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histoire de la poésie - Page 5

  • Molière, le premier des auteurs comiques de tous les temps

    molière.jpgJean-Baptiste Poquelin, qui prit le nom de Molière, est né le 15 janvier 1622 à Paris, où il mourut le 17 février 1673. Après de fortes études, et malgré la volonté de son père détenteur de la charge assez relevée de valet de chambre tapissier du roi, il ne fit pas la carrière d’avocat à laquelle il semblait prédestiné. Tout jeune il préféra, avec quelques amis, fonder à Paris un théâtre qui ne réussit pas, ce qui l’obligea à partir de 1646 à courir la province à la tête d’une troupe de comédiens, pour laquelle il composa plusieurs canevas de farces, dont deux nous sont restés : la Jalousie du Barbouillé et le Médecin volant.

    Entre 1653 et 1655, Molière donna à Lyon sa première comédie, l’Etourdi, en cinq actes et en vers. Ensuite, en 1656, il fait représenter à Béziers le Dépit amoureux, en cinq actes et en vers. De retour à Paris, en 1658, la troupe de Molière joue, le 24 octobre, au Louvre devant le roi et prend le titre de Troupe de Monsieur, frère du roi, qu’elle devait échanger en 1665 contre celui de Troupe du Roi. Quant à Molière lui-même, ouvertement protégé par Louis XIV, il fait tour à tour représenter les Précieuses Ridicules (1659), Sganarelle (1660), Don Garcie de Navarre (1661), l’Ecole des Maris (1661), les Fâcheux (1661) et l’Ecole des Femmes (1662). Cette comédie fut la  première en cinq actes et en vers qu’il ait donnée depuis son arrivée à Paris, c’est-à-dire depuis le moment où il s’est proposé de faire naître l’intérêt de la peinture exacte des caractères, si on laisse de côté la comédie héroïque de Don Garcie, malheureux essai du poète dans un genre pour lequel il n’était pas fait.

    Le succès de l’Ecole des femmes fut éclatant, mais il souleva contre le poète bien des inimitiés. Molière répondra aux attaques de ses adversaires dans la Critique de l’Ecole des Femmes (1663) et dans l’Impromptu de Versailles (1663). Puis toujours harcelé par des ennemis qui, non contents de déprécier son mérite de poète et de comédien, l’accusent encore d’immoralité et d’irréligion, il écrit le Tartuffe (1664), satire passionnée de l’hypocrisie et de la fausse dévotion, qu’il n’obtiendra l’autorisation définitive de porter sur la scène qu’en 1669. Entre temps il compose, pour les divertissements de la cour, le Mariage forcé et la Princesse d’Elide (1664), et donne sur son théâtre une comédie profonde, qu’on sent inspirée par endroits des préoccupations sous l’empire desquelles il a déjà écrit le Tartuffe, et dont la représentation fut encore l’occasion de plusieurs attaques dirigées contre le poète, Don Juan ou le Festin de Pierre (1665).

    Puis viennent l’Amour médecin (1665), le Misanthrope (1666), chef d’œuvre vraiment unique, type immortel de la haute comédie, la jolie farce du Médecin malgré lui (1666), Mélicerte (1666), le Sicilien ou l’Amour peintre (1667), puis trois œuvres importantes en 1668, à savoir Amphitryon, George Dandin et l’Avare. Un peu plus tard viendront Monsieur de Pourceaugnac (1669), les Amants magnifiques et le Bourgeois gentilhomme (1670), Psyché, en collaboration avec Corneille et Quinault, les Fourberies de Scapin, la Comtesse d’Escarbagnas en 1671, les Femmes savantes (1672) et la plus achevée, sinon la plus forte de ses comédies, le Malade Imaginaire (1673).

    Quelle abondance et quelle variété ! Comment entreprendre l’appréciation, même rapide, des œuvres de ce grand homme, le premier des auteurs comiques de tous les temps et de tous les pays, qui avait à la fois la grâce, la fantaisie, mais aussi la force, le bon sens et la connaissance de la nature ! Simplement nous nous bornerons à affirmer que sa langue, quoi qu’on en ait dit, n’est pas moins remarquable que son génie. Les locutions et surtout les métaphores vicieuses qui la déparent parfois, il faut les imputer à la nécessité où il s’est toujours trouvé de composer et d’écrire vite. Aussi avait-il songé lui-même à donner au public une édition complète de ses œuvres, revues et corrigées, mais la mort ne lui en laissa pas le temps.

    Cela dit, ces imperfections passent sans être aperçues de l’auditeur, sinon du lecteur, dans le tissu d’une versification d’une aisance admirable, et d’un style abondant en tours dramatiques, rempli de ces expressions qui à elles seules caractérisent toute une situation ou tout un personnage, où enfin l’on chercherait vainement la plus légère trace d’affectation, le moindre effort pour faire briller l’esprit de l’auteur aux dépens du naturel. En tout cas aucun auteur n’avait autant que Molière le talent du caricaturiste, celui qui sait toujours voir le détail plaisant et le mettre en valeur.

    Un dernier mot enfin, pour noter que le génial auteur que fut Molière a fait l’objet de toutes les jalousies, y compris à travers le temps, au point qu’on ait contesté  depuis peu la paternité de son œuvre attribuée à Corneille, ce qui par parenthèse ne fut pas le cas de ses contemporains. Peut-être effectivement Corneille a-t-il pu collaborer à certaines œuvres de Molière, comme pour Psyché, mais les attaques des frères Corneille contre l’Ecole des femmes, où Molière se moque ouvertement de leurs titres de noblesse, sont suffisantes pour apporter un démenti à un débat qui a surgi plus de deux cents ans après la mort de celui qui incarne avec Voltaire l’image de la langue française.

    Bonne et heureuse année 2011 !

    Michel Escatafal

  • La Fontaine : nul n'a mieux aimé, mieux compris la nature

    la Fontaine.jpgNé le 8 juillet 1621 à Château-Thierry, mort à Paris le 13 avril 1695, Jean de la Fontaine qui hérita d’une charge de maître des eaux et forêts que son père avait exercée, et qui fut marié à vingt-six ans, dut renoncer bientôt à son emploi tout en se montrant époux aussi peu recommandable qu’incapable magistrat. Les anecdotes si abondantes que la tradition nous a conservées sur ses habitudes et ses distractions ne sont sans doute pas toutes vraies, mais l’impression que sa conduite avait laissée dans les esprits doit s’y refléter. Jusque dans sa vieillesse, sa vie manqua toujours de gravité, même s’il sut faire preuve de fidélité vis-à-vis de ses bienfaiteurs. Parmi ceux-ci le surintendant Fouquet qui en fit son protégé, au point de le faire vivre chez lui pendant sept ans. La Fontaine lui resta fidèle dans la disgrâce et écrivit en sa faveur l’Elégie aux nymphes de Vaux (1661) et une Ode au roi (1663).

    Citons encore parmi ses œuvres, trois poèmes assez peu intéressants, Adonis (publié en 1669), la Captivité de saint Malc (1673), le Quinquina (1682), quelques comédies, un agréable récit en deux livres, prose et vers mêlés, des Aventures de Psyché (1669), de forts jolies lettres à sa femme écrites pendant un voyage au centre de la France (1663), cinq livres de Contes et Nouvelles, imités pour la plupart, de Boccace (1665-1695), et surtout ses incomparables et inimitables Fables (deux cent trente neuf au total), dont les trois premiers livres parurent en 1668, les trois suivants en 1669 ; les livres VII, VIII, et IX en 1678, les deux suivants en 1679, le douzième et dernier en 1694.

    Il est évidemment inutile de s’étendre sur ces fables, imitées des modèles antiques comme Phèdre ou Esope quant au déroulement des histoires, dont aucune n’est insignifiante, et dont plus de la moitié  sont de purs chefs d’œuvre. Tout le monde sait qu’elles sont également remarquables par la variété des sujets, la netteté de la composition, le pittoresque des descriptions, la vérité des caractères, le mouvement dramatique du récit, la sincérité du sentiment poétique, la richesse du vocabulaire, l’heureuse diversité des rythmes. Il n’est pas jusqu’à la morale qui y est jointe ou qui s’en dégage, encore qu’on ait pu, non sans raison, l’accuser de manquer souvent d’élévation, qui ne soit parfois aussi originale que le récit lui-même. En effet,  sans parler de pièces comme l’Animal dans la lune, les Deux rats, le Renard et l’œuf, où il s’est essayé et où il a réussi à traiter, dans le style aisé d’une conversation en vers, de quelques points de métaphysique, quelles plus belles et majestueuses leçons que celles qu’on peut retirer de fables comme le Chêne et le Roseau, l’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits, l’Homme et la Couleuvre, le Songe d’un habitant du Mogol, le Paysan du Danube ?

    Quelles leçons surtout, sont plus différentes de ces préceptes de morale familière et pratique que la fable jusque-là semblait seulement destinée à enseigner ? Ce qu’on trouverait plus rarement dans l’œuvre de La Fontaine, c’est l’expression de ces sérieux sentiments que fait naître dans les âmes d’élite la méditation de la vie, des devoirs qu’elle comporte, de la fin vers laquelle elle tend. C’est par là peut-être que ce virtuose  de la poésie qui, en dehors des joies de l’art et du travail, ne voulut connaître de la vie que les jouissances qu’elle peut procurer, reste en somme un moraliste incomplet. Cela dit, nul poète n’a mieux senti le prix du naturel, nul n’a mieux aimé et mieux compris la nature, nul n’a trouvé dans son génie, avec moins d’effort en apparence, plus de ressources pour le peindre.

    Parmi les fables qui valent la peine d’être détachées, je citerais l’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits, parce que La Fontaine n’a pas peur de discuter de questions de philosophie. Tout le monde a souligné dans cette fable son aisance, sa précision, vivifiée par l’abondance des images, dans l’exposition et la discussion des doctrines, mais aussi la souplesse expressive de sa versification. De même dans la fable intitulée Un animal dans la lune, toute philosophique, La Fontaine traite en vers la question de la « perception externe », pour parler comme les philosophes, désignant la faculté que nous avons de connaître le monde extérieur. Dans cette fable il y a aussi dans la dernière partie une allusion historique à la lutte que la France, aidée un temps par l’Angleterre, soutint contre la coalition de la Hollande, l’Espagne et l’Autriche entre 1672 et 1679.

    Dans le Serpent et la Lime, La Fontaine nous montre aussi un autre aspect de son art, en prenant la défense de Boileau, lequel après avoir publié en 1666 ses premières « Satires » fut en proie à de violentes attaques.  C’est ainsi qu’il écrivit ces vers admirables : « Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre, Qui n'étant bons à rien cherchez sur tout à mordre.  Vous vous tourmentez vainement.
    Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages sur tant de beaux ouvrages ? Ils sont pour vous d'airain, d'acier, de diamant ». Boileau, qui pourtant fut un rival pour La Fontaine lors sa nomination à l’Académie, ne pouvait rêver meilleur défenseur !

    A propos de sa réception à l’Académie française (1684), j’ai été impressionné par le discours que lut La Fontaine à Madame de la Sablière, appelée Iris dans ce texte comme dans plusieurs autres. Il faut dire que cette dame (1636-1693) fut sa plus constante protectrice, chez laquelle il passa vingt ans. Il faut ajouter aussi à son propos, que cette femme qui avait épousé un financier à la fois homme d’esprit et poète, sut réunir dans son salon un grand nombre d’auteurs et de savants célèbres. Fermons la parenthèse pour noter que dans ce discours on évoque Térence, poète comique, mais aussi un poète pastoral et héroïque comme Virgile, que La Fontaine tenait en grande considération. D’ailleurs Boileau dans sa Dissertation sur Joconde (1663) rapprochait le talent de La Fontaine de celui de ces deux grands modèles.

    La Fontaine avait aussi des ennemis, notamment un certain Antoine Furetière (1620-1688), esprit satirique et auteur d’un Roman bourgeois et d’un Dictionnaire,  dont l’Académie redouta la concurrence au point de l’exclure de son sein. Furetière avait notamment reproché à La Fontaine de ne pas savoir, bien qu’il fût maître des eaux et forêts, ce que c’était que bois de grume et bois de marmenteau. La Fontaine répondit par une courte épigramme assez remarquable, se terminant par : « Le bâton, dis- le-nous, était-ce bois de grume, Ou bien du bois de marmenteau ? ». Cela étant, cette réponse ne dissipa nullement les interrogations que Furetière pouvait avoir sur les connaissances de La Fontaine en matière de bois de forêt. Au contraire il semble que cela ne fit que les renforcer. Malgré tout aujourd’hui à peu près personne ne connaît Furetière, alors que la Fontaine appartient au panthéon de notre littérature.

    Michel Escatafal

  • Jean Rotrou, poète aux sentiments généreux

    rotrou.jpgNé à Dreux (en 1609) d’une famille de magistrats, Jean Rotrou eut une vie assez échevelée. Avocat sans pratique, il fut en fait un professionnel de l’écriture, vivant du produit de ses pièces. Il n’avait pas 20 ans quand il fit représenter sa première comédie, l’Hypocondriaque, tragi-comédie dont s’inspirera Goethe pour son opérette Lila. Il fit partie de la Compagnie des  cinq auteurs chargés de développer les canevas dramatiques inventés par le cardinal de Richelieu : les quatre autres étaient Corneille, Boisrobert (1592-1662), Claude de l’Estoile (1597-1652) et Guillaume Collet (1598-1659). Rotrou a écrit des comédies, des tragi-comédies, et des tragédies.

    Les principales, imitées pour la plupart des poètes antiques ou espagnols, sont : Iphigénie en Aulide, Antigone, tragèdies, les Captifs, les deux Sosies, comédies imitées de Plaute, la Sœur (1645), comédie, le Véritable Saint Genest (1645), Venceslas (1647), tragédies, tout comme Cosroès (1649) qui marque la fin de son évolution vers le classicisme. La mort de Rotrou fut digne des sentiments généreux qui animent un grand nombre de ses personnages : lieutenant particulier du baillage de Dreux, il refusa de quitter la ville quand y éclata une épidémie de fièvre pourprée (1650) et fut lui-même emporté par le fléau.

    Parmi les tragédies, j’ai bien apprécié Venceslas et plus particulièrement l’acte V. Cette tragédie fut tirée d’une pièce de Francisco de Roxas, auteur espagnol contemporain, intitulée : Il n’y a pas à être père en étant roi. Le prince Ladislas, d’un caractère généreux mais emporté, a dans un mouvement de colère tué son frère, croyant tuer un seigneur de la cour, le duc de Courlande, qu’il croyait épris de la Comtesse Cassandre, qu’il aimait lui-même. Son père Venceslas, roi de Pologne, désespéré mais obéissant sans faiblesse à son devoir de roi, l’a condamné à mort et se charge de lui annoncer la sentence. On retrouve dans cette scène ce sentiment très cornélien où le devoir prime sur l’amour d’un père à son fils. Toutefois, vaincu par les supplications de la cour et du peuple, Venceslas finira par faire grâce de la vie à son fils. Cependant comme il ne veut pas qu’on puisse dire que le roi de Pologne a faibli et manqué à la justice, il abdique en pardonnant, et remet le trône à Ladislas.

    Autre pièce digne d’intérêt, le Véritable Saint-Genest, qui nous replonge dans l’univers romain à l’époque de Dioclétien (245-313), quand l’Empire romain est devenu une tétrarchie. Dans cette tragédie, l’acteur Genest représente avec sa troupe devant l’empereur Dioclétien et la cour une tragédie qui met en scène le martyre du chrétien Adrien. Mais en jouant le rôle d’Adrien, Genest s’est senti lui-même touché de la grâce, et, négligeant son rôle, il a commencé à parler pour lui-même. Ses camarades, étonnés, se troublent et Dioclétien irrité prend alors la parole en exprimant son incompréhension devant le trouble du comédien, lequel jouant son propre rôle s’écrie avec ferveur : « C’est leur Dieu que j’adore ; enfin je suis chrétien », ajoutant un peu plus loin : « Si je l’ai mérité qu’on me mène au martyre : Mon rôle est achevé, je n’ai plus rien à dire ». Consummatum est !

    Michel Escatafal

  • Mairet : un grand poète égaré par la jalousie

    mairet.jpgNé en 1604 à Besançon, Jean Mairet écrivit, dès 1625, une tragi-comédie, Chryséide et Ariman, et  remporta un grand succès l’année suivante avec sa tragi-comédie pastorale de Sylvie. En 1634 il donna sa Sophonisbe, qui restera pour la postérité son œuvre majeure, et qui fit de l’ombre à tout ce qu’il écrivit par la suite qui, de l’avis des critiques de l’époque, manquait tout simplement de valeur. Parmi les autres œuvres que Mairet nous laissa, il faut signaler sa pastorale Silvanire (1629), dont la préface lui vaudra d'être qualifié « d'inventeur des règles du théâtre classique », sa comédie des Galanteries du duc d’Ossone (1632), Le Marc-Antoine ou la Cléopatre (1635), et sa tragi-comédie de La Sidonie (1640 ou 1641) qu’il considérait pour sa part comme la plus achevée des douze tragédies qu’il publia.

    Ce fut aussi la dernière, car il se retira dès lors définitivement du théâtre, supportant très mal le succès de  Pierre Corneille, ce qui ne l’empêcha pas de lui survivre de deux ans puisqu’il ne mourut qu’en 1686. Hardy et les poètes de son école avaient, on le sait, renoncé à cette régularité que les tragiques du seizième siècle avaient observée sur l’exemple des anciens, Jean de la Taille (1540-1608) en ayant été le précurseur  dans la préface de Saül (1572). Mairet entreprit de prouver que la tragédie pouvait se plier à la règle des unités sans perdre de son intérêt.

    Il y réussit parfaitement avec sa Sophonisbe, tragédie à la composition de laquelle on ne peut rien trouver à reprendre, si ce n’est que les évènements y sont resserrés presque jusqu’à l’invraisemblance. Pour mémoire je rappelle que la pièce raconte l’obligation, imposée par Scipion et son compagnon d’armes Lelius au Numide Massinissa (238-148 av. J.C.), de livrer ou d’abandonner sa femme Sophonisbe qu’il venait d’épouser, ce que Massinissa refusa, ce dernier lui faisant apporter une coupe de poison avant de se poignarder.

    Le sujet est aisément perceptible, le développement logique, et si les caractères n’y sont pas exactement conformes à la vérité historique (Massinissa ne s’est pas suicidé), ils sont du moins vivants  et tracés parfois avec une sorte d’indécision, pas forcément recherchée mais non dénuée de charme ni de vraisemblance. Le style enfin, gâté par endroits de quelques traits de mauvais goût, est presque toujours et tout à la fois noble et aisé. 

    Tout cela explique  pourquoi l’apparition de La Sophonisbe  marque une date importante de l’histoire de notre théâtre. D’ailleurs elle s’est  longtemps maintenue sur le devant de la scène, beaucoup plus longtemps en tout cas que celle, plus proche de la vérité historique, que Corneille écrivit sur le même sujet en 1663. A ce propos,  il est très regrettable que Mairet, égaré par la jalousie, n’ait jamais voulu reconnaître la supériorité du génie de Corneille, au point de se ridiculiser en étant parmi les plus ardents et les plus injustes détracteurs du Cid.

    Michel Escatafal

     

  • Racan le plus célèbre des poètes disciples de Malherbe

    Racan.jpgNé à la Roche Racan en Touraine, le 5 février 1589, d’une ancienne famille de la noblesse tourangelle, mort le 21 janvier 1670, Honorat de Bueil, marquis de Racan, fut page de la chambre du roi grâce à l’entremise de sa cousine Anne  de Bueil,  épouse du duc de Bellegarde (1562-1646), grand écuyer de France, avant de servir aux armées. Quittant les armes pour la plume, il va devenir le plus célèbre et le plus remarquable des poètes disciples de Malherbe, qu’il rencontra pour la première fois en 1605, et qu’il considéra toujours comme son maître au point de trop songer à le copier. Cela dit, nombre de ses contemporains ont considéré que le génie de Racan était supérieur à celui de Malherbe, malgré un style plus négligé. Cela lui permettra d’entrer à l’Académie française, l’année même de sa fondation par Richelieu en 1635.

    Rien ne serait plus profitable que de comparer quelqu’une de ses pièces, d’une versification à la fois douce et correcte, d’une langue aisée et déjà tellement moderne, avec les poésies des auteurs qui ont précédé immédiatement Malherbe. Cela permettrait aussi de se rendre compte de l’importance des réformes de ce dernier. Racan a laissé une œuvre de longue haleine, les Bergeries, pastorale en cinq actes publiée en 1625, une traduction ou plutôt une paraphrase en vers des Psaumes et des poésies diverses, odes, stances, sonnets, épigrammes. Nous avons encore de lui, outre des lettres, des Mémoires sur la vie de Malherbe.

    Dans les Bergeries il y a un morceau célèbre que l’on est obligé de citer, Plaintes d’un vieux berger, même s’il est imité en partie d’une idylle du poète latin Claudien (365-vers 408), le Vieillard de Vérone. Dans les Odes, il y a la célèbre Ode Bachique, adressée à Maynard, président d’Aurillac. Pour mémoire je rappellerais que François Maynard (1582-1646) fut le plus connu, après Racan, des disciples de Malherbe. Je ferme la parenthèse pour dire que dans cette ode, j’ai retrouvé une allusion aux Etats généraux de 1614 qui se tinrent juste après la déclaration de majorité de Louis XIII, sur fond de guerre entre le Tiers Etat et le clergé. Dans un tout autre ordre d’idées, Racan évoque aussi de manière très fataliste l’idée de la mort :

     « Buvons Maynard, à pleine tasse :

     L’âge insensiblement se passe et nous mène à nos derniers jours ;

     L’on a beau faire des prières :

     Les ans, non plus que les rivières,

     Jamais ne rebrousseront leur cours ».

    En résumé, il faut rendre grâce à la postérité d’avoir remis Racan à sa véritable place dans la littérature française. Ce grand poète, en effet, aura su marquer son époque, malgré un manque flagrant de charisme, certains allant jusqu’à dire que le personnage était assez insignifiant, plutôt rustre au point d’être régulièrement moqué des femmes, du moins à ses débuts, et même qu’il n’était pas doté d’une grande intelligence ce qui, évidemment, était trop sévère pour être vrai.

    Michel Escatafal