Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

littérature - Page 4

  • M.J. de Chénier, moins génial que son frère mais cependant très talentueux

    Frère d’André, né comme lui à Constantinople le 11 février 1764, mort à Paris le 10 janvier 1811, Marie-Joseph de Chénier s’engagea à dix-sept ans (cadet gentilhomme dans les dragons de Montmorency), puis quitta le service, et, à vingt et un ans, fit représenter sa première œuvre dramatique.  C’est avec la tragédie de Charles IX (1789) qu’il obtint son premier succès, dû pour une grande part sans doute aux allusions que le public put saisir facilement dans cette pièce politique, parfois déclamatoire, mais dont certaines parties sont vraiment énergiques et que l’auteur eut le mérite de ne pas surcharger d’une intrigue parasite. Dès lors toutes les œuvres qu’il donna au théâtre, jusqu’à la fin de la Révolution, sont plus ou moins animées du même esprit révolutionnaire, Henri VIII (1791, Calas (1791), Caïus Gracchus (1792), Fénelon (1793), Timoléon (1794).

    Du reste, Marie-Joseph, qui fut membre de la Convention, était loin de partager les idées modérées de son frère, dont il fut séparé par de graves dissentiments, et il consacra souvent son authentique talent à composer des poésies lyriques pour les solennités républicaines, tel par exemple le fameux Chant du Départ, mis en musique par Méhul (1763-1817), considéré après la Marseillaise comme le plus beau de nos chants nationaux. Plus tard M.J. Chénier composa encore la tragédie de Cyrus (1804), et plusieurs autres qui ne furent pas représentées, Philippe II, Brutus et Cassius,  Œdipe roi, Œdipe à Colone, Tibère, mais aussi deux comédies et le drame de Nathan le Sage, traduit de Lessing (1729-1781).

    La gloire prépondérante d’André Chénier a fait tort à celle de son frère. Plusieurs des tragédies de ce dernier sont cependant d’excellentes œuvres du second ordre, et il s’en faut de peu que son Tibère, qui joint au mérite d’une versification assez ferme et d’une composition très rigoureuse et très sobre, celui d’une habile et profonde peinture de caractères difficiles à saisir et à représenter, ne soit du premier. Parmi ses poésies diverses, plusieurs sont d’une grande finesse, d’autres sont également remarquables par la noblesse du style et l’élévation du sentiment. Marie-Joseph de Chénier, fermement attaché aux principes de l’ancienne poétique, n’a pas le mérite d’avoir prévu la réforme dont son frère, par quelques caractères qu’il se distingue d’ailleurs des poètes romantiques, fut le plus glorieux précurseur.

    Néanmoins il y aurait de l’injustice à méconnaître son grand talent, et l’on ne voit pas bien qui l’on pourrait lui préférer, son frère excepté, parmi les poètes de sa génération. S’il en fallait une preuve supplémentaire, il suffit de lire ou relire son  Discours sur la calomnie (1797), qui est une réponse aux calomniateurs qui lui reprochaient de n’avoir rien tenté pour arracher son frère à la mort, accusation injuste qui allait lui déchirer le cœur jusqu’à la fin de ses jours. A ce propos, on découvre à travers ce discours fait de vers aussi touchants qu’harmonieux, qu’il avait réussi à sauver un autre frère dont le prénom était Sauveur, qui avait été arrêté à Beauvais puis transféré à la Conciergerie,  à Paris, et qui avait été en partie confondu avec André.

    Michel Escatafal

     

  • André Chénier, le précurseur

    littérature, histoireNé à Constantinople le 30 octobre 1762, d’un père français et d’une mère grecque, André-Marie de Chénier, qui fut amené tout jeune en France et y fit de brillantes études, s’engagea à vingt ans dans un régiment qui tenait garnison à Strasbourg. Il connut dans cette ville un de nos philologues français les plus célèbres, Brunck (1729-1803), qui fréquenta  à Paris Madame de Chénier, et qui venait de publier sa remarquable édition du recueil connu sous le nom d’Anthologie grecque, oeuvre dans laquelle il sut magnifiquement apporter sa touche personnelle au texte original.

    La lecture et l’étude des petites pièces qui composent ce recueil  et qui comptent parmi ce que le génie grec a produit, non de plus simple et de plus majestueux, mais de plus fin et de plus délicat, exerça sur l’esprit du jeune homme la plus grande influence.  Cependant, même s’il eut pour  Lebrun-Pindare,  jusqu’à l’époque de la Révolution,  la même admiration que tous ses contemporains, il  comprit sans doute dès lors  quelle distance séparait les inventions originales des Grecs, leur art si régulier et pourtant si libre et si naturel, leur mythologie si variée et si vivante, de la poésie artificielle de tant de leurs modernes imitateurs. Du même coup il aima la Grèce et la nature. Du même coup aussi il sentit tout le prix d’une forme parfaite et d’un sentiment sincère.  

    Fêté par une société d’élite, mûri par d’intéressants voyages, André Chénier avait déjà révélé son génie dans des pièces et des fragments nombreux quand la Révolution éclata, sans avoir rien publié, puisque la première édition de ses œuvres poétiques ne parut qu’en 1819. Hélas pour lui, la Révolution ne pardonnait rien à cette époque, et après avoir consacré son vigoureux talent de polémiste à défendre dans plusieurs journaux les idées libérales et modérées, il fut arrêté au mois de mars 1794, condamné à mort et exécuté le 25 juillet (7 thermidor an II). Dans les derniers temps de sa vie, prisonnier à Saint-Lazare, il a écrit quelques uns des vers les plus énergiques que la passion politique ait inspirés à un poète français.

    Ses autres œuvres comprennent des pièces antiques, qu’on peut regarder comme des études où son génie s’essayait, et dont quelques unes cependant méritent de passer pour des poèmes d’une perfection achevée. Mais elles ne sont pas les seules, car il en est de même pour  des fragments de poèmes didactiques, épiques, dramatiques même, mais aussi des hymnes et des odes, sans oublier des pièces d’un caractère plus intime ou encore des élégies et des épîtres. Enfin il y faut  ajouter, avec des notes ou fragments en prose dont la plupart sont encore inédits, un ouvrage plus satirique que didactique, la Perfection des arts (publié en 1900).

    Fils du dix-huitième siècle et, comme les plus distingués de ses contemporains, brûlant de la passion de la science et de la liberté, André Chénier, par ce qu’il y a d’antique dans son art et dans son inspiration, fait en même temps songer à ces enthousiastes disciples des Grecs, à ces poètes savants du seizième siècle, comme Ronsard, du Bellay et Baïf. Mais sa poésie si colorée est en même temps si sincère, sa versification  pittoresque, expressive, est si originale et souvent si heureuse, que les poètes du dix-neuvième siècle n’ont pas eu tort de le regarder comme un véritable précurseur. Dommage qu’un tel talent ait été décapité par la Révolution, car la littérature et la poésie auraient encore été davantage irriguées de son génie.

    Michel Escatafal 

  • Delille, poète de grand talent mais non reconnu par la postérité

    littérature,histoireEnfant naturel né le 22 juin 1738 à Aigueperse, chef lieu de canton du département du Puy-de-Dôme, mort aveugle à Paris le 2 mai 1813, Jacques Delille publia en 1769 une traduction des Georgiques de Virgile qui le fit, du premier coup, considérer comme un poète du plus grand talent. Elu à l’Académie française en 1774, le poème des Jardins (1782) ajouta encore à sa réputation. Ensuite il s’exila après le 9 thermidor et composa en Suisse l’Homme des champs (1800), la Pitié (1803) en Allemagne. Rentré en France en 1802, il composa l’Imagination (1806), Les Trois Règnes de la nature (1809) et La Conversation (1812), se plaçant tout à fait à la tête de cette école de poètes descriptifs, qui fut si florissante dans la dernière partie du dix-huitième siècle et les premières années du dix-neuvième.

    Delille jouit auprès de ses contemporains d’une faveur extraordinaire. La postérité au contraire a été sévère pour ce poète à l’esprit élégant et facile, qui n’a jamais su ni voulu peindre la nature dans sa vérité, et pour qui la poésie descriptive semble n’avoir été que l’art des ingénieuses périphrases. Ses poèmes se composent tous d’ailleurs d’une suite de tableaux tracés d’après des procédés toujours identiques, et reliés entre eux  par une trame assez lâche. On trouve cependant dans ces mêmes œuvres quelques passages qui sont dignes d’un vrai poète, et dont la versification même n’est pas sans originalité. Delille a encore laissé une traduction en vers de l’Enéide de Virgile, ainsi que du  Paradis perdu de Milton (1608-1674), aveugle comme lui, et de l’Essai sur l’homme de Pope (1688-1744). Son œuvre a été publiée par Tissot (1768-1854), un ami du poète  et son suppléant, puis son successeur dans la chaire de poésie latine du Collège de France.

    Michel Escatafal

  • Ducis, poète qui a su enrichir notre théâtre

    littérature,histoire,poésieJean- François Ducis est né à Versailles, le 14 août 1733 et mort le 31 mars 1816. Secrétaire chez le maréchal de Belle-Isle, il devint ensuite secrétaire du Comte de Provence, frère de Louis XVI et futur Louis XVIII, ce qui lui valut d’être choisi pour  remplacer Voltaire à l’Académie (décembre 1778). Cela ne l’empêcha pas d’être favorable aux idées de la Révolution et d’adhérer par la suite à l’Empire.

    Après avoir donné en spectacle sa première pièce en 1768, au demeurant très médiocre aux yeux des spectateurs, il remporta un grand succès avec sa tragédie d’Hamlet (1769). Ensuite il emprunta encore à Shakespeare le sujet de Roméo et Juliette (1772) et ceux du Roi Lear (1783), de Macbeth (1784), de Jean Sans-Terre (1791), d’Othello (1792).  Sans doute, en les adaptant au goût français, en les modifiant suivant les lois de notre tragédie classique, Ducis a plus d’une fois défiguré les inventions du grand poète anglais, dont il ne connaissait pas la langue.

    On doit cependant lui savoir gré d’avoir habitué le public à admirer ces beautés d’un genre nouveau et d’avoir ainsi contribué à la réformation et à l’enrichissement de notre théâtre. Parmi les autres œuvres de Ducis, il faut signaler son Œdipe chez Admète (1778), tragédie en cinq actes, imitée à la fois de Sophocle et d’Euripide, et sa belle tragédie en quatre actes, Abufar, ou la Famille arabe (1795). 

    Cette pièce originale est riche en vers pleins de mouvement et aussi simples que caractéristiques du talent de Ducis. Ce sera d’ailleurs la seule que retiendra de lui la postérité, en dehors des tragédies empruntées à Shakepeare. Ducis a encore laissé d’aimables poésies et des lettres, où la vertu sans faste et la modestie affable d’une âme naturellement grande et dénuée d’ambition ressortent avec bonheur. 

    Michel Escatafal

  • Phèdre représentant de l’apologue

    littérature,rome,histoireLa vie et l’œuvre de Phèdre

    On peut dire de Phèdre qu’il est pour nous le dernier venu des auteurs de l’antiquité. Les écrivains anciens n’en parlent pas, car son ouvrage avait disparu. En 1562 la bibliothèque de Saint-Benoist-sur-Loire fut pillée par les protestants et les manuscrits se dispersèrent. Un d’eux tomba entre les mains de François Pithou : il contenait les fables de Phèdre. Cette aubaine ne nous fut pas perdue, et, en 1596, Pierre Pithou (1539-1596), frère de François (1543-1621), donnait une édition de ces apologues si singulièrement retrouvés.

    Nous ne savons de Phèdre que ce qu’il nous apprend sur lui-même. A vrai dire, il parlait de lui volontiers, mais son recueil est mince, et d’ailleurs les prologues et épilogues, où il nous entretient de sa personne, ne pouvaient admettre de détails biographiques précis et circonstanciés. Il faut donc se résoudre à beaucoup ignorer sur ce qui le touche. Il nous a dit qu’il naquit en Thrace, sans doute sur le Mont Piérien, ce qui est plus ou moins confirmé par Pline. On suppose aussi qu’il est né à l’époque d’Auguste (vers 15 av. J.C.), qui l’affranchit ce qui prouve qu’il fut esclave, et une bonne partie de sa vie s’écoula sous Tibère nous dit-on, ce qui est en contradiction avec la date supposée de sa mort (an 50). Comment vint-il à Rome et quand ? Personne ne le sait.

    Bien qu’il ne semble pas avoir eu une grande réputation, ses œuvres donnèrent de l’ombrage au tyran ou plutôt à son favori, Séjan. Phèdre en effet dit discrètement "qu’il ne se trouva pas bien d’avoir touché à certains sujets". La destinée du reste lui sourit peu mais, même en restant assez obscur, cela ne l’empêcha pas, comme il en témoigne à plus d’une reprise, d’avoir des envieux. La fortune ne lui fit pas connaître de dédommagements, ce dont il ne fit jamais une fixation : « J’ai arraché, déclare-t-il, du plus profond de mon cœur la passion des richesses ». Il éprouva même les rigueurs de la pauvreté, ce qui transparaît dans le ton sur lequel il sollicite son protecteur Eutychus,  fonctionnaire impérial dont certains disent qu’il fut le cocher favori de Caligula : « Soyez fidèle à la parole donnée ; chaque jour en effet la vie nous rapproche de la mort, et, plus ces délais se prolongeront, moins je me ressentirai de ce que vous ferez pour moi…Je jouirai plus longtemps, si je reçois plus tôt ».  Après tant de disgrâces, l’oubli a pesé sur lui pendant quinze siècles, mais aujourd’hui son nom, sinon son ouvrage, est, grâce à notre La Fontaine, devenu populaire en France.

    Le recueil de Phèdre se compose d’environ quatre-vingts fables, auxquelles il faut ajouter les prologues et les épilogues, dont il a fait précéder ou suivre les divisions de son livre. La matière de ces fables est empruntée le plus souvent aux récits attribués à Ésope et qui se conservaient, soit dans des compilations, soit par la tradition orale. Phèdre a aussi mis en vers quelques anecdotes, quelques contes, populaires à Rome à cette époque.

    Le talent de Phèdre

    A rapprocher Phèdre de La Fontaine, on commettrait une erreur funeste à l’écrivain latin. On sait que notre fabuliste ne s’est pas embarrassé de traiter l’apologue comme un genre défini. En fait il n’y a vu qu’un cadre souple et commode où sa sensibilité, son imagination, sa verve doucement malicieuse pouvaient se jouer à leur aise. La Fontaine n’a nullement imité Phèdre. Simplement il a pris chez lui la donnée de quelques-uns de ses récits, et ses obligations se bornent là. Les fables de La Fontaine sont sans doute très travaillées, mais on sent bien que le poète se plaît à son travail et qu’il n’écrit que pour se contenter. Il n’en va pas ainsi de Phèdre.

    Rien n’indique qu’il ait été amené à composer des fables par une inclination naturelle de son esprit. C’est un lettré : « Je suis né, dit-il, presque dans l’école même ». Il est hanté par l’ambition de se faire une place parmi les grands écrivains : « Eh quoi ! le Phrygien Ésope et le Scythe Anachorèses ont pu conquérir par leur génie une renommée immortelle ; et moi qui touche de plus près à la docte Grèce, je m’endormirais dans un lâche sommeil ». Mais cette docte Grèce a créé tous les genres, et à Rome, où il vit, on les a presque tous imités, à l’exception d’un seul qui demeure intact : l’apologue. « Il ne me restait que ce rôle, dit Phèdre ; je l’ai pris ». Voilà qui ne sent guère l’entraînement ni la vocation. Et en effet il semble que Phèdre éprouve je ne sais quelle mauvaise humeur à s’occuper des sujets qu’il traite. Ce n’est pas lui qui dirait, comme notre La Fontaine : « L’apologue est un don qui vient des immortels ».

    Il fait assez bon marché de ses récits : « Qu’on n’oublie pas que ces mensonges sont pour nous de simples jeux d’esprit ». Il ne s’intéresse jamais assez à ses acteurs pour se perdre de vue lui-même, jamais il ne veut (sans doute il n’eut pu y réussir) être dupe des petits drames qu’il met en scène  et ne consent pas à s’effacer derrière ses personnages. C’est lui qu’il veut qu’on voie : « Si mes essais arrivent jusqu’à vous, si vous reconnaissez quelque habileté dans la composition de ces fables, heureux d’un tel suffrage, il ne m’échappera plus aucune plainte ». Aucune vénération du reste pour l’inventeur du genre : La Fontaine s’enchante aux légendes que Planude conte sur Ésope, il s’enthousiasme pour Ésope comme pour Baruch, mais pas Phèdre.

    A vrai dire, il se défend de toute envie, mais il est visible qu’il sait mauvais gré au Phrygien d’être venu avant lui : « J’ai fait un chemin de l’étroit sentier tracé par Ésope…Je n’appelle pas ces fables fables d’Ésope, mais d’après Ésope, puisqu’il en laissa fort peu et que j’en publie un plus grand nombre, me servant seulement de la forme ancienne et l’adaptant à des récits tout nouveaux ». Et partout la préoccupation du bon style, du bien dire, le souci de plaire aux délicats : « Quant aux gens illettrés, je n’ambitionne pas leur suffrage et de raide ». Étrange aveu chez un homme qui traite un genre sorti du peuple et fait pour le peuple.

    Il semble en somme que Phèdre ait écrit ses fables comme une tâche, sinon elles n’auraient pas ce côté pénible et raide. Tout y est correct, et même élégant. On y trouve parfois de l’esprit, mais jamais cette animation et ce charme qui naissent de la complaisance que l’artiste sent pour son œuvre. On peut proposer ces fables comme des modèles de composition régulière, de langage exact et précis, mais il ne faut pas leur demander de nous donner des jouissances poétiques. La Fontaine, critique clairvoyant à ses heures, a sans doute dit le dernier mot sur son devancier, quand il a parlé de l’extrême brièveté de Phèdre. Le dix-septième siècle, si mesuré, condamnait tout ce qui était extrême et La Fontaine savait bien que l’extrême brièveté n’est rien d’autre que de la sècheresse.

    Michel Escatafal