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histoire - Page 17

  • L’éloquence à Rome et Caton orateur

    le Forum.jpgComme l’histoire, l’éloquence fut un art romain. Le patriciat se montrant jaloux de ses droits, voulait diriger les affaires publiques au grand jour, ne voyant aucun danger pour son pouvoir dans la parole publique.  De fait, pour les premiers orateurs  romains la parole n’était qu’un moyen puissant pour assurer la prééminence de leur parti, et au dehors pour faire triompher les intérêts de Rome.  L’intérêt, voilà le maître mot de ceux qui veillaient sur la tradition des vieilles vertus romaines, dans lesquelles étaient exclues toute forme de justice sociale, comme nous dirions de nos jours.  D’ailleurs rarement dans la longue lutte que se sont livrés la plèbe et le patriciat, les tribuns ne pensèrent à réclamer l’égalité en s’appuyant sur le principe de justice. En fait, si l’on veut trouver un caractère de moralité à l’art oratoire, on ne peut le rencontrer qu’à travers les préceptes de la coutume et de l’usage antique. C’est un peu étroit pour parler de moralité, mais celle-ci reposait sur du solide.

    « Il faut à l’orateur,  disait Tacite dans son Dialogue, des acclamations, des applaudissements, un théâtre. » Cette scène ne manquait pas à Rome, et le Forum en fut longtemps l’emblème. Dès le temps des rois, la vie politique y avait trouvé son centre, mais au fil des siècles il allait devenir le cœur de la vie à Rome sous toutes ses formes (plaisirs, affaires, politique etc.). Cela lui permit alors de bénéficier en priorité de nombreux embellissements, notamment le temple de Saturne (dieu du temps et de l’agriculture), celui de la Concorde, le Tabularium (dépôt des archives publiques), la basilique Porcia. De la tribune l’orateur pouvait apercevoir la citadelle et le temple du Capitole, ce qui nous laisse imaginer le sentiment de patriotisme qui pouvait emplir le cœur de celui qui s’adressait à la foule de ceux qui l’écoutaient.

    Les assemblées du Sénat se tenaient parfois en plein air ou sur quelque point du Forum, mais elles avaient lieu dans ce qu’on nommait une Curie (Curia Hostilia sous la République), vaste salle quadrangulaire ou l’on ménageait une estrade pour le président. Les sénateurs se réunissaient aussi dans les temples. La quatrième Catilinaire fut prononcée dans le temple de la Concorde. La salle où parlait Cicéron était richement décorée, avec notamment les statues des douze grands dieux qui semblaient assister au débat, ce qui ne pouvait qu’inspirer recueillement et gravité à l’orateur et à ceux qui l’écoutaient. Au passage, il faut souligner que le règlement du Sénat interdisait les interruptions, et que la parole appartenait en droit aux vétérans de la vie politique, et non aux plus éloquents. Ceux-ci devaient donc attendre leur tour pour pouvoir intervenir un jour dans la prestigieuse enceinte.

    La basilique avait un rôle très différent, car consacrée essentiellement aux affaires de justice. La basilique Porcia fut construite par Caton en 184 av. J.C., lequel dans un accès de générosité remarqua un jour que les marchands, les oisifs, les plaideurs qui encombraient le Forum, avaient souvent à subir les intempéries. Elle s’appelle Porcia parce que Caton appartenait à la gens Porcia. Cette basilique était un vaste édifice divisé en trois galeries par deux rangs de colonnes ou d’arcades superposées. Au fond de la nef centrale, plus haute que les autres, se trouvait un hémicycle où siégeait le tribunal pour les affaires de commerce et les causes civiles. Le jour où un avocat de renom venait traiter une affaire retentissante, cela permettait à un public nombreux de s’entasser dans les vastes salles d’audience. Dans un tel cadre l’avocat, orateur, pouvait donner la pleine mesure de son talent.

    Caton n’était pas avocat, mais il a ouvert la liste des orateurs romains, au même titre que celle des historiens. Dans ses Origines il prit la peine de recueillir quelques uns de ses discours. Son éloquence était empreinte avant tout de cette rude moralité qui a fait de lui le type même du censeur redouté. Sa définition de l’orateur ? « L’orateur c’est l’homme de bien habile à parler ». Le campagnard qu’il a toujours été se retrouvait quand il donnait à ses sentences la forme des proverbes populaires. Et quand il trouve le vice sur son chemin, il le combat avec une indignation enflammée. Il n’a pour les personnes qu’il n’apprécie pas ni ménagement, ni indulgence. Il était aussi sarcastique à l’occasion, surtout vis-à-vis de ceux qu’il appelait les bavards. Pour lui un bavard c’est quelqu’un « dont l’envie de parler est si grande, qu’à prix d’argent il louera des auditeurs ».  Il n'aimait pas non plus les personnes bien en chair. A propos d’un certain Véturius, personnage gras et corpulent, ne disait-il pas : « Quel service un tel corps peut-il rendre à la république, lorsque chez lui, depuis le cou jusqu’aux aines, tout est ventre » ?  Telle fut l’éloquence de Caton, animée, passionnée, vivante, mais rude et sèche, et toute empreinte de rusticité primitive. En fait Caton allait inaugurer une liste prestigieuse où nous allons retrouver des personnages comme les Gracques (nés en 162 et 154 av. J.C.), et plus tard Cicéron (106-43 av.J.C.).

    Michel Escatafal

  • Caton et l'histoire de Rome

    caton.jpgSi les poètes romains se sont mis dans tous les genres à l’école grecque, ce ne fut pas le cas des premiers historiens qui ne durent rien à Hérodote (482-425 av. J.C.) ou Thucydide (460-vers 395 av. J.C.), pas plus que des premiers orateurs qui ne durent pas davantage à Démosthène (384-322 av. J.C.) ou Eschine (389-314 av. J.C.). La prose en effet, qui va droit au but, tout en étant un instrument de précision, au service de l’action et de la réflexion, et non de la rêverie et de l’enthousiasme, devait se former  d’elle-même chez un peuple dont le génie fut de vouloir et d’agir.

    Aujourd’hui nous allons plus particulièrement parler de l’histoire, laquelle à vrai dire a existé de tout temps à Rome, pouvant même être considérée comme un besoin national. Elle était gravée sur la pierre des tombeaux, l’airain des statues. Elle était aussi présente dans les archives des familles patriciennes. Pourtant, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, les premiers annalistes tout Romains qu’ils aient pu être par l’esprit et les mœurs, composèrent leurs ouvrages…en grec. Pourquoi ? Tout simplement parce que des gens comme Fabius Pictor ou Cincius Alimentus appartenaient au parti patricien, et voulaient que l’histoire fût un privilège de leur caste. Heureusement Caton (234-149 av. J.C.) allait venir qui, en écrivant ses Origines en latin, donna à l’histoire une forme et une inspiration démocratiques.

    Mais qui était ce Caton ? Réponse, un fils d’agriculteur né à Tusculum, qui travailla durement toute sa vie, jusqu’à l’âge canonique pour l’époque de quatre-vingt-cinq ans.  C’était un Romain, un vrai, qui rassemblait en lui toutes les vertus de sa patrie. Soldat à dix-sept ans, il participa à la célèbre bataille du Métaure (207 av. J.C.), où les légions romaines défirent et tuèrent Hasdrubal, frère d’Hannibal.  Dur pour lui-même, il est gênant pour ceux qu’il emploie autant que pour ceux qui l’emploient, tellement l’homme était d’une inflexible probité, au point de devenir un embarras pour un personnage de la qualité de Scipion, qu’il accompagnait comme questeur dans son expédition de Sicile. Cela ne l’empêcha pas toutefois de voir grandir sa renommée, et d’arriver au consulat (195 av. J.C.). Il devint même commandant en chef en Espagne.

    Les villes tombant devant lui, il conquit un immense butin, ne se réservant presque rien pour lui-même, favorisant ses soldats avant tout. J’aime mieux, disait-il, « que beaucoup d’hommes reviennent avec un peu d’argent  que peu  d’hommes avec beaucoup d’or ». A méditer pour ceux qui refusent les redistributions à notre époque.  A coup sûr Caton n’aurait pas approuvé le bouclier fiscal ! Fermons la parenthèse pour noter que s’il avait avant tout le souci du bien public,  Caton refusait aussi avec obstination les nouvelles mœurs de son époque, devenant ainsi une sorte de censeur impitoyable sans crainte d’exciter  la haine et les représailles. A ce propos, le moment capital de sa vie fut sa censure (184 av. J.C.). C’est là qu’il démontra avec une virulence extrême sa haine des nouveautés, allant jusqu’à faire rayer de la liste sénatoriale sept sénateurs parmi les plus illustres.

    En fait toute son existence ne fut qu’une censure perpétuelle. Déjà il détestait la civilisation grecque, au point de penser que tout ce qu’elle apportait à Rome était nuisible, qu’il s’agisse de la médecine dont il disait qu’elle n’est que « l’art d’assassiner  impunément ceux qui s’y fient », ou encore de la poésie, poète étant pour lui synonyme de parasite, sans parler de la philosophie qui  peut même être dangereuse. N’a-t-il pas affirmé que Socrate ne fût « qu’un bavard et un séditieux qui a perverti les mœurs de son pays en tirant ses concitoyens en opinions contraires à leurs lois et coutumes anciennes ».  Bref pour Caton, les jeunes Romains ne devaient pas écouter les leçons des Grecs, mais se contenter d’entendre uniquement la voix des magistrats et des lois de leur nation. Hélas pour lui, personne ne l’écouta, et quand il mourut en 149 avant J.C., la jeunesse toute entière était éprise d’hellénisme et se passionnait pour la philosophie autant que pour la chasse ou l’équitation.

    Nous avons de Caton des fragments de nombreux discours, d’un Traité sur l’Agriculture, et aussi d’un livre d’histoire intitulé Les Origines. Dans le Traité sur l’Agriculture Caton restitue la vie idéale du vrai Romain qu’il fut, du moins de celui qui vit à la campagne, avec toutes les valeurs qui auraient dû incarner la vie à Rome de son temps. « Les profits qu’on tire de la culture de la terre sont honnêtes et solides ». En outre « elle fait des hommes robustes et des soldats courageux ». Cela dit Caton ne fut pas qu’un homme intègre sur le plan des principes régissant la société, car il fut aussi « un tyran » pour ceux qui l’aidaient à exploiter son domaine, n’hésitant à vendre ses serviteurs vieux et usés comme les bœufs hors-service ou la ferraille hors d’usage. Et c’est tout cela qui fait du Traité sur l’Agriculture un précieux document sur l’histoire de son époque.

    Pour compléter cela il écrira aussi Les Origines que l’on peut assimiler à une véritable œuvre historique. Nous n’avons d’ailleurs pas besoin d’en faire l’analyse, car Cornélius Népos (100-vers 27 av. J.C.) l’a faite pour nous quand il a écrit à propos des Origines: « Elles comprennent sept livres. Le premier contient ce qui s’est passé sous les rois ; le second et le troisième rapportent les origines des villes d’Italie ; le quatrième et le cinquième racontent sommairement la première et la seconde guerre punique ; les deux derniers font le récit des autres guerres jusqu’au pillage de la Lusitanie (150 av. J.C.) par Servius Galba ». En fait, en écrivant cela Caton a voulu restituer aux Romains ce qu’il considérait comme leur véritable histoire, avec le véritable orgueil du citoyen épris des vertus nationales.

    Son livre aura une très grande influence, et inspira aux Romains un goût plus vif encore pour l’histoire. Il sera ainsi le premier d’une lignée d’écrivains qui jusqu’à Salluste (86-34 av. J.C.), le plus grand de tous, s’essayèrent avec succès dans le genre historique, notamment Cassius Hémina qui tenta de soumettre les faits et les légendes à la critique, mais aussi Caelius Antipater et Claudius Quadrigarius qui eux voulurent donner à la discipline une forme plus littéraire. Mais, pour revenir à Caton, je veux aussi préciser qu’il fut aussi un grand orateur, autre genre très prisé dans l’art romain. Il en fut même là aussi un précurseur. J’en reparlerai dans un prochain billet.

    Michel Escatafal

  • Malherbe, un des grands maîtres de la versification française

    malherbe.jpgNé à Caen en 1555 dans une famille noble, mort à Paris en 1628, François de Malherbe qui étudia successivement à Caen, Paris, Bâle et Heidelberg, fut d’abord secrétaire du duc d’Angoulême, fils naturel d’Henri II, grand prieur de France, et gouverneur de Provence (1576-1587). Recommandé plus tard à Henri IV par le cardinal Du Perron et le poète normand Vauquelin des Yveteaux, fils de Vauquelin de la Fresnaye, il vint à Paris et fut attaché au service du duc de Bellegarde, grand écuyer, puis devint gentilhomme ordinaire de la Chambre, ce qui lui permit de continuer à bénéficier de la part de Marie de Médicis, régente, et du roi Louis XIII, des faveurs dont il avait joui auprès d’Henri IV.

     

    A ce propos il faut dire qu’il sut y mettre du sien, comme en témoignent quelques unes de ses poésies les plus fameuses, notamment l’Ode à Marie de Médicis sur sa bienvenue en France. Pour mémoire je rappellerais qu’Henri IV, ayant fait casser par le pape Clément VIII, en 1599, son mariage avec Marguerite de Valois, épousa en 1600 Marie de Médicis (1573-1642), fille de François, grand-duc de Toscane. Cette dernière, après l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac (14 mai 1610), fut proclamée régente par le Parlement de Paris, en raison de l’âge (neuf ans) du jeune roi Louis XIII. Et à propos de la régence, Malherbe écrivit une remarquable poésie dont le titre se suffit à lui-même puisqu’il l’appela Ode à Marie de Médicis sur les heureux succès de sa régence.

     

    Sa courtisanerie, pour ne pas dire sa flagornerie, ira d’ailleurs très loin, puisqu’il écrira la Prophétie du Dieu de la Seine contre le maréchal d’Ancre, plus connu sous le nom de Concino Concini (1575-1617) qui, avec sa femme Leonora Galigaï, exerça une grande influence sur Marie de Médicis, celle-ci allant jusqu'à l'élever aux plus hautes dignités de l’Etat. Cela ne lui porta pas bonheur très longtemps car il fut assassiné, au sortir du Louvre, par ordre de Louis XIII. Cette mort aux dires de nombreux contemporains délivrait le roi, les seigneurs et la France, d’une tyrannie odieuse et sans grandeur. Cela dit, Malherbe aurait dû se souvenir qu’il avait chanté le maréchal au temps de sa puissance, et c’est aussi pour cela que je suis sceptique sur les propos qu’on lui attribue vis-à-vis du roi : « Quelque absolu que vous soyez, vous ne sauriez, Sire, ni abolir ni établir un mot, si l’usage ne l’autorise ».

     

    Fermons la parenthèse, pour dire que les stances qu’il met dans la bouche du dieu de la Seine, prédisant sa mort au Premier ministre, ont été jugés extrêmement remarquables par l’énergie de la pensée, de l’expression et du rythme. Malherbe fera aussi une célèbre Ode au roi Louis XIII allant châtier la rébellion des Rochelois, allusion au siège de La Rochelle, ville qui se voulait la capitale du protestantisme avec le désir de se constituer en république indépendante, et que Richelieu entreprit de réduire, ce qui fut fait après un siège de treize mois (en 1628).

     

    La place de Malherbe est grande dans l’histoire de notre littérature. Ronsard et les poètes de la Pléiade, s’inspirant de l’antiquité, avaient réussi à donner à notre poésie une ampleur et une variété que le moyen-âge n’avait pas connues. Mais on sait avec combien peu de tempérament ils poursuivirent leur œuvre de réforme. Le tour trop souvent pédantesque ou affecté de leur poésie ne trouva pas grâce devant Malherbe, lequel exposera (en 1606) ses principes de l’idéal poétique dans une analyse sans concession des poésies profanes de Desportes (Commentaire sur Desportes). Cela étant, épris par-dessus tout de naturel et  plus soucieux, dans sa langue et sa versification, de régularité et de clarté que de richesse, de diversité, de pittoresque, il montra trop de sévérité dans sa critique et d’étroitesse dans ses théories. Malgré tout, il n’en devint pas moins le modèle des poètes de la génération suivante et, par eux, le maître de la versification française jusqu’à l’époque du romantisme.

     

    On ne peut, d’ailleurs, refuser aux meilleures de ses Stances et de ses Odes la justesse de l’expression, l’ampleur et la netteté de la phrase, la richesse ou le charme des images toujours simples et naturelles. Il reste de Malherbe, outre ses poésies, un volumineux et fort intéressant recueil de lettres, et plusieurs traductions, notamment celle du XXXIIIè  livre de Tite-Live. L’ensemble de son œuvre, à la fois riche et variée, lui permet de figurer au Panthéon de nos meilleurs écrivains, comme en témoigne l’hommage que lui adressa Boileau dans son Art Poétique : « Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, - Fit sentir dans les vers une juste cadence, - D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, - Et réduisit la muse aux règles du devoir». En outre il savait à l’occasion être modeste puisqu’il affirmait que « c’était une sottise de faire le métier de rimeur », ajoutant « qu’un poète n’était pas plus utile à l’Etat qu’un bon joueur de quilles ». Mais le croyait-il vraiment ? On nous permettra d’en douter !

     

    Bonne et heureuse année 2010.

     

    Michel Escatafal

  • La Rochefoucauld, un moraliste aigri...

    La_Rochefoucauld.jpgNé le 15 décembre 1613, mort à Paris le 17 mars 1680 après avoir reçu l’extrême-onction de Bossuet, le duc François de la Rochefoucauld, prince de Marcillac, est surtout connu pour le petit livre intitulé Réflexions ou Sentences et maximes morales (1665), qui repose tout entier sur une doctrine cruelle autant que paradoxale : suivant ce moraliste, toutes nos actions et tous nos sentiments, même ceux qui semblent les plus louables et les plus désintéressés, procèderaient uniquement de l’égoïsme et d’une pensée d’intérêt personnel.

    Mais si l’on peut combattre un système qui a dû être inspiré  à La Rochefoucauld par une expérience amère de la vie, et probablement confirmé dans son esprit par les théories de ses amis jansénistes sur la condition de l’homme en dehors de l’état de grâce, il faut en revanche admirer comme un modèle de précision et de propriété, un style exempt de tout procédé et de tout artifice, patiemment perfectionné au long du temps.

    Si je dis cela c’est parce que quatre éditions des Maximes ont encore été publiées,  après la première, du vivant de la Rochefoucauld, et chacune d’elle diffère de la précédente par quelques corrections, additions ou suppressions.  La Rochefoucauld, qui avait été mêlé aux évènements de la Fronde, sans retirer de tant d’agitations et d’intrigues autre chose qu’un grand sentiment d’aigreur et de misanthropie, a encore laissé des Mémoires qui ne sont pas tous de lui mais qui sont un bon témoignage de son temps, même s’ils  pâlissent à côté de ceux du Cardinal de Retz…qu’il tenta de faire assassiner en 1651, ce qui lui valut de devoir quitter Paris avec Condé.

    Cet épisode peu glorieux n’est en réalité qu’une des multiples intrigues qu’il nourrit tout au long de sa vie, ce qui lui valut de nombreuses inimitiés bien qu’il passât pour quelques uns de ses contemporains pour un homme aimable et plutôt sensible. C’est sans doute cet aspect de sa personnalité qui plut à des femmes de la haute société de l’époque, par exemple Madame de Sablé, Madame de Sévigné et surtout Madame de Lafayette qui fut une amie intime jusqu’à la fin de sa vie.

    Parmi ses maximes les plus célèbres je citerais : « La petitesse de l’esprit fait l’opiniâtreté, et nous ne croyons pas aisément ce qui est au-delà de ce que nous voyons ». A noter que sur le même thème Madame de Sablé disait : « Le esprits médiocres, mal faits, surtout les demi-savants, sont les plus sujets à l’opiniâtreté ». Quant à Montaigne, il affirmait : « L’obstination et ardeur d’opinion est la plus sûre preuve de bestise ».

    Il y en a une autre, sur l’amitié, qui m’a beaucoup étonné quand on connaît l’esprit misanthropique de La Rochefoucauld : « Quand nos amis nous ont trompés, on ne doit que de l’indifférence aux marques de leur amitié, mais on doit toujours de la sensibilité à leurs malheurs ». Si cette sentence l’honore, on ne peut qu’être surpris quand nous savons qu’il a écrit un peu plus tard : « Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés », ou encore : « Ce que les hommes ont nommé amitié n’est qu’une société, qu’un ménagement réciproque d’intérêts et qu’un échange de bons offices ; ce n’est enfin qu’un commerce ou l’amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner ». On retrouve là l’esprit amer du moraliste chagrin.

    Michel Escatafal

  • Montchrestien, poète tragique disciple de Garnier

    montchrestien.jpgNé à Falaise (Calvados)  dans la seconde moitié du seizième  siècle (peut-être en 1575), Antoine  Mauchrétien, qui prit le nom de Montchrestien auquel il ajouta celui d’une terre de Vasteville appartenant à sa femme, eut une vie  très  agitée, et qui n’est pas connue avec une pleine exactitude. Forcé de s’enfuir en Angleterre à la suite d’un duel, il y trouva un bon accueil auprès de Jacques 1er (roi d’Angleterre et d’Irlande entre 1603 et 1625) à qui il dédia (1601) sa tragédie de l’Escossoise (Marie Stuart) ou le Désastre, publiée à nouveau en 1604 sous le titre la Reine d’Escosse, et grâce auquel il obtint de pouvoir rentrer en France. Il se fixa à Châtillon-sur-Loire (Loiret), et s’y occupa de travaux de métallurgie. Ensuite,  mêlé à la révolte du duc de Rohan (1621), il se mit à la tête d’une petite armée protestante en Normandie, et fut surpris et tué  dans le village de Toureilles (Orne). Cette affaire a été racontée par Malherbe dans une lettre à Peiresc du 14 octobre 1621.

    Il a laissé, outre la tragédie évoquée précédemment, un Traité de l’OEconomie politique, dont le titre même est remarquable, n’ayant jamais été employé auparavant, cinq autres tragédies, la Cartaginoise (Sophonisbe) ou la Liberté, les Lacènes ou la Constance, David ou l’Adultère, Aman ou la Vanité, Hector. A cela, il faut ajouter un poème, Susanne ou la Chasteté, et quelques poésies. Comme poète tragique, Montchrestien appartient à l’école de Garnier, dont il n’égale pas l’éclat, mais sa forme, plus molle que celle de son devancier, est aussi plus pure. Montchrestien paraît avoir recherché, pour ses vers, les avis et l’approbation de Malherbe, une des plus grandes figures de l’histoire de notre littérature.

    Parmi les meilleurs textes de Montchrestien, je citerais la mort de Marie Stuart  que l’on trouve à l’acte V de la Reine d’Escosse, où celle-ci montre son courage et son mépris de la mort au moment de son exécution (1587) décidée par la reine Elisabeth 1ère. Déjà, la description de la montée à l’échafaud où elle paraît souriante « un peu de l’œil et de la bouche » paraît émouvante. Ensuite, voyant qu’on ne lui accorde pas un confesseur comme elle souhaiterait qu’il fût, elle décida de se confesser elle-même et se mit à prier. A ce propos, dans l’Histoire de Marie Stuart écrite par Mignet, on apprend que le docteur Fletcher, doyen protestant de Peterborough, s’approcha d’elle et voulut l’exhorter à mourir.

    « Madame, lui dit-il, la Reine, mon excellente souveraine, m’a envoyé par devers vous ». Marie, l’interrompant à ces mots, lui répondit : « Monsieur le doyen, je suis ferme dans l’ancienne religion catholique romaine, et j’entends verser mon sang pour elle ». Comme le doyen insistait avec un fanatisme voyant, et l’engageait à renoncer à sa croyance, à se repentir, à ne mettre sa confiance qu’en Jésus-Christ seul, parce que seul il pouvait la sauver, elle le repoussa d’un accent résolu, lui déclara qu’elle ne voulait pas l’entendre, et lui ordonna de se taire. Le docteur Fletcher se mit alors à lire la prière des morts, selon le rite anglican, tandis que Marie récitait en latin les psaumes de la pénitence et de la miséricorde, et embrassait avec ferveur son crucifix.

    Si le texte de Montchrestien ne rentre pas dans ces détails, il en reprend quand même les grandes lignes et, en vrai poète qu’il est, décrit la fin horrible de la reine d’Ecosse, après avoir dit au bourreau : « Arme quand tu voudras ta main injurieuse, frappe le coup mortel, et d’un bras furieux fay tomber le chef (la tête) bas et voler l’âme aux cieux ». Hélas pour Marie Stuart, le premier coup de hache ne fit que la blesser et il fallut la frapper plusieurs fois pour lui abattre la tête, ce que Montchrestien traduit ainsi : «  Un, deux, trois, quatre coups sur son col il delasche (laisse tomber) ; car le fer acéré moins cruel que son bras vouloit d’un si beau corps différer le trespas : Le tronc tombe à la fin, et sa mourante face par trois ou quatre fois bondit dessus la place ». Je ne sais pas ce que Jacques 1er, adversaire des catholiques, a apprécié réellement dans ce récit, mais il n’en voulut point à Montchrestien d’avoir glorifié la mort de Marie Stuart.

    Michel Escatafal