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  • Joseph de Maistre : un causeur étincelant et bonhomme

    de maistre,savoie,soirées de saint-pétersbourg,littérature,histoireJoseph-Marie, comte de Maistre, est né le 1er avril 1753 à Chambéry et mort le 26 février 1821 à Turin. Quand la Savoie eut été conquise par la France (1792) il quitta son pays, où il ne revint qu’au bout de vingt-cinq ans. Dans l’intervalle, il avait accepté les fonctions de grand chancelier du royaume de Sardaigne, puis de ministre plénipotentiaire en Russie (1802). Sa fidélité aux principes de l’ancien droit politique et l’ardeur de ses croyances religieuses firent l’unité de sa vie et de son œuvre, une vie marquée par un caractère à la fois stoïque et courageux, ce qui ne l’empêchait pas d’être aussi tendre que spirituel, comme en témoignent ses lettres à ses filles.

    Ses différents livres, dont aucun ou presque ne fut publié de son vivant, notamment ses Considérations sur la France (1796), son traité Du Pape (1819) et ses Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence (1821) commandent l’estime. Ils ont même, jusqu’à un certain point, suscité l’admiration de ceux qui ont toujours combattu ses théories. Le style de Joseph de Maistre est à la fois vigoureux, brillant et pittoresque, mais souffre d’être parfois tendu et déclamatoire. On peut même ajouter que notre auteur paraît un peu trop se complaire aux exagérations violentes qui ressemblent à des défis. Mais son œuvre recèle beaucoup de verve et de bonne humeur, et tous les mérites d’un causeur étincelant et bonhomme. A plus forte raison ces mérites se retrouvent-ils dans son abondante correspondance : ses lettres politiques elles-mêmes ont à peine moins de charme et d’aisance que ses lettres familières, qui sont souvent délicieuses. 

    Evidemment, en regardant de plus près l’œuvre de Joseph de Maistre, il est impossible de ne pas évoquer Les Soirées de Saint-Pétersbourg. Parmi les morceaux les plus célèbres de ce livre, il y en a un intitulé La Guerre (septième entretien), qui est tout à fait de nature à nous faire comprendre le système du comte de Maistre, qui admet, sans restriction aucune, l’intervention de la puissance divine dans l’ordre physique comme dans l’ordre moral de l’univers, dans les affaires des particuliers comme dans celles des Etats. La guerre par exemple, cet état contre nature, et que toutes les sociétés pourtant ont connu, ne saurait s’expliquer, dit-il, si l’on ne suppose là une volonté expresse de la Divinité : la terre est comme un immense autel sur lequel les hommes sont sans cesse immolés, ce qui est l’expiation du péché originel. Toutefois, il importe de remarquer que ce n’est pas tout à fait en son nom que le comte de Maistre expose cette théorie. Dans ce morceau il fait parler un interlocuteur des Soirées, un sénateur russe, qu’il représente comme un homme très religieux, mais un peu trop disposé aux excès du mysticisme. Bref, un homme exalté, que n’était pas vraiment de Maistre.

    Mais il y a d’autres fragments des Soirées de Saint-Pétersbourg (dans le 1er entretien) où le ton est encore plus déclamatoire et la couleur plus crue. Il est vrai qu’il y dessine les traits les plus caractéristiques… du bourreau. Je me contenterais d’en citer quelques phrases tout à fait spécifiques. D’abord celle-ci : «  C’est au milieu de cette solitude et de cette espèce de vide formé autour de lui qu’il vit seul, avec sa femelle et ses petits, qui lui font connaître la voix de l’homme : sans eux il n’en connaîtrait  que les gémissements ».  Un peu plus loin il évoque le travail du bourreau. Il le décrit très précisément, après avoir été appelé parce qu’on avait besoin de lui, comme en témoigne cet extrait : « Il arrive sur une place publique couverte d’une foule pressée et palpitante. On lui jette un empoisonneur, un parricide, un sacrilège ; il le saisit ; il l’étend ; il le lie sur une croix horizontale ; il lève le bras : alors il se fait un silence horrible, et l’on n’entend plus que le cri des os qui éclatent sous la barre, et les hurlements de la victime ».  Enfin, après avoir détaillé la macabre description jusque dans les plus horribles précisions, Joseph de Maistre nous explique que le cœur du bourreau « lui bat, mais c’est de joie », au point de s’applaudir, avant de revenir chez lui plus riche de quelques pièces d’or. Arrivé dans son habitation, l’auteur ajoute : «Il se met à table, et il mange ! au lit ensuite, et il dort ! et le lendemain, en s’éveillant, il songe à tout autre chose qu’à ce qu’il a fait la veille ». On a presque l’impression d’avoir assisté au spectacle !

    Michel Escatafal