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histoire - Page 16

  • Les grands poètes contemporains de Lope de Vega

    tirso de molina.jpgjuan ruiz de alarcon.jpgDans un précédent billet j’ai longuement parlé de Lope de Vega, mais il ne fut pas le seul grand poète de son époque. D’ailleurs certains n’hésitent pas à affirmer que Fray Gabriel Tellez (1584-1648), moine espagnol connu du grand public sous le nom de Tirso de Molina, peut soutenir la comparaison avec Lope de Vega dont il subit l’influence, ce qui n’enlève rien à son originalité. Quasiment aussi remarquable poète que Lope, théoricien et défenseur de la comédie dans Los cigarrales de Toledo, c’était un auteur dramatique de tout premier ordre, moins ingénieux que Lope mais parfois plus audacieux.

    Certes il fut moins prolifique que son rival, se contentant d’écrire trois cents comédies, dont quatre vingts seulement parvinrent jusqu’à nous,  mais toutes figurent parmi les plus belles du répertoire espagnol. Les unes, historiques (La Prudencia en la mujer), d’autres théologiques (El condenado por desconfiado), ou de cape et d’épée, par exemple Don Gil de las calzas verdes, El Burlador de Sevilla (en français le Trompeur de Séville), où il met en scène pour la première fois le personnage de Don Juan, autant d’œuvres maîtresses. Tirso de Molina est le peintre le plus achevé de la passion et de la prudence féminine. Il est aussi très apprécié par son côté hautement comique et spontané.

    Autre grand poète, Juan Ruiz Alarcon (1580-1639) a une place à part dans l’histoire de la comédie espagnole, qui en fait presque un rival pour Tirso de Molina et même pour Lope de Vega. Réfléchi, doué d’un sens pratique avéré, psychologue puissant, plus classique et moins poète que ses deux illustres contemporains, manquant parfois de spontanéité, Juan Ruiz de Alarcon laissa à la postérité une œuvre peu importante en nombre (en tout une vingtaine de comédies), mais d’une qualité rare où ressortaient la noblesse des sentiments, un esprit satirique bien maîtrisé, et une analyse psychologique d’une exquise délicatesse. Son œuvre maîtresse aura été La Verdad sospechosa, qui servira de modèle au Menteur de Corneille. La régularité dans le dessin de son œuvre, la propriété de l’expression et la préoccupation morale font d’Alarcon un auteur très comparable aux auteurs classiques français.

    Michel Escatafal

  • C'est admirable, donc c'est de Lope de Vega !

    Lope de Vega.jpgParmi la galaxie brillante des poètes du Siècle d’Or, il y en a un qui a une place à part, Lope Felix de Vega Carpio (1562-1635), à la fois le plus doué et le plus fécond de tous.  Véritablement génial, doué d’une inspiration inépuisable, admiré par tous pour son style à la fois souple, varié et d’une extrême élégance, Lope de Vega représente la plus parfaite expression de l’art de la versification. Né à Madrid dans une famille d’artisans brodeurs, Lope de Vega a fait montre très tôt d’une précocité extraordinaire. En effet, on dit qu’il a écrit sa première comédie, El verdadero amante (le véritable amant en français), à l’âge de 13 ans.  A partir de là, il allait avoir la vie la plus colorée et la plus passionnée qui se puisse imaginer.

    Après avoir étudié à Alcala, certains évènements de sa vie l’obligèrent à partir pour Valence. Ensuite  il se maria une première fois, puis s’embarqua dans « l’invincible Armada »  où il écrivit des vers par milliers.  Plus tard il reviendra de nouveau à Valence et ensuite à Madrid (1589-1595), ville dans laquelle il collectionne les aventures et se marie pour la deuxième fois. Avec sa nouvelle femme et le fils qu’elle lui donnera  il vivra successivement à Séville, Tolède et Madrid, où celle-ci (1628) et son fils (1634)  mourront. Cette double épreuve le fera entrer dans les ordres (1615) et lui fera écrire ses Rimas divinas (Rimes sacrées).

    En fait il ne cessera jamais d’écrire jusqu’à sa mort en 1635, méritant pour son immense production les surnoms de « Monstruo de la Naturaleza »  (monstre de la nature) et « Fénix de los Ingenios » (phénix des génies). Dans cette œuvre énorme, on retient quelques centaines de belles poésies lyriques qui le situent à la hauteur de Fray Luis de Leon, diverses épopées religieuses (San Isidro Labrador, Los Pastores de Belén), historiques (La Dragontea,  Corona Tragica), romanesque (La Jerusalem conquistada, La hermosura de Angelica), antiques (La Filomena,La Andromeda) ou burlesques ( La Gatomaquia), sans oublier ses fameuses comédies écrites avec des vers d’une pureté et d’une beauté extraordinaires.  Mais plus encore que tous ces chefs d’œuvre, Lope de Vega a surtout été le seul grand auteur de son temps à s’être illustré dans tous les genres de la littérature, la poésie, le roman, la critique littéraire, le genre épistolaire et bien évidemment le théâtre.

    Cet extraordinaire écrivain n’avait évidemment pas que des amis, par exemple Gongora qui lui reprochait un style fait d’une aisance insolente et de trop de simplicité. Mais même ses détracteurs reconnaissaient son génie et son côté novateur.  A ce propos son poème didactique, l’Arte nuevo de hacer comedias en este tiempo (1609) est,  malgré une humilité feinte, le manifeste de la nouvelle école du théâtre. Ecrivain d’une stupéfiante fécondité, comme je l’ai souligné précédemment, il put malgré une existence à la fois trouble et aventureuse, mélangeant l’étourdissement des passions et les sentiments les plus tendres, mais aussi les délires galants, écrire plus de deux mille comédies en vers, dont quatre cents seulement sont parvenues jusqu’à nous. A noter également que même si nombre d’entre elles ont été écrites « à la va-vite », en vingt-quatre heures ou parfois en une seule nuit,  sans aucune réelle attention sur la forme, toutes laissent apparaître des vers d’une admirable poésie, et beaucoup sont de purs chefs d’œuvre.

    Le domaine privilégié de Lope de Vega est la comédie historique, tirée de l’histoire ou des légendes (le plus souvent espagnoles). Parmi celles-ci il faut ressortir Peribanez y el Comendador de Ocana, Fuente ovejuna, La Estrella de Sevilla, El mejor alcalde el Rey, El caballero de Olmedo. Mais la plus typique de son art est la comédie de cape et d’épée, c’est-à-dire des coutumes et du cadre de vie espagnols de son époque (El perro del hortelano, El acero de Madrid, la Noche toledana etc.). La facilité de Lope de Vega et son inventivité sont proprement prodigieuses, qui n’ont d’égale que l’infaillible sûreté de son instinct du théâtre. Même s’il n’a pas inventé la comédie, il lui donna sa forme définitive et « la légalisa » si j’ose dire avec son génie.  C’est pour cela que l’admiration de ses compatriotes confine à l’idolâtrie, ces derniers  allant jusqu’à dire : « c’est admirable donc c’est de Lope ». D’une autre manière on parlera aussi « d’un théâtre avant lui et d’un théâtre après lui ».

    Michel Escatafal

  • Alexandre Hardy, un auteur prolifique au style négligé

    hardy.jpgNé à Paris vers 1570, mort de la peste vers 1632, Alexandre Hardy est le plus célèbre des auteurs dramatiques des premières années du dix-septième siècle. Aujourd’hui nous dirions plutôt qu’il fut avant tout un auteur à succès. Attaché comme poète à une troupe de comédiens qui, sans renoncer définitivement à parcourir la province, s’était établie à Paris en 1607, il fit preuve d’une incroyable fécondité, puisqu’il se vante d’avoir composé plus de six cents pièces, tragédies, tragi-comédies et pastorales, dont il a publié quarante et une.

     Dès lors il est aisé de comprendre que le style de cet écrivain, forcé de travailler très vite, ait dû être très négligé. Néanmoins, les œuvres d’Alexandre Hardy n’en tiennent pas moins une place importante dans l’histoire de notre théâtre. En effet, écrites par des poètes savants, les tragédies du seizième siècle étaient faites surtout pour être lues, ou pour être représentées dans des collèges, devant un auditoire choisi. Quand au peuple, il continuait à se complaire avec des pièces composées suivant la vieille poétique du quinzième siècle.

     Hardy a le mérite d’avoir essayé de fondre ensemble les deux genres, et de traiter le drame populaire d’une manière plus artistique, se rapprochant davantage de la tragédie savante. Cette tentative a donné naissance à des pièces d’une construction sans doute très irrégulière, mais qui n’en préparèrent pas moins l’avènement de notre tragédie classique, c’est-à-dire d’un genre traité suivant les règles des anciens et destiné cependant  aux représentations publiques, les thèmes développés s’inspirant des réalités, le plus souvent très douloureuses, de la vie quotidienne. Mentionnons au moins ici deux des compositions d’Alexandre Hardy : Scédase ou l’Hospitalité violée et les Chastes et Loyales Amours de Théagène et Chariclée.

     Scédase ou l’Hospitalité violée est une tragi-comédie à laquelle Corneille faisait encore allusion comme à un modèle de drame bourgeois (Epitre à M. de Zuylichem, en tête de Don Sanche d’Aragon). En ce qui concerne les Chastes et Loyales Amours de Théagène et Chariclée, il s’agit d’une adaptation du vieux roman grec d’Héliodore (sophiste du IVè siècle), divisée en huit journées de cinq actes chacune. Théagène et Chariclée, amenés prisonniers devant Hydaspe, roi d’Ethiopie, vont suivant la coutume du pays être immolés, lorsque la reine Persine  reconnaît dans Chariclée sa fille, qu’elle avait abandonnée.

     Michel Escatafal

  • Pascal : un génie des mathématiques et de la littérature

    pascal.jpgNé en 1623 à Clermont-Ferrand, la courte vie de Pascal s’étale sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV, ce que l’on semble oublier souvent quand on parle des grands écrivains du dix-septième siècle. Blaise Pascal donna dès l’enfance la marque d’une intelligence qui tenait du prodige et d’une aptitude exceptionnelle aux mathématiques.  Ses premiers travaux lui acquirent en effet parmi les géomètres et les physiciens une grande et légitime réputation. Mais la ferveur de sa foi l’entraînait vers d’autres horizons et ne lui permit pas d'aller plus loin dans ses recherches, ce qui explique qu'il ait pu présenter la terre comme immobile, tandis que le soleil marcherait (Les Pensées), système que Galilée avait déjà victorieusement combattu.

    Séduit par les prédications jansénistes, accablé aussi par les infirmités et les souffrances continuelles d’un corps malade, sous l’influence desquelles sa piété s’exaltait encore, poussé par sa sœur Jacqueline (1625-1661), religieuse à Port-Royal sous le nom de sœur Sainte-Euphémie,  à la foi janséniste inflexible et profonde, Pascal entra de plus en plus, après un retour vers le monde qui fut de courte durée (1652-1654), dans la société des Messieurs de Port-Royal. Il devint ainsi lors de la fameuse querelle sur la grâce et les doctrines de Jansénius, leur plus ardent et leur plus brillant défenseur.

    L’apparition des dix-huit Lettres provinciales qu’il écrivit marque une date importante dans l’histoire de notre langue et de notre littérature : après la publication de cet immortel pamphlet  (1656-1657), la prose française n’a plus de progrès à faire. Pascal mourut en 1662, à trente neuf ans, sans avoir pu achever le grand ouvrage qu’il méditait, Apologie de la religion chrétienne.  Les Messieurs de Port-Royal publièrent du moins, sous le nom de Pensées, les fragments qu’il en avait déjà jetés sur le papier, en faisant entrer dans ce recueil des notes et des réflexions diverses que l’on trouva également chez lui.

    Mais ils crurent devoir apporter au texte des corrections que la sagacité de Victor Cousin a permis de contester (Des Pensées de Pascal, rapport à l’Académie française sur la nécessité d’une nouvelle édition de cet ouvrage en 1843), en remettant en lumière les feuillets manuscrits des Pensées. Tel qu’il nous a été rendu, dans sa primitive intégrité, avec des tours souvent incorrects  et des expressions parfois forcées, ce livre, où nous retrouvons en effet les Pensées de Pascal sous la forme même où elles ont, pour ainsi dire, jailli de son cerveau, est un des ouvrages les plus étonnants de notre littérature, celui dans lequel le lecteur peut le plus aisément, suivant la distinction de Pascal même, retrouver, non l’auteur, mais l’homme.

    Au reste le plan même que Pascal se proposait de suivre dans son livre décèle une originalité profonde. Laissant tout à fait de côté les arguments par lesquels les philosophes démontrent ordinairement l’existence de Dieu, Pascal réserve encore pour la seconde partie de l’Apologie les preuves de la vérité de la religion chrétienne. Ces preuves, en effet, ne pourront faire d’impression sur ceux qu’il veut convertir, s’il n’accommode pas sa méthode de démonstration à l’esprit et aux sentiments qui habitent ceux qui ne croient ni au ciel, ni au Christ. Aussi n’est-ce qu’après les avoir amenés, par l’argumentation la plus pressante et la plus passionnée, à désirer d'eux-mêmes de connaître enfin le mystère de leur propre nature, mystère inexplicable aux philosophies et aux fausses religions, et dont l’Ecriture au contraire semble nous livrer la clé, qu’il pourra leur démontrer, par l’étude de l’Ancien et du Nouveau Testament, la vérité de la religion chrétienne.

    Certes Pascal aurait pu changer quelque chose aux détails de ce plan, que son neveu Etienne Perier (premier des cinq enfants du couple que forma Gilberte Pascal, soeur de Blaise et Jacqueline, avec son cousin Florin Perier) nous a fait connaître.  Mais il n’en faut pas moins voir là l’exacte indication de son dessein, et l’on risquerait fort, si l’on n’y songeait, de se méprendre sur le sens et la portée de quelques uns des plus célèbres fragments des Pensées : on ne verrait dans Pascal qu’un moraliste plus profond, mais du même genre que La Rochefoucauld et La Bruyère. Or, quoi que La Bruyère lui-même en ait pensé, notamment dans son Discours sur Théophraste, il n’y a vraiment pas lieu de  comparer Pascal avec ces fins observateurs de la nature humaine, dont l’entreprise a été si différente de la sienne.

    Un dernier mot enfin, Pascal a beaucoup médité sur Montaigne. On le remarque surtout dans les Pensées, ce qui m’a permis de faire le rapprochement avec ce qu’a écrit Montaigne dans son Institution des enfants, mais aussi dans son Apologie de Raymond de Sebonde (Essais), ou encore dans la formule très connue qui dans les Pensées a pris cette forme  : « L’homme n’est ni ange, ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête », ce que Montaigne avait écrit ainsi dans le dernier chapitre des Essais : « Ils veulent se mettre hors d’eux et eschapper à l’homme, c’est folie : au lieu de se transformer en anges, ils se transforment en bestes ». Quand deux génies écrivent la même chose…

    Michel Escatafal

  • Avec les Gracques l'éloquence devient un art

    gracques.jpgLa liste des orateurs à Rome est des plus prestigieuses, avec des personnalités qui donnèrent à l’éloquence ses lettres de noblesse. Après avoir longuement évoqué Caton, je vais aborder  un autre chapitre avec  les Gracques. Ceux-ci comme Caton s’attachèrent au parti populaire, mais au lieu d’avoir l’origine et l’éducation plébéienne du paysan de Tusculum, Tiberius et Caïus Gracchus sortaient d’une illustre famille, et ils reçurent l’éducation et la culture la plus soignée. Cornelia (189-100 av. J.C.), leur mère, fille du premier Africain (Scipion), femme de Tiberius Sempronius Gracchus, le pacificateur de l’Espagne, devint  veuve de bonne heure et se consacra toute entière à ses fils, afin de faire d’eux des hommes et des citoyens dignes du grand nom qu’ils portaient.  Pour être sûre de parvenir à ses fins, elle alla jusqu’à refuser d’épouser Ptolémée, roi d’Egypte.

    Guidée par l’autorité de cette femme supérieure, les deux jeunes gens conçurent les ambitions les plus hautes et les plus désintéressées, s’habituèrent aux fortes vertus, et développèrent le germe de talents bien élevés. En fait Cornelia aura auprès de ses enfants le rôle que jouera, beaucoup plus tard,  la reine Hortense auprès de son fils Louis-Napoléon Bonaparte, à cette énorme différence près qu’Hortense fit à son fils des cours d’une morale bien particulière, où abondaient les excitations à la pratique des perfidies et du mensonge, au dédain de toute moralité, au mépris des hommes et des lois. En fait elle apprit au futur empereur  Napoléon III la méthode qu’il faut suivre pour tromper une nation et s’emparer du pouvoir. Mais revenons aux Gracques, comme on les appelle communément, pour dire que leur vie appartient totalement à l’histoire politique de Rome, pour laquelle ils sont considérés à juste titre comme des héros, et j’ajouterais comme des héros tragiques.

    Tiberius Gracchus (162-133 av. J.C.) périt en effet dans un mouvement révolutionnaire, massacré par la faction aristocratique, sans que celle-ci ait pu l’empêcher  de faire entendre les protestations des opprimés.  On retiendra de lui cette tirade célèbre : " Les bêtes sauvages répandues dans l’Italie ont leur tanière et leurs repaires où elles peuvent se retirer. Ceux qui combattent et meurent pour l’Italie n’ont en partage que l’air et la lumière qu’ils respirent. Les généraux mentent quand ils les engagent à défendre leurs tombeaux et leurs temples et à repousser l’ennemi. Parmi tant de Romains il n’en est pas un seul qui ait un autel paternel ni un tombeau où reposent ses ancêtres. On les appelle les maîtres de l’univers et ils n’ont pas en propriété une seule motte de terre ". Cette simple lecture permet de mieux comprendre pourquoi Tiberius Gracchus mourut à vingt neuf ans, victime de la vindicte des grands propriétaires.

    Caïus  Gracchus (154-121 av. J.C.) reprit courageusement l’œuvre de son frère et entreprit de venger son assassinat. Il put croire un moment qu’il parviendrait à ses fins. Chéri du peuple, craint du Sénat, il devint pendant deux ans le véritable maître de Rome. Mais c’était trop beau pour être vrai, et la cupidité des chevaliers, l’orgueil patricien, l’inconstance populaire lui firent bientôt comprendre qu’il allait succomber à son tour.  Cela ne lui fit pas renoncer pour autant à ses desseins, malgré les supplications de ses amis et les angoisses qui l’assiégeaient, comme en témoignent les paroles qui nous ont été conservées de lui, parlant du meurtre de son frère.

    " Vos ancêtres, disait-il au peuple, ont déclaré la guerre aux Falisques  (peuple de l’Italie antique) qui avaient insulté le tribun du peuple Genucius. Ils ont condamné à mort Caïus Veturius pour avoir refusé de faire place à un tribun qui traversait le Forum. Et, sous vos yeux, ces hommes ont assommé Tiberius à coup de bâton, traînant son cadavre du Capitole à travers toute la ville pour être jeté dans le fleuve, et ceux de ses amis qu’on a pu arrêter ont été mis à mort sans jugement ".

    En outre, quand Caïus se sentit complètement abandonné de ses partisans, serré de près par ses adversaires qui allaient le mettre à mort, il s’écria devant ses ennemis presque ébranlés par tant de bravoure : " Malheureux ! Où aller ? Où me réfugier ? Au Capitole ? Il est encore teint du sang de mon frère ! Dans ma maison ? Pour y voir les lamentations et le désespoir de ma mère !" Tout cela, comme dira plus tard Cicéron, donnait à Caïus Gracchus plus qu’à aucun autre orateur " une éloquence pleine et féconde ".

    Autant Caton semblait manquer d’idées générales et d’un sentiment de la beauté de la forme, autant les Gracques surent s’élever au-dessus des sentences et des dictons de la morale pratique jusqu’aux conceptions d’une sagesse plus profonde et plus large. En plus ils ont vécu dans un temps où l’enseignement de la rhétorique s’était largement répandu dans Rome, ce qui signifie que la maison de Cornelia avait subi les influences de ces nouveautés apportées par les Grecs. Cicéron, encore lui, témoignera que Caïus Gracchus avait " quelque chose d’imposant dans l’ensemble de sa composition et une élocution pleine de noblesse ".  En résumé, avec les Gracques l’éloquence cesse d’être pour les Romains un heureux instinct, une manifestation brillante de la passion ou du bon sens chez quelques hommes doués, pour devenir véritablement un art.

    Michel Escatafal