Philippe Néricault-Destouches, né le 9 avril 1680 à Tours d’un père écrivain et organiste, mort le 4 juillet 1754 à Villiers-en-Bière, mérite une des premières places parmi nos auteurs comiques de second ordre. C’était un homme d’un esprit inventif et chercheur. Chargé, de 1717 à 1723, d’une mission diplomatique à Londres, il connut le théâtre anglais et sut en apprécier les mérites. D’ailleurs, on trouve dans ses œuvres, en même temps que le Dissipateur (1736), qui n’est pas sans analogie avec le Timon d’Athènes de Shakespeare, une traduction de quelques scènes de la Tempête de Dryden (1631-1700)) et Davenant (1605-1668), qui n’est elle-même qu’un remaniement peu heureux de la Tempête de Shakespeare. A cela s’ajoute une comédie, le Tambour nocturne, imitée d’Addison (1672-1719), homme politique et écrivain anglais, qui fut rendu célèbre plus par les articles qu’il fournit au journal le Spectateur que par ses poésies et ses œuvres dramatiques, trop peu originales.
Les comédies originales de Destouches sont généralement considérées comme dignes d’attention. Sans renoncer à peindre, à l’exemple de Molière, des caractères généraux, Destouches cherche à représenter sur la scène les mœurs de son époque. De plus, il introduit le premier dans la comédie un élément pathétique et sérieux, et mérite d’être mis au nombre de ceux qui, avec des talents et des succès divers, et malgré les railleries des contemporains, ont contribué à renouveler en France le genre comique. Cependant il prend trop souvent le ton d’un moraliste, et, à part quelques scènes excellentes et sa farce de la Fausse Agnès, ses comédies, bien écrites et sagement conduites, paraissent manquer de gaieté, ce qui est pour le moins gênant. Ses deux meilleures œuvres sont le Philosophe marié (1727) et le Glorieux (1732).
Dans le Philosophe marié, j’ai apprécié plus particulièrement la scène IV de l’acte I, avec comme personnages Ariste et Finette. Ariste a épousé Mélite qu’il aimait. Mais il redoute d’être déshérité par un oncle qui avait pour lui d’autres desseins. De plus, en sa qualité de philosophe, qui raisonne librement de toute chose, il s’est autrefois moqué du mariage et redoute à son tour les moqueries. Il veut donc que tout le monde ignore qu’il est marié. Cette situation singulière et, avouons-le, assez invraisemblable, en amène d’autres fort piquantes et dans lesquelles la philosophie d’Ariste, qui est d’ailleurs un honnête homme, reste sans cesse en défaut, quand ses passions ou ses intérêts sont en jeu. Quant à Finette, elle est la suivante de Mélite, femme d’Ariste, et a, comme les servantes de Molière, son franc parler dans la maison.
Finette en fait preuve, notamment lorsque Ariste insiste pour qu’elle consente une fois pour toutes à garder le secret sur le mariage, ce qui lui vaut cette réplique : « C’est conscience à vous que de vouloir forcer,/ Pendant deux ans entiers, des femmes à se taire./ Pour moi, j’aimerais mieux vivre en un monastère,/ Jeûner, prier, veiller, et parler tout mon soûl ». Et pour bien se faire comprendre, Finette ajoute un peu plus loin : « Parmi vingt bons ragoûts, la plus grossière viande,/ Que l’on me défendrait constamment de goûter,/ Serait le seul morceau qui pourrait me tenter ». Cette réplique va finir de mettre en colère Ariste qui ira jusqu’à dire : « Quel travers ! Quel esprit de contradiction !/ Quel fonds d’intempérance et d’indiscrétion !.../ Voilà les femmes ». Il n’empêche, Ariste reconnaît bien volontiers que les « discours malins » de Finette « sont remplis de bon sens », et va essayer régler le problème en proposant de l’argent à Finette pour l’apaiser et lui imposer silence…ce que cette dernière accepte par cette remarque : « Tant que vous paierez bien, je vous réponds de moi ». Bien entendu tout s’arrangera à la fin, et chacun y trouvera son compte.
En résumé, Destouches est assurément le meilleur de tous nos auteurs de comédies en vers, après Molière et Regnard, même si sa versification manque, comme ses inventions, de vivacité et de gaieté. Il aura en outre laissé à la postérité trois expressions que tout le monde connaît : « Les absents ont toujours tort » (l’Obstacle imprévu), « la critique est aisée, et l’art est difficile » (Le Glorieux) et « chassez le naturel, il revient au galop »(Le Glorieux). Et pour terminer cette période si riche en auteurs de théâtre de grand talent, je voudrais mentionner deux comédies qui furent célèbres dans la première partie du dix-huitième siècle, le Méchant (1733) de Gresset (1709-1777), et la Métromanie (1738) de Piron (1689-1773). La première, écrite en vers sans grand relief, mais non sans élégance, met en scène un caractère très général et assez peu net qui se développe à travers les incidents d’une intrigue enfantine. Quant à la seconde, plus vivante et pleine de verve, elle met en scène un caractère très particulier et dans lequel bien peu de gens peuvent se reconnaître, mais généreux autant que plaisant, et par la-même assez original.
Michel Escatafal
Né le 13 janvier 1674 à Dijon, mort à Paris le 17 juin 1762, Prosper Jolyot de Crébillon remporta son premier grand succès en 1705 avec Idoménée, une tragédie en cinq actes. Il fut heureux aussi avec Atrée et Thyeste en 1707, drame de la jalousie et de la vengeance. Sa série de succès se poursuivra avec Electre en 1709, et Rhadamiste et Zénobie en 1711, qui est considérée comme son œuvre maîtresse. En revanche ses autres tragédies parurent plus faibles, Xerxès (1714), Sémiramis (1717), Pyrrhus (1726), et plus encore celles qu’il donna beaucoup plus tard, dans sa vieillesse, et que d’indiscrets admirateurs eurent le tort de vouloir opposer aux pièces de Voltaire. Catilina (1742), qu’il mit trente ans à achever et le Triumvirat (1754), sont franchement médiocres, notamment en raison des libertés prises avec la vérité historique.
Né à Hyères le 24 juin 1663, mort le 28 septembre 1742, évêque de Clermont, l’oratorien Massillon a mérité par ses Sermons d’être mis au nombre de nos meilleurs prédicateurs. Sa prédication est loin cependant d’être aussi originale que celle de Bossuet, ni même que celle de Bourdaloue. On peut même dire qu’il est assez difficile d’en signaler les mérites distinctifs. Il faut du moins noter chez Massillon l’élégance soutenue, sinon variée, du style, et une abondance dans l’argumentation qui ne se lasse pas, et qui se manifeste souvent par des divisions parfois trop subtiles.
Né à Rouen en 1657, mort en 1757, Bernard Le Bovier de Fontenelle, était le fils d’un avocat et le neveu des frères Corneille. Après avoir fréquenté le collège des jésuites, il étudia le droit avant de se consacrer très jeune à la littérature. Avant de débuter sa vraie carrière, il commença par collaborer à la revue de son oncle Thomas Corneille, le Mercure galant. Ensuite il écrivit d’assez fades productions en vers et en prose, et n’en fut pas moins recherché par les sociétés les plus délicates du temps, pour l’agrément de son esprit et de sa conversation. Ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), qui mettaient, pour la première fois, les grandes découvertes astronomiques à la portée des gens du monde, parurent et paraissent encore aux meilleurs juges trop gracieux et trop plein d’affectations.