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littérature - Page 2

  • Madame de Staël, un des plus brillants esprits de son temps

    littérature,histoire,madame de staël,lamartine,villemainAnne-Louise-Germaine Necker, fille du célèbre ministre de Louis XVI, naquit à Paris le 22 avril 1766. Elle épousa en 1786 le baron de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède à Paris, et mourut le 14 juillet 1817, également à Paris, après une attaque de paralysie. Disciple enthousiaste des philosophes du dix-huitième siècle, plus particulièrement de Jean-Jacques Rousseau, elle se fit, dès sa première jeunesse, admirer des personnages distingués qui fréquentaient le salon de son père. Plus tard, pendant la Révolution, le Consulat et l’Empire, elle devint comme l’âme du parti libéral et passa, jusqu’à la Restauration, la plus grande partie de sa vie dans l’exil, un exil qui ne la priva des hommages d’aucun de ses amis et de ses admirateurs. Quelques uns de ceux-ci furent d’ailleurs eux-mêmes proscrits pour lui avoir rendu visite à Coppet, en Suisse, dans le canton de Vaud.

    Rentrée définitivement en France en 1815, elle y composa son intéressant récit Dix années d’exil, publié à titre posthume en 1821, et l’une de ses œuvres les plus fortement conçues, Considérations sur les principaux évènements de la Révolution française, œuvre elle aussi publiée à titre posthume, en 1818. Auparavant Madame de Staël avait donné, outre deux romans de forme lourde, mais d’une inspiration très personnelle, Delphine (1802) et Corinne ou l’Italie (1807), et des opuscules de moindre importance, mais parmi lesquels encore faut-il signaler ses Réflexions sur la paix (1794) et sur la paix intérieure (1795), deux livres remplis d’idées neuves et qui devaient exercer une grande influence sur la littérature du dix-neuvième siècle, de la Littérature considérée dans ses rapports avec l’état moral et politique des nations (1800) et de l’Allemagne (1810).

    Le premier de ces deux livres est certes fondé sur une idée générale contestable, mais il ouvre à la critique des voies toutes nouvelles. Le second, beaucoup moins rigoureux dans la forme, mais nourri de faits bien observés, de réflexions et d’appréciations justes et profondes, mérite d’être admiré comme un livre révélateur, encore que la littérature et l’art allemands, que Goethe, Schiller, Lessing, Klopstock, Haydn et Mozart ne fussent pas alors tout à fait inconnus en France. Presque tous ceux qui ont connu Madame de Staël, ont pensé que ses ouvrages, si remarquables qu’ils fussent, ne laissaient qu’une imparfaite idée de l’esprit de cette dame illustre, tel qu’il se révélait dans la conversation. La postérité ne peut plus juger d’elle que par ses livres, et le style de ses livres, il faut le reconnaître, manque un peu de simplicité, de souplesse et de grâce.

    Cependant il est peu d’écrivains qu’on puisse lui préférer pour la force, la richesse et l’étendue, pour l’originalité, l’indépendance et la noblesse passionnée de la pensée. A ce propos, on rappellera la manière dont Lamartine a exprimé son admiration pour Madame de Staël, qu’il qualifiait de « génie mâle dans un corps de femme ». Mais il faut souligner aussi cette phrase du grand critique littéraire qu’était Villemain, disant d’elle qu’elle était « tout animée de cette vie puissante, et de ce feu de génie qui brillait dans ses moindres entretiens, et qui lui donnait une nature de supériorité que l’on ne peut oublier ni retrouver ».

    Michel Escatafal

  • Madame Roland : un esprit étendu et un cœur ardent

    madame roland,roland de la platière,littérature,histoireMarie-Jeanne ou Manon Phlipon, née à Paris le 17 mars 1754, épousa en 1788 Roland de la Platière (1732-1793), écrivain politique d’un caractère austère, qui devint ministre en 1792. Nourrie à l’école de Rousseau, cette femme d’un esprit étendu et d’un cœur ardent devint, à l’époque de la Révolution, l’âme du parti girondin, et fut enveloppée dans la disgrâce de ses amis.  Arrêtée le 2 juin 1793, elle comparut le 8 novembre devant le Tribunal  révolutionnaire, et monta le lendemain, d’un cœur ferme, sur l’échafaud.

    C’est pendant sa captivité qu’elle composa ses Mémoires célèbres, dont le style est parfois déparé par quelque déclamation, mais qui sont également remarquables par la sincérité du récit et la vivacité des tableaux et des portraits. A ces Mémoires, il faut ajouter différentes pièces, notamment les Notices historiques et les Portraits et anecdotes, également composés en prison. Nous avons encore de Madame Roland des Lettres, qui sont comme le commentaire perpétuel des Mémoires et qui, tout en ayant les mêmes mérites, paraissent, elles aussi, parfois fort emphatiques : c’est la marque du temps et de l’influence que la lecture de Rousseau exerça sur Madame Roland.

    Dans les Mémoires particuliers, qui est le titre des Mémoires proprement dits de Madame Roland, il y a un portrait remarquable sur sa grand’mère, « petite femme de bonne grâce et de belle humeur », qui « avait soixante-cinq ou six ans », et qui avait eu l’infortune d’être « veuve au bout d’un an de mariage ». Chez cette grand’mère qu’elle aimait beaucoup, Manon Phlipon passa une année entière alors qu’elle était âgée de douze ans, après avoir vécu une année au couvent. Mais ce document est évidemment moins poignant que celui que l’on peut intituler Dernière lettre à sa fille,  qui figure dans Mes dernières pensées, écrites à la suite des Mémoires.

    A ce propos, il faut savoir que le 3 octobre 1793, la Convention avait décrété la proscription en masse des Girondins. Madame Roland, qui était elle-même en prison depuis quatre mois, résolut alors, dans un moment de désespoir, de ne pas attendre son jugement et de se laisser mourir de faim. Elle changea de résolution quelques jours après. Mais c’est sous l’empire de ce projet de suicide, c’est-à-dire entre le 4 et le 8 octobre, que fut écrite la lettre à sa fille qu’elle termina par un sanglot dont la sobriété n’avait d’égale que la douleur contenue : « Adieu mon Eudora ». Cette dernière avait  alors douze ans. Elle survécut à sa mère jusqu’en 1858.

    Michel Escatafal

  • Joseph de Maistre : un causeur étincelant et bonhomme

    de maistre,savoie,soirées de saint-pétersbourg,littérature,histoireJoseph-Marie, comte de Maistre, est né le 1er avril 1753 à Chambéry et mort le 26 février 1821 à Turin. Quand la Savoie eut été conquise par la France (1792) il quitta son pays, où il ne revint qu’au bout de vingt-cinq ans. Dans l’intervalle, il avait accepté les fonctions de grand chancelier du royaume de Sardaigne, puis de ministre plénipotentiaire en Russie (1802). Sa fidélité aux principes de l’ancien droit politique et l’ardeur de ses croyances religieuses firent l’unité de sa vie et de son œuvre, une vie marquée par un caractère à la fois stoïque et courageux, ce qui ne l’empêchait pas d’être aussi tendre que spirituel, comme en témoignent ses lettres à ses filles.

    Ses différents livres, dont aucun ou presque ne fut publié de son vivant, notamment ses Considérations sur la France (1796), son traité Du Pape (1819) et ses Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence (1821) commandent l’estime. Ils ont même, jusqu’à un certain point, suscité l’admiration de ceux qui ont toujours combattu ses théories. Le style de Joseph de Maistre est à la fois vigoureux, brillant et pittoresque, mais souffre d’être parfois tendu et déclamatoire. On peut même ajouter que notre auteur paraît un peu trop se complaire aux exagérations violentes qui ressemblent à des défis. Mais son œuvre recèle beaucoup de verve et de bonne humeur, et tous les mérites d’un causeur étincelant et bonhomme. A plus forte raison ces mérites se retrouvent-ils dans son abondante correspondance : ses lettres politiques elles-mêmes ont à peine moins de charme et d’aisance que ses lettres familières, qui sont souvent délicieuses. 

    Evidemment, en regardant de plus près l’œuvre de Joseph de Maistre, il est impossible de ne pas évoquer Les Soirées de Saint-Pétersbourg. Parmi les morceaux les plus célèbres de ce livre, il y en a un intitulé La Guerre (septième entretien), qui est tout à fait de nature à nous faire comprendre le système du comte de Maistre, qui admet, sans restriction aucune, l’intervention de la puissance divine dans l’ordre physique comme dans l’ordre moral de l’univers, dans les affaires des particuliers comme dans celles des Etats. La guerre par exemple, cet état contre nature, et que toutes les sociétés pourtant ont connu, ne saurait s’expliquer, dit-il, si l’on ne suppose là une volonté expresse de la Divinité : la terre est comme un immense autel sur lequel les hommes sont sans cesse immolés, ce qui est l’expiation du péché originel. Toutefois, il importe de remarquer que ce n’est pas tout à fait en son nom que le comte de Maistre expose cette théorie. Dans ce morceau il fait parler un interlocuteur des Soirées, un sénateur russe, qu’il représente comme un homme très religieux, mais un peu trop disposé aux excès du mysticisme. Bref, un homme exalté, que n’était pas vraiment de Maistre.

    Mais il y a d’autres fragments des Soirées de Saint-Pétersbourg (dans le 1er entretien) où le ton est encore plus déclamatoire et la couleur plus crue. Il est vrai qu’il y dessine les traits les plus caractéristiques… du bourreau. Je me contenterais d’en citer quelques phrases tout à fait spécifiques. D’abord celle-ci : «  C’est au milieu de cette solitude et de cette espèce de vide formé autour de lui qu’il vit seul, avec sa femelle et ses petits, qui lui font connaître la voix de l’homme : sans eux il n’en connaîtrait  que les gémissements ».  Un peu plus loin il évoque le travail du bourreau. Il le décrit très précisément, après avoir été appelé parce qu’on avait besoin de lui, comme en témoigne cet extrait : « Il arrive sur une place publique couverte d’une foule pressée et palpitante. On lui jette un empoisonneur, un parricide, un sacrilège ; il le saisit ; il l’étend ; il le lie sur une croix horizontale ; il lève le bras : alors il se fait un silence horrible, et l’on n’entend plus que le cri des os qui éclatent sous la barre, et les hurlements de la victime ».  Enfin, après avoir détaillé la macabre description jusque dans les plus horribles précisions, Joseph de Maistre nous explique que le cœur du bourreau « lui bat, mais c’est de joie », au point de s’applaudir, avant de revenir chez lui plus riche de quelques pièces d’or. Arrivé dans son habitation, l’auteur ajoute : «Il se met à table, et il mange ! au lit ensuite, et il dort ! et le lendemain, en s’éveillant, il songe à tout autre chose qu’à ce qu’il a fait la veille ». On a presque l’impression d’avoir assisté au spectacle !

    Michel Escatafal

  • Mirabeau symbolise la puissance et la gloire oratoires

    mirabeau,révolution,démosthène,eschine,littérature,histoirelGabriel-Honoré de Riquetti, comte de Mirabeau, est né au château du Bignon, situé aujourd’hui dans le département du Loiret (arrondissement de Montargis), le 9 mars 1749, d’un père illustre et terrible, notamment par la manière dont il a traité sa femme, Marie Geneviève de Vassan, vicomtesse de Saint Mathieu. Victor Riquetti, marquis de Mirabeau (1715-1789), passionné d’économie politique, a beaucoup écrit pour soutenir les réformes qui lui paraissaient profitables au plus grand nombre, revendiquant pour lui-même le titre d’un de ses ouvrages, l’Ami des Hommes.

    Deuxième enfant (sur dix) du couple, le comte de Mirabeau ou Mirabeau comme l’a toujours appelé la postérité, a composé un grand nombre d’ouvrages divers, romanesques, politiques et historiques. Mais c’est surtout comme orateur qu’il est connu. Député du Tiers aux Etats généraux, dont il sera la figure de proue en 1789, il y apporte, après une jeunesse orageuse, et avec un sentiment de la liberté individuelle exaspéré par ses propres aventures, le fruit de ses études et de ses réflexions sur la politique et l’histoire.

    Doué d’une extraordinaire puissance oratoire, il affirme son génie et son autorité dès les premières séances de l’assemblée des Etats généraux. Ensuite, son ascendant sur ses collègues et sur la nation ne fait que s’accroître, et, quoiqu’il ait perdu de sa popularité dans les derniers temps de sa vie, il meurt le 2 avril 1791, laissant, auprès de beaucoup de bons esprits, la réputation du seul homme qui se fût peut-être montré capable de modérer le mouvement révolutionnaire, et de réconcilier  la royauté avec les représentants de l’esprit nouveau.

    On ne peut lire les discours de Mirabeau comme on lirait une œuvre écrite à loisir par un écrivain de profession, ou même comme ces grands discours des orateurs anciens, qui, dans toute la chaleur de leur inspiration, n’ont jamais oublié les règles de l’école, et chez lesquels les apparentes négligences sont elles-mêmes voulues et calculées pour produire des effets certains. Il faudrait, si l’on voulait bien lire de pareils morceaux, se représenter le monstre lui-même rugissant, pour appliquer à Mirabeau les  mots d’Eschine sur Démosthène, et se laisser entraîner par le mouvement de son éloquence, en fermant les yeux aux mille imperfections du style d’un orateur qui veut, non pas se faire admirer, mais convaincre.

    Parmi ses plus célèbres discours, je retiendrais celui que l’on appelle Discours sur la banqueroute (26 septembre 1789).  Pour mémoire il faut rappeler que le ministre des finances Necker, pour pourvoir aux besoins de l’Etat, sur le point de faire banqueroute, proposait de lever, à titre de secours extraordinaire, un impôt égal au quart des revenus de chaque citoyen. Mirabeau avait déjà parlé à trois reprises pour défendre ce plan, ou plutôt pour demander qu’on l’adoptât sans discussion, tout en rédigeant avec le plus grand soin le projet de décret qui disait : « Vu l’urgence des circonstances, et ouï le rapport du comité des finances, l’Assemblée nationale accepte de confiance le plan de Monsieur le premier ministre des finances ». C’est  pour vaincre les dernières hésitations qu’il prononça ce discours.

    Dans ce discours, il y a un passage qui m’a particulièrement interpellé : « Eh Messieurs, à propos d’une ridicule motion du Palais-Royal, d’une risible insurrection qui n’eut jamais d’importance que dans les imaginations faibles ou les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de Rome, et l’on délibère ! Et certes, il n’y avait autour de nous  ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome. Mais aujourd’hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là ; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur…et vous délibérez ». A noter que l’allusion à Catilina, le célèbre conjurateur romain (108-62 av. J.C.), s’adressait à un député qui avait accusé faussement Mirabeau d’être à la tête d’un parti qui voulait changer l’ordre de la succession au trône.

    Michel Escatafal

  • Bernardin de Saint-Pierre n'est pas que l'auteur de Paul et Virginie

    bernardin de saint-pierre,paul et virginie,esclavage,littératureNé au Havre le 19 janvier 1737, mort le 21 janvier 1814 à Eragny-sur-Oise, Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, après une jeunesse aventureuse, indécise et tourmentée, où il avait accumulé les voyages (Allemagne, Pologne, Russie etc.),  avait été envoyé à l’île de France (Ile Maurice) en qualité de capitaine ingénieur (1768) grâce à son protecteur, le baron de Breteuil. Après son retour en France (1771), il écrivit son Voyage à l’île de France (1773) dans lequel il dénonça avec véhémence l’esclavage, et se mit, tout en publiant une sorte de poème en prose, l’Arcadie (1781), à travailler à un grand ouvrage, les Etudes de la Nature, dont la publication (1784) le rendit tout d’un coup célèbre.

    Tout le monde connaît le prodigieux succès du petit roman de Paul et Virginie (1787), inspiré de ses amours déçues d’avec Françoise Robin, mais Bernardin de Saint-Pierre composa encore, outre plusieurs opuscules et deux charmantes nouvelles, la Chaumière indienne et le Café de Surate, les Harmonies de la nature (1796), dans lesquelles il exagère le système qu’il avait développé dans ses Etudes : cette recherche incessante des causes finales, des intentions providentielles, qu’il croit toujours réussir à découvrir, l’amène souvent à donner , des divers phénomènes, des explications puériles et presque ridicules. Mais, disciple enthousiaste de Rousseau, il fit preuve d’un talent de description égal à celui du maître, dont le génie est sans doute bien plus vaste et plus original que le sien, mais qui n’a du moins rien écrit de plus simple et de plus touchant que Paul et Virginie.

    Avant de reparler de ce roman qui le fit passer définitivement à la postérité, je recommande plus particulièrement à ceux qui ont dans leur bibliothèque les Harmonies de la nature, le livre deux (Harmonies aériennes des végétaux), plus particulièrement le passage le plus connu sur les Forêts agitées par le vent, qui commence par cette question : « qui pourrait décrire les mouvements que l’air communique aux végétaux » ? Il évoque à propos du « bruissement des prairies », des « gazouillements des bois », des charmes qui le plongent dans « d’ineffables rêveries », et qui lui parlent « comme ceux de Dodone ».  Pour mémoire, Dodone  est une ancienne ville d’Epire, située près d’une forêt consacrée à Jupiter et dont les arbres passaient pour révéler par leurs murmures les volontés du dieu.

    Cela dit, c’est évidemment dans Paul et Virginie que Bernardin de Saint-Pierre a le mieux exercé son talent, en précisant que l’action de ce roman se passe à l’Ile de France. Le morceau le plus significatif en est incontestablement celui sur le Naufrage du Saint-Géran et la mort de Virginie. La description de la tempête est remarquable par son caractère propre, le lecteur s’associant à toutes les angoisses des personnages, qu’ils en soient les acteurs ou les victimes,  au fur et à mesure que ladite tempête se déchaîne davantage. A ce propos, on notera que Bernardin de Saint-Pierre avait déjà décrit dans son œuvre les signes avant-coureurs des tempêtes, notamment dans la dixième des Etudes de la Nature où il écrivait : « La nature veut-elle donner sur la mer le signal d’une tempête ; elle rassemble dans le ciel et sur les eaux une multitude d’oppositions heurtées qui annoncent de concert la destruction ». Il faut aussi préciser que la catastrophe du vaisseau Saint-Gérant n’a pas été inventée. C’est  un fait historique, dont l’écrivain a simplement modifié la date, la plaçant à la nuit de Noël 1741, alors qu’elle a eu lieu en réalité le 17 août de la même année.

    Un dernier mot enfin, pour souligner que rarement un auteur a aussi bien décrit les derniers instants d’une jeune fille (Virginie), et la douleur des survivants, qu’il s’agisse de Paul bien évidemment, mais aussi de son serviteur Domingue, qui échappa à la mort par miracle et qui s’écria à genou sur le sable : « O mon Dieu ! vous m’avez sauvé la vie : mais je l’aurais donnée de bon cœur pour cette digne demoiselle ». Une demoiselle qui mourut pour avoir refusé d'ôter ses vêtements devant un marin qui pouvait la sauver à la nage, et qui fut engloutie par les flots sous les yeux de Paul, impuissant, et de la population.

    Une demoiselle qui tenait dans sa main fermée et raidie une petite boîte dans laquelle il y avait le portrait de Paul, qu’elle lui avait promis  de ne jamais abandonner tant qu’elle vivrait. Paul qu’elle allait rejoindre après une séparation douloureuse qui consumait les deux amants, et qui ne pourra que l’ensevelir. Paul qui lui-même fit preuve d’une intrépidité sans pareille pour sauver sa belle, et qui faillit perdre la vie, ayant été retiré des flots sans connaissance et gravement blessé. Sans doute eut-il mieux valu qu’il pérît lui aussi à cet instant, ce qui lui aurait évité de sombrer dans le désespoir. Bref, un bien beau roman à lire et à relire, sans s’arrêter uniquement à la vie et à la mort de deux jeunes gens qui s’aiment, car c’est aussi le récit tragique de l’esclavage qui sévissait dans l’île de France, approuvée en métropole par la tante de Virginie, femme austère et intéressée.

    Bonne et heureuse année 2013 !

    Michel Escatafal