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Littérature et histoire - Page 20

  • Madame de la Fayette : une femme dont la qualité principale était "une divine raison"

    Mme de la Fayette.jpgMarie Madeleine Pioche de la Vergne, comtesse de la Fayette, née en 1634 au Havre, morte en 1693, reçut une éducation aussi forte que Madame de Sévigné, sa constante amie. Celle-ci reconnaissait dans Madame de la Fayette une « divine raison, qui était sa qualité principale », et c’est bien par là en effet que son célèbre roman, sur lequel a « beaucoup souffert » Nicolas Sarkozy, la Princesse de Clèves, son chef d’œuvre, se distingue de tout le fatras des ouvrages du même genre que la première moitié du dix-septième siècle avait produit en grand nombre.

    La Princesse de Clèves (1678) est un récit divisé en quatre parties très courtes, dont l’action  se passe sous le règne d’Henri II, écrit dans un style très simple et qui décèle une extrême délicatesse dans l’étude des sentiments. Madame de la Fayette, outre ses autres petits romans, la Princesse de Montpensier (1662), Zayde (1670), a encore laissé des Mémoires de la cour de France pendant les années 1688-1689, et une Histoire d’Henriette d’Angleterre, dont elle avait été l’amie et la confidente.

    Pour ma part en revisitant son œuvre, avec infiniment de plaisir, j’ai bien aimé le portrait qu’elle fit de Madame de Sévigné, dans une lettre magnifique (écrite en 1659) où elle lui dit, entre autres amabilités, qu’elle ne fait absolument pas son âge (elle avait trente-trois ans à l’époque), et que son esprit « pare et embellit si fort » sa personne, « qu’il n’y en a point sur la terre de si charmante », lorsqu’elle est « animée dans une conversation dont la contrainte est bannie ». Et tout le reste de la lettre est à l’avenant.

    Cependant cette lettre montre aussi que Madame de Sévigné n’eut pas que des admirateurs, comme en témoigne ces deux phrases : « Votre cœur, Madame, est sans doute un bien qui ne se peut mériter ; jamais il n’y en eut un si généreux, si bien fait et si fidèle ». Mais aussitôt après, Madame de la Fayette ajoute : « Il y a des gens qui vous soupçonnent de ne le montrer pas toujours tel qu’il est ». Et parmi ceux-ci, il y a le propre cousin de Madame de Sévigné, Bussy-Rabutin, qui dans un portrait à la fois satirique et malveillant, affirmait que « la plus grande application qu’ait Madame de Sévigné est à paraître tout ce qu’elle n’est pas ».

    Fermons la parenthèse pour évoquer à présent l'œuvre maîtresse de Madame de la Fayette, la Princesse de Clèves. J’ai trouvé admirable, dans la première partie, la manière dont elle parle de Mademoiselle de Chartes, personnage imaginaire, et héroïne du roman qui en épousant le prince de Clèves, prit le titre de la princesse de Clèves.  Cette princesse avait pour première qualité d’être très belle, ce qui fait dire à Madame de la Fayette : « Il parut alors une beauté à la cour qui attira les yeux de tout le monde, et l’on doit croire que c’était une beauté parfaite, puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu où l’on était accoutumé à voir de belles personnes ».

    Cette beauté extraordinaire allait lui permettre de séduire en premier  son futur mari, Monsieur de Clèves, lequel « était si plein de l’esprit et de la beauté de Mademoiselle de Chartes, qu’il ne pouvait parler d’autre chose », y compris « chez Madame, sœur du roi ». Si j’évoque la sœur du roi, c’est parce que ce roman accompagne l’histoire du règne d’Henri II, jusqu'à sa mort. En effet, cette « Madame » était Marguerite de France, duchesse de Berry (1523-1574), qui épousa en 1559 le duc de Savoie Emmanuel-Philibert, et qui restera dans l’histoire de notre littérature comme l’active protectrice de Ronsard et la Pléiade.

    Toutefois ce roman n’est pas qu’historique, car il fait aussi appel aux sentiments les plus profonds de l’être humain, qu’il s’agisse du désir de plaire placé ici à un niveau très élevé et bien dans la tradition de l’époque, mais aussi de la passion sous une forme que l’on retrouvera dans le théâtre de Corneille, la jalousie qui peut conduire jusqu’à la mort, tout cela provoquant des conflits entre la morale et la raison.  Mais ce roman ne déparerait pas non plus à notre époque, avec l’univers de la noblesse qui fait irrésistiblement penser à  la vie des nouveaux riches de la fin du vingtième siècle, lesquels vivent d’une manière aussi artificielle que le duc de Nemours à l’époque d’Henri II.

    Nous pourrions même affirmer que la noblesse de l'époque avait un goût prononcé pour le strass et les paillettes, s’imaginant que cette vie-là leur permettait d’avoir tout, tout de suite. Ce ne fut pas le cas du duc de Nemours avec la princesse de Clèves, parce que parfois la vertu et la raison restent un obstacle insurmontable, ce qui par la même occasion nous ramène au dix-septième siècle. La preuve, la princesse mettra de côté son ardente passion pour le duc de Nemours, qu’elle ne peut même pas dissimuler, et continuera à se refuser obstinément à son soupirant, pour finalement quitter ce monde qui sans doute n’était pas fait pour elle.

    Michel Escatafal

  • Louis Bourdaloue : un très grand sermonnaire

    bourdaloue.jpgNé à Bourges en 1632, mort en 1704, Louis Bourdaloue, de la Société de Jésus, est le plus grand de nos sermonnaires après Bossuet, à qui les contemporains semblent même l’avoir préféré. Boileau, par exemple, le considéra comme "le plus grand orateur dont le siècle se vante". D'autres le surnommèrent "roi des prédicateurs, prédicateur des rois". Sa carrière de prédicateur commença à Paris en 1669, c’est-à-dire l’année même où Bossuet, nommé précepteur du dauphin, allait être pour longtemps obligé à renoncer , ou peu s’en faut, à la prédication.

    Par rapport à Bossuet, dont la prédication était essentiellement dogmatique, Bourdaloue s’attachait surtout à l’enseignement de la morale, ce qui le rendait plus à même de captiver l’attention de ses auditeurs. Il était aussi plus polémique, comme nous dirions de nos jours, en remplissant ses sermons des attaques les plus vigoureuses et les plus précises contre les mœurs de son temps. D’ailleurs en étudiant ces sermons, on pourrait presque reconstituer le tableau de la société française dans la seconde moitié du dix-septième siècle (en plein dans le règne de Louis XIV), entre autres les débats sérieux suscités par le jansénisme qui ont agité la France et l’Église. 

    Cela dit, le succès de la prédication de Bourdaloue devait exercer une influence fâcheuse sur les jeunes prédicateurs qui, sans être animés de l’impétueuse charité qui faisait la force et la grandeur du maître, recherchèrent la faveur du public en peignant les mœurs à la façon des moralistes, au lieu d’enseigner purement et simplement la doctrine évangélique. Aussi, parlant de Bossuet et de Bourdaloue, La Bruyère a-t-il pu dire qu’ils "ont eu le destin des grands modèles : l’un a fait de mauvais censeurs, l’autre de mauvais copistes". En tout cas, en lisant quelques uns de ses sermons, notamment le Sermon sur la Pénitence, j’ai pu constater que Bourdaloue ne mâchait pas ses mots vis-à-vis des grands seigneurs qui avaient la mauvaise habitude, entre autres, de ne pas payer leurs dettes.

    Il suffit de lire dans ce sermon le passage consacré au vrai repentir du pécheur à qui Bourdaloue s’adresse : "Vous êtes un homme du monde, un homme distingué par votre naissance, mais dont les affaires (ce qui n’est aujourd’hui que trop commun) sont dans la confusion et dans le désordre. Que ce soit par un malheur ou par votre faute, ce n’est pas là maintenant de quoi il s’agit. Or, dans cet état, ce qui vous porte à mille péchés, c’est une dépense qui excède vos forces et que vous ne soutenez que parce que vous ne voulez pas vous régler, et par une fausse gloire que vous vous faites de ne pas déchoir. Car de là les injustices, de là les duretés criantes envers de pauvres créanciers que vous désolez ; envers de pauvres marchands aux dépens de qui vous vivez ; envers de pauvres artisans que vous faites languir ; envers de pauvres domestiques dont vous retenez le salaire". Effectivement ce pécheur n’a vraiment rien d’un véritable pénitent !

    Michel Escatafal

  • Bossuet : un prosateur et orateur de génie au service de l’Eglise

    bossuet.jpgNé en 1927 à Dijon, entré dans les ordres en 1648, Jacques-Benigne Bossuet  prononça à Paris, Metz et Dijon, entre 1648 et 1659, une suite de sermons à travers laquelle on peut étudier le développement de son génie oratoire. En 1659 il se fixe définitivement à Paris, et se fait de plus en plus connaître et admirer en prêchant le carême de 1660 aux Minimes, celui de 1661 aux Carmélites, celui de 1662 au Louvre, devant le roi. En 1669, il est nommé évêque de Condom et prononce l’oraison funèbre de la reine d’Angleterre. L’année suivante, il prononce celle de la duchesse d’Orléans. De 1670 à 1679 il remplit les fonctions de précepteur du Dauphin, et compose pour son royal élève, entre autres ouvrages, le Traité de la connaissance de Dieu  et de soi-même, la Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture sainte, le Discours sur l’histoire universelle.

    En 1681, il est nommé évêque de Meaux, donne en 1682 les Méditations sur l’Evangile et les Elévations sur les mystères, et, de 1681 à 1687, prononce ses quatre dernières oraisons funèbres. En 1688, il publie l’œuvre la plus majestueuse que la controverse religieuse, appuyée sur la connaissance de l’histoire, ait jamais produite, l’Histoire des variations des églises protestantes. Ensuite il se retrouve tout entier pour lutter avec une incroyable ardeur contre les doctrines de Fénelon sur le quiétisme (1694-1699).

    Bossuet  meurt quelques années après, en 1704, après avoir présidé l’assemblée du clergé de 1700, et soutenu une dernière fois « la tradition et les Saints- Pères » contre l’oratorien Richard Simon (1638-1712), le savant et illustre fondateur de l’exégèse moderne, sans avoir négligé un instant  la bonne administration de son diocèse et la direction des âmes qui lui étaient confiées.  Bossuet, que La Bruyère saluait de son vivant du nom de « Père de l’Eglise », a été en effet, au dix-septième siècle, non seulement le plus glorieux représentant, mais aussi la personnification même de l’Eglise de France, dont il a établi et défendu contre toutes les attaques la discipline et la doctrine.

    Il faut ajouter que, ramenant toute chose aux principes d’une foi inébranlable, cet « homme de toutes les sciences et de tous les talents », pour parler comme Massillon (1663-1742), n’est resté étranger à aucune des questions qui pouvaient préoccuper un homme de son temps, et qu’on a pu l’admirer justement comme philosophe, historien, ou controversiste. Cela étant comme écrivain et comme orateur, il  soutient la comparaison avec les plus grands, y compris Démosthène (384-322 av. J.C.) ou Cicéron (106-43 av. J.C.). Et parmi nos prosateurs, il figure au côté de Voltaire, encore qu’ils soient séparés par de si profondes différences qu’aucune comparaison entre eux ne doit être esquissée, comme ceux qui peuvent le mieux donner l’idée du génie et des ressources de notre langue classique.

    Pour ma part je lui reprocherais la vigueur de ses attaques, dans les Maximes et réflexions sur la comédie, contre Molière d’abord, mais aussi Quinault, Lulli, Corneille et Racine, même si cette sévérité exagérée s’explique par la vigueur de sa foi et l’austérité de ses principes, en notant toutefois que Bossuet lui-même reconnaît que l’Eglise ne proscrit pas expressément les spectacles.  Cette foi si vive, il l’exprimera aussi tout particulièrement dans les Elévations à Dieu sur tous les mystères de la religion chrétienne,  où il développera sous une forme originale et avec un mouvement, une ardeur qui n’appartiennent qu’à lui, la célèbre preuve de l’existence de Dieu connue sous le nom de « preuve de Saint-Anselme », et, depuis Kant qui s’est attaché à la réfuter, sous celui de « preuve ontologique », qui peut s’énoncer ainsi : «  L’essence de l’être parfait implique son existence ».

    Michel Escatafal

  • Vincent Voiture, flagorneur patenté

    voiture.jpgLa mode des  flagorneurs patentés  qui ne pensent qu’à servir le pouvoir ne date pas d’aujourd’hui. Avec Vincent Voiture (1598-1648), contemporain de Richelieu, on atteint même des sommets. Cela lui valut de faire partie de l’Académie française dès sa fondation,  et d’être l’écrivain le plus admiré et écouté de l’hôtel de Rambouillet. C’est d’ailleurs pour cela que la postérité n’a voulu retenir que quelques bribes de son œuvre, ses Lettres et ses poésies,  pourtant tellement vantées de son vivant.

    La meilleure illustration de cet éloge au pouvoir est contenue dans l’Apologie de Richelieu. Bien qu’il s’en défende, Vincent Voiture porte ses louanges à l’action du Cardinal au-delà de l’entendement. A l’écouter Richelieu ne cesse de faire des miracles. Et pour convaincre ses lecteurs, il n’hésite pas à s’inventer un correspondant adversaire de la politique de Richelieu, afin d’avoir lui-même un prétexte apparent pour mieux la défendre.  Il va même tellement loin dans la flatterie qu’il n’hésite pas à dire que deux cent ans après, tout le monde ne parlera du Cardinal « qu’en l’affectionnant ».

    Pourtant, contrairement à ce que prétend Voiture, si Richelieu vivait à notre époque il serait sévèrement jugé, car les finances de l’Etat furent dans une situation beaucoup moins prospère qu’à l’époque de Sully, au point que le peuple  accablé d’impôts et poussé par la misère se révolta dans plusieurs provinces du Royaume. Cela n’empêcha pas Voiture d’affirmer péremptoirement : « toutes les grandes choses coûtent beaucoup ».  Et il ajoutera : « quand tout ce qui doit être fait le sera, il (le Cardinal) ne s’occupera désormais qu’à rétablir le repos, la richesse et l’abondance ».

    Ainsi après avoir loué Richelieu de ses mérites, Voiture lui octroie par avance ceux dont il ne doute pas que son héros en fasse preuve bientôt.  C’est habile,  mais la flatterie a ses limites, car cela veut dire que les vertus dont le Cardinal fera preuve à l’avenir  lui ont manqué jusque là, et qu’il serait désirable qu’il les acquît enfin.  A vouloir trop en faire ou en dire, on finit par tomber dans l’affectation et le vide. C’est dommage parce que Voiture est capable d’idées intéressantes et de sentiments sincères.

    M.E.

  • Madame de Sévigné, un des écrivains français les plus originaux

    mme de sévigné.jpgNée en 1626, morte en 1696, orpheline dès son plus jeune âge, veuve à vingt-cinq ans, après seulement sept années de mariage, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, qui avait reçu elle-même par les soins de son oncle, Monsieur de Coulanges, les leçons des maîtres les plus illustres, se consacra toute entière à l’éducation de ses enfants, Charles et Françoise-Marguerite.  C’est surtout de cette dernière, qui devint en 1669 Madame de Grignan, qu’elle s’occupa plus particulièrement. Les lettres qu’elle écrivit à cette fille chérie, après son mariage et son départ pour le gouvernement de Provence, dont son mari était lieutenant général, forment la plus grande partie de cette correspondance célèbre.

    Quelques unes étaient déjà connues dans la société polie, et avaient  acquis une renommée du vivant de Madame de Sévigné, en précisant toutefois que la plupart n’ont été écrites que pour l’intimité. La variété du ton aussi bien que des sujets n’est d’ailleurs pas le moindre mérite de ces lettres. Celles-ci en effet nous racontent  les plus grands et les plus menus faits qu’elle ait  vus s’accomplir sous ses yeux ou dont elle a entendu parler.  Madame de Sévigné se peint surtout elle-même, avec ses vertus et ses faiblesses, ses hautes qualités et ses petits travers, prenant place ainsi, sans l’avoir cherché, parmi les écrivains français les plus originaux, parmi ceux qu’on égale peut-être mais qu’on n’imite et qu’on ne surpasse pas.

    En lisant ou relisant ces lettres, on en apprend évidemment beaucoup sur la grande et la petite histoire de France, sur le rôle de la religion à cette époque, et aussi sur la manière aussi dont on opérait à l’époque pour obtenir certaines faveurs, sans parler de l’incompréhension qu’ont parfois les parents vis-à-vis de leurs enfants, autant de choses qui finalement n’ont pas tellement changé depuis ce temps, sauf peut-être en ce qui concerne la religion. Parmi ces lettres j’en ai retenu quelques unes qui expriment tous ces sentiments à la fois.

    La première est une lettre écrite le jeudi 28 décembre 1673 à Madame de Grignan, et intitulée Déception. Elle a été écrite parce qu’un différend s’était élevé entre Monsieur de Grignan, gendre de Madame de Sévigné, et l’évêque de Marseille Forbin-Janson. Madame de Sévigné avait exprimé le désir que sa fille et son gendre viennent eux-mêmes à la cour pour plaider leur cause. Madame de Grignan s’y était refusé pour diverses raisons. C’est sur ce refus que la lettre de Madame de Sévigné, qui s’était réjouie d’avance à la pensée de voir de nouveau sa fille auprès d’elle, est écrite.

    Et au vu de cette lettre, elle ne lésina pas sur les moyens pour obtenir que son gendre, accompagné de sa femme, demande et prenne un congé, faisant intervenir un gentilhomme provençal, Monsieur du Janet, lequel s’adressa au ministre des Affaires étrangères, Arnaud de Pompone, lui-même ami de Madame de Sévigné. Cela étant, malgré ces interventions, malgré aussi les suppliques personnelles de la mère à sa fille, celle-ci ne céda point, allant jusqu’à invoquer des raisons financières pour mieux expliquer ce refus. Voyant  que ses efforts étaient inutiles, Madame de Sévigné se résigna prenant « cette douleur, qui n’est pas médiocre, comme une pénitence de Dieu ».

    Une autre lettre célèbre a été écrite aux Rochers, le mercredi 16 novembre 1689, concernant les lectures de Pauline de Grignan, petite fille de Madame de Sévigné (1674-1757), qui écrivit comme sa célèbre grand-mère quelques lettres assez agréables. En outre elle prit une grande part à la publication de celles de son illustre aïeule en 1726. Madame de Sévigné fut toujours remplie d’une grande tendresse pour cette jeune personne charmante, louée pour son caractère et son esprit, dont elle prit grand soin de diriger à distance son éduction et ses lectures.

    On retrouve d’ailleurs dans le recueil des lettres de Madame de Sévigné, nombre de pages parmi les plus délicieuses que la grand-mère ait consacrées à sa petite-fille. En tout cas elle a fait d’elle une dévoreuse de livres, en lui recommandant toutefois  de ne pas laisser tourner son esprit « du côté des choses frivoles ».  Au passage elle en profite pour lui recommander l’Histoire de l’Eglise de Monsieur Godeau, ce dernier ayant été l’un des écrivains qui fréquentèrent assidûment l’hôtel de Rambouillet, membre de l’Académie française dès sa fondation, évêque de Grasse, puis de Vence, auteur de Poésies sacrées et profanes, et de plusieurs ouvrages de piété.

    Enfin, vers la fin de sa vie, elle écrira quelques lettres où elle évoquera la mort et la manière de s’y préparer. Parmi celles-ci il y en a une, très émouvante, envoyé à Monsieur de Coulanges (1633-1716), son cousin germain, au moment de la mort subite de Louvois (16 juillet 1691), « ce grand ministre, cet homme si considérable qui tenait une si grande place, dont le moi, comme dit M. Nicole, était si étendu, qui était le centre de tant de choses » ! Elle profite de l’occasion pour réaffirmer avec force une foi très vive, demandant aux hommes de lire Saint-Augustin dans la Vérité de la Religion, traduction du  De Vera Religione, ouvrage dirigé notamment contre les philosophes et les hérétiques, mais aussi le théologien protestant Jacques Abbadie (1657-1727), plus particulièrement le livre La vérité de la religion chrétienne écrit en 1684 (un an avant la révocation de l’Edit de Nantes), ce qui paraît plus surprenant. Cela dit, la marquise de Sévigné avait une personnalité assez affirmée pour ne pas hésiter à montrer son enthousiasme pour les lectures qu’elle appréciait. En cela elle ne faisait que confirmer le courage qu’elle mettait à rester fidèle à ses amis, fussent-ils en disgrâce, comme par exemple le surintendant Fouquet.

    Michel Escatafal