Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

histoire de la poésie - Page 7

  • Jean Bertaut (1552-1611) : un évêque précurseur

    bertaut.jpgJean Bertaut, né à Caen en 1552 où son père professait les sciences au collège du Bois,  fut secrétaire d’Henri III dont il était très apprécié et qui en fit le précepteur du comte d'Angoulême (fils naturel de Charles IX), puis d’Henri IV dont il contribua à la conversion et qui lui donna l’abbaye d’Aulnay en 1594, puis plus tard l’évêché de Séez en 1606. En tant qu’évêque de Séez, il mena le corps d’Henri IV à Saint-Denis suite à son assassinat en 1610. En outre il fut aussi premier aumônier de Marie de Médicis ce qui lui valut d'assister le 14 septembre 1606 au baptême du dauphin (Louis XIII) à Fontainebleau. Ses œuvres principales sont recueillies dans deux ouvrages, Recueil des Oeuvres poétiques (1601, et Collection des œuvres poétiques (1602).

     

    Elles se composent  de poésies sacrées et profanes, moins gracieuses peut-être, mais d’une langue plus moderne que les poésies de Desportes qui, lui-même, nous l’avons dit, surpassait déjà sur ce point les poètes de la Pléiade. Dans ses poésies, Bertaut a subi manifestement l’influence à la fois de Ronsard, à qui il doit beaucoup, et de Desportes, tout en étant le précurseur de Malherbe dans la manière, le style et le ton, et même diront certains de Lamartine. A son propos, Malherbe disait qu'il était le seul des anciens poètes qu'il estimait. Il fut d’abord un chantre des amours de la vie de cour, avant de se tourner plus tard vers des thèmes religieux et des psaumes. C'est ainsi qu'on publia en 1613, deux ans après sa mort, les Sermons sur les principales fêtes de l'année.

     

    Si je ne devais retenir que quelques vers de Bertaut, ce serait cet extrait :

    Félicité passée

    Qui ne peut revenir

     

    Tourment de ma pensée,

     Que n’ay-je en te perdant perdu le souvenir !

    Cette strophe  de la Chanson issue des Œuvres poétiques est très justement célèbre, et on la croirait toute moderne pour la langue et le sentiment. Il se peut cependant, comme il arrive souvent chez les poètes du XVI è siècle, qu’elle ne soit pas d’une inspiration originale. On a en effet retrouvé dans la littérature espagnole, et particulièrement dans la Diane de Montemayor (1520-1561), publiée en 1564 à Valence, que Bertaut devait connaître, plus d’un passage dont elle pourrait être imitée. Quand au rythme de la Chanson, qui est si heureux et qui, sans modèle en France, n’a guère été reproduit, on a cru y reconnaître un emprunt à la métrique italienne.

     

    Michel Escatafal

  • Un poète qui n’aimait pas faire entendre sa voix

    desportes.jpgPhilippe Desportes, né en 1546 à Chartres dans une riche famille bourgeoise, reçut une éducation soignée avant de s’engager dans une carrière ecclésiastique. Poète courtisan, goûté de Charles IX  mais aussi d’Henri III qu’il avait accompagné en Pologne avant son accession au trône de France, applaudi par Ronsard qu’il éclipsa même un temps au point de conquérir les salons les plus raffinés, tel celui de la maréchale de Retz, il reçut en récompense de ses vers de riches abbayes qui lui procurèrent de confortables revenus, entre autres celle de Tiron, près de Chartres. Compromis dans les affaires de la Ligue, il perdit ces abbayes, qui lui furent plus tard restituées par Henri IV.  

    N’ayant essentiellement  composé que des poésies amoureuses, il a laissé dans ce registre trois recueils d’Amours entre 1573 et 1583, les Amours de  Diane, les Amours d’Hyppolite (adressées  à Marguerite de Valois, femme d’Henri de Navarre) et les Amours de Cléonice.  Ces poésies,  imitées souvent des écrivains les plus raffinés de l’antiquité et surtout de l’Italie moderne (Pétrarque), sentent trop l’affectation  pour être considérées comme des chefs d’œuvre. Cependant, outre qu’on ne peut refuser aux meilleures d’entre elles des mérites exquis de charme et d’élégance, elles sont écrites dans une langue plus sûre déjà  que celle des poètes de la Pléiade. Néanmoins les plus grands d’entre eux sont bien au-dessus de Desportes par le génie et l’inspiration.

    Plus tard, à partir de 1591, il travailla sans rencontrer le succès à la paraphrase des Psaumes, qui n’est qu’un commentaire spirituel du texte sacré, mais qui deviendra rapidement  une des formes majeures du lyrisme religieux initié par Baïf et poursuivi ensuite par Bertaut et Malherbe.  Desportes mourra à l’Abbaye Notre-Dame de Bonport  le 5 octobre 1606. Il restera dans l’histoire de la poésie française comme le représentant le plus important, avec Du Bartas, de la fin du seizième siècle, avec une approche poétique infiniment plus intellectuelle que sentimentale.

    Son principal critique sera Malherbe, lequel lui rendra  hommage à sa façon en le critiquant de manière tellement outrancière que ses contemporains estimèrent que cette attitude traduisait une forme d’admiration. En fait le principal reproche que l’on pourrait faire à Desportes, plus que son manièrisme, est son coté servile, courtisan et mondain, bref quelqu’un qui ne fait jamais entendre sa voix. Sa poésie semble n’avoir d’autre fin que lui-même.   

    Michel Escatafal

  • Un poète surtout reconnu à l’étranger

    du bartas.jpgNé à Montfort, près d’Auch, en 1544, docteur en droit en 1567, Guillaume de Salluste, seigneur du Bartas, gentilhomme de la chambre d’Henri de Navarre (futur Henri IV) qui lui  confia plusieurs missions diplomatiques, notamment auprès de Jacques VI d’Ecosse, était un calviniste convaincu. A ce titre il prit part aux guerres de religion, et fut même grièvement blessé à la bataille d’Ivry en 1590. Il publia d’abord un premier poème en six chants, composé à la requête de Jeanne d’Albret (mère du futur HenriIV), Judith. Ensuite il composa une sorte d’épopée religieuse en alexandrins, la Sepmaine (1579) en partie inspirée de Saint-Augustin, qui  se voulait la description et la glorification de l’œuvre des sept jours. Mais si la conception de ce dessein a quelque chose de grandiose, avec une encyclopédie  des connaissances de son époque  qu’il appelait lui-même « le sucre des connaissances humaines », l’exécution est médiocre. 

    Le poème est dépourvu de grâce, de variété, souvent emphatique ou plat, plein de fautes contre le bon goût, de locutions créées, mais plus hardies que pittoresques. Cependant le succès de la Sepmaine  fut très grand auprès  de ses  contemporains, au point qu’il bénéficia d’une gloire qui égalait, voire même surpassait, celle de Ronsard. A ce propos, étonné du succès de ce rival inattendu, le grand maître s’est cru obligé d’écrire : « Il est temps que Ronsard descende du Parnasse et cède la place à Du Bartas que le ciel a fait naître un si grand poète ». La postérité n’a pas ratifié ce jugement, du moins en France, où il reste considéré comme un écrivain de seconde zone. En revanche, à l’étranger, on nomme plusieurs grands poètes, dont  le pamphlétaire anglais Milton (1608-1674) par-dessus tous les autres, qui se sont inspirés de Du Bartas. En outre, l’on cite sans cesse quelques phrases de Goethe singulièrement honorables pour lui.

    En effet, dans une note (sur le Goût) de sa traduction du Neveu de Rameau, Goethe dit que, si les Français ne citent Du Bartas qu’avec mépris (mot qui paraîtrait  excessif de nos jours), les Allemands « aperçoivent dans ses œuvres, étrangement mêlées il est vrai, tous les éléments de la poésie française…Du Bartas a trouvé l’occasion de donner, sous forme de peintures, de récits, de descriptions, de préceptes, un tableau naïf de l’univers…Tout auteur français devrait porter dans son blason poétique un symbole de l’œuvre de Du Bartas ».  Et le génial auteur allemand d’ajouter « que si les Français cependant ne goûtent pas cette poésie si riche de couleurs variées, c’est à cause de l’effort continuel de raison qui s’est produit chez eux pour séparer de plus en plus les divers genres de la poésie et du style ».

    Du Bartas voulait donner une suite à son poème, une Seconde Sepmaine, dans laquelle les grands évènements racontés par la Bible devaient être passés en revue. Dans cette œuvre le poète est partagé entre la nécessité d’embellir un réel qui en a bien besoin et la recherche de la vérité. Nous pourrions aussi dire qu’il transmet la réalité en déguisant la vérité des choses. Du Bartas se veut aussi de plus en plus comme un poète ou un écrivain au savoir universel, un peu à l’image de Rabelais. Hélas, il ne pourra composer que deux jours complets de cette Seconde Sepmaine,  et des fragments des cinq autres. Il mourra à Paris en 1590, suite sans doute des  suites de ses blessures à Ivry.

    Michel Escatafal

  • Un humaniste victime de l'obscurantisme religieux

    grévin.jpgNé vers 1540 à Clermont-en-Beauvaisis (département de l’Oise en Picardie), fils de drapier, mort en exil en 1570 à Turin, Jacques Grévin qui fut médecin de Marguerite de Savoie, sœur d’Henri II, passe pour l’un des poètes les plus remarquables de l’école de Ronsard. Ce dernier avait d’ailleurs loué hautement son talent, avant que Grévin, blessé des attaques que Ronsard avait dirigées contre le calvinisme, se fut déclaré son adversaire. 

     

    Pour rappel, à la suite de la publication de son Discours des misères de ce temps en 1562,  Ronsard avait été violemment attaqué dans une série de poèmes satiriques, dont les auteurs étaient Florent Chrestien, l’un des futurs auteurs de la Ménippée, le ministre La Roche-Chandieu (huguenot français né en 1534 et mort en 1591) célèbre pour l’affaire du mémoire porté à Catherine de Médicis, et Jacques Grévin.

     

    Dans sa courte carrière, et sans abandonner l’étude et la pratique de la médecine avant d’en être rayé de l’ordre pour fait de calvinisme, Grévin publia, outre des poésies diverses parmi lesquelles on remarque un recueil de poésies amoureuses en deux livres, l’Olympe, une tragédie en cinq actes qui rencontra un grand succès, César (1560), inspirée d’une tragédie latine de Muret (1526-1585), traduite diront certains ce qu’a toujours réfuté Grévin, et deux comédies, la Trésorière (1558) et les Esbahis (1560). Les deux comédies par la forme comme par le sujet, rappellent l’Eugène de Jodelle, mais la tragédie de Grévin est bien supérieure à Cléopâtre et Didon de ce même Jodelle. Le style en est à la fois plus soutenu et moins déclamatoire.

     

    A ce propos il est dommage que Grévin mourût aussi jeune, car il écrivit de nombreuses poésies qu’il n’eut pas le temps d’éditer ou d’achever. Compte tenu du talent qu’il avait démontré auparavant la littérature a perdu, sans aucun doute, quelques une de ses plus belles pages. Et s’il en fallait une preuve supplémentaire, il suffit de lire et étudier La Gélodacrye (le rire et les larmes selon l’éthymologie grecque, thème déjà développé par Rabelais), éditée vers 1560, et les Vingt-quatre sonnets romains que l’on date des années 1568-1570.

     

    La Gélodacrye est un recueil satirique de sonnets, proche des Regrets de du Bellay. Quant aux Vingt-quatre sonnets romains,  ils se rapprochent des Antiquités de ce même du Bellay. Ces sonnets marquent cruellement le désenchantement d’un humaniste convaincu, devant l’obscurantisme des catholiques de l’époque. Pour mémoire je rappellerais que « la Saint-Barthélémy », nom entré dans l’histoire en raison du massacre organisé des protestants (3000 morts), exécuté sur ordre de Charles IX à l’instigation de Catherine de Médicis et des Guise, eut lieu la nuit du 23 août 1572.

     

    Michel Escatafal

     

  • La poésie épique à Rome

    ennius.jpgLes Romains ont toujours été de vaillants et admirables soldats avec une discipline de fer qui a fait leur force. Celle-ci  leur a permis de conquérir le monde connu de l’époque,  et de résister à toutes les tentatives d’invasion pendant plusieurs siècles.  Et c’est sans doute pour cela que les héros épiques ont eu tellement de mal à trouver leur place dans l’histoire de la littérature romaine. L’épopée en effet vit surtout de merveilleux,  et ce merveilleux manque un peu partout dans l’histoire de Rome, y compris dans la religion puisque leur dieux n’avaient aucune forme visible.

    C’est donc de la Grèce que Rome reçut le poème épique, comme d’ailleurs les autres genres.  Il est représenté par trois auteurs : Livius, Névius et Ennius. Le premier, Livius Andronicus (vers 278-204), était d’origine grecque (de Tarente) venu à Rome comme esclave. Il fut ensuite affranchi par son patron, ce qui lui permit d’ouvrir une école. Sa principale œuvre est une traduction en latin de l’Odyssée d’Homère, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’excita pas grand-monde à l’époque, sauf Névius (264-194).

    Celui-ci en effet, né à Rome ou en Campanie, avait servi comme soldat pendant la première guerre punique (264-241). Il avait gardé de cette guerre un souvenir enthousiaste qu’il entreprit de conter, même si  ce conflit fut long et ruineux pour les deux parties. Malgré tout ce fut Rome qui en sortit vainqueur,  puisque Carthage a dû lui céder ses possessions siciliennes. En tout cas pour Névius ce fut une épopée qui méritait d’être contée, au point qu’il remonta dans son récit jusqu’aux origines de Rome, telles que les rapportaient les légendes grecques. Les aventures d’Enée figuraient dans des vers qui ont représenté l’essentiel de l’œuvre de Névius, dont Cicéron a parlé avec estime, même si Névius  a mélangé gauchement les fictions de la légende et les évènements de l’histoire.

    En fait ce fut Ennius (239-169) qui donna le premier aux Romains un véritable poème épique, malgré l’imperfection de ses Annales. Ennius était originaire de la Grande Grèce, né à Rudies (région des Pouilles de nos jours), et servit lui aussi dans l’armée romaine comme centurion. Comme Livius il ouvrit une école (sur le Mont-Aventin), celle-ci donnant dans les genres les plus divers, la tragédie, la comédie, et les satires. Sa vaillance de soldat lui valut l’amitié indéfectible de Scipion, au point qu’il partageât la sépulture de sa famille.  En retour il donna le nom de Scipion à un de ses poèmes. On dit aussi que ses talents et ses vertus lui inspirèrent quelque orgueil, qu’il laissa éclater avec noblesse  mais aussi avec une naïveté qui prêtait à sourire. Dans ses Annales il a même raconté qu’Homère lui était apparu en songe et que son âme était passée à Ennius lui-même. Peut-être s’imaginait-il qu’on allait l’appeler le second Homère ?

    Les Annales se composent de dix-huit livres dont il ne reste que quelques fragments. Elles se caractérisent par leur manque d’unité avec au début des récits légendaires, puis des faits historiques comme la guerre contre Tarente et Pyrrhus (281-272), puis des évènements contemporains de son époque. Cependant les Annales ont un trait commun, à savoir la trace d’un patriotisme ardent et sincère.  Sur le plan de l’écriture Ennius introduisit une nouveauté frappante pour son époque, puisqu’il renonça à employer le vieux mètre saturnin (vers d’une structure très libre)  pour l’hexamètre latin sur le modèle de l’hexamètre grec (vers de six pieds ou six syllabes). Cette invention le rendit très fier, et il en avait le droit car c’est de cet instrument, perfectionné par Lucrèce (vers 98-55) et Catulle (87-54), que Virgile (70-19) se servit pour écrire l’Enéide.

    Michel Escatafal