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  • Jodelle, le Sophocle de la Pléiade

    jodelle.jpgEtienne Jodelle,  né à Paris en 1532 et mort en 1573, se réserva d’être le Sophocle de la pléiade, comme Ronsard en était l’Homère et le Pindare. En effet, bien qu’ayant publié un grand nombre de poésies diverses, c’est surtout à ses essais dramatiques qu’il dut sa renommée.

    Sa Cléopâtre captive (1552) est la première tragédie originale d’un poète français qui ait été représentée en France. Elle le fut devant Henri II, et Jodelle et plusieurs poètes, ses amis, en remplissaient les rôles. Elle connut un succès foudroyant qui dépassa de beaucoup sa réelle valeur littéraire.

    Le même jour, après la tragédie, fut représentée sa comédie d’Eugène divisée à la manière des comédies anciennes  mais qui, par le sujet et la versification, rappelle plutôt les farces du Moyen-âge.

    Le théâtre de Jodelle comprend encore une tragédie, la Didon se sacrifiant, où l’auteur reprend en partie Virgile, chantre des malheurs de Didon, mais avec des couplets plus déclamatoires et diffus que le beau texte de Virgile.

    Après avoir été le brillant organisateur de tous les plaisirs de la cour, Jodelle mourut dans la pauvreté délaissé par tous ses amis. Toutefois il restera dans la littérature française comme le premier à avoir introduit l’alexandrin au théâtre.

    Michel Escatafal

  • Le roman au Siècle d’Or en Espagne

    velez de guevara.jpgNous avons déjà  évoqué  dans une note précédente deux formes de roman,  pastoral et  picaresque. Le roman pastoral, distingué, sentimental  a pour particularité d’être aussi  quelque peu ennuyeux. Le modèle du genre fut la Diana de Jorge de Montemayor (vers 1550). Cervantes écrivit la Galatea (1585) et Lope de Vega la Arcadia (1598).

    Le roman picaresque, pour sa part, a des caractères bien définis : forme autobiographique du récit, celle-ci étant  la seule relation entre des épisodes isolés, environnement populaire ou règne l’oisiveté et la lutte pour la vie. Cette forme de roman est aussi marquée par un certain cynisme, une forme de stoïcisme et une férocité non dissimulée que l’on retrouve à  travers une satire sociale impitoyable. En fait, ce genre d’œuvre est  la continuation en prose des poèmes satiriques et autres « danses de la mort » du Moyen-âge.

    Le prototype du genre après la Celestina est le fameux Lazarillo de Tormes (1554) d’auteur inconnu. Il est particulier par son réalisme puissant, la sobriété des moyens et des effets, l’exactitude et la sûreté des traits, la simplicité élégante du style, le relief de tableaux  peints avec une admirable assurance.

    Le second roman picaresque par ordre chronologique est la Vida del picaro Guzman de Alfarache (1599) de Mateo Aleman (1547-1614), roman remarquable  où s’entremêlent de longs passages moralisateurs et d’interminables histoires, sans parler des multiples digressions dans lesquelles l’auteur se complaît. La langue qui abonde en idiotismes populaires est très belle.

    En 1605, Francisco de Ubeda publie La picara Justina, au style à la fois très recherché et présomptueux.

    El Buscon  (aventurier) de Quevedo, écrit en 1603 et publié en 1626, à la fois spirituel et cynique, amer et sans la plus petite mesure, où abondent les épisodes burlesques et les traits les plus audacieux, tout cela donnant de cette caricature géniale, une des œuvres maîtresses de l’auteur et du genre.

    Quelques unes des Novelas ejemplares (1613)de Cervantes pourraient figurer dans la présente notice. Toutefois, « ces romans exemplaires »  contrastent notablement avec  les précédents par un humour souriant, un ton à la fois optimiste et frondeur, mais aussi une grande sobriété dans l’expression.

    La Vida del escudero Marcos de Obregon (1618) de Vicente Espinel (1550-1624), à la fois romancier, poète et musicien, est une autobiographie de l’auteur, authentique héros de l’époque picaresque. Ce récit très mesuré, entrecoupé de contes s’acheve  par un éloge de la conformité ou la résignation stoïque, la plus picaresque des vertus.  Cette oeuvre est un des meilleurs romans picaresques.

    Il faut aussi mentionner entre autres, El donado hablador au ton très sarcastique et  Alonso mozo de muchos amos (1626) de Jeronimo de Alcala (1563-1632), mais aussi El Diablo Cojuelo (1641) de Luis Velez de Guevara (1579-1644), modèle du Diable boiteux de Le Sage, et le fameux Estebanillo Gonzalez, hombre de buen humor (1646), autobiographie fantastique de l’auteur Esteban Gonzalez, dernier roman picaresque présentant un intérêt.

    Enfin, beaucoup de textes, et entre tous le très  formel  Guia y Aviso de forasteros (1620), œuvre de mœurs attribuée à  Linan y Verdugo, ont été écrits  pour prévenir les candidats des pièges de tout ce qui est « picaresque ».  El dia de fiesta por la manana y por la tarde (1660) de Juan de Zabaleta, est un échantillonnage notable des genres de l’époque où la coquinerie se manifestait partout y compris dans les églises, qui étaient devenues de véritables lieux de rencontre.

    Michel Escatafal

  • Rémy Belleau, le peintre de la nature

    Rémi Belleau.jpgRémy  Belleau, né à Nogent-le-Rotrou en 1527 ou 1528, mort en 1577, était « gentilhomme françoys », ce qui signifie qu’il était assez noble d’origine pour posséder des armoiries. Il accompagna en 1557 René de Lorraine, marquis d’Elbeuf, général des galères,  notamment à l’expédition de Naples. Plus tard il devint gouverneur de son fils Charles, marquis, puis duc d’Elbeuf, et dut à la protection de cette grande famille de pouvoir se livrer tranquillement à la poésie. Avec Ronsard, Baïf et Du Bellay, il suivit les leçons de Daurat au collège Coqueret.

    Après avoir commenté le second livre des Amours de Ronsard (1560), il publia lui-même, outre des poésies diverses, odes, sonnets, chansons, etc., une traduction en vers des Odes d’Anacréon (1555)  que certains ont osé comparé à l’original, les Petites Inventions (1571), et les Amours et nouveaux eschanges des pierres précieuses,  recueil de poésies à la fois érudites et descriptives. A cela s’ajoute la Bergerie (1565-1572), espèce de vaste églogue, divisée en deux journées, et qui n’est en réalité qu’un recueil de pièces diverses, composées à des époques différentes, mais reliées entre elles par quelques pages de prose. Enfin on n’oubliera pas la comédie de la Reconnue (publication posthume en 1577).

    Très estimé de ses contemporains, Rémy Belleau ne peut–être comparé ni à Ronsard qui l’avait appelé « le peintre de la nature », ni à Du Bellay. Cependant on peut encore admirer à juste titre, et plus encore que la gentillesse de son imagination, la précision de son vocabulaire et la souplesse élégante de sa versification.

    Michel Escatafal

  • Théodore de Bèze : un auteur aux croyances exacerbées

    de Bèze.jpgNé en 1519 à Vezelay dans l’Yonne, mort en 1605, Théodore de Bèze se rendit en 1548 à Genève pour faire profession publique de calvinisme, après avoir abjuré le catholicisme. Il fut d’abord chargé de l’enseignement de la langue grecque à Lausanne et publia plusieurs ouvrages, tous inspirés par ses croyances ou par le désir de les défendre.

    Il mit en effet à leur service un talent poétique qui, dans sa jeunesse, l’avait déjà fait apprécier en France, et publia, outre plusieurs ouvrages de controverse, Abraham sacrifiant, œuvre austère, à la fois enflammée et sobre, courte tragédie française (1550) ayant pour particularité de n’être pas divisée en actes, mais seulement interrompue à deux reprises par une pause, et une traduction en vers des Psaumes non traduits par Marot…qui parut aux juges impartiaux inférieure encore à celle qu’elle continuait.

    Il publia en 1560 une œuvre sous le titre Traité de l’autorité du magistrat en la punition des hérétiques. Dans ce traité Théodore de Bèze fait preuve d’un exceptionnel manque de tolérance en prônant  les châtiments les plus extrêmes contre ceux qu’il appelait les hérétiques. Il écrivit aussi une Histoire ecclésiastique des Eglises Réformées du Royaume de France (1580), où il met en exergue la portée ecclésiologique et apocalyptique du martyre. 

    Il  fut au colloque de Passy (1561) le principal orateur des réformés, puis resta en France, prêchant et suivant l’armée du prince de Condé jusqu’à la paix d’Amboise en 1563. Après la mort de Calvin (1564) dont il avait fait sa biographie (Une vie de Calvin) peu avant (1563), il hérita de son pouvoir et de son influence et demeura jusqu’à la fin, grâce à son activité, à son intelligence et à son dévouement, le docteur et le principal chef de son parti.

    Michel Escatafal

  • La poésie en Espagne sous les règnes de Philippe II, Philippe III et Philippe IV

    fray luis de leon.jpgIl est relativement facile de voir les évolutions du développement de la poésie au Siècle d’Or à travers quelques poètes espagnols parmi les plus fameux du pays : le mystique Fray Luis de Leon, le noble Fernando de Herrera, le cultiste Gongora, Quevedo le fondateur du conceptisme, et le lyrique des lyriques, Lope de Vega, qui mérite un chapitre à lui seul.

    Fray Luis de Leon (1527-1591), mystique et moraliste, plutôt intolérant, fut d’abord  un excellent prosateur. Cependant même s’il ne composa qu’une trentaine de poèmes, ceux-ci sont autant d’œuvres maîtresses. Personne ne dépasse son admirable harmonie, et jamais on ne trouva jusque là une plus classique élégance, ni une plus harmonieuse simplicité. En fait seuls les poèmes de Garcilaso peuvent soutenir la comparaison.

    Fernando de Herrera le Divin (1534-1597), sévillan, est le premier des grands poètes de l’époque andalouse, dont les traits caractéristiques sont très distincts : audace dans les métaphores, pompe et fierté du style, finesse et affectation dans l’expression. En somme c’est le Ronsard espagnol, unissant les traits d’esprit à une extrême noblesse naturelle, sans oublier un sens unique de la grandeur, parfois même biblique. Ses plus fameuses  chansons sont : Por la victoria de Lepanto (ode à la bataille de Lépante), Por la perdida del Rey Don Sebastian (élégie sur Sébastien de Portugal) et ses Sonetos à la lumière.  En ouvrant le chemin du cultéranisme, il fut le prédécesseur  de Gongora.

    Luis de Gongora y Argote (1561-1627) était de Cordoue. Spirituel et gai, hautement satirique dans ses jeunes années, il écrivit avec enchantement des poésies populaires, romances y letrillas, fraîches, dans un style souple et clair, avec beaucoup d’élégance naturelle. Ces romances y letrillas (rondeaux) eurent une grande popularité, beaucoup d’entre eux ayant été repris en chansons. Ensuite, sans doute fatigué par tant de simplicité, il se livra à des acrobaties littéraires.  Dans son envie  de dépassement et son désir d’écrire dans le style « culte », ce que l’on appelle « le parler précieux » chez nous, il porta à ses extrêmes conséquences l’évolution initiée par Herrera.

    Il fonda ce que l’on a appelé le cultéranisme dont le caractère essentiel est l’obscurité,  destiné à mettre l’œuvre hors de portée du commun des mortels. Pour cela on appela Gongora  El Angel de las tinieblas (l’Ange des ténèbres). Son imagination tourmentée, sa poésie obscure et sa pensée presque inintelligible ressortent   dans ses Sonetos y Canciones, et surtout dans ses grandes compositions El Polifemo et las Soledades, très hermétiques, mais d’une incontestable valeur artistique.  Cela donna à l’époque une vraie « bataille des anciens et des modernes » autour de la révolution « gongorine ».

    Dans ces violentes polémiques prirent part deux immenses écrivains, Lope de Vega et Quevedo, celui-ci écrivant contre le cordouan sa cruelle satire de La culta latiniparla.  Francisco de Quevedo Villegas (1580-1645) fut assurément le plus violent détracteur de Gongora. Grand humaniste,  Quevedo passe pour un des meilleurs prosateurs et parmi les premiers poètes de son temps, ne dédaignant  pas les ressources que lui offrait «  l’odieux culteranisme » pour lui permettre de trouver aussi de nouveaux modes d’expression pour une voie parallèle, celle du conceptisme.

    Il perfectionna cette seconde forme d’affectation qui consiste à user et abuser des traits subtils et inattendus, à composer des  associations d’idées surprenantes alliant le paradoxe et l’ambigüité, et à jouer sur des équivoques amusantes et même burlesques, les jeux de paroles et  les calembours. Quevedo est aussi  un poète qui donne libre cours à une cruelle ironie, à une inspiration sarcastique et à des tendances moralisatrices dans la poésie satirique, déjà de type populaire, et même au goût du peuple dans les Jacaras de germania (romances de germanie), de forme classique (Satiras, Epistola satirica y censoria). Ses poésies amoureuses, notables par leur délicatesse,  ressortent par contraste avec l’amertume du reste de l’œuvre.

    Périodiste de grand talent (Grandes anales de quince dias), burlesque et satirique, courtisan, philosophe quand il en éprouve le besoin,  Quevedo est à la fois moraliste stoïcien et romancier de premier ordre. Ses œuvres les plus connues sont les Suenos, âpre caricature de la société de son temps, écrite dans un style mordant, et le fameux Buscon (1626) considéré comme le roman picaresque le plus réussi. On peut quand même lui reprocher une absence de mesure, une insolence pour ne pas dire une grossièreté qui sont les caractéristiques les plus choquantes de l’œuvre de Quevedo.

    Enfin on ne peut terminer cette petite note sur la poésie de la seconde partie du Siècle d’Or sans donner une place à part au Principe de los Ingenios, au plus poète de tous les poètes, Felix Lope de Vega Carpio, le plus fécond de son temps. Je lui consacrerai un billet entier dans un prochain article, comme je le ferai pour Cervantes à propos de la prose.

    Michel Escatafal