Cervantes est né à Alcala de Henares, près de Madrid, d’une famille noble mais pauvre. Après avoir étudié à Alcala puis à Madrid, il partit à Rome avec le cardinal Acquaviva (1569), s’enrôlant comme soldat dans la Sainte Ligue formée contre les Turcs. Il fut victime de trois blessures au cours de la fameuse bataille de Lépante en 1571, ce qui le laissa infirme de sa main gauche et qui lui valut le surnom de Manchot de Lepante ou le Glorieux Manchot.
En rentrant d’Espagne avec son frère Rodrigue dans la galère El Sol, il fut pris par des pirates berbères et emmené à Argel (Algérie), où on le retint captif pendant cinq ans (1575-1580) malgré de nombreuses tentatives d’évasion qui ne firent que rendre plus pénibles ses conditions de détention. Recueilli par les « Padres Redentoristas » (ordre religieux), il revint en Espagne pour mener une vie laborieuse, occupant divers emplois mineurs. Il se maria en 1584 avec Catalina de Salazar et se consacra de plus en plus à l’écriture.
Il publia en 1585 sa première œuvre, un roman pastoral La Galatea écrit dans les années 1581 à 1583. La Galatea est censée représenter plusieurs comédies, mais seule la première fut écrite et publiée. Elle n’en reste pas moins une œuvre remarquable. En 1587 il obtint à Séville un emploi dans le ravitaillement de l’Invincible Armada, ce qui l’amena à réfléchir amèrement sur la condition militaire. Ne pouvant obtenir dans les Indes la place ou la charge qu’il sollicitait, sans parler de l’impossibilité de récupérer les soldes qu’on lui devait, il se trouva dans une situation très difficile vers 1590.
Cet épisode pénible de la vie de Cervantes permet d’évoquer l’étonnant paradoxe de cette Espagne triomphante des siècles 15 et 16. Voilà un pays qui possédait à ce moment les terres extrêmement fertiles de la Lombardie et la Sicile, qui contrôlait l’industrie ô combien importante de la Flandre, sans parler de l’or et de l’argent qu’il recevait d’Amérique. Et bien, malgré toutes ces richesses, les pauvres soldats espagnols étaient dans l’obligation de se payer en nature sur l’ennemi, faute de toucher leur solde. Les soldats n’étaient pas les seuls à souffrir à cette époque, car les populations de la péninsule ibérique n’étaient pas épargnées non plus avec la misère et la maladie (peste) qui s’étendaient partout.
Il faut se rappeler que la situation était tellement dramatique pendant le règne de Charles Quint, que ce dernier fut obligé de mendier aux Cortes une contribution de guerre que la noblesse miséreuse ne put lui donner. On se posa donc la question de savoir comment renflouer le trésor public, d’autant qu’en 1492 on avait déjà fait payer les Juifs en confisquant leurs biens, ce qui ne laissa qu'un court répit aux finances de la nation. Au siècle suivant ce fut au tour des Morisques, qui avaient su garder une relative prospérité sur des terres fertiles et irriguées, d’être déportés sur les plateaux arides de l’intérieur pour que les paysans de Castille puissent s’installer à leur place, ce qui ne changea pas grand-chose au problème. En 1609 ils furent de nouveau délogés de la riche plaine de Valence pour les condamner à l’exil, mais la misère de l’Espagne ne diminuait pas pour autant.
Fermons cette longue parenthèse pour parler de nouveau de Miguel de Cervantes qui, après avoir vécu successivement à Séville, Madrid, et Valladolid, allait se consacrer de plus en plus à la littérature. Il publia en 1605 la première partie de son œuvre majeure, Don Quijote (Don Quichotte), personnage haut en couleurs qu’il avait imaginé du fond de sa prison où l’avait conduite la faillite de la banque où il déposait les fonds quand il fut brièvement percepteur des finances. Ensuite en 1613 ce furent les Novelas ejemplares (romans exemplaires), écrits en majeure partie sur plusieurs années, en 1614 el Viaje de Parnaso (Voyage de Parnasse), et l’année suivante Ocho comedias y ocho entremeses (huit comédies et huit intermèdes).
Toujours en 1615, fut publiée la deuxième partie de Don Quichotte, dans laquelle on retrouve l’histoire des Morisques avant l’expulsion de 1609, ces derniers étant persécutés pour être jugés infidèles à leur nouvelle religion (catholique). Décidément l’homme ne change pas ! Cervantes mourut pauvre et en disgrâce en 1616 peu de jours après avoir écrit le prologue de son ultime œuvre Los Trabajos de Persiles y Segismunda (Travaux de Persille et Sigismonde). Compte tenu de la qualité de son œuvre et de son rayonnement en Espagne et dans le monde, j’en parlerai plus abondamment dans un prochain article, et notamment du célébrissime Don Quichotte que j’ai eu la chance de lire en français d’abord et en espagnol ensuite. Une pure merveille !
Michel Escatafal