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littérature - Page 23

  • Le plus célèbre des pamphlets : la Satire Ménippée

    Satire Ménippée.jpgLe philosophe cynique Ménippe, Grec de Syrie, qui vivait au 4è ou au 3è siècle avant l’ère chrétienne, avait laissé une réputation presque légendaire de satirique spirituel et audacieux. Il avait d’ailleurs publié un recueil de satires qui devinrent des modèles du genre. Ainsi l’érudit Varron (116-27), que certains ont appelé « le plus savant des Romains », avait écrit des satires à la manière de Menippe. C’est du même souvenir que se sont inspirés les auteurs du plus célèbre de tous les pamphlets qui ont été publiés pendant la Ligue, la Satire Ménippée du catholicon double d’Espagne et des Etats de la Ligue, œuvre littéraire de grande valeur qui a contribué à ramener les esprits de l’époque à plus de tolérance.

    Cette satire met d’abord en scène deux charlatans, l’un Espagnol, l’autre Lorrain, symbolisant le roi d’Espagne, Philippe II, et le duc de Mayenne, de la maison de Guise et de Lorraine, avec tous leurs partisans, et vendant une drogue aux vertus merveilleuses, le catholicon double d’Espagne. Puis la satire fait défiler dans la plus véridique et la plus comique des descriptions, la procession ordonnée par la Ligue avant l’ouverture des Etats. Enfin la salle même des Etats ayant été décrite, avec ses tapisseries allégoriques, dont les malicieux écrivains inventent les sujets, afin d’y trouver plus sûrement matière à railleries ironiques, la satire rapporte les discours plus ou moins longs, plus ou moins risibles des différents orateurs qui se sont fait entendre aux Etats. Parmi ceux-ci, on notera en dernier lieu celui de M. d’Aubray parlant pour le Tiers Etat, protestation abondante et, par endroits, chaleureuse du bon sens et de l’honnêteté.

    L’idée première de la Ménippée peut-être attribuée avec une quasi certitude à un certain Pierre Leroy, chanoine de Rouen, « homme honorable et très ennemi des factions », comme le décrit de Thou dans son Histoire. Ce dernier fait aussi allusion à un autre écrivain qui aurait porté à sa perfection le dessein de Le Roy. Dans ce collaborateur essentiel, il faut probablement (mais pas sûrement) reconnaître l’illustre jurisconsulte Pierre Pithou (1539-1596), qui serait particulièrement l’auteur de la Harangue de M. d’Aubray.

    En outre le poète Nicolas Rapin ((1540-1608), qui avait été grand prévôt de la connétable de Paris, et s’était battu plus tard à Ivry, dans les rangs de l’armée royale, mais aussi Jean Passerat (1534-1602), professeur au Collège Royal (Collège de France), prirent pour eux le soin d’écrire les vers de la Satire, auxquels se joignit un peu plus tard une ingénieuse pièce de Gilles Durant (1550-1615), avocat au Parlement de Paris qui cultivait la poésie. Cette pièce est une satire fine et naïve dirigée contre la Ligue, intitulée : A mademoiselle ma cousine sur le trespas de son asné, regret funèbre.

    On regarde enfin comme ayant collaboré à cette œuvre collective et anonyme Jacques Gillot, conseiller clerc au Parlement, chez lequel tous les autres se réunissaient, et l’érudit Florent Chrestien (1540-1596), ancien précepteur, sans oublier…Henri IV. Les Etats de la Ligue avaient eu lieu en février 1593, et la Satire parut datée de cette même année, mais elle ne fut publiée qu’en 1594, c’est-à-dire après la conversion et le sacre d’Henri IV, quand ce roi était déjà dans Paris ou tout près d’y entrer. Elle fut d’abord intitulée la Vertu du Catholicon d’Espagne, puis l’année suivante après la soumission de Paris, on ajouta à cette brochure un Abrégé des Estats de la Ligue, le tout recevant le nom de Satire Ménipée.

    Michel Escatafal

  • La Boétie, l’ami de Montaigne

    la Boétie.jpgNé à Sarlat (Dordogne) en 1530, conseiller au parlement de Bordeaux, Etienne de la Boétie est surtout connu par l’amitié célèbre qui l’unit à Montaigne. Celui-ci en effet tenait en haute estime le génie autant que le caractère de son ami.  Une mort prématurée (en 1563) ne permit pas à La Boétie de remplir toute sa destinée et sans doute d’enrichir son œuvre.

    Il ne nous reste de lui, outre des poésies latines et françaises et des traductions de l’Economique de Xénophon (traduite par La Boétie sous le titre de la Mesnagerie), du livre 1 de l’Economique d’Aristote (retrouvée et publiée seulement en 1600), et deux opuscules de Plutarque , les Règles du mariage et la Consolation à sa femme,  qu’une dissertation intitulée Discours de la servitude volontaire.  Celle-ci est quelquefois désignée sous le titre Le Contre un, qui n’a été publié en partie d’abord, puis complètement, qu’assez longtemps après sa mort (vers les années 1574 à 1576), par les protestants dans un intérêt polémique.

    Cet opuscule, que La Boétie écrivit très jeune, est plus intéressant pour le littérateur et le philologue que pour le politique. On chercherait vainement en effet dans cette œuvre quelque théorie précise et approfondie touchant le gouvernement des Etats. La Boétie se borne à traiter en français, avec ampleur et véhémence, les avantages de la liberté et les inconvénients de la tyrannie.

    Cela dit même si certains ont pu penser, compte tenu du choix du sujet traité, que le jeune écrivain a voulu faire part de ses sentiments profonds, il ne semble pas qu’il y ait lieu de chercher dans ce petit livre aucune allusion à la situation de la France à l’époque des guerres de religion. En fait, le Discours de la Servitude volontaire nous permet, au même titre que les traductions d’Amyot, de La Boétie lui-même et de plusieurs autres, de juger des progrès de la langue française, à laquelle ces divers auteurs réussissent à faire exprimer les idées élevées que les langues anciennes avaient si bien su rendre.

    Michel Escatafal

  • Rémy Belleau, le peintre de la nature

    Rémi Belleau.jpgRémy  Belleau, né à Nogent-le-Rotrou en 1527 ou 1528, mort en 1577, était « gentilhomme françoys », ce qui signifie qu’il était assez noble d’origine pour posséder des armoiries. Il accompagna en 1557 René de Lorraine, marquis d’Elbeuf, général des galères,  notamment à l’expédition de Naples. Plus tard il devint gouverneur de son fils Charles, marquis, puis duc d’Elbeuf, et dut à la protection de cette grande famille de pouvoir se livrer tranquillement à la poésie. Avec Ronsard, Baïf et Du Bellay, il suivit les leçons de Daurat au collège Coqueret.

    Après avoir commenté le second livre des Amours de Ronsard (1560), il publia lui-même, outre des poésies diverses, odes, sonnets, chansons, etc., une traduction en vers des Odes d’Anacréon (1555)  que certains ont osé comparé à l’original, les Petites Inventions (1571), et les Amours et nouveaux eschanges des pierres précieuses,  recueil de poésies à la fois érudites et descriptives. A cela s’ajoute la Bergerie (1565-1572), espèce de vaste églogue, divisée en deux journées, et qui n’est en réalité qu’un recueil de pièces diverses, composées à des époques différentes, mais reliées entre elles par quelques pages de prose. Enfin on n’oubliera pas la comédie de la Reconnue (publication posthume en 1577).

    Très estimé de ses contemporains, Rémy Belleau ne peut–être comparé ni à Ronsard qui l’avait appelé « le peintre de la nature », ni à Du Bellay. Cependant on peut encore admirer à juste titre, et plus encore que la gentillesse de son imagination, la précision de son vocabulaire et la souplesse élégante de sa versification.

    Michel Escatafal

  • Théodore de Bèze : un auteur aux croyances exacerbées

    de Bèze.jpgNé en 1519 à Vezelay dans l’Yonne, mort en 1605, Théodore de Bèze se rendit en 1548 à Genève pour faire profession publique de calvinisme, après avoir abjuré le catholicisme. Il fut d’abord chargé de l’enseignement de la langue grecque à Lausanne et publia plusieurs ouvrages, tous inspirés par ses croyances ou par le désir de les défendre.

    Il mit en effet à leur service un talent poétique qui, dans sa jeunesse, l’avait déjà fait apprécier en France, et publia, outre plusieurs ouvrages de controverse, Abraham sacrifiant, œuvre austère, à la fois enflammée et sobre, courte tragédie française (1550) ayant pour particularité de n’être pas divisée en actes, mais seulement interrompue à deux reprises par une pause, et une traduction en vers des Psaumes non traduits par Marot…qui parut aux juges impartiaux inférieure encore à celle qu’elle continuait.

    Il publia en 1560 une œuvre sous le titre Traité de l’autorité du magistrat en la punition des hérétiques. Dans ce traité Théodore de Bèze fait preuve d’un exceptionnel manque de tolérance en prônant  les châtiments les plus extrêmes contre ceux qu’il appelait les hérétiques. Il écrivit aussi une Histoire ecclésiastique des Eglises Réformées du Royaume de France (1580), où il met en exergue la portée ecclésiologique et apocalyptique du martyre. 

    Il  fut au colloque de Passy (1561) le principal orateur des réformés, puis resta en France, prêchant et suivant l’armée du prince de Condé jusqu’à la paix d’Amboise en 1563. Après la mort de Calvin (1564) dont il avait fait sa biographie (Une vie de Calvin) peu avant (1563), il hérita de son pouvoir et de son influence et demeura jusqu’à la fin, grâce à son activité, à son intelligence et à son dévouement, le docteur et le principal chef de son parti.

    Michel Escatafal

  • La poésie en Espagne sous les règnes de Philippe II, Philippe III et Philippe IV

    fray luis de leon.jpgIl est relativement facile de voir les évolutions du développement de la poésie au Siècle d’Or à travers quelques poètes espagnols parmi les plus fameux du pays : le mystique Fray Luis de Leon, le noble Fernando de Herrera, le cultiste Gongora, Quevedo le fondateur du conceptisme, et le lyrique des lyriques, Lope de Vega, qui mérite un chapitre à lui seul.

    Fray Luis de Leon (1527-1591), mystique et moraliste, plutôt intolérant, fut d’abord  un excellent prosateur. Cependant même s’il ne composa qu’une trentaine de poèmes, ceux-ci sont autant d’œuvres maîtresses. Personne ne dépasse son admirable harmonie, et jamais on ne trouva jusque là une plus classique élégance, ni une plus harmonieuse simplicité. En fait seuls les poèmes de Garcilaso peuvent soutenir la comparaison.

    Fernando de Herrera le Divin (1534-1597), sévillan, est le premier des grands poètes de l’époque andalouse, dont les traits caractéristiques sont très distincts : audace dans les métaphores, pompe et fierté du style, finesse et affectation dans l’expression. En somme c’est le Ronsard espagnol, unissant les traits d’esprit à une extrême noblesse naturelle, sans oublier un sens unique de la grandeur, parfois même biblique. Ses plus fameuses  chansons sont : Por la victoria de Lepanto (ode à la bataille de Lépante), Por la perdida del Rey Don Sebastian (élégie sur Sébastien de Portugal) et ses Sonetos à la lumière.  En ouvrant le chemin du cultéranisme, il fut le prédécesseur  de Gongora.

    Luis de Gongora y Argote (1561-1627) était de Cordoue. Spirituel et gai, hautement satirique dans ses jeunes années, il écrivit avec enchantement des poésies populaires, romances y letrillas, fraîches, dans un style souple et clair, avec beaucoup d’élégance naturelle. Ces romances y letrillas (rondeaux) eurent une grande popularité, beaucoup d’entre eux ayant été repris en chansons. Ensuite, sans doute fatigué par tant de simplicité, il se livra à des acrobaties littéraires.  Dans son envie  de dépassement et son désir d’écrire dans le style « culte », ce que l’on appelle « le parler précieux » chez nous, il porta à ses extrêmes conséquences l’évolution initiée par Herrera.

    Il fonda ce que l’on a appelé le cultéranisme dont le caractère essentiel est l’obscurité,  destiné à mettre l’œuvre hors de portée du commun des mortels. Pour cela on appela Gongora  El Angel de las tinieblas (l’Ange des ténèbres). Son imagination tourmentée, sa poésie obscure et sa pensée presque inintelligible ressortent   dans ses Sonetos y Canciones, et surtout dans ses grandes compositions El Polifemo et las Soledades, très hermétiques, mais d’une incontestable valeur artistique.  Cela donna à l’époque une vraie « bataille des anciens et des modernes » autour de la révolution « gongorine ».

    Dans ces violentes polémiques prirent part deux immenses écrivains, Lope de Vega et Quevedo, celui-ci écrivant contre le cordouan sa cruelle satire de La culta latiniparla.  Francisco de Quevedo Villegas (1580-1645) fut assurément le plus violent détracteur de Gongora. Grand humaniste,  Quevedo passe pour un des meilleurs prosateurs et parmi les premiers poètes de son temps, ne dédaignant  pas les ressources que lui offrait «  l’odieux culteranisme » pour lui permettre de trouver aussi de nouveaux modes d’expression pour une voie parallèle, celle du conceptisme.

    Il perfectionna cette seconde forme d’affectation qui consiste à user et abuser des traits subtils et inattendus, à composer des  associations d’idées surprenantes alliant le paradoxe et l’ambigüité, et à jouer sur des équivoques amusantes et même burlesques, les jeux de paroles et  les calembours. Quevedo est aussi  un poète qui donne libre cours à une cruelle ironie, à une inspiration sarcastique et à des tendances moralisatrices dans la poésie satirique, déjà de type populaire, et même au goût du peuple dans les Jacaras de germania (romances de germanie), de forme classique (Satiras, Epistola satirica y censoria). Ses poésies amoureuses, notables par leur délicatesse,  ressortent par contraste avec l’amertume du reste de l’œuvre.

    Périodiste de grand talent (Grandes anales de quince dias), burlesque et satirique, courtisan, philosophe quand il en éprouve le besoin,  Quevedo est à la fois moraliste stoïcien et romancier de premier ordre. Ses œuvres les plus connues sont les Suenos, âpre caricature de la société de son temps, écrite dans un style mordant, et le fameux Buscon (1626) considéré comme le roman picaresque le plus réussi. On peut quand même lui reprocher une absence de mesure, une insolence pour ne pas dire une grossièreté qui sont les caractéristiques les plus choquantes de l’œuvre de Quevedo.

    Enfin on ne peut terminer cette petite note sur la poésie de la seconde partie du Siècle d’Or sans donner une place à part au Principe de los Ingenios, au plus poète de tous les poètes, Felix Lope de Vega Carpio, le plus fécond de son temps. Je lui consacrerai un billet entier dans un prochain article, comme je le ferai pour Cervantes à propos de la prose.

    Michel Escatafal