Comme l’histoire, l’éloquence fut un art romain. Le patriciat se montrant jaloux de ses droits, voulait diriger les affaires publiques au grand jour, ne voyant aucun danger pour son pouvoir dans la parole publique. De fait, pour les premiers orateurs romains la parole n’était qu’un moyen puissant pour assurer la prééminence de leur parti, et au dehors pour faire triompher les intérêts de Rome. L’intérêt, voilà le maître mot de ceux qui veillaient sur la tradition des vieilles vertus romaines, dans lesquelles étaient exclues toute forme de justice sociale, comme nous dirions de nos jours. D’ailleurs rarement dans la longue lutte que se sont livrés la plèbe et le patriciat, les tribuns ne pensèrent à réclamer l’égalité en s’appuyant sur le principe de justice. En fait, si l’on veut trouver un caractère de moralité à l’art oratoire, on ne peut le rencontrer qu’à travers les préceptes de la coutume et de l’usage antique. C’est un peu étroit pour parler de moralité, mais celle-ci reposait sur du solide.
« Il faut à l’orateur, disait Tacite dans son Dialogue, des acclamations, des applaudissements, un théâtre. » Cette scène ne manquait pas à Rome, et le Forum en fut longtemps l’emblème. Dès le temps des rois, la vie politique y avait trouvé son centre, mais au fil des siècles il allait devenir le cœur de la vie à Rome sous toutes ses formes (plaisirs, affaires, politique etc.). Cela lui permit alors de bénéficier en priorité de nombreux embellissements, notamment le temple de Saturne (dieu du temps et de l’agriculture), celui de la Concorde, le Tabularium (dépôt des archives publiques), la basilique Porcia. De la tribune l’orateur pouvait apercevoir la citadelle et le temple du Capitole, ce qui nous laisse imaginer le sentiment de patriotisme qui pouvait emplir le cœur de celui qui s’adressait à la foule de ceux qui l’écoutaient.
Les assemblées du Sénat se tenaient parfois en plein air ou sur quelque point du Forum, mais elles avaient lieu dans ce qu’on nommait une Curie (Curia Hostilia sous la République), vaste salle quadrangulaire ou l’on ménageait une estrade pour le président. Les sénateurs se réunissaient aussi dans les temples. La quatrième Catilinaire fut prononcée dans le temple de la Concorde. La salle où parlait Cicéron était richement décorée, avec notamment les statues des douze grands dieux qui semblaient assister au débat, ce qui ne pouvait qu’inspirer recueillement et gravité à l’orateur et à ceux qui l’écoutaient. Au passage, il faut souligner que le règlement du Sénat interdisait les interruptions, et que la parole appartenait en droit aux vétérans de la vie politique, et non aux plus éloquents. Ceux-ci devaient donc attendre leur tour pour pouvoir intervenir un jour dans la prestigieuse enceinte.
La basilique avait un rôle très différent, car consacrée essentiellement aux affaires de justice. La basilique Porcia fut construite par Caton en 184 av. J.C., lequel dans un accès de générosité remarqua un jour que les marchands, les oisifs, les plaideurs qui encombraient le Forum, avaient souvent à subir les intempéries. Elle s’appelle Porcia parce que Caton appartenait à la gens Porcia. Cette basilique était un vaste édifice divisé en trois galeries par deux rangs de colonnes ou d’arcades superposées. Au fond de la nef centrale, plus haute que les autres, se trouvait un hémicycle où siégeait le tribunal pour les affaires de commerce et les causes civiles. Le jour où un avocat de renom venait traiter une affaire retentissante, cela permettait à un public nombreux de s’entasser dans les vastes salles d’audience. Dans un tel cadre l’avocat, orateur, pouvait donner la pleine mesure de son talent.
Caton n’était pas avocat, mais il a ouvert la liste des orateurs romains, au même titre que celle des historiens. Dans ses Origines il prit la peine de recueillir quelques uns de ses discours. Son éloquence était empreinte avant tout de cette rude moralité qui a fait de lui le type même du censeur redouté. Sa définition de l’orateur ? « L’orateur c’est l’homme de bien habile à parler ». Le campagnard qu’il a toujours été se retrouvait quand il donnait à ses sentences la forme des proverbes populaires. Et quand il trouve le vice sur son chemin, il le combat avec une indignation enflammée. Il n’a pour les personnes qu’il n’apprécie pas ni ménagement, ni indulgence. Il était aussi sarcastique à l’occasion, surtout vis-à-vis de ceux qu’il appelait les bavards. Pour lui un bavard c’est quelqu’un « dont l’envie de parler est si grande, qu’à prix d’argent il louera des auditeurs ». Il n'aimait pas non plus les personnes bien en chair. A propos d’un certain Véturius, personnage gras et corpulent, ne disait-il pas : « Quel service un tel corps peut-il rendre à la république, lorsque chez lui, depuis le cou jusqu’aux aines, tout est ventre » ? Telle fut l’éloquence de Caton, animée, passionnée, vivante, mais rude et sèche, et toute empreinte de rusticité primitive. En fait Caton allait inaugurer une liste prestigieuse où nous allons retrouver des personnages comme les Gracques (nés en 162 et 154 av. J.C.), et plus tard Cicéron (106-43 av.J.C.).
Michel Escatafal
Si les poètes romains se sont mis dans tous les genres à l’école grecque, ce ne fut pas le cas des premiers historiens qui ne durent rien à Hérodote (482-425 av. J.C.) ou Thucydide (460-vers 395 av. J.C.), pas plus que des premiers orateurs qui ne durent pas davantage à Démosthène (384-322 av. J.C.) ou Eschine (389-314 av. J.C.). La prose en effet, qui va droit au but, tout en étant un instrument de précision, au service de l’action et de la réflexion, et non de la rêverie et de l’enthousiasme, devait se former
Né à Caen en 1555 dans une famille noble, mort à Paris en 1628, François de Malherbe qui étudia successivement à Caen, Paris, Bâle et Heidelberg, fut d’abord secrétaire du duc d’Angoulême, fils naturel d’Henri II, grand prieur de France, et gouverneur de Provence (1576-1587). Recommandé plus tard à Henri IV par le cardinal Du Perron et le poète normand Vauquelin des Yveteaux, fils de Vauquelin de la Fresnaye, il vint à Paris et fut attaché au service du duc de Bellegarde, grand écuyer, puis devint gentilhomme ordinaire de la Chambre, ce qui lui permit de continuer à bénéficier de la part de Marie de Médicis, régente, et du roi Louis XIII, des faveurs dont il avait joui auprès d’Henri IV.
Né le 15 décembre 1613, mort à Paris le 17 mars 1680 après avoir reçu l’extrême-onction de Bossuet, le duc François de la Rochefoucauld, prince de Marcillac, est surtout connu pour le petit livre intitulé Réflexions ou Sentences et maximes morales (1665), qui repose tout entier sur une doctrine cruelle autant que paradoxale : suivant ce moraliste, toutes nos actions et tous nos sentiments, même ceux qui semblent les plus louables et les plus désintéressés, procèderaient uniquement de l’égoïsme et d’une pensée d’intérêt personnel.
Né à Falaise (Calvados)