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histoire - Page 23

  • La poésie en Espagne sous les règnes de Philippe II, Philippe III et Philippe IV

    fray luis de leon.jpgIl est relativement facile de voir les évolutions du développement de la poésie au Siècle d’Or à travers quelques poètes espagnols parmi les plus fameux du pays : le mystique Fray Luis de Leon, le noble Fernando de Herrera, le cultiste Gongora, Quevedo le fondateur du conceptisme, et le lyrique des lyriques, Lope de Vega, qui mérite un chapitre à lui seul.

    Fray Luis de Leon (1527-1591), mystique et moraliste, plutôt intolérant, fut d’abord  un excellent prosateur. Cependant même s’il ne composa qu’une trentaine de poèmes, ceux-ci sont autant d’œuvres maîtresses. Personne ne dépasse son admirable harmonie, et jamais on ne trouva jusque là une plus classique élégance, ni une plus harmonieuse simplicité. En fait seuls les poèmes de Garcilaso peuvent soutenir la comparaison.

    Fernando de Herrera le Divin (1534-1597), sévillan, est le premier des grands poètes de l’époque andalouse, dont les traits caractéristiques sont très distincts : audace dans les métaphores, pompe et fierté du style, finesse et affectation dans l’expression. En somme c’est le Ronsard espagnol, unissant les traits d’esprit à une extrême noblesse naturelle, sans oublier un sens unique de la grandeur, parfois même biblique. Ses plus fameuses  chansons sont : Por la victoria de Lepanto (ode à la bataille de Lépante), Por la perdida del Rey Don Sebastian (élégie sur Sébastien de Portugal) et ses Sonetos à la lumière.  En ouvrant le chemin du cultéranisme, il fut le prédécesseur  de Gongora.

    Luis de Gongora y Argote (1561-1627) était de Cordoue. Spirituel et gai, hautement satirique dans ses jeunes années, il écrivit avec enchantement des poésies populaires, romances y letrillas, fraîches, dans un style souple et clair, avec beaucoup d’élégance naturelle. Ces romances y letrillas (rondeaux) eurent une grande popularité, beaucoup d’entre eux ayant été repris en chansons. Ensuite, sans doute fatigué par tant de simplicité, il se livra à des acrobaties littéraires.  Dans son envie  de dépassement et son désir d’écrire dans le style « culte », ce que l’on appelle « le parler précieux » chez nous, il porta à ses extrêmes conséquences l’évolution initiée par Herrera.

    Il fonda ce que l’on a appelé le cultéranisme dont le caractère essentiel est l’obscurité,  destiné à mettre l’œuvre hors de portée du commun des mortels. Pour cela on appela Gongora  El Angel de las tinieblas (l’Ange des ténèbres). Son imagination tourmentée, sa poésie obscure et sa pensée presque inintelligible ressortent   dans ses Sonetos y Canciones, et surtout dans ses grandes compositions El Polifemo et las Soledades, très hermétiques, mais d’une incontestable valeur artistique.  Cela donna à l’époque une vraie « bataille des anciens et des modernes » autour de la révolution « gongorine ».

    Dans ces violentes polémiques prirent part deux immenses écrivains, Lope de Vega et Quevedo, celui-ci écrivant contre le cordouan sa cruelle satire de La culta latiniparla.  Francisco de Quevedo Villegas (1580-1645) fut assurément le plus violent détracteur de Gongora. Grand humaniste,  Quevedo passe pour un des meilleurs prosateurs et parmi les premiers poètes de son temps, ne dédaignant  pas les ressources que lui offrait «  l’odieux culteranisme » pour lui permettre de trouver aussi de nouveaux modes d’expression pour une voie parallèle, celle du conceptisme.

    Il perfectionna cette seconde forme d’affectation qui consiste à user et abuser des traits subtils et inattendus, à composer des  associations d’idées surprenantes alliant le paradoxe et l’ambigüité, et à jouer sur des équivoques amusantes et même burlesques, les jeux de paroles et  les calembours. Quevedo est aussi  un poète qui donne libre cours à une cruelle ironie, à une inspiration sarcastique et à des tendances moralisatrices dans la poésie satirique, déjà de type populaire, et même au goût du peuple dans les Jacaras de germania (romances de germanie), de forme classique (Satiras, Epistola satirica y censoria). Ses poésies amoureuses, notables par leur délicatesse,  ressortent par contraste avec l’amertume du reste de l’œuvre.

    Périodiste de grand talent (Grandes anales de quince dias), burlesque et satirique, courtisan, philosophe quand il en éprouve le besoin,  Quevedo est à la fois moraliste stoïcien et romancier de premier ordre. Ses œuvres les plus connues sont les Suenos, âpre caricature de la société de son temps, écrite dans un style mordant, et le fameux Buscon (1626) considéré comme le roman picaresque le plus réussi. On peut quand même lui reprocher une absence de mesure, une insolence pour ne pas dire une grossièreté qui sont les caractéristiques les plus choquantes de l’œuvre de Quevedo.

    Enfin on ne peut terminer cette petite note sur la poésie de la seconde partie du Siècle d’Or sans donner une place à part au Principe de los Ingenios, au plus poète de tous les poètes, Felix Lope de Vega Carpio, le plus fécond de son temps. Je lui consacrerai un billet entier dans un prochain article, comme je le ferai pour Cervantes à propos de la prose.

    Michel Escatafal

  • Pierre Larivey, créateur de la comédie en France

    larivey.jpgNous savons peu de chose de la vie de Pierre Larivey, sinon qu’il est né à Troyes autour des années 1540, sans doute en 1541, et qu’il est mort  pour certains vers 1612, et pour d’autres en 1619. Ce dont on est sûr en revanche est qu’il fut chanoine de Saint-Etienne de Troyes, mais aussi astrologue. D’origine italienne, son nom n’étant que la traduction du surnom de giunto (arrivée), les neuf comédies qu’il a laissées sont toutes imitées de l’italien, ou par quelque emprunt direct  du latin. Parmi ces neuf comédies, six dont les Esprits ont été publiées en 1579, les trois autres en 1611.

    Cette comédie des Esprits  est la plus vive et la plus intéressante des comédies françaises du seizième siècle. Elle est presque traduite d’une comédie de Laurent (Lorenzino) de Médicis. Ce Laurent est celui qu'Alfred de Musset a mis en scène sous le nom de Lorenzaccio, et qui assasina par haine de la tyrannie, son parent Alexandre de Médicis. Il périt lui-même assassiné en 1548. Dans les Esprits, nous trouvons des scènes imitées de l’Aululaire de Plaute et des Adelphes de Térence, dont Molière reprendra plus tard le dessin dans l’Avare et l’Ecole des Maris. Nous avons encore de Larivey la traduction d’un recueil de nouvelles du conteur italien Straparola, né en 1480 et mort à Venise dans le second tiers du seizième siècle, vers 1558.

    Michel Escatafal

  • La seconde partie du Siècle d’Or en Espagne

    comedia.jpgLes règnes de Philippe II (1556-1598), Philippe III (1598-1621), et Philippe IV (1621-1665) sont ceux de l’apogée de la littérature espagnole, celle-ci très liée à l’histoire du pays. Non seulement la langue atteint sa perfection classique, mais plus que jamais cette époque abonde de grands écrivains, ceux-ci formant une brillante pléiade des plus grands génies qu’ait produit la littérature espagnole. Parmi ceux-ci nous citerons aujourd’hui Cervantes, Calderon de la Barca, Gongora, Quevedo, Gracian et Lope de Vega.

    Le théâtre populaire, libre et plein de vie, rencontre un énorme succès. Il anticipe sur tous les autres genres littéraires,  même si la poésie fait un effort notable de rénovation. Si en prose  on enregistre une brève floraison de littérature mystique,  le roman pastoral se substitue à celui de la chevalerie, mais cette période est avant tout celle de l’essor du roman réaliste ou picaresque. A ce propos il faut noter que si le roman picaresque n’est pas seulement chose espagnole, l’Espagne en est sa terre d’élection.

    Alors triomphe le style maniéré, la préciosité,  laquelle dans ses deux formes, le cultéranisme de Luis de Gongora et le conceptisme de Quevedo, envahit la quasi-totalité de la production littéraire et des auteurs à de rares exceptions. Cela dit ces exceptions concernent Lope de Vega et Cervantes qui méritent à eux seuls tout un chapitre.  On soulignera seulement  à propos de Cervantes que son  Don Quichotte est à la fois le dernier des romans de chevalerie et le premier des romans modernes. Il occupe évidemment une place à part dans le genre de la prose en Espagne. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus tard.

    Michel Escatafal

  • Clément Marot, l'éternel poursuivi

    clément marot.jpgClément Marot est né à Cahors en 1497 et à la mort de son père, le poète Jean Marot,  il hérita de la charge de valet de chambre de François 1er. Il combattit à Pavie en 1525 où il fut fait prisonnier. Rentré en France il connut l’infortune d’être suspect d’hérésie, ce qui lui valut d’être emprisonné à deux reprises en 1526 et 1527. Poursuivi de nouveau en 1535, il dut se réfugier à la cour de Marguerite de Navarre, au service de laquelle il avait été attaché, puis s’enfuit un peu plus tard en Italie (Ferrare puis Venise), avant de rentrer de nouveau en France en en 1536.

    Hélas pour lui, en 1543, la Sorbonne condamna une traduction en vers de cinquante Psaumes de David qu’il venait tout juste de publier, mais que les Réformés avaient adoptée  pour leurs offices. Cette traduction se caractérisait à la fois par son exactitude, et  par la variété et la nouveauté des rythmes. Il partit donc pour Genève, ce qui ne l’empêcha pas d’être inquiété de nouveau…par les protestants, ce qui le contraint à s’exiler une fois encore en Italie où il mourut en 1544.

    Editeur du Roman de la Rose et des œuvres de Villon, Clément Marot se rattache entièrement à l’âge qui vient de s’écouler. On ne trouve pas chez lui une grande richesse de vocabulaire, ni cet éclat des images que Ronsard et ses amis allaient ramener dans la poésie, mais il s’inscrira dans la culture délicate des écrivains du groupe de Marguerite. Ses meilleures poésies sont marquées par une grâce aisée et naturelle que l’on retrouve dans ses épîtres, élégies, ballades et  épigrammes.

    Parmi celles-ci il en est une que je veux citer sur la reine de Navarre :

    Entre autres dons de graces immortelles,

    Ma Dame escript si hault et doucement,

    Que je m’estonne en voyant choses telles

    Qu’on n’en reçoit plus d’esbahissement.

    Puis quand je l’oy parler si sagement,

    Et que je voy sa plume travailler,

    Je tourne bride(1) et m’esbahy comment

    On est si sot de s’en esmerveiller.

    (1) Je tourne bride signifie je change de sentiment.

    Michel Escatafal

  • Marguerite de Navarre (1492-1549)

    marguerite d'angoulême.jpgMême si elle ne peut pas être considérée comme un de nos plus grands  écrivains, ses œuvres étant trop souvent écrites dans un style un peu mou et prosaïque, Marguerite de Navarre n’en demeure pas moins un des personnages les plus importants de notre histoire littéraire. Il est même permis de dire qu’elle demeure la figure la plus attachante, mais aussi la plus caractéristique de la première période de la Renaissance française.

    Avant d'évoquer le rôle éminent qu’elle a tenu auprès des poètes et des écrivains de son époque, il faut d’abord préciser que Marguerite d’ Angoulême était le sœur ainée de François 1er, qu’elle s’est mariée en premières noces au duc d’Alençon en 1509 et, en secondes noces  au roi de Navarre, Henri II d’Albret,  en 1527. Sa cour se situait à Nérac (Lot et Garonne),  et ce fut souvent  un asile pour les écrivains que leurs opinions religieuses exposaient à être inquiétés en France.  Elle-même d’ailleurs s’intéressa de près aux débats théologiques que la réforme commençait à faire naître.

    Egalement éloignée d’une docilité aveugle et de l’esprit de contention, c’est dans le seul amour de Dieu qu’elle pense pouvoir trouver la solution à toute difficulté et le principe de toute conciliation. Ce platonisme mystique  et chrétien trouve son expression dans l’Heptaméron (1558), recueil de contes en prose composés à l’imitation de ceux de Boccace (1313-1375), l’auteur du Décameron. Mais ce sont surtout ses poésies, celles publiées de son vivant, les Marguerites de la Marguerite des Princesses, et celles qui étaient restées inédites jusqu’à la fin du 19è siècle, la Comédie jouée au Mont-de-Marsan et le grand poème des Prisons qui en sont inspirées.

    Michel Escatafal