Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

littérature - Page 19

  • La poésie satirique à Rome

    lucilius.jpgLes Romains ont toujours prétendu que la satire faisait partie de leur identité nationale. D’abord le nom même de satire est purement latin, satura étant un adjectif qui, employé substantivement, signifie mélange.  C’est ainsi qu’on désigna dans un premier temps ces divertissements dramatiques composés de danse, de musique et de paroles qui sont à l’origine du théâtre romain. C’est Ennius qui après avoir publié un recueil où se trouvaient des pièces fort différentes par le sujet et le mètre lui donna, à cause de sa variété, le titre de Satires.  Ensuite le mot satire s’appliquera uniquement au genre de poésie que Lucilius, Horace (65-8 av. J.C) et Juvenal devaient illustrer à Rome. C’est à ce tire qu’on a pu dire et écrire que si l’esprit satirique est universel, c’est à Rome qu’il reçut pour la première fois la forme spéciale d’un poème où les attaques contre les personnes se mêlent, pour les soutenir et les éclairer, à l’exposition de vérités morales.

    La première figure emblématique de la poésie satirique fut Lucilius, lequel eut droit de la part d’Horace, pourtant peu porté à l’indulgence, à une grande considération. Ce dernier affirmant que Lucilius « avait peint toute sa vie dans ses ouvrages comme dans un tableau votif ». Hélas ces ouvrages sont perdus pour l’essentiel, et les fragments qui nous en restent sont trop rares et souvent trop obscurs pour nous instruire sur la biographie exacte du poète. Tout au plus nous savons qu’il est né à Suessa Aurunca, colonie latine, vers 180 avant notre ère, et qu’il mourut à Naples vers 102, obtenant des funérailles publiques.  

    Issu d’une grande famille, riche puisqu’il possédait une maison à Rome, évidemment spirituel, il vécut dans l’intimité de Scipion Emilien (185-129 av. J.C.) et de Lélius (185-111 av. J.C.) qui le traitaient d’égal à égal. En revanche, malgré son grand nom, il ne joua aucun rôle politique non pas par dédain comme le poète et philosophe Lucrèce (98-55) plus tard, mais parce qu’il souffrait d’une santé fragile. Celle-ci avait aigri son humeur au point de l’avoir rendu procédurier, ne tolérant pas qu’on s’attaquât à lui ou qu’on le critiquât alors qu’il ne ménageait personne. Néanmoins on ne retient de lui que son œuvre, très admirée de ses contemporains.

    L’ensemble des satires de Lucilius formait trente livres sur lesquels vingt et un sont écrits en hexamètres. Dans les autres le poète se sert de mètres très variés. On voit donc que l’hexamètre prédomine, et d’ailleurs Horace et ses successeurs n’employèrent plus d’autres vers. Mais quels sont les éléments les plus significatifs sur les opinions et les goûts du poète, ainsi que sur la société qu’il a voulu peindre en tenant compte, toutefois, de la rareté des documents qui nous sont restés? Disons que Lucilius était très romain,  mettant en exergue les fortes vertus de l’antique Rome, ce qui ne l’empêchait pas de se laisser charmer par la culture grecque, mais sans excès. Ceux qui n’admiraient que la rhétorique grecque furent évidemment l’objet des railleries du poète, mais il n’en voyait pas moins clair dans les vices nationaux, par exemple l’avarice, mais aussi la superstition.

    Il détestait aussi les parvenus à peine échappés de la pauvreté, qui se livraient à ce qu’on appelait alors les basses jouissances, entre autres la gloutonnerie, ce qui avait conduit Lucilius à écrire : «Vivez, gloutons ;  vivez, goinfres ; vivez, ventres» ! Il dénonçait ceux qui se couvraient de ridicule et les vices de certains de ses contemporains, allant jusqu’à leur donner des noms. Ainsi comme on parle aujourd’hui des Tartuffe, on évoquait Gallonius (le gourmand), Nomentanus, le dissipateur. Mais ce qui l’affligeait le plus c’était la perte totale des sentiments de solidarité et de probité civiques, que remplaçaient alors les intrigues de l’intérêt et de l’ambition.

    S’il se permettait de jouer le rôle de défenseur des bonnes mœurs et des honnêtes gens, de glorifier ceux-ci, c’est parce qu’il se savait indépendant en raison de sa haute situation et des protections dont il jouissait. Ensuite c’est aussi parce qu’il mettait au premier rang les intérêts de la patrie. Bref, Lucilius était un homme sincère, franc, et un remarquable observateur de la nature humaine. En revanche ses vers manquaient de style et sentaient l’improvisation hâtive. En disant cela on ne peut que penser à cette phrase d’Horace : « Il dictait deux cents vers au pied levé ». Le même Horace évoquait aussi un artiste parfois admirable, souvent incomplet, qu’il qualifiait de « torrent fangeux qui roulerait des parcelles d’or ».

    Michel Escatafal

     

  • Jean Bertaut (1552-1611) : un évêque précurseur

    bertaut.jpgJean Bertaut, né à Caen en 1552 où son père professait les sciences au collège du Bois,  fut secrétaire d’Henri III dont il était très apprécié et qui en fit le précepteur du comte d'Angoulême (fils naturel de Charles IX), puis d’Henri IV dont il contribua à la conversion et qui lui donna l’abbaye d’Aulnay en 1594, puis plus tard l’évêché de Séez en 1606. En tant qu’évêque de Séez, il mena le corps d’Henri IV à Saint-Denis suite à son assassinat en 1610. En outre il fut aussi premier aumônier de Marie de Médicis ce qui lui valut d'assister le 14 septembre 1606 au baptême du dauphin (Louis XIII) à Fontainebleau. Ses œuvres principales sont recueillies dans deux ouvrages, Recueil des Oeuvres poétiques (1601, et Collection des œuvres poétiques (1602).

     

    Elles se composent  de poésies sacrées et profanes, moins gracieuses peut-être, mais d’une langue plus moderne que les poésies de Desportes qui, lui-même, nous l’avons dit, surpassait déjà sur ce point les poètes de la Pléiade. Dans ses poésies, Bertaut a subi manifestement l’influence à la fois de Ronsard, à qui il doit beaucoup, et de Desportes, tout en étant le précurseur de Malherbe dans la manière, le style et le ton, et même diront certains de Lamartine. A son propos, Malherbe disait qu'il était le seul des anciens poètes qu'il estimait. Il fut d’abord un chantre des amours de la vie de cour, avant de se tourner plus tard vers des thèmes religieux et des psaumes. C'est ainsi qu'on publia en 1613, deux ans après sa mort, les Sermons sur les principales fêtes de l'année.

     

    Si je ne devais retenir que quelques vers de Bertaut, ce serait cet extrait :

    Félicité passée

    Qui ne peut revenir

     

    Tourment de ma pensée,

     Que n’ay-je en te perdant perdu le souvenir !

    Cette strophe  de la Chanson issue des Œuvres poétiques est très justement célèbre, et on la croirait toute moderne pour la langue et le sentiment. Il se peut cependant, comme il arrive souvent chez les poètes du XVI è siècle, qu’elle ne soit pas d’une inspiration originale. On a en effet retrouvé dans la littérature espagnole, et particulièrement dans la Diane de Montemayor (1520-1561), publiée en 1564 à Valence, que Bertaut devait connaître, plus d’un passage dont elle pourrait être imitée. Quand au rythme de la Chanson, qui est si heureux et qui, sans modèle en France, n’a guère été reproduit, on a cru y reconnaître un emprunt à la métrique italienne.

     

    Michel Escatafal

  • Une grande dame qui se fit remarquer par son esprit

    MlleScudery.jpg

    Née en 1607 d’une famille originaire de Sicile, morte en 1701, Madeleine de Scudéry était la sœur du poète Georges de Scudéry (1601-1667), lequel eut sur elle une influence pour le moins pesante. Ce dernier, ami puis rival de Corneille et auteur de plusieurs tragédies et tragi-comédies, avait grâce à l’assentiment de Richelieu obtenu, après avoir publié ses Observations sur le Cid, que l’Académie Française fit l’examen de cette pièce. Il y fut élu en 1650. Cependant sa notoriété devait beaucoup au nom qu’il portait, grâce à sa sœur, au point que Voltaire disait de lui que « son nom est plus connu que ses ouvrages ».

    Polyglotte (elle parlait outre le français, l’italien et l’espagnol très prisés à l’époque), Madeleine de Scudéry se fit remarquer pour son esprit à l’Hôtel de Rambouillet et, après la Fronde (1648-1653), reçut elle-même chez elle, à ses samedis, quelques uns des personnages les plus distingués de l’époque . Ses interminables romans Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653), Clélie, histoire romaine (1656), jouirent d’une grande réputation à l’époque où ils parurent. Pourtant cette réputation, bien réelle, était due principalement à ce qui, aux yeux de Boileau et de beaucoup d'autres, en fait surtout le défaut, à savoir que sous des noms antiques, Mademoiselle de Scudéry peint, non seulement des caractères modernes, mais des personnages réels et contemporains. C’est ainsi que Cyrus, dans le roman de ce nom, n’est autre que le grand Condé (1621-1686).

    Cela dit la société du temps prenait plaisir à se retrouver elle-même dans ces ouvrages, tandis que la postérité a été surtout frappée de ce qu’il y avait de ridicule à mettre des discours subtils et raffinés dans la bouche de ces rudes héros de l’antiquité. Par exemple, un Cyrus qui fut le véritable fondateur de l’Empire perse ( vers 559-529 av. J.C.), un Brutus (fondateur de la république à Rome et personnage légendaire au VI è siècle av. J.C.), un Horatius Coclès (défenseur du Pont Sublicius face aux Etrusques en 507 av.J.C.). Outre ses romans, Mademoiselle de Sudéry a encore laissé, entre autres ouvrages, dix volumes de Conversations morales, dont les sujets sont le plus souvent frivoles, et le style parfois médiocre, dénué de grâce et d’aisance. Mais les œuvres de Mademoiselle de Scudéry restent du moins comme un document intéressant sur la société française à l’époque de la minorité de Louis XIV.

    Pour ma part si je devais retenir quelques lignes de l’œuvre de Madeleine de Sudéry ce serait, dans Artamène ou le Grand Cyrus, le portrait de la marquise de Rambouillet (1588-1665) sous le nom de Cléomire. En voici un extrait : « Imaginez-vous la beauté même, si vous voulez concevoir celle de cette admirable personne : je ne vous dis point que vous vous figuriez quelle est celle que nos peintres donnent à Vénus, pour comprendre la sienne, car elle ne serait pas assez modeste ; ni celle de Pallas, parce qu’elle serait trop fière ; ni celle de Junon, qui ne serait pas assez charmante ; ni celle de Diane, qui serait un peu trop sauvage ; mais je vous dirai que, pour représenter Cléomire, il faudrait prendre de toutes les figures qu’on donne à ces déesses ce qu’elles ont de beau, et l’on en ferait peut-être une passable peinture. Cléomire est grande et bien faite ; tous les traits de son visage sont admirables ; la délicatesse de son teint ne se peut exprimer ; la majesté de toute sa personne est digne d’admiration, et il sort je ne sais quel éclat de ses yeux, qui imprime le respect dans l’âme de tous ceux qui la regardent…Au reste l’esprit et l’âme de cette merveilleuse personne surpassent de beaucoup sa beauté ».

    Ces lignes sont d’autant plus amusantes que Mademoiselle de Scudéry ne devait pas se marier et ce, pour deux raisons essentielles : elle était pauvre ce qui éloignait les prétendants, et surtout elle était plutôt laide. Cela explique qu’elle ait toujours songé à mériter par son esprit les hommages qui ne pouvaient lui être rendus par un physique disgracieux. Il n’empêche, même si elle ne figure pas parmi les plus grands écrivains d’une époque qui en était fertile, on trouve dans son œuvre plus d’une page remarquable sur l’éducation des femmes, leur esprit, leurs devoirs, leur rôle dans la société.

    Michel Escatafal

  • Il a renouvelé l'étude de la philosophie et des sciences

    descartes.jpgRené Descartes est né le 31 mars 1596 en Touraine à La Haye, qui est devenu ensuite la Haye-Descartes, et qui s’appelle aujourd'hui Descartes tout court, dans le département d’Indre-et-Loire. Après avoir achevé ses études au collège des Jésuites de la Flèche, il résolut de voir le monde et de voyager en gentilhomme à qui sa fortune permet de mener une vie indépendante. C’est ainsi qu’il parcourut une grande partie de l’Europe, prenant même par deux fois du service dans les armées, la première au tout début de la guerre de Trente ans (1618-1648). Cela ne lui donna pas pour autant le goût de l’histoire et des langues,  tant son esprit était occupé à l’étude de la métaphysique et des sciences.

    Cependant, comme Montaigne, dont les leçons et l’exemple devaient être présents à son esprit, le jeune gentilhomme s’entretenait lui-même de l’incertitude de ce qu’on enseignait alors dans les écoles sous le nom des « diverses sciences ». En 1619, une vision lui donna le sentiment qu’il avait enfin trouvé la méthode capable de le conduire au vrai. Il employa sans doute les années qui suivirent à mûrir et à éprouver sa découverte, mais sans renoncer au monde, ni même aux armes, car il combat en 1628 dans l’armée de Richelieu, au siège de la Rochelle.

    Enfin, en 1629, il se fixe en Hollande, et c’est là qu’il publie, en 1637, ce célèbre Discours de la Méthode, dont on dit qu’il marque la naissance de la philosophie moderne, et qui n’est à vrai dire qu’une préface. Il y faisait pour ainsi dire l’histoire de son esprit, racontant par quelles suites de méditations, après avoir fait table rase de toutes ses connaissances précédemment acquises, il était arrivé à se créer une méthode pour refaire par lui-même tout l’édifice de la science. Ensuite il exposait les résultats auxquels il était parvenu  par cette méthode, et ceux qu’il  espérait légitimement  atteindre dans la suite.

    Ce petit livre renouvelait entièrement l’étude de la philosophie et des sciences, quelques objections qu’on ait d’ailleurs pu faire valoir contre l’application de la méthode de Descartes, qui est comme une généralisation de la méthode des mathématiciens, à l’étude des sciences naturelles, en fondant désormais la science non plus sur l’autorité de la tradition, mais sur l’assentiment de la raison. Mais dans l’histoire même de notre langue et de notre littérature, la date de l’apparition du Discours de la Méthode ne saurait passer inaperçue. Il n’est pas sans intérêt de voir la langue française, purgée de tout archaïsme et de tout embarras, se prêter, sous sa forme nouvelle, avec une aisance et une clarté parfaites à l’exposition de ces hautes vérités qu’on croyait volontiers ne pouvoir être aisément et dignement exprimées qu’en latin.

    Les témoignages de l’admiration que le dix-septième siècle, presque tout entier, a vouée à Descartes sont célèbres. Ne parlons pas des éloges que lui décernent les poètes ou les gens du monde, mais Pascal ne l’a combattu qu’après avoir subi son influence. En outre ni Bossuet, ni les messieurs de Port-Royal ne peuvent se défendre d’être en un sens ses disciples. Enfin, le plus grand des philosophes français du dix-septième siècle après Descartes, Malebranche, est aussi le plus grand des cartésiens.

    Descartes est  mort le 11 février 1650 à Stockholm, où il avait été appelé quelques mois auparavant par la reine Christine de Suède à qui il vouait une grande admiration, « en raison de cette grande ardeur qu’elle a pour la connaissance des lettres », pour reprendre les termes de la lettre qu’il fit à Madame Elisabeth, princesse Palatine le 9 octobre 1649. Pour mémoire rappelons que Christine de Suède (1626-1689) succéda à son père Gustave-Adolphe en 1632, abdiqua en 1654, et, malgré ses erreurs et ses crimes,  eut du moins le mérite d’accorder aux littérateurs et aux savants une protection éclairée.

    Michel Escatafal

  • Un poète qui n’aimait pas faire entendre sa voix

    desportes.jpgPhilippe Desportes, né en 1546 à Chartres dans une riche famille bourgeoise, reçut une éducation soignée avant de s’engager dans une carrière ecclésiastique. Poète courtisan, goûté de Charles IX  mais aussi d’Henri III qu’il avait accompagné en Pologne avant son accession au trône de France, applaudi par Ronsard qu’il éclipsa même un temps au point de conquérir les salons les plus raffinés, tel celui de la maréchale de Retz, il reçut en récompense de ses vers de riches abbayes qui lui procurèrent de confortables revenus, entre autres celle de Tiron, près de Chartres. Compromis dans les affaires de la Ligue, il perdit ces abbayes, qui lui furent plus tard restituées par Henri IV.  

    N’ayant essentiellement  composé que des poésies amoureuses, il a laissé dans ce registre trois recueils d’Amours entre 1573 et 1583, les Amours de  Diane, les Amours d’Hyppolite (adressées  à Marguerite de Valois, femme d’Henri de Navarre) et les Amours de Cléonice.  Ces poésies,  imitées souvent des écrivains les plus raffinés de l’antiquité et surtout de l’Italie moderne (Pétrarque), sentent trop l’affectation  pour être considérées comme des chefs d’œuvre. Cependant, outre qu’on ne peut refuser aux meilleures d’entre elles des mérites exquis de charme et d’élégance, elles sont écrites dans une langue plus sûre déjà  que celle des poètes de la Pléiade. Néanmoins les plus grands d’entre eux sont bien au-dessus de Desportes par le génie et l’inspiration.

    Plus tard, à partir de 1591, il travailla sans rencontrer le succès à la paraphrase des Psaumes, qui n’est qu’un commentaire spirituel du texte sacré, mais qui deviendra rapidement  une des formes majeures du lyrisme religieux initié par Baïf et poursuivi ensuite par Bertaut et Malherbe.  Desportes mourra à l’Abbaye Notre-Dame de Bonport  le 5 octobre 1606. Il restera dans l’histoire de la poésie française comme le représentant le plus important, avec Du Bartas, de la fin du seizième siècle, avec une approche poétique infiniment plus intellectuelle que sentimentale.

    Son principal critique sera Malherbe, lequel lui rendra  hommage à sa façon en le critiquant de manière tellement outrancière que ses contemporains estimèrent que cette attitude traduisait une forme d’admiration. En fait le principal reproche que l’on pourrait faire à Desportes, plus que son manièrisme, est son coté servile, courtisan et mondain, bref quelqu’un qui ne fait jamais entendre sa voix. Sa poésie semble n’avoir d’autre fin que lui-même.   

    Michel Escatafal