique, et l’on chercherait vainement quelle sorte de mérite a manqué à ce grand homme. Tout y était : propriété du style, souplesse de la versification, juste ordonnance d’une intrigue naissant du choc même des passions, mais aussi naturel et profondeur dans la peinture des caractères les plus complexes.

    Les chœurs d’Esther et d’Athalie, ainsi que les quatre Cantiques spirituels qu’il publia en 1694, assurent encore à Racine  un rang élevé parmi les poètes lyriques de la France. Ses épigrammes, ainsi que quelques uns de ses écrits en prose, décèlent l’esprit le plus fin, le plus aiguisé, parfois aussi le plus mordant, notamment vis-à-vis des Messieurs de Port-Royal, ces derniers ne louant que leurs amis et n’ayant de cesse de critiquer leurs ennemis au mépris de la vérité, sans oublier ses railleries cruelles à l’égard des magistrats dans les Plaideurs.  Bref, Racine était un génie de la littérature et du théâtre, ce qui lui permit, avec Boileau, d’être nommé historiographe du roi  (1677) sur proposition de la marquise de Montespan (maîtresse du roi) et sa sœur, Madame de Thianges. Cette nomination lui valut de nombreuses inimitiés, dont celle de Madame de Sévigné qui soutenait plutôt son cousin pour accomplir cette mission.

    Dans ce cadre il  s’était occupé d’amasser pendant des années des matériaux pour écrire l’histoire du règne de Louis XIV. Hélas, à l’exception de quelques fragments, tout périt dans l’incendie de la maison que Valincour, son successeur comme historiographe, possédait à Saint-Cloud (1726). Cet accident était d’autant plus fâcheux que les travaux de Racine avaient une haute valeur historique, même si certains lui avaient reproché de faire la part trop belle à son grand roi, ce en quoi ils avaient tort, car Racine s’était aussi plu à faire ressortir les belles actions des simples soldats, éternels oubliés après les combats. Racine mourut le 22 avril 1699 et fut enterré à Port-Royal.

    Parmi les écrits en prose de Racine, il y en a un qui retient particulièrement l’attention, le Discours prononcé dans l’Académie française le 2 janvier 1685, dans lequel Racine répond en qualité de directeur de l’Académie française au discours de réception de Thomas Corneille, élu en remplacement de son frère, et lui-même auteur d’un grand nombre de tragédies, dont les plus connues sont Ariane et le Comte d’Essex. Dans ce discours,  Racine fait ressortir les grandes qualités de Corneille, notamment celle consistant pour les auteurs s’inspirant de l’espagnol, d’avoir su prêter à des personnages héroïques un langage et des sentiments naturels. Il en profitera aussi, à travers son compliment à l’auteur du Cid, pour flatter une nouvelle fois Louis XIV qu’il appelle Louis le Grand, par une phrase admirable dont il avait le secret : « La France se souviendra avec plaisir que, sous le règne du plus grand de ses rois, a fleuri le plus grand de ses poètes ».

    Un dernier mot enfin pour souligner la chance que j’ai eue d’avoir des professeurs de français qui aimaient Racine, et qui m’ont fait découvrir à travers les pièces que nous étudions la diversité de son théâtre. Dans Bérénice, nous sommes en présence d’une pièce qui est d’abord une élégie sentimentale et romanesque. La séparation forcée de deux amoureux est toujours triste, comme en témoignent les larmes des deux héros, mais ce n’est pas pour autant un spectacle tragique. Dans Andromaque et Iphigénie Racine apparaît comme le poète de la passion et de ses désordres, ce qui n’empêche pas ses héros d’exprimer avec une touchante délicatesse les plus nobles sentiments du cœur. Dans Phèdre, la passion va au-delà de l’entendement et devient une folie qui provoque les pires catastrophes. En fait le poète est remarquable parce qu’il est capable de pénétrer jusqu’aux dernières divisions de la conscience.

    Michel Escatafal

  • Molière, suite...

    Dans la suite de ce que j’écrivais sur Molière, j’ai voulu noter quelques remarques ou anecdotes qui m’ont particulièrement marqué en relisant  son œuvre, avec quelques pièces qui méritent davantage considération que celle qu’on leur accorde généralement. La première qui me vient à l’esprit est l’Ecole des Maris, peut-être parce que je suis un admirateur inconditionnel du théâtre espagnol. Cette pièce, écrite en 1661, présente en effet une ressemblance frappante entre la situation des deux frères de l’Ecole des Maris à l’égard des deux jeunes filles dont l’éducation leur est confiée, et celle des deux principaux héros d’une comédie espagnole d’Antonio de Mendoza, El marido hace mujer (1643), qui est sans nul doute l’une des principales sources de la pièce de Molière. Cela étant, l’idée de traduire sur la scène deux systèmes d’éducation opposés, a fourni matière à un grand nombre d’auteurs comiques depuis les Adelphes  de Térence, dont Molière s’est certainement souvenu, comme s’en était souvenu au seizième siècle, Pierre de Larivey dans sa comédie des Esprits.

    Dans cette pièce, comme dans d’autres, on voit souvent apparaître le nom de Sganarelle. Sganarelle est un nom traditionnel, à l’origine incertaine, que Molière a donné plusieurs fois dans ses comédies à un personnage comique dont il remplissait lui-même le rôle. Autre nom qui m’a interpellé, Ariste, mot grec francisé qui signifie « très bon », et qui n’est donné qu’aux personnages qui représentent le bon sens. Dans un tout autre ordre d’idées, on trouve dans  l’Ecole des Maris des renseignements intéressants sur la manière d’être des gens à l’époque.

    Ainsi dans une longue tirade de Sganarelle, on évoque des jeunes élégants qui se parfumaient avec de l’essence de muguet, d’où le nom de « jeunes muguets » donné par Molière. Ce dernier parle aussi de « blonds cheveux », ce qui permet de  découvrir que les jeunes gens qui avaient des cheveux naturellement abondants et bouclés les laissaient flotter sur leurs épaules, préparant ainsi l’arrivée en masse de la perruque (1661), laquelle ne l’oublions pas est devenue à la mode suite à la perte de cheveux de Louis XIV après la fièvre typhoïde qu’il contracta en 1658.

    Un peu plus loin, Sganarelle évoque aussi « ces cotillons appelés hauts-de-chausses », larges comme des jupes de femme, et qui étaient la partie du vêtement des hommes qui couvrait le corps de la ceinture aux genoux. Ce haut-de-chausses très large s’appelait en réalité rhingrave. Il faisait partie des vêtements favoris des hommes de la cour, la mode en ayant été introduite par un prince allemand ou rheingraf (comte du Rhin), que l’on croit être Frédéric, seigneur de Neuviller, gouverneur de Maëstricht pour la Hollande (mort en 1673), qui à plusieurs reprises séjourna longuement à Paris, et qu’on appelait particulièrement Monsieur le Rhingrave.

    Autre pièce qui a suscité mon intérêt, Mélicerte. La pastorale de Mélicerte (1666) avait été composée pour prendre place dans le Ballet des Muses (auteur Benserade 1612-1691),  dansé en présence de toute la cour et dans lequel le roi tenait un rôle. Dans l’acte 1, Lycarsis dit du roi de Thessalie : « Dans toute sa personne il a je ne sais quoi/ Qui d’abord fait juger que c’est un grand roi », ce qui en réalité est une manière de louer Louis XIV sans sortir du ton de la comédie, comme en témoigne la manière dont il égratigne au passage les courtisans : « Et l’on dirait d’un tas de mouches reluisantes/ Qui suivent en tous lieux un doux rayon de miel ».

    Enfin comment ne pas parler d’une pièce écrite en prose, Les Précieuses Ridicules, qui vaut non seulement par ses éléments de comique, mais aussi par la manière dont Molière fait ressortir un mouvement  à la fois social, intellectuel et artistique qu’est la préciosité. A ce propos il faut savoir que ce mouvement avait dans un premier temps suscité l’admiration. Les habitués de l’hôtel de Rambouillet avaient été honorés, en signe précisément de l’admiration qu’ils inspiraient, du nom de « précieux » et « précieuses », c’est-à-dire hommes, femmes d’un grand prix. Mais lorsque les romans de Mademoiselle de Scudéry eurent mis à la mode, jusque dans la bourgeoisie  et dans les provinces, le langage raffiné et la délicatesse excessive des sentiments, le mot de « précieux »commença à être pris péjorativement.

    Au reste Molière, dans sa préface de la comédie (1659), écrivait : « Les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes qui méritent d’être bernés ; ces vicieuses imitations de ce qu’il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la comédie ; et, par la même raison que les véritables savants et les vrais braves ne se sont point encore avisés de s’offenser du Docteur de la comédie et du Capitan, non plus que les juges, les princes et les rois de voir Trivelin, ou quelque autre, sur le théâtre, faire ridiculement le juge, le prince ou le roi, aussi les véritables Précieuses auraient tort de se piquer, lorsqu’on joue les ridicules qui les imitent mal ».

    Il est vrai que parler constamment par métaphores, et utiliser systématiquement les adverbes « furieusement », « terriblement », « épouvantablement », « horriblement », dans le sens de « très », « beaucoup » a effectivement de quoi être considéré comme autant de marque d’affectation. Cependant  je préfère encore cette affectation que cette manie que l’on a aujourd’hui d’employer à tout propos des mots anglais, notamment à la télévision, qui pourraient avantageusement être remplacés par des mots bien français. Dommage que Molière ne soit plus là pour se moquer de ces gens qui, à défaut d'être « précieux », sont « furieusement » ridicules.

    Michel Escatafal

  • La Fontaine : nul n'a mieux aimé, mieux compris la nature

    la Fontaine.jpgNé le 8 juillet 1621 à Château-Thierry, mort à Paris le 13 avril 1695, Jean de la Fontaine qui hérita d’une charge de maître des eaux et forêts que son père avait exercée, et qui fut marié à vingt-six ans, dut renoncer bientôt à son emploi tout en se montrant époux aussi peu recommandable qu’incapable magistrat. Les anecdotes si abondantes que la tradition nous a conservées sur ses habitudes et ses distractions ne sont sans doute pas toutes vraies, mais l’impression que sa conduite avait laissée dans les esprits doit s’y refléter. Jusque dans sa vieillesse, sa vie manqua toujours de gravité, même s’il sut faire preuve de fidélité vis-à-vis de ses bienfaiteurs. Parmi ceux-ci le surintendant Fouquet qui en fit son protégé, au point de le faire vivre chez lui pendant sept ans. La Fontaine lui resta fidèle dans la disgrâce et écrivit en sa faveur l’Elégie aux nymphes de Vaux (1661) et une Ode au roi (1663).

    Citons encore parmi ses œuvres, trois poèmes assez peu intéressants, Adonis (publié en 1669), la Captivité de saint Malc (1673), le Quinquina (1682), quelques comédies, un agréable récit en deux livres, prose et vers mêlés, des Aventures de Psyché (1669), de forts jolies lettres à sa femme écrites pendant un voyage au centre de la France (1663), cinq livres de Contes et Nouvelles, imités pour la plupart, de Boccace (1665-1695), et surtout ses incomparables et inimitables Fables (deux cent trente neuf au total), dont les trois premiers livres parurent en 1668, les trois suivants en 1669 ; les livres VII, VIII, et IX en 1678, les deux suivants en 1679, le douzième et dernier en 1694.

    Il est évidemment inutile de s’étendre sur ces fables, imitées des modèles antiques comme Phèdre ou Esope quant au déroulement des histoires, dont aucune n’est insignifiante, et dont plus de la moitié  sont de purs chefs d’œuvre. Tout le monde sait qu’elles sont également remarquables par la variété des sujets, la netteté de la composition, le pittoresque des descriptions, la vérité des caractères, le mouvement dramatique du récit, la sincérité du sentiment poétique, la richesse du vocabulaire, l’heureuse diversité des rythmes. Il n’est pas jusqu’à la morale qui y est jointe ou qui s’en dégage, encore qu’on ait pu, non sans raison, l’accuser de manquer souvent d’élévation, qui ne soit parfois aussi originale que le récit lui-même. En effet,  sans parler de pièces comme l’Animal dans la lune, les Deux rats, le Renard et l’œuf, où il s’est essayé et où il a réussi à traiter, dans le style aisé d’une conversation en vers, de quelques points de métaphysique, quelles plus belles et majestueuses leçons que celles qu’on peut retirer de fables comme le Chêne et le Roseau, l’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits, l’Homme et la Couleuvre, le Songe d’un habitant du Mogol, le Paysan du Danube ?

    Quelles leçons surtout, sont plus différentes de ces préceptes de morale familière et pratique que la fable jusque-là semblait seulement destinée à enseigner ? Ce qu’on trouverait plus rarement dans l’œuvre de La Fontaine, c’est l’expression de ces sérieux sentiments que fait naître dans les âmes d’élite la méditation de la vie, des devoirs qu’elle comporte, de la fin vers laquelle elle tend. C’est par là peut-être que ce virtuose  de la poésie qui, en dehors des joies de l’art et du travail, ne voulut connaître de la vie que les jouissances qu’elle peut procurer, reste en somme un moraliste incomplet. Cela dit, nul poète n’a mieux senti le prix du naturel, nul n’a mieux aimé et mieux compris la nature, nul n’a trouvé dans son génie, avec moins d’effort en apparence, plus de ressources pour le peindre.

    Parmi les fables qui valent la peine d’être détachées, je citerais l’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits, parce que La Fontaine n’a pas peur de discuter de questions de philosophie. Tout le monde a souligné dans cette fable son aisance, sa précision, vivifiée par l’abondance des images, dans l’exposition et la discussion des doctrines, mais aussi la souplesse expressive de sa versification. De même dans la fable intitulée Un animal dans la lune, toute philosophique, La Fontaine traite en vers la question de la « perception externe », pour parler comme les philosophes, désignant la faculté que nous avons de connaître le monde extérieur. Dans cette fable il y a aussi dans la dernière partie une allusion historique à la lutte que la France, aidée un temps par l’Angleterre, soutint contre la coalition de la Hollande, l’Espagne et l’Autriche entre 1672 et 1679.

    Dans le Serpent et la Lime, La Fontaine nous montre aussi un autre aspect de son art, en prenant la défense de Boileau, lequel après avoir publié en 1666 ses premières « Satires » fut en proie à de violentes attaques.  C’est ainsi qu’il écrivit ces vers admirables : « Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre, Qui n'étant bons à rien cherchez sur tout à mordre.  Vous vous tourmentez vainement.
    Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages sur tant de beaux ouvrages ? Ils sont pour vous d'airain, d'acier, de diamant ». Boileau, qui pourtant fut un rival pour La Fontaine lors sa nomination à l’Académie, ne pouvait rêver meilleur défenseur !

    A propos de sa réception à l’Académie française (1684), j’ai été impressionné par le discours que lut La Fontaine à Madame de la Sablière, appelée Iris dans ce texte comme dans plusieurs autres. Il faut dire que cette dame (1636-1693) fut sa plus constante protectrice, chez laquelle il passa vingt ans. Il faut ajouter aussi à son propos, que cette femme qui avait épousé un financier à la fois homme d’esprit et poète, sut réunir dans son salon un grand nombre d’auteurs et de savants célèbres. Fermons la parenthèse pour noter que dans ce discours on évoque Térence, poète comique, mais aussi un poète pastoral et héroïque comme Virgile, que La Fontaine tenait en grande considération. D’ailleurs Boileau dans sa Dissertation sur Joconde (1663) rapprochait le talent de La Fontaine de celui de ces deux grands modèles.

    La Fontaine avait aussi des ennemis, notamment un certain Antoine Furetière (1620-1688), esprit satirique et auteur d’un Roman bourgeois et d’un Dictionnaire,  dont l’Académie redouta la concurrence au point de l’exclure de son sein. Furetière avait notamment reproché à La Fontaine de ne pas savoir, bien qu’il fût maître des eaux et forêts, ce que c’était que bois de grume et bois de marmenteau. La Fontaine répondit par une courte épigramme assez remarquable, se terminant par : « Le bâton, dis- le-nous, était-ce bois de grume, Ou bien du bois de marmenteau ? ». Cela étant, cette réponse ne dissipa nullement les interrogations que Furetière pouvait avoir sur les connaissances de La Fontaine en matière de bois de forêt. Au contraire il semble que cela ne fit que les renforcer. Malgré tout aujourd’hui à peu près personne ne connaît Furetière, alors que la Fontaine appartient au panthéon de notre littérature.

    Michel Escatafal