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Littérature et histoire - Page 15

  • Destouches représentait sur la scène les moeurs de son époque

    Philippe Néricault-Destouches, né le 9 avril 1680 à Tours d’un père écrivain et organiste, mort le 4 juillet 1754 à Villiers-en-Bière, mérite une des premières places parmi nos auteurs comiques de second ordre. C’était un homme d’un esprit inventif et chercheur. Chargé, de 1717 à 1723, d’une mission diplomatique à Londres, il connut le théâtre  anglais et sut en apprécier les mérites. D’ailleurs, on trouve dans ses œuvres, en même temps que le Dissipateur (1736), qui n’est pas sans analogie avec le Timon d’Athènes de Shakespeare, une traduction de quelques scènes de la Tempête de Dryden (1631-1700)) et Davenant (1605-1668), qui n’est elle-même qu’un remaniement peu heureux de la Tempête de Shakespeare. A cela s’ajoute une comédie, le Tambour nocturne, imitée d’Addison (1672-1719), homme politique et écrivain anglais, qui fut rendu célèbre plus par les articles qu’il fournit au journal le Spectateur que par ses poésies et ses œuvres dramatiques, trop peu originales.

    Les comédies originales de Destouches sont généralement considérées comme dignes d’attention. Sans renoncer à peindre, à l’exemple de Molière, des caractères généraux, Destouches cherche à représenter sur la scène les mœurs de son époque. De plus, il introduit le premier dans la comédie un élément pathétique et sérieux, et mérite d’être mis au nombre de ceux qui, avec des talents et des succès divers, et malgré les railleries des contemporains, ont contribué à renouveler en France le genre comique. Cependant il prend trop souvent le ton d’un moraliste, et, à part quelques scènes excellentes et sa farce de la Fausse Agnès, ses comédies, bien écrites et sagement conduites, paraissent manquer de gaieté, ce qui est pour le moins gênant. Ses deux meilleures œuvres sont le Philosophe marié (1727) et le Glorieux (1732).

    Dans le Philosophe marié, j’ai apprécié plus particulièrement la scène IV de l’acte I, avec comme personnages Ariste et Finette. Ariste a épousé Mélite qu’il aimait. Mais il redoute d’être déshérité par un oncle qui avait pour lui d’autres desseins. De plus, en sa qualité de philosophe, qui raisonne librement de toute chose, il s’est autrefois moqué du mariage et redoute à son tour les moqueries. Il veut donc  que tout le monde ignore qu’il est marié. Cette situation singulière et, avouons-le, assez invraisemblable, en amène d’autres fort piquantes et dans lesquelles la philosophie d’Ariste, qui est d’ailleurs un honnête homme, reste sans cesse en défaut, quand ses passions ou ses intérêts sont en jeu. Quant à Finette, elle est la suivante de Mélite, femme d’Ariste, et a, comme les servantes de Molière, son franc parler dans la maison.

    Finette en fait preuve,  notamment lorsque Ariste insiste pour qu’elle consente une fois pour toutes à garder le secret sur le mariage, ce qui lui vaut cette réplique : « C’est conscience à vous que de vouloir forcer,/ Pendant deux ans entiers, des femmes à se taire./ Pour moi, j’aimerais mieux vivre en un monastère,/ Jeûner, prier, veiller, et parler tout mon soûl ». Et pour bien se faire comprendre, Finette ajoute un peu plus loin : « Parmi vingt bons ragoûts, la plus grossière viande,/ Que l’on me défendrait constamment de goûter,/ Serait le seul morceau qui pourrait me tenter ». Cette réplique va finir de mettre en colère Ariste qui ira jusqu’à dire : « Quel travers ! Quel esprit de contradiction !/ Quel fonds d’intempérance et d’indiscrétion !.../ Voilà les femmes ». Il n’empêche, Ariste reconnaît bien volontiers que les « discours malins » de Finette « sont remplis de bon sens », et va essayer régler le problème en proposant de l’argent à Finette pour l’apaiser et lui imposer silence…ce que cette dernière accepte par cette remarque : « Tant que vous paierez bien, je vous réponds de moi ». Bien entendu tout s’arrangera à la fin, et chacun y trouvera son compte.

    En résumé, Destouches est assurément le meilleur de tous nos auteurs de comédies en vers, après Molière et Regnard, même si sa versification manque, comme ses inventions, de vivacité et de gaieté. Il aura en outre laissé à la postérité trois expressions que tout le monde connaît : « Les absents ont toujours tort » (l’Obstacle imprévu), « la critique est aisée, et l’art est difficile » (Le Glorieux) et « chassez le naturel, il revient au galop »(Le Glorieux). Et pour terminer cette période si riche en auteurs de théâtre de grand talent, je voudrais mentionner deux comédies qui furent célèbres dans la première partie du dix-huitième siècle, le Méchant (1733) de Gresset (1709-1777), et la Métromanie (1738) de Piron (1689-1773). La première, écrite en vers sans grand relief, mais non sans élégance, met en scène un caractère très général et assez peu net qui se développe à travers les incidents d’une intrigue enfantine. Quant à la seconde, plus vivante et pleine de verve, elle met en scène un caractère très particulier et dans lequel bien peu de gens peuvent se reconnaître, mais généreux autant que plaisant, et par la-même assez original.

    Michel Escatafal

  • Crébillon, l'auteur de Rhadamiste et Zénobie

    littérature,histoireNé le 13 janvier 1674 à Dijon, mort à Paris le 17 juin 1762, Prosper Jolyot de Crébillon remporta son premier grand succès en 1705 avec Idoménée, une tragédie en cinq actes. Il fut heureux aussi avec Atrée et Thyeste en 1707, drame de la jalousie et de la vengeance. Sa série de succès se poursuivra avec Electre en 1709, et Rhadamiste et Zénobie en 1711, qui est considérée comme son œuvre maîtresse. En revanche ses autres tragédies parurent plus faibles, Xerxès (1714), Sémiramis (1717), Pyrrhus (1726), et plus encore celles qu’il donna beaucoup plus tard, dans sa vieillesse, et que d’indiscrets admirateurs eurent le tort de vouloir opposer aux pièces de Voltaire. Catilina (1742), qu’il mit trente ans à achever et le Triumvirat (1754), sont franchement médiocres, notamment en raison des libertés prises avec la vérité historique.

    Dans ses meilleures tragédies, Crébillon a affecté de traiter des sujets plus terribles que touchants. Mais, moins hardi et moins original que Voltaire, il ne songea même pas à laisser de côté ces scènes romanesques et toutes de convention qui sont la partie caduque de nos tragédies classiques. Elles semblent pourtant d’autant plus déplacées dans ses pièces, que ses héros de prédilection sont plus farouches. A cela s’ajoute un manque d’élégance et de précision dans le style, sans parler d’une versification pauvre en aisance et couleur. En revanche c’est à juste titre qu’on admire chez Crébillon le mouvement dramatique de quelques scènes et le dessin de quelques caractères.

    En fait pour la postérité, Crébillon est avant tout l’auteur de Rhadamiste et Zénobie, pièce que beaucoup jugent encore parmi les plus remarquables de son temps. Elle atteint même certains sommets dans la scène V de l’acte III, malgré quelques négligences dont il était coutumier, parlant par exemple des Romains comme les « maîtres de l’univers », et au vers suivant les appelant les « maîtres du monde ». Toutefois cela ne retire rien à la grande qualité de la pièce. Une pièce où l’on retrouve le nom de Mithridate, le roi d’Arménie.

    Zénobie, l’héroïne principale de la pièce est précisément la fille de Mithridate, et elle a épousé Rhadamiste, fils du roi d’Ibérie, Pharasmane. Mais, après une suite de querelles et de parjures, auxquels il a voulu mettre fin, Rhadamiste a détrôné et tué son beau-père. Poursuivi lui-même, il s’est enfui, après avoir noyé sa femme qu’il aimait d’un amour sauvage et jaloux, pour qu’elle ne tombât pas vivante aux mains de ses ennemis. Dix ans se sont écoulés : Zénobie a été sauvée, et elle vit, sans s’être fait reconnaître, à la cour de son beau-père, aimée à la fois de Pharasmane, qu’elle n’aime pas, et du second fils de ce roi, Arsame, avec lequel elle voudrait fuir. Cependant Rhadamiste, lui aussi a été sauvé  par les Romains, et c’est comme ambassadeur de l’empereur Néron qu’il s’est présenté à la cour de son père. Personne ne soupçonne encore qui il est véritablement : Zénobie vient le trouver pour lui demander de la prendre, avec sa confidente Phénice, sous sa protection.

    Ensuite, vient le moment où Rhadamiste semble sombrer dans le désespoir pour ce meurtre qu’il croyait avoir commis, alors que Zénobie lui fait la leçon, allant jusqu’à faire allusion à la mort de Mithridate, son père dans ces deux vers : « Ah cruel ! plût aux dieux que ta main ennemie/ n’eut jamais attenté qu’aux jours de Zénobie » ! Cela ne l’empêchera pas de dire ensuite à Rhadamiste : Ne crois pas cependant que, pour toi sans pitié/ Je puisse te revoir avec mimitié », mot employé pour inimitié. En fait Zénobie est, aux dires de tous ceux qui ont étudié le théâtre de Crébillon, un des plus beaux types d’épouse qu’il y ait eu au théâtre, et c’est avec raison qu’en admirant sa vertu, faite tout à la fois de bon sens, de douceur et d’énergie, on l’a comparée à deux caractères de femmes les plus achevés de notre théâtre classique, la Pauline de Corneille (Polyeucte) et la Monime de Racine (Mithridate).

    Fermons la parenthèse pour souligner que, malheureusement pour lui, tous les efforts de Rhadamiste ne pourront pas empêcher la jalousie de se glisser dans son cœur, ce qui lui fait dire : «  Tu dédaignes les vœux du vertueux Arsame ?/ Que dis-je ? trop heureux que pour moi, dans ce jour,/Le devoir de ton cœur me tienne lieu d’amour ». Ainsi, au moment même où Zénobie lui donne une grande preuve d’amour, il va se persuader qu’elle n’obéit qu’à son devoir, ce qui n’est quand même pas tout à fait faux. En effet dans l’acte IV, Zénobie fait à son époux l’aveu qu’elle a de la tendresse pour Arsame. Et comme il s’agit d’une tragédie, tout cela se terminera dans le sang, puisque Pharasmane percera de son épée son fils Rhadamiste, ce qui plongera Pharasmane dans le désespoir le plus complet lorsqu’il apprendra que le sang versé est celui de son propre fils. Il est clair que si plusieurs pièces avaient atteint la qualité de Rhadamiste et Zénobie, la place de Crébillon se situerait à un niveau plus élevé dans la hiérarchie de nos grands auteurs dramatiques.

    Michel Escatafal

  • Massillon, un de nos meilleurs prédicateurs

    littérature,histoireNé à Hyères le 24 juin 1663, mort le 28 septembre  1742, évêque de Clermont, l’oratorien Massillon a mérité par ses Sermons d’être mis au nombre de nos meilleurs prédicateurs. Sa prédication est loin cependant d’être aussi originale que celle de Bossuet, ni même que celle de Bourdaloue. On peut même dire qu’il est assez difficile d’en signaler les mérites distinctifs. Il faut du moins noter chez Massillon l’élégance soutenue, sinon variée, du style, et une abondance dans l’argumentation qui ne se lasse pas, et qui se manifeste souvent par des divisions parfois trop subtiles.

    Il faut aussi ajouter qu’à la nouveauté assez hardie de certains traits, on sent que Massillon s’adresse à un public déjà différent de celui que ses grands prédécesseurs avaient connu. On cite surtout, parmi ses sermons, ceux qu’il prononça sur la Mort, sur les Délais de la conversion, sur le Petit nombre des élus, sur la Mort du pécheur, pour la Bénédiction des drapeaux du régiment de Catinat, et ceux qui composent son chef d’œuvre,  le Petit Carême, ainsi appelé parce qu’il fut prêché devant le petit roi Louis XV (1718), âgé de seulement huit ans. Le petit Carême réunit douze sermons traitant des devoirs des grands, dont un Sermon sur les vices et vertus des grands. Il faut noter aussi parmi ses Oraisons funèbres, celle de Louis XIV.

    Dans le Petit Carême, plus particulièrement dans le Sermon pour le second dimanche, Massillon s’adresse aux grands personnages de son époque, en leur disant pour commencer que ce n’est pas un hasard qui les a fait naître ainsi, puisque c’est Dieu qui les avait destinés à cette gloire. Mais il leur dit aussi qu’ils n’en sont pas moins « de la même source empoisonnée qui a infecté tout le genre humain », allusion au péché originel, ce qui devrait les inciter à la réflexion. En effet, comme leur rappelle Massillon,  ils se sont « trouvés en naissant en possession de tous ces avantages », et ils ont cru qu’ile leur étaient dus parce qu’ils en avaient toujours joui.  Problème  pour eux, si l’on en croit Massillon, plus ils ont reçu de Dieu, et plus il attend d’eux, ce qui implique une reconnaissance qui devrait être écrite dans leurs cœurs. Mais  comme ils refusent cette reconnaissance, Dieu transportera cette gloire « à une race plus fidèle », ce qui conduit Massillon à prévenir ces hauts personnages de ce qui les attend dans un futur sans doute pas si éloigné : « Vos descendants expieront peut-être dans la peine et dans la calamité le crime de votre ingratitude ».

    En ce sens Massillon s’avéra être un visionnaire puisque cette prédiction s’est trouvée justifiée à la fin du siècle avec la période révolutionnaire. Il est vrai que dans le Petit Carême, et notamment le Sermon pour le petit dimanche, Massillon parle au nom de la religion comme les philosophes, les satiriques, les auteurs comiques, parleront après lui au nom de la raison humaine. La sévérité du langage est certes tempérée par la charité, mais on sent déjà dans la prédication de Massillon, ce qui est une de ses caractéristiques, se dessiner le mouvement qui va emporter bientôt le siècle tout entier. Par ailleurs, peu de lectures sont aussi instructives que celle de l’Oraison funèbre de Louis le Grand (1715), que prononça Massillon, pour nous faire comprendre jusqu’à quel point l’esprit public a changé depuis le moment où Bossuet célébrait la gloire du roi dans l’Oraison funèbre de Marie-Thérèse (1683).

    Bien sûr Massillon n’a pas manqué de parler de la grandeur de Louis, mais c’est surtout pour souligner que ce fut dans la guerre en mettant en évidence que ce fut « un siècle entier d’horreur et de carnage », avec des « villes désolées » ou encore « des peuples épuisés. Il souligne aussi que le progrès des lettres, des sciences et des arts, a été merveilleux pendant le règne  de Louis XIV, mais que ce progrès a aidé à la corruption des mœurs : même « l’éloquence, toujours flatteuse dans les monarchies, s’est affadie par des adulations dangereuses aux meilleurs princes ». Bref, pour Massillon, autant de « grands évènements qui nous attiraient la jalousie bien plus que l’admiration de l’Europe ! Et des évènements qui font tant de jaloux peuvent bien embellir l’histoire d’un règne, mais ils n’assurent jamais le bonheur d’un Etat ».

    Un dernier mot enfin, dans le Sermon pour le lundi de la troisième semaine de Carême : sur le Petit Nombre des Elus, Massillon, dans un morceau pathétique devenu très célèbre, met d’une certaine façon en scène le jugement dernier et fait apparaître à nos yeux Dieu, les justes et les réprouvés, ce que Voltaire regardait (Dictionnaire philosophique, article Eloquence) comme « un des plus beaux traits d’éloquence qu’on puisse lire chez les nations anciennes et modernes ». Quel plus bel hommage pour Massillon, qui  mérite amplement la place que la postérité lui a réservé dans l’histoire de notre littérature, même si elle n’est pas parmi les toutes premières.

    Michel Escatafal

  • Fontenelle : adversaire résolu de l’obscurantisme et vulgarisateur de la science

    littérature,histoireNé à Rouen en 1657, mort en 1757, Bernard Le Bovier de Fontenelle, était le fils d’un avocat et le neveu des frères Corneille. Après avoir fréquenté le collège des jésuites, il étudia le droit avant de se consacrer très jeune à la littérature. Avant de débuter sa vraie carrière, il commença par collaborer à la revue de son oncle Thomas Corneille, le Mercure galant. Ensuite il écrivit d’assez fades productions en vers et en prose, et n’en fut pas moins recherché par les sociétés les plus délicates du temps, pour l’agrément de son esprit et de sa conversation. Ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), qui mettaient, pour la première fois, les grandes découvertes astronomiques à la portée des gens du monde, parurent et paraissent encore aux meilleurs juges trop gracieux et trop plein d’affectations.

    En revanche les Eloges des Académiciens, qu’il composa plus tard comme secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, sont remarquables par la facilité, la précision, la sobriété délicate d’un style dans lequel la recherche ne se sent presque plus. Ils avaient aussi, aux yeux des contemporains, outre le mérite d’exposer d’une manière fort intelligible les découvertes des savants, celui de faire pénétrer l’auditeur dans les détails de leur vie en même temps que de leur œuvre.

    Dans la querelle des Anciens et des Modernes, Fontenelle fut un des chefs du parti des Modernes. Sa Digression sur les Anciens et les Modernes (en 1688) lui permit d’être élu à l’Académie Française en 1691. Dans ce débat, malgré une certaine prudence, il sut faire preuve de cet esprit sceptique et rebelle à l’autorité de la tradition, qu’il allait continuer à développer pendant le cours du dix-huitième siècle. Parmi ses ouvrages philosophiques les plus marquants, on doit citer la République des philosophes, où l’utopie côtoie la provocation  puisque l’auteur évoque une démocratie radicale, matérialiste et athée, des  gros mots à l’époque, mais sans conséquences pour Fontenelle puisque ce roman fut publié après sa mort. Auparavant il avait écrit une Histoire des Oracles (1687) qui dénonçait les impostures en matière de religion. Autant d’ouvrages qui en firent le premier des philosophes de ce que l’on a appelé le Siècle des Lumières.

    Dans les Eloges des académiciens de l’Académie royale des sciences morts depuis l’an 1699, j’ai plus particulièrement apprécié celui du maréchal de Vauban, personnage ô combien important du royaume. Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707), s’est illustré non seulement par ses grands travaux de fortifications que l’on retrouve un peu partout dans notre pays, mais aussi par ses écrits divers réunis sous le nom d’Oisivetés, ou encore par la publication d’un célèbre mémoire intitulé la Dime Royale, livre tout animé de l’amour le plus désintéressé du bien public, qui exposait le plan d’une réforme équitable des impôts, mais qui fit perdre à l’auteur les bonnes grâces du roi.

    Saint-Simon l’a appelé « le plus honnête homme et le plus vertueux de son siècle », et pour ma part j’ajouterais de tous les siècles après sa mort. Comme l’a dit Fontenelle, il est quand même rare de trouver une personnalité capable de secourir « de sommes assez considérables des officiers qui n’étaient pas en état de soutenir le service ; et, quand on venait à le savoir, il disait qu’il prétendait leur restituer ce qu’il recevait de trop des bienfaits du roi ». D’ailleurs, « il a eu la gloire de ne laisser en mourant qu’une fortune médiocre ». Bref pour Fontenelle, Vauban était «  un Romain qu’il semblait que notre siècle eût dérobé aux plus heureux temps de la République ».

    Dans la Préface sur l’utilité des mathématiques et de la physique et sur les travaux de l’Académie des sciences, j’ai découvert qu’à l’époque de Louis XIV on entendait par la physique, tout à la fois ce que nous appelons aujourd’hui les sciences physiques  et les sciences naturelles. Dans un autre ordre d’idées, j’ai appris que l’Observatoire, « superbe bâtiment » comme le qualifie Fontenelle, a été construit à Paris par Claude Perrault, de 1667 à 1672. De même quand Fontenelle parle de « l’habileté du géomètre », il évoque les progrès dans l’art du nivellement qui ont été dus surtout aux découvertes de l’astronome  français Jean Picard (1620-1682). Tout cela pour dire que l’œuvre de Fontenelle est d’une qualité rare, tant sur le plan scientifique que sur celui de la philosophie, où il fut un de ceux qui s’attaquèrent avec le plus de force à l’obscurantisme.

    Michel Escatafal

  • La littérature espagnole au dix-huitième siècle

    Cette période correspond aux règnes de Philippe V qui était le petit fils de Louis XIV (1700-1746), ses deux fils Ferdinand VI dit le Sage (1746-1759), Charles III (1759-1788), et le fils de ce dernier Charles IV (1788-1808). Ce fut aussi l’époque à la fois de l’influence française et du néoclassicisme. Et de fait à partir de l’an 1700, Philippe V, premier roi de la maison des Bourbons, va favoriser l’introduction de nombreux usages français, en littérature comme dans les autres domaines. Ce sont surtout les classes privilégiées qui vont subir tant et plus cette influence extérieure, au contraire du peuple et du clergé qui restent très attachés à la tradition. La littérature va parfaitement refléter ces attitudes opposées.

    Avec l’appui de l’Etat on essaie d’imposer une rénovation intellectuelle. Ainsi fut fondée la Bibliothèque royale (1711), l’Académie de la Langue (1713), celle de l’histoire (1738), celle de Barcelone (1731), sans compter les autres académies privées. En outre les gens de lettres se retrouvent dans des réunions entre amis, par exemple à l’hôtel de Saint-Sébastien fondé par le poète et dramaturge Moratin. Se créent aussi des périodiques littéraires, le premier d’entre eux étant El Diario de los Literatos (le Journal des gens de lettres) en 1737.

    La poésie

    La poésie est abondante mais la production poétique a peu de valeur. Dans les premières années du règne de Philippe V, les formes décadentes du gongorisme se perpétuèrent. Ensuite, après la publication de la Poética (1737) de Luzàn (1702-1754) inspirée des préceptistes italiens, s’engagea une lutte acharnée entre les rancios (traditionnalistes) et les neoclasicos (néoclassiques). Mais finalement peu de poètes méritent l’appellation.

    Tout au plus peut-on citer Nicolas Fernandez de Moratin (1737-1780), un versificateur châtié dont l’œuvre maîtresse est la Fiesta de toros en Madrid. Il y a aussi les deux fabulistes Tomas de Iriarte (1750-1791) et Félix Maria de Samaniego (1745-1801) qui sont d’honnêtes imitateurs de La Fontaine. Les Fabulas litérarias (fables littéraires) de Tomas de Iriarte et les Fabulas morales de Félix Maria de Samaniego appartiennent au répertoire classique espagnol.

    Juan Melendez Valdés (1754-1817) est un des rares à ressortir de la médiocrité ambiante par ses gracieuses poésies pastorales. Juan Pablo Forner (1754-1797), pour sa part, est un auteur satirique assez caustique. En revanche j’ai gardé pour la fin le grand patriote Manuel José Quintana (1772-1857), auteur d’odes estimables (Odas publiées en 1813), et intelligent compilateur de la poésie classique dans son Tesoro del Parnaso espanol (Trésor du Parnasse espagnol).

    La prose

    Pour ce qui concerne la prose, le dix-huitième siècle aura été marqué par le réveil de l’esprit critique en Espagne. Celui qui représente le mieux ce réveil est le bénédictin Jeronimo Feijoo (1676-1764), avec son Teatro critico (8 volumes entre 1726 et 1739) qui eut un grand succès, et ses Cartas eruditas (entre 1742 et 1760), inventaire critique des préjugés et des superstitions de l’époque à l’origine de débats ardents. A cette époque en effet, les érudits s’adonnaient volontiers à la critique littéraire ce qui occasionnait de nombreuses et incessantes polémiques. Sur un plan général, le principal mérite des prosateurs fut de publier de nombreux textes antiques dont certains sont encore inédits.

    L’œuvre critique qui présente le plus d’intérêts s’appelle les Cartas Marruecas (Lettres marocaines) de José Cadalso (1741-1782), dont le schéma s’inspire des Lettres Persanes de Montesquieu. Il s’agit d’essais originaux et de réflexions pleines d’une sincérité objective de la part d’un patriote intelligent. Intelligent parce que très réaliste, trop même diront certains qui n’auront retenu de son œuvre que ces quelques phrases : « Les Espagnols écrivent la moitié de ce qu’ils imaginent ; les Français plus qu’ils ne pensent à cause de la qualité de leur style ; les Allemands disent tout, mais de telle façon que la moitié des gens ne les comprennent pas ; les Anglais écrivent pour eux seuls ». Chez les historiens, on se rappelle surtout de José Quintana (1772-1857) pour ses Vidas de los Espanoles célebres (Vie des Espagnols célèbres), biographies écrites à la mode de Plutarque.

    Le roman

    Le roman ne vaut que par deux auteurs qui sortent du lot dans un siècle où la production fut très pauvre. Le premier, Torres de Villaroel (1693-1770), écrivain atypique à la fois poète, docteur, mathématicien, professeur, fut avant tout l’imitateur et le continuateur de Quevedo dans son œuvre picaresque. Toutefois, son œuvre majeure, Vida (la vie), publiée dans sa première version en 1743, a donné forme à un nouveau roman picaresque, en montrant un style plus châtié, plus spontané et naturel que celui de Quevedo. Quant au second, le jésuite Francisco de Isla (1703-1781), bien connu comme traducteur de Gil Blas (1783) qu’il considérait comme une œuvre volée à son pays, il sut faire de son roman, Historia del famoso predicator Fray Gerundio de Campazas (1758), une satire divertissante et habilement dissimulée de la vie dans les couvents, ce qui aurait pu lui valoir d’être inquiété puisque le livre fut condamné en 1760.

    Le théâtre

    Le théâtre est l’endroit où s’engage entre les anciens et les mondains francisés (galicistas) la lutte la plus acharnée et passionnée. Cependant, malgré tous les efforts des anciens, et aussi la protection officielle, la tragédie française ne cesse de s’enraciner en Espagne. Pendant ce temps, le public accueille avec des applaudissements bruyants les œuvres de ceux qui confectionnent des « comédies nouvelles » faites sur le modèle « lopesque », au point d’avoir l’impression de revenir au Siècle d’Or. Mais les gens aiment, plus que tout, les ravissantes saynètes dans lesquelles triomphait Ramon de la Cruz (1731-1794), qui ont diverti le « tout Madrid » de l’époque.

    Ces saynètes ressemblent à des petits tableaux ironiques dans lesquels on retrouve l’ambiance de la rue, les réalités sociales et les coutumes de l’époque. A cela s’ajoute le goût excessif pour tout ce qui vient de l’étranger, à commencer par ce qui est français, ce qui nous rappelle l’engouement que l’on connaît de nos jours pour les expressions et le langage des Américains. Parmi ses principales œuvres nous citerons El rastro por la manana (la piste du matin), El fandango de candil (fandango de la lampe à huile), Las castaneras picadas, La Petra ou la Juana etc.). A noter que Ramon de la Cruz a commencé sa carrière littéraire par des traductions et des imitations de tragédies françaises (Racine, Voltaire, Beaumarchais…).

    Le dernier auteur dramatique à la française qui obtint un vrai succès fut Leandro Fernandez de Moratin (1760-1828), un non universitaire dont le classicisme rigide s’atténuait beaucoup dans la pratique, parce qu’il s’appliquait aux thèmes nationaux et à une comédie hautement espagnole. En un mot, Moratin trouva le juste équilibre entre la tradition et les préceptes. Il sut ajouter beaucoup de plaisir à une bonne psychologie et à une certaine portée morale ; il donna une diversité extérieure à un fond simple et ordonné, et greffa dans d’ingénieux enchevêtrements beaucoup de détails pour attirer l’attention du public. Le plus notable dans son œuvre est constitué par El viejo y la nina (1790), La Mojigata en 1804 (en français l’hypocrite), El Si de las ninas (1806), meilleure comédie du dix-huitième siècle, où il évoque les mariages imposés, et ses traductions de Molière et de Shakespeare.

    Michel Escatafal