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Littérature et histoire - Page 22

  • Pierre Nicole et Antoine Arnauld : deux hommes qui ont marqué l’histoire du jansénisme

    nicole.jpgarnauld.jpgPierre Nicole est né le 19 octobre 1625 à Chartres d’une famille de poètes, et mort à Paris le 16 novembre 1695. Entré à Port-Royal comme professeur où il aurait eu comme élève un jeune Racine, à la fois théologien, écrivain et moraliste, il collabora aux excellents ouvrages d’enseignement qui sortirent de cette maison célèbre, et prit part à toutes les luttes que les jansénistes eurent alors à soutenir. Plus tard il combattit avec ardeur les protestants. Ses ouvrages théologiques sont nombreux, notamment la célèbre Logique de Port-Royal (La logique ou l’art de penser) qu’il écrivit conjointement avec Antoine Arnauld (1662), sans oublier sa contribution importante aux Provinciales de Pascal.

    Cependant c’est surtout par quelques-uns de ses Essais de morale (traités, dissertations, discours, pensées, lettres, instructions, réflexions) qu’il publia en 1671, dont Madame de Sévigné aurait voulu « faire du bouillon pour l’avaler », qu’il a mérité de survivre. Il est douteux en effet, qu’on ait jamais enseigné aux gens du monde les règles morales auxquelles la religion les oblige de se soumettre dans le cours ordinaire de la vie, en une meilleure langue et avec autant de sincérité, de discernement, et de finesse.

    Si j’ai parlé précédemment d’Antoine Arnauld c’est d’une part parce qu’il a travaillé avec Pierre Nicole, mais aussi pour ses propres écrits, par exemple le Jugement équitable. Ce contemporain de Nicole, né à Paris le 6 février 1612, était le vingtième enfant d’un avocat très connu à son époque, parce qu’il avait plaidé avec brio (en 1594) au Parlement de Paris la cause de l’Université contre les tout-puissants Jésuites. Cette notoriété ne fut pas suffisante pour que le jeune Antoine embrasse la même carrière que son père, puisqu’il préféra l’état ecclésiastique après des études de théologie fort brillantes, ce qui lui permit d’être admis en 1643 au nombre des docteurs de la maison de la Sorbonne. Très pénétré des sentiments de Saint-Augustin sur la grâce, il publia cette même année son traité de la Fréquente Communion, mais ce livre qui allait à l’encontre de la morale accommodante des Jésuites souleva de telles passions haineuses qu’il dut s’exiler.

    Mêlé de très près aux querelles religieuses de son temps provoquées par les doctrines jansénistes, il va être considéré comme un paria au point d’être effacé de la liste des docteurs de la Sorbonne. Il est vrai que ses fortes convictions ne pouvaient qu’engendrer à ce moment des querelles sans fin, d’autant qu’il n’hésitait pas à s’attaquer à certains des fondamentaux de l’Eglise catholique, par exemple quand il affirme que Saint-Pierre est un juste à qui il a manqué la grâce nécessaire pour bien agir. Toutefois il va bénéficier de la paix conclue en 1668 entre les divers protagonistes de ces querelles, appelée « paix de Clément IX », pour rentrer en grâce aux yeux du pouvoir.

    Mais cela ne dura guère plus d'une dizaine d'années, puisqu’en 1679 il dut se résoudre à quitter une nouvelle fois la France, en raison d’une part de son appartenance à Port-Royal, et d’autre part de l’hostilité du roi Louis XIV, qui venait de signer le traité de Nimègue et qui avait décidé d’en finir avec la célèbre abbaye, dont le ressentiment à l'égard d'Arnauld fut largement entretenu par l’archevêque de Paris de l’époque, de Harlay de Champvallon.  Après des séjours à Mons, puis Gand, Bruxelles et Anvers, où il ne cessa d’écrire et de combattre en particulier avec Jurieu, il mourut à Liège à l’âge de 83 ans le 8 août 1694.

    Il restera dans l’histoire de notre littérature, et dans l’histoire tout court, comme un des plus fiers représentants de l’Eglise catholique romaine, comme un adversaire irréductible des Jésuites et de la Réforme (Perpétuité de la Foi écrit entre 1669 et 1679), mais surtout comme un des plus remarquables penseurs de son temps. A ce sujet, il faut rappeler qu’il fut le seul à oser apporter ses commentaires sur les « Méditations » de Descartes avant que celui-ci ne les publiât, alors qu’il était à peine âgé de vingt-huit ans. Sans le savoir à ce moment, il allait porter son jugement sur un ouvrage qui contenait le germe de la philosophie moderne. Il écrira plus tard (en 1681) l’Apologie pour les catholiques, considérée comme un chef d’œuvre dans lequel il manifestera son accord avec Descartes sur les rapports de la foi et de la raison.

    Michel Escatafal

  • Mairet : un grand poète égaré par la jalousie

    mairet.jpgNé en 1604 à Besançon, Jean Mairet écrivit, dès 1625, une tragi-comédie, Chryséide et Ariman, et  remporta un grand succès l’année suivante avec sa tragi-comédie pastorale de Sylvie. En 1634 il donna sa Sophonisbe, qui restera pour la postérité son œuvre majeure, et qui fit de l’ombre à tout ce qu’il écrivit par la suite qui, de l’avis des critiques de l’époque, manquait tout simplement de valeur. Parmi les autres œuvres que Mairet nous laissa, il faut signaler sa pastorale Silvanire (1629), dont la préface lui vaudra d'être qualifié « d'inventeur des règles du théâtre classique », sa comédie des Galanteries du duc d’Ossone (1632), Le Marc-Antoine ou la Cléopatre (1635), et sa tragi-comédie de La Sidonie (1640 ou 1641) qu’il considérait pour sa part comme la plus achevée des douze tragédies qu’il publia.

    Ce fut aussi la dernière, car il se retira dès lors définitivement du théâtre, supportant très mal le succès de  Pierre Corneille, ce qui ne l’empêcha pas de lui survivre de deux ans puisqu’il ne mourut qu’en 1686. Hardy et les poètes de son école avaient, on le sait, renoncé à cette régularité que les tragiques du seizième siècle avaient observée sur l’exemple des anciens, Jean de la Taille (1540-1608) en ayant été le précurseur  dans la préface de Saül (1572). Mairet entreprit de prouver que la tragédie pouvait se plier à la règle des unités sans perdre de son intérêt.

    Il y réussit parfaitement avec sa Sophonisbe, tragédie à la composition de laquelle on ne peut rien trouver à reprendre, si ce n’est que les évènements y sont resserrés presque jusqu’à l’invraisemblance. Pour mémoire je rappelle que la pièce raconte l’obligation, imposée par Scipion et son compagnon d’armes Lelius au Numide Massinissa (238-148 av. J.C.), de livrer ou d’abandonner sa femme Sophonisbe qu’il venait d’épouser, ce que Massinissa refusa, ce dernier lui faisant apporter une coupe de poison avant de se poignarder.

    Le sujet est aisément perceptible, le développement logique, et si les caractères n’y sont pas exactement conformes à la vérité historique (Massinissa ne s’est pas suicidé), ils sont du moins vivants  et tracés parfois avec une sorte d’indécision, pas forcément recherchée mais non dénuée de charme ni de vraisemblance. Le style enfin, gâté par endroits de quelques traits de mauvais goût, est presque toujours et tout à la fois noble et aisé. 

    Tout cela explique  pourquoi l’apparition de La Sophonisbe  marque une date importante de l’histoire de notre théâtre. D’ailleurs elle s’est  longtemps maintenue sur le devant de la scène, beaucoup plus longtemps en tout cas que celle, plus proche de la vérité historique, que Corneille écrivit sur le même sujet en 1663. A ce propos,  il est très regrettable que Mairet, égaré par la jalousie, n’ait jamais voulu reconnaître la supériorité du génie de Corneille, au point de se ridiculiser en étant parmi les plus ardents et les plus injustes détracteurs du Cid.

    Michel Escatafal

     

  • Racan le plus célèbre des poètes disciples de Malherbe

    Racan.jpgNé à la Roche Racan en Touraine, le 5 février 1589, d’une ancienne famille de la noblesse tourangelle, mort le 21 janvier 1670, Honorat de Bueil, marquis de Racan, fut page de la chambre du roi grâce à l’entremise de sa cousine Anne  de Bueil,  épouse du duc de Bellegarde (1562-1646), grand écuyer de France, avant de servir aux armées. Quittant les armes pour la plume, il va devenir le plus célèbre et le plus remarquable des poètes disciples de Malherbe, qu’il rencontra pour la première fois en 1605, et qu’il considéra toujours comme son maître au point de trop songer à le copier. Cela dit, nombre de ses contemporains ont considéré que le génie de Racan était supérieur à celui de Malherbe, malgré un style plus négligé. Cela lui permettra d’entrer à l’Académie française, l’année même de sa fondation par Richelieu en 1635.

    Rien ne serait plus profitable que de comparer quelqu’une de ses pièces, d’une versification à la fois douce et correcte, d’une langue aisée et déjà tellement moderne, avec les poésies des auteurs qui ont précédé immédiatement Malherbe. Cela permettrait aussi de se rendre compte de l’importance des réformes de ce dernier. Racan a laissé une œuvre de longue haleine, les Bergeries, pastorale en cinq actes publiée en 1625, une traduction ou plutôt une paraphrase en vers des Psaumes et des poésies diverses, odes, stances, sonnets, épigrammes. Nous avons encore de lui, outre des lettres, des Mémoires sur la vie de Malherbe.

    Dans les Bergeries il y a un morceau célèbre que l’on est obligé de citer, Plaintes d’un vieux berger, même s’il est imité en partie d’une idylle du poète latin Claudien (365-vers 408), le Vieillard de Vérone. Dans les Odes, il y a la célèbre Ode Bachique, adressée à Maynard, président d’Aurillac. Pour mémoire je rappellerais que François Maynard (1582-1646) fut le plus connu, après Racan, des disciples de Malherbe. Je ferme la parenthèse pour dire que dans cette ode, j’ai retrouvé une allusion aux Etats généraux de 1614 qui se tinrent juste après la déclaration de majorité de Louis XIII, sur fond de guerre entre le Tiers Etat et le clergé. Dans un tout autre ordre d’idées, Racan évoque aussi de manière très fataliste l’idée de la mort :

     « Buvons Maynard, à pleine tasse :

     L’âge insensiblement se passe et nous mène à nos derniers jours ;

     L’on a beau faire des prières :

     Les ans, non plus que les rivières,

     Jamais ne rebrousseront leur cours ».

    En résumé, il faut rendre grâce à la postérité d’avoir remis Racan à sa véritable place dans la littérature française. Ce grand poète, en effet, aura su marquer son époque, malgré un manque flagrant de charisme, certains allant jusqu’à dire que le personnage était assez insignifiant, plutôt rustre au point d’être régulièrement moqué des femmes, du moins à ses débuts, et même qu’il n’était pas doté d’une grande intelligence ce qui, évidemment, était trop sévère pour être vrai.

    Michel Escatafal

  • Mathurin Régnier, le défenseur de la Pléiade

    M. Régnier.jpgNeveu du poète Philippe Desportes (frère de sa mère), Mathurin Régnier est né à Chartres en 1573 et mort en 1613. Entré dans les ordres, il fut par deux fois attaché à ‘ambassade de France à Rome. Cela dit son humeur indépendante ne put se plier à aucune servitude et l’entraîna irréductiblement vers la poésie. Il s’y livra d’ailleurs tout entier quand, après son retour en France, il eut obtenu une pension de  deux mille livres sur l’abbaye des Vaux-de-Cernay (entre Chevreuse et Rambouillet), qui avait appartenu à son oncle (1606), et un canonicat à la cathédrale de Chartres (1609).

    Outre un petit nombre de poésies diverses, épîtres, élégies, odes, épigrammes, poésies spirituelles, il a laissé seize satires qui lui assurent l’immortalité. A ce propos Boileau dit de lui, dans sa cinquième réflexion sur Longin, qu’il est " le poète français qui, du consentement de tout le monde, a le mieux connu, avant Molière, les mœurs et le caractère des hommes ". Ajoutons que sa langue, parfois embarrassée dans ses constructions, abonde en expressions pittoresques et d’un coloris populaire archaïque. 

    La liberté ordinaire de ses allures ne pouvait lui permettre de s’accommoder des réformes impérieuses de Malherbe, ce qui l’amena à s’ériger en face de lui en défenseur de la Pléiade. Mais la postérité doit reconnaître que leur humeur, plus que leurs principes, dut être entre ces deux grands poètes une cause de division, et que Régnier se trompait lui-même quand, avec sa franchise robuste, parfois même brutale, son air naturel et dégagé, il se croyait encore le représentant d’une école dont les poésies, ou savantes, ou mignardes, et souvent d’une forme remarquable, ne sont assurément rien moins que dénuées d’affectation.

    J’ai retenu dans son œuvre deux satires qui sont sans doute les plus caractéristiques du style et de la pensée de Régnier. Dans la satire III, il s’adresse à Monsieur le Marquis de Coeuvres lui demandant ce qu’il doit faire, étant " las de courir ", et notamment s’il se remet de nouveau à " l’estude ". A noter pour l’anecdote que  ce marquis de Coeuvres (1575-1670), deviendra maréchal de France en 1623. Quant au fait de " courir ", il faut savoir que Mathurin Régnier, après avoir suivi à Rome le cardinal de la Joyeuse, s’était attaché au service de Philippe de Béthune,  beau-frère du marquis de Coeuvres et ambassadeur d’Henri IV dans cette même ville de Rome. Toujours dans cette satire, j’ai découvert que Régnier parle des " mignons, fils de la poule blanche ", ce qui est une traduction d’une expression proverbiale latine que  Juvénal emploie ironiquement dans le sens de " gens privilégiés par leur naissance, hommes qui ne sont pas du commun ".

    Dans la satire IX Régnier s’en prend à Malherbe et aux poètes de son école, en s’adressant à Monsieur Rapin qui n’était autre que le poète Nicolas Rapin (1535-1608), l’un des auteurs de la Satire Ménipée. Sa critique à Malherbe porte surtout sur le fait que Malherbe n’aimait pas du tout les Grecs, comme en témoigne le fait qu’il " s’était déclaré ennemi du galimatias de Pindare ". Régnier contrairement à son meilleur ennemi, ne voulait pas nécessairement que l’on abandonnât systématiquement les emprunts au grec et au latin. La preuve, quelques pages plus loin, on trouve cette phrase : "Et laissant là Mercure (dieu du commerce) et toutes ses malices, les nonchalances sont ses plus grands artifices ". Enfin j’ai découvert que c’est Régnier qui aura remis au goût du jour l’expression d’Horace " mêler l’utile à l’agréable", que Régnier a traduit : "Qu’ils auront joint l’utile avecq’ le delectable ". Régnier avait quand même beaucoup de talent, et il mérite amplement la belle place qu’il a dans notre littérature.

    Michel Escatafal

  • La poésie lyrique à Rome : Catulle (87- 54 av. J.C.)

    catulle.jpgPlus jeune que Lucrèce, Catulle naquit à Vérone dans une famille qui devait tenir un rang dans sa province, puisque son père donnait l’hospitalité de sa maison à César quand celui-ci passait par là. Pour cette raison il bénéficia d’une éducation soignée ce qui lui permit de rencontrer, dès sa venue à Rome, les hommes les plus distingués par la naissance ou par l’esprit, notamment l’historien Cornelius Népos (100- vers 29 av. J.C.), les poètes Helvius Cinna (100-44 av. J.C.) le tribun de la plèbe, Calvus et Cornificius, mais aussi des hommes politiques comme Caton d’Utique (95-46 av. J.C.) et Cicéron. Il aimait la vie élégante, passant pour quelqu’un d’insouciant, indifférent à tout ce qui était commun ou médiocre, bref un  dandy comme nous dirions aujourd’hui. En fait son insouciance devait être assimilé à de la paresse car il n’avait aucun goût pour le travail, et il eut tôt fait de dépenser la petite fortune que sa famille lui avait léguée.

    Lié avec l’influent Memmius (mort vers l’an 61 av. J.C.), Catulle pensait qu’en le suivant dans la province de Bythinie (Pont-Euxin) où Memmius venait d’être nommé gouverneur, il pourrait sortir de ses embarras financier. Hélas pour lui, Memmius ne fut pas aussi généreux qu’il l’espérait, et en plus Catulle ne savait pas compter. Il revint donc à Rome ruiné, ce qui lui fit dire : « Ma villa n’est exposée ni au souffle de l’Auster, ni à celui du Zéphire ou du cruel Borée, mais à quinze mille deux cent sesterces hypothéqués sur elle. Oh !le vent horrible ! Oh !le vent de peste ! ». En outre il perdit son frère en Asie Mineure, ce qui contribua à le rendre détaché des choses de la vie, et participa sans doute à l’altération de sa santé, fragilisée par les excès de toutes sortes qui  peuplèrent son existence à défaut de l’égayer vraiment.  On n’oubliera pas non plus sa liaison sulfureuse avec Clodia, la femme de Quintus Metellus, aussi belle que peu vertueuse, peut-être même empoisonneuse célèbre. Finalement il mourut très jeune, dans sa trente-troisième année, au moment où son talent s’exprimait dans tout son éclat.

    L’œuvre de Catulle tient tout entière en un mince volume. Il s’agit d’un recueil de pièces très différentes d’inspiration et de mètre, et dont les unes, les plus longues, imitées des poètes alexandrins, ressemblent à des études, tandis que les autres (épigrammes, élégies, odes) lui sont suggérées par sa propre vie, exprimant entre autres ses amours et ses haines, peignant aussi ses divertissements et ses ennuis. Ses modèles par goût, par l’inclination d’un talent plus délicat que vigoureux, par son habileté technique, nous les trouvons parmi les Alexandrins. Peut-être aussi comme La Fontaine beaucoup plus tard, sa paresse naturelle ne prédisposait pas Catulle à écrire de longs ouvrages. Mais ces œuvres courtes étaient infiniment soignées avec peu de matière et beaucoup d’art.

    Catulle en effet a toujours prêché le culte de « l’art pour l’art », tournant le dos aux auteurs nationaux comme Plaute ou Lucilius. C’est ainsi qu’il traduisit l’élégie de Callimaque sur la Chevelure de Bérénice. De même, bien que son inspirateur soit inconnu, il ne fait pas de doute que le poème sur Atys et l’Epithalame de Thétis et de Pélée ont une origine alexandrine. La justesse de l’expression, le souci du détail, la science du rythme, permettent de dire que l’auteur se situe sur ce plan très au-dessus de Lucrèce,  aux vers trop souvent  gauches et massifs. Mais Catulle est aussi un poète ardent et sincère, que ses propres émotions remuent au tréfonds de lui-même.

    A côté des imitations de l’école d’Alexandrie, il y a aussi dans son recueil toute une série d’aimables pièces dans lesquelles Catulle nous livre son âme avec une grande sincérité, où l’on retrouve la fameuse Clodia (sans doute la sœur du démagogue Clodius)  qu’il appelle Lesbie dans ses vers, qui le trompa et l’humilia tant et plus. « J’aime et je hais à la fois dit-il. Comment cela ?  Je ne sais, mais je le sens et j’en ai l’âme torturée ». Cette indigne passion ne le dessécha pas pour autant, comme en témoigne sa douleur  quand il perdit son frère, qu’il pleura dans des vers pleins de sanglots et de sensibilité. Doux et naïf de cœur, il fut en même temps d’esprit très indépendant, voire même parfois irritable. Ainsi César lui-même eut droit à des épigrammes peu amènes, ce dont le dictateur ne lui tint pas rigueur, n’ayant perçu chez Catulle  que son talent, donc aucune ambition ni envie. Et de fait sa philosophie  était simplement de se laisser aller à ses penchants, bornant son horizon au cercle de ses amis et de ses familiers.

    On ne saurait trouver meilleur guide que lui si l’on veut connaître ce monde de gens d’esprit, escortés des inévitables et insupportables amateurs de littérature, le monde au milieu duquel il vécut avec ses talents, mais aussi ceux que l’on appellera plus tard « les fats ».  En tout cas Catulle était plutôt un génial auteur, dont les vers passionnés font pressentir Virgile (70-19 av. J.C.), alors que les tableaux de genre annoncent l’arrivée d’Horace (75-8 av. J.C.). Tout dans son œuvre ne peut qu’appartenir à un artiste achevé, même si certains lui ont reproché des répétitions qui sollicitent trop l’attention, des diminutifs dont la grâce ne va pas sans mignardise. Mais le plus souvent on admire l’habileté à choisir le trait caractéristique qui touche et qui pénètre. Il y a même dans ses pièces des souvenirs de poètes familiers, mais ceux-ci prennent eux-mêmes une couleur personnelle, car Catulle les emploie avec une telle opportunité qu’ils semblent nécessaires là où ils sont. Ce n’est d’ailleurs pas là sa moindre gloire, puisque ainsi il fait prévoir l’art de la grande époque classique.

    Michel Escatafal