Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Crébillon, l'auteur de Rhadamiste et Zénobie

littérature,histoireNé le 13 janvier 1674 à Dijon, mort à Paris le 17 juin 1762, Prosper Jolyot de Crébillon remporta son premier grand succès en 1705 avec Idoménée, une tragédie en cinq actes. Il fut heureux aussi avec Atrée et Thyeste en 1707, drame de la jalousie et de la vengeance. Sa série de succès se poursuivra avec Electre en 1709, et Rhadamiste et Zénobie en 1711, qui est considérée comme son œuvre maîtresse. En revanche ses autres tragédies parurent plus faibles, Xerxès (1714), Sémiramis (1717), Pyrrhus (1726), et plus encore celles qu’il donna beaucoup plus tard, dans sa vieillesse, et que d’indiscrets admirateurs eurent le tort de vouloir opposer aux pièces de Voltaire. Catilina (1742), qu’il mit trente ans à achever et le Triumvirat (1754), sont franchement médiocres, notamment en raison des libertés prises avec la vérité historique.

Dans ses meilleures tragédies, Crébillon a affecté de traiter des sujets plus terribles que touchants. Mais, moins hardi et moins original que Voltaire, il ne songea même pas à laisser de côté ces scènes romanesques et toutes de convention qui sont la partie caduque de nos tragédies classiques. Elles semblent pourtant d’autant plus déplacées dans ses pièces, que ses héros de prédilection sont plus farouches. A cela s’ajoute un manque d’élégance et de précision dans le style, sans parler d’une versification pauvre en aisance et couleur. En revanche c’est à juste titre qu’on admire chez Crébillon le mouvement dramatique de quelques scènes et le dessin de quelques caractères.

En fait pour la postérité, Crébillon est avant tout l’auteur de Rhadamiste et Zénobie, pièce que beaucoup jugent encore parmi les plus remarquables de son temps. Elle atteint même certains sommets dans la scène V de l’acte III, malgré quelques négligences dont il était coutumier, parlant par exemple des Romains comme les « maîtres de l’univers », et au vers suivant les appelant les « maîtres du monde ». Toutefois cela ne retire rien à la grande qualité de la pièce. Une pièce où l’on retrouve le nom de Mithridate, le roi d’Arménie.

Zénobie, l’héroïne principale de la pièce est précisément la fille de Mithridate, et elle a épousé Rhadamiste, fils du roi d’Ibérie, Pharasmane. Mais, après une suite de querelles et de parjures, auxquels il a voulu mettre fin, Rhadamiste a détrôné et tué son beau-père. Poursuivi lui-même, il s’est enfui, après avoir noyé sa femme qu’il aimait d’un amour sauvage et jaloux, pour qu’elle ne tombât pas vivante aux mains de ses ennemis. Dix ans se sont écoulés : Zénobie a été sauvée, et elle vit, sans s’être fait reconnaître, à la cour de son beau-père, aimée à la fois de Pharasmane, qu’elle n’aime pas, et du second fils de ce roi, Arsame, avec lequel elle voudrait fuir. Cependant Rhadamiste, lui aussi a été sauvé  par les Romains, et c’est comme ambassadeur de l’empereur Néron qu’il s’est présenté à la cour de son père. Personne ne soupçonne encore qui il est véritablement : Zénobie vient le trouver pour lui demander de la prendre, avec sa confidente Phénice, sous sa protection.

Ensuite, vient le moment où Rhadamiste semble sombrer dans le désespoir pour ce meurtre qu’il croyait avoir commis, alors que Zénobie lui fait la leçon, allant jusqu’à faire allusion à la mort de Mithridate, son père dans ces deux vers : « Ah cruel ! plût aux dieux que ta main ennemie/ n’eut jamais attenté qu’aux jours de Zénobie » ! Cela ne l’empêchera pas de dire ensuite à Rhadamiste : Ne crois pas cependant que, pour toi sans pitié/ Je puisse te revoir avec mimitié », mot employé pour inimitié. En fait Zénobie est, aux dires de tous ceux qui ont étudié le théâtre de Crébillon, un des plus beaux types d’épouse qu’il y ait eu au théâtre, et c’est avec raison qu’en admirant sa vertu, faite tout à la fois de bon sens, de douceur et d’énergie, on l’a comparée à deux caractères de femmes les plus achevés de notre théâtre classique, la Pauline de Corneille (Polyeucte) et la Monime de Racine (Mithridate).

Fermons la parenthèse pour souligner que, malheureusement pour lui, tous les efforts de Rhadamiste ne pourront pas empêcher la jalousie de se glisser dans son cœur, ce qui lui fait dire : «  Tu dédaignes les vœux du vertueux Arsame ?/ Que dis-je ? trop heureux que pour moi, dans ce jour,/Le devoir de ton cœur me tienne lieu d’amour ». Ainsi, au moment même où Zénobie lui donne une grande preuve d’amour, il va se persuader qu’elle n’obéit qu’à son devoir, ce qui n’est quand même pas tout à fait faux. En effet dans l’acte IV, Zénobie fait à son époux l’aveu qu’elle a de la tendresse pour Arsame. Et comme il s’agit d’une tragédie, tout cela se terminera dans le sang, puisque Pharasmane percera de son épée son fils Rhadamiste, ce qui plongera Pharasmane dans le désespoir le plus complet lorsqu’il apprendra que le sang versé est celui de son propre fils. Il est clair que si plusieurs pièces avaient atteint la qualité de Rhadamiste et Zénobie, la place de Crébillon se situerait à un niveau plus élevé dans la hiérarchie de nos grands auteurs dramatiques.

Michel Escatafal

Les commentaires sont fermés.