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littérature - Page 20

  • Un poète surtout reconnu à l’étranger

    du bartas.jpgNé à Montfort, près d’Auch, en 1544, docteur en droit en 1567, Guillaume de Salluste, seigneur du Bartas, gentilhomme de la chambre d’Henri de Navarre (futur Henri IV) qui lui  confia plusieurs missions diplomatiques, notamment auprès de Jacques VI d’Ecosse, était un calviniste convaincu. A ce titre il prit part aux guerres de religion, et fut même grièvement blessé à la bataille d’Ivry en 1590. Il publia d’abord un premier poème en six chants, composé à la requête de Jeanne d’Albret (mère du futur HenriIV), Judith. Ensuite il composa une sorte d’épopée religieuse en alexandrins, la Sepmaine (1579) en partie inspirée de Saint-Augustin, qui  se voulait la description et la glorification de l’œuvre des sept jours. Mais si la conception de ce dessein a quelque chose de grandiose, avec une encyclopédie  des connaissances de son époque  qu’il appelait lui-même « le sucre des connaissances humaines », l’exécution est médiocre. 

    Le poème est dépourvu de grâce, de variété, souvent emphatique ou plat, plein de fautes contre le bon goût, de locutions créées, mais plus hardies que pittoresques. Cependant le succès de la Sepmaine  fut très grand auprès  de ses  contemporains, au point qu’il bénéficia d’une gloire qui égalait, voire même surpassait, celle de Ronsard. A ce propos, étonné du succès de ce rival inattendu, le grand maître s’est cru obligé d’écrire : « Il est temps que Ronsard descende du Parnasse et cède la place à Du Bartas que le ciel a fait naître un si grand poète ». La postérité n’a pas ratifié ce jugement, du moins en France, où il reste considéré comme un écrivain de seconde zone. En revanche, à l’étranger, on nomme plusieurs grands poètes, dont  le pamphlétaire anglais Milton (1608-1674) par-dessus tous les autres, qui se sont inspirés de Du Bartas. En outre, l’on cite sans cesse quelques phrases de Goethe singulièrement honorables pour lui.

    En effet, dans une note (sur le Goût) de sa traduction du Neveu de Rameau, Goethe dit que, si les Français ne citent Du Bartas qu’avec mépris (mot qui paraîtrait  excessif de nos jours), les Allemands « aperçoivent dans ses œuvres, étrangement mêlées il est vrai, tous les éléments de la poésie française…Du Bartas a trouvé l’occasion de donner, sous forme de peintures, de récits, de descriptions, de préceptes, un tableau naïf de l’univers…Tout auteur français devrait porter dans son blason poétique un symbole de l’œuvre de Du Bartas ».  Et le génial auteur allemand d’ajouter « que si les Français cependant ne goûtent pas cette poésie si riche de couleurs variées, c’est à cause de l’effort continuel de raison qui s’est produit chez eux pour séparer de plus en plus les divers genres de la poésie et du style ».

    Du Bartas voulait donner une suite à son poème, une Seconde Sepmaine, dans laquelle les grands évènements racontés par la Bible devaient être passés en revue. Dans cette œuvre le poète est partagé entre la nécessité d’embellir un réel qui en a bien besoin et la recherche de la vérité. Nous pourrions aussi dire qu’il transmet la réalité en déguisant la vérité des choses. Du Bartas se veut aussi de plus en plus comme un poète ou un écrivain au savoir universel, un peu à l’image de Rabelais. Hélas, il ne pourra composer que deux jours complets de cette Seconde Sepmaine,  et des fragments des cinq autres. Il mourra à Paris en 1590, suite sans doute des  suites de ses blessures à Ivry.

    Michel Escatafal

  • La tragédie à Rome

    A la différence de la tragédie grecque qui est restée l’illustration lumineuse et passionnée de la religion hellénique, l’inspiration religieuse est complètement absente des œuvres tragiques romaines. Les poètes ne prennent à Eschyle (525-456 av. J.C.) et Sophocle (496-406 av. J.C.) que leurs fables, non le souffle religieux qui les soutient. Plus volontiers ils suivent les traces d’Euripide (480 à 406 av. J.C.), qui ne respectait pas comme ses deux contemporains les valeurs morales traditionnelles, ni les dieux, et reproduisent sa philosophie toute de sens commun. Le lyrisme sera donc absent de ces pièces où on évoquait les catastrophes de la destinée humaine et la toute-puissance des dieux. Les monodies elles-mêmes ont perdu de leur importance, et sont remplacées par des chants qui soutiennent les accents de la flûte et dont un musicien débite les paroles, tandis que l’histrion exprime par la pantomime les sentiments dont il doit être animé.

    Toutefois il serait faux de prétendre qu’il n’y a jamais eu de vraies tragédies à Rome. Au contraire, nous savons par Cicéron que la tragédie a longtemps excité l’enthousiasme populaire. Il nous reste encore les noms de nombreux auteurs tragiques et nous possédons les titres de près de cent cinquante tragédies. A ce propos, comme pour la comédie, on peut s’étonner encore une fois que les Romains se soient intéressés à des œuvres qui ne mettaient sous leurs yeux que des légendes étrangères, mais ces poètes ont plus ou moins toujours choisi leurs sujets dans le cycle troyen. En outre, comme  Plaute et Térence, ils prirent quelques libertés dans l’imitation de leurs modèles grecs.

    En effet, devant la simplicité extrême des tragédies grecques, les poètes tragiques n’ont jamais hésité à augmenter le nombre de leurs personnages pour donner à l’intrigue davantage de mouvement et de complications. Ils inventaient aussi des incidents ou des développements pris au besoin dans d’autres œuvres écrites sur le même sujet. En outre, pour plaire à un public ayant un goût évident pour le clinquant, ils transformaient en héros les personnages quelque peu falots du théâtre grec. Bref, il fallait à tout prix intéresser le spectateur, et finalement la tragédie romaine y est assez bien parvenue, même si certains ont été loin de lui trouver les vertus attribuées aux Grecs.

    En résumé la tragédie romaine a été l’objet de jugements sans doute trop sévères, moins d’ailleurs pour les défauts qu’on lui attribue que parce qu’on ne peut guère connaître ses qualités, aucune tragédie d’un auteur latin ne nous étant arrivée dans son entier. Nous n’avons que des fragments plus ou moins étendus, plus ou moins nombreux, sur lesquels il serait aventureux de vouloir juger en toute objectivité les hommes et les œuvres. Et parmi ces hommes, les deux principaux représentants du genre s’appelaient Pacuvius et Attius.

    Pacuvius était le neveu d’Ennius par sa soeur, et il voulut devenir son émule. Il naquit à Brindes (vers 220 av. J.C.) et vint très tôt à Rome, où il se fit connaître d’abord comme peintre en décorant le temple d’Hercule vainqueur (le plus ancien qui se soit conservé jusqu’à nos jours). Ses talents, mais aussi l’appui de son oncle, lui ouvrirent la célèbre maison de Scipion. Il y fut tellement bien accueilli que Lelius, consul romain, l’appelait « son hôte et son ami ». La vie de Pacuvius s’est semble-t-il écoulée dans l’étude et la retraite, ce qui lui réussit puisqu’il mourut à un âge canonique pour l’époque (90 ans) à Tarente. Avant de mourir, il écrivit une épitaphe à la fois touchante et modeste à mettre sur sa tombe : «  Jeune voyageur, si pressé que tu sois, cette pierre t’invite à la regarder et à lire ce qu’on y a gravé. Ici sont les os du poète Pacuvius. Je ne voulais pas te le laisser ignorer. Adieu ! »

    Globalement il a peu produit, et son style qu’il travaillait beaucoup était plutôt laborieux, sans aucune délicatesse. Cependant les anciens le proclamaient « le poète docte entre tous ». Parmi les titres de ses œuvres les plus connues on peut citer Antiopa, issue d’Euripide, Armorum judicium,  et la seule qui soit à personnages romains, Paulus, qui mettait en scène le vainqueur de la bataille de Pydna (168 av. J.C.), lequel était le fils de Paul-Emile, le vaincu de Canne face à Hannibal en 216 av. J.C. Cette pièce est une des plus représentatives de ce qu’on a appelé la tragédie nationale (prétexte)  qui, en réalité, exaltait la romanité en célébrant les victoires sur des ennemis de toutes sortes.

    Plus jeune que Pacuvius, Attius naquit à Pissarum (Pesaro) vers 180, d’un riche affranchi. A ses débuts il alla trouver son prédécesseur et lui lut ses vers. Pacuvius apprécia,  même s’il trouva cette poésie un peu âpre, ce qui lui valut cette réplique d’Attius : «  Tant mieux, les fruits verts peuvent mûrir ; ceux qui sont doux dès l’abord, pourrissent d’habitude ». On retrouvait là tout le caractère d’Attius qui, comme son talent, avait pour marque la fierté. On raconte que lorsque Julius Cesar Strabon (130 av. J.C.-87), politicien romain bien connu et auteur lui-même de trois tragédies,  entrait dans le collège des poètes, Attius ne se levait pas à son approche, parce qu’en ce lieu l’affranchi était par ses œuvres l’égal du grand seigneur.

    Dans sa longue carrière Attius donna plus de cinquante tragédies qu’on a perdues, mis à part quelques fragments, et qui étaient presque toutes empruntées aux Grecs. Deux  surtout, le Brutus et le Decius furent accueillies avec transport parce que représentatives elles aussi de la tragédie prétexte, où le poète avait pu mettre la flamme de son âme ardente et pleine de patriotisme.  Le Brutus racontait apparemment la révolution de 509 qui a chassé le dernier roi pour instaurer la république, avec pour héros un certain Brutus, mais honorait en réalité un descendant lointain de ce Brutus, nommé Junius Brutus, consul en 138 et protecteur d’Attius. C’est d’ailleurs cela qui fait dire que chez Pacuvius comme  chez Attius, si l’imitation des Grecs a dominé il y avait aussi le désir de flatter de puissants protecteurs. Décidément le monde ne changera jamais !

    Michel Escatafal

  • Un humaniste victime de l'obscurantisme religieux

    grévin.jpgNé vers 1540 à Clermont-en-Beauvaisis (département de l’Oise en Picardie), fils de drapier, mort en exil en 1570 à Turin, Jacques Grévin qui fut médecin de Marguerite de Savoie, sœur d’Henri II, passe pour l’un des poètes les plus remarquables de l’école de Ronsard. Ce dernier avait d’ailleurs loué hautement son talent, avant que Grévin, blessé des attaques que Ronsard avait dirigées contre le calvinisme, se fut déclaré son adversaire. 

     

    Pour rappel, à la suite de la publication de son Discours des misères de ce temps en 1562,  Ronsard avait été violemment attaqué dans une série de poèmes satiriques, dont les auteurs étaient Florent Chrestien, l’un des futurs auteurs de la Ménippée, le ministre La Roche-Chandieu (huguenot français né en 1534 et mort en 1591) célèbre pour l’affaire du mémoire porté à Catherine de Médicis, et Jacques Grévin.

     

    Dans sa courte carrière, et sans abandonner l’étude et la pratique de la médecine avant d’en être rayé de l’ordre pour fait de calvinisme, Grévin publia, outre des poésies diverses parmi lesquelles on remarque un recueil de poésies amoureuses en deux livres, l’Olympe, une tragédie en cinq actes qui rencontra un grand succès, César (1560), inspirée d’une tragédie latine de Muret (1526-1585), traduite diront certains ce qu’a toujours réfuté Grévin, et deux comédies, la Trésorière (1558) et les Esbahis (1560). Les deux comédies par la forme comme par le sujet, rappellent l’Eugène de Jodelle, mais la tragédie de Grévin est bien supérieure à Cléopâtre et Didon de ce même Jodelle. Le style en est à la fois plus soutenu et moins déclamatoire.

     

    A ce propos il est dommage que Grévin mourût aussi jeune, car il écrivit de nombreuses poésies qu’il n’eut pas le temps d’éditer ou d’achever. Compte tenu du talent qu’il avait démontré auparavant la littérature a perdu, sans aucun doute, quelques une de ses plus belles pages. Et s’il en fallait une preuve supplémentaire, il suffit de lire et étudier La Gélodacrye (le rire et les larmes selon l’éthymologie grecque, thème déjà développé par Rabelais), éditée vers 1560, et les Vingt-quatre sonnets romains que l’on date des années 1568-1570.

     

    La Gélodacrye est un recueil satirique de sonnets, proche des Regrets de du Bellay. Quant aux Vingt-quatre sonnets romains,  ils se rapprochent des Antiquités de ce même du Bellay. Ces sonnets marquent cruellement le désenchantement d’un humaniste convaincu, devant l’obscurantisme des catholiques de l’époque. Pour mémoire je rappellerais que « la Saint-Barthélémy », nom entré dans l’histoire en raison du massacre organisé des protestants (3000 morts), exécuté sur ordre de Charles IX à l’instigation de Catherine de Médicis et des Guise, eut lieu la nuit du 23 août 1572.

     

    Michel Escatafal

     

  • Deux admirateurs de la Pléiade...

    passerat.jpgvauquelin.jpgNé à Troyes en 1534, mort en 1602, Jean Passerat étudia le droit à Bourges. A Paris, il fut professeur d’humanités au Collège du Plessis, puis professeur de poésie latine au Collège Royal en  1572. Il a laissé, outre quelques travaux d’érudition, des poésies latines et françaises, ces dernières comprenant des sonnets, des chansons, des élégies, des quatrains, des épitaphes et quelques pièces plus longues, notamment un petit poème didactique, le Chien courant. A ce propos, aimant sans doute la chasse, il a aussi écrit un autre poème sur le même thème, Le Cerf d’amour. Ces deux poèmes ont été dédiés à Henri IV. Enfin, il ne faut pas oublier que  la plupart des vers français de la Ménippée  sont de lui.

    Il n’a jamais eu les honneurs de la Pléiade(1), bien qu’ayant été parmi les amis de Ronsard et avoir écrit purement à son goût, au même titre que Rémi Belleau ou Baïf. Cependant,  pour beaucoup de ses contemporains,  il eut mérité d’y figurer. D’ailleurs il a laissé une trace supérieure à la leur aux yeux de la postérité, parce qu’il n’était pas qu’un poète. Il ne se contentait pas de céder à la verve lyrique des gens de la Pléiade, mais il allait beaucoup plus loin en faisant partie de ceux qui ont conçu l’idée de la satire des mœurs. Vauquelin suivra son chemin.

    Jean Vauquelin de la Fresnaye est né près de Falaise, aujourd’hui dans le département du Calvados, en 1535. Après avoir fait ses études à Paris et à Poitiers, Il fut avocat du roi au bailliage de Caen, puis lieutenant général  et  président au présidial de Caen. Disciple de Ronsard et ami de Baïf, il a donné des poésies pastorales appelées Foresteries (1555), puis des Idillies, ou suivant la traduction qu’il donne de ce mot traduit du grec, « imagettes », petits tableaux à sujets variés.  A noter que le plus grand nombre des idylles de Théocrite, créateur du genre, ont en effet un caractère pastoral.

    On n’oubliera pas non plus des Satyres françoises, imitées souvent de très près des satiriques latins et italiens, des Sonnets d’un caractère généralement élevé. Cependant son œuvre la plus longue et la plus accomplie est son Art Poétique françois, en trois livres, publié en 1605, rempli d’imitations d’Horace, dont Vauquelin de la Fresnaye délaie souvent la pensée. Du coup, la composition en est parfois confuse, la versification prosaïque et sans grâce.

    Mais, ainsi que celui de Boileau, à un niveau inférieur toutefois, ce poème d’un disciple et d’un admirateur de la Pléiade reste comme un témoignage intéressant du goût et des théories d’une école et d’une époque. Vauquelin, qui mourut en 1607, est un de ceux qui ont revendiqué pour les poètes modernes le droit de traiter suivant les règles classiques des sujets chrétiens, ce qui est une sorte de conciliation de la tradition antique et de celle du moyen âge.

     

    (1)La Pléiade est un groupe de sept poètes français du XVIe siècle rassemblés autour de Ronsard. Les six autres sont Joachim du Bellay, Nicolas Denisot, Jacques Peletier du Mans, Rémy Belleau, Antoine de Baïf et Etienne Jodelle. À la mort de Jacques Peletier du Mans, Jean Dorat prendra sa place.

    Michel Escatafal

  • Terence (vers 190-159 avant J.C.) : le sourire plutôt que le rire

    Térence.jpgAncien esclave venu de Carthage où il est né entre la deuxième et la troisième guerre punique, arrivé à Rome on ne sait comment, Térence a été affranchi très jeune par le sénateur Terentius Lucanus.  Celui-ci ébloui par son intelligence lui permit d’acquérir une éducation très littéraire, lui donna son nom comme c’était l’usage, et l’introduisit dans la société des Scipion dont il devient le protégé attitré. La maison de Scipion Emilien, lui-même de grande culture, est le rendez-vous des lettrés et des hommes du monde. Ils l’étaient tellement d’ailleurs que certains, du vivant de Térence, n’ont pas hésité à dire que ce cercle avait largement participé à la rédaction de ses pièces, ce que le poète réfuta.

     Térence fit représenter sa première  comédie à l’âge de dix neuf ans. Ensuite il en donna cinq autres, et il partit pour la Grèce qui est la terre où vécurent ses modèles. Il y resta un an où il écrivit beaucoup, avant de décider de retourner en Italie. Il mourut pendant le voyage, sans que l’on sache s’il périt dans un naufrage, ou s’il mourut simplement du regret d’avoir perdu, avec ses bagages, tout le fruit de son travail. Il avait tout juste une trentaine d’années. Il ne nous reste de lui que six comédies, dont la succession chronologique nous est connue, ce qui est rare dans les œuvres de l’Antiquité.

    Sa première pièce, la plus célèbre, s’appelle l’Andrienne (166 avant J.C) où l’on découvre le pouvoir de la tentation charnelle face aux préceptes enseignés. Ensuite il y aura l’Hécira (belle-mère) en 165, sorte de drame bourgeois avec un adultère qui finit bien, puis un peu plus tard Heautontimorumenos (bourreau de soi-même) en 163, qui contient nombre de situations curieuses avec un père qui ne supporte pas les folies de son fils mais qui, quelque part, s’en rend coupable au point de souffrir d’une mesure disciplinaire dont il a frappé son fils. Phormion (161) est une pièce dont Molière s’est inspirée pour écrire les Fourberies de Scapin,  qui retrace les aventures d’un parasite complaisant, empressé et dévoué.

    Dans l’Eunuque (161 également), tirée de Ménandre mais tellement bien aménagée qu’elle ressemble à un original, on décrit un jeune homme tiraillé entre sa passion pour une courtisane et le sentiment de sa dignité, ce qui fait penser à certaines pièces de Corneille.  Ce fut son succès le plus populaire qui, en outre, lui rapporta beaucoup d’argent.  Enfin en 160, Térence donna sa dernière pièces, les Adelphes (les frères), dont Molière a emprunté l’idée première de l’Ecole des Maris, avec deux frères très dissemblables, l’un prenant la vie avec bonne humeur et l’autre au contraire constamment dur avec lui-même, en total  désaccord sur l’éducation des enfants.

    Autant de situations ingénieusement inventées qui ne suffisent pas toutefois pour attirer le public comme l’a fait Plaute. Ses pièces sont plus élégantes que celles de Plaute, mais elles font moins rire un public dont on a vu qu’il se plaisait dans le genre vulgaire, et qui admire avant tout les gladiateurs ou les funambules. Le théâtre de Térence lui s’adresse à la haute société des lettrés qui, groupée autour de Lélius et Scipion, formait ce que l’on appelait « les honnêtes gens ».  Plaute avait surtout imité des poètes d’inspiration populaire, alors que Térence suivit surtout Ménandre chez qui il trouvait tout à la fois la mesure et la convenance, qualités qui pouvaient le plus charmer ses illustres amis, et  qui s’accommodaient tout simplement à son talent personnel.

    Cependant, comme je l’ai dit précédemment, Térence ne s’est pas contenté de marcher servilement sur les traces de Ménandre.  Lui aussi comme Plaute, mais différemment, aura toujours grand soin de donner une physionomie romaine aux détails de mœurs. En outre il sera différent de son modèle dans la forme en accélérant l’intrigue, les Grecs plus subtils que les Romains acceptant des monologues ou des tirades avançant  dans une douce tranquillité. Au contraire, il faut aux Romains des personnages qui viendront mettre de l’animation, mais qui n’obligent pas à trop réfléchir. 

    Bref, à partir de textes grecs il veulent des pièces latines, et Térence essaiera de répondre à ces desiderata, au point d’être considéré comme « un profanateur » par le vieux poète Luscius Lavinius, ce que certains ont pris pour de la jalousie. C’était surtout très injuste, car malgré ses efforts pour nourrir ses intrigues avec plus de vivacité, l’action a du mal à s’emballer comme certains l’auraient souhaité, à commencer par César qui regrettait que Térence n’ait pas eu « la verve ». D’ailleurs jusqu’à la fin de l’empire romain, on n’a repris que des pièces de Plaute ce qui est sans aucun doute une faute de goût.   

    Un dernier mot enfin,  le style du grand poète est d’une grande pureté, et cela s’applique à l’ensemble de son œuvre.  Le langage n’est jamais grossier dans ses pièces, y compris celui sortant de la bouche des esclaves. Térence,  qui s’est complu essentiellement dans les scènes de la vie de famille,  fait toujours preuve de sobriété et d’aisance dans son expression. Il circule dans ses écrits une sensibilité exquise, une imagination discrète mais aussi riante et lumineuse. En fait certains ont osé dire que le langage de Térence prépare la prose charmante des lettres de Cicéron (106-43 av. J.C.), et plus loin les plus délicieuses pages de Virgile (70-19 av. J.C.). N’est-ce pas le plus beau compliment dont il eut rêvé ?

    Michel Escatafal