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La tragédie à Rome

A la différence de la tragédie grecque qui est restée l’illustration lumineuse et passionnée de la religion hellénique, l’inspiration religieuse est complètement absente des œuvres tragiques romaines. Les poètes ne prennent à Eschyle (525-456 av. J.C.) et Sophocle (496-406 av. J.C.) que leurs fables, non le souffle religieux qui les soutient. Plus volontiers ils suivent les traces d’Euripide (480 à 406 av. J.C.), qui ne respectait pas comme ses deux contemporains les valeurs morales traditionnelles, ni les dieux, et reproduisent sa philosophie toute de sens commun. Le lyrisme sera donc absent de ces pièces où on évoquait les catastrophes de la destinée humaine et la toute-puissance des dieux. Les monodies elles-mêmes ont perdu de leur importance, et sont remplacées par des chants qui soutiennent les accents de la flûte et dont un musicien débite les paroles, tandis que l’histrion exprime par la pantomime les sentiments dont il doit être animé.

Toutefois il serait faux de prétendre qu’il n’y a jamais eu de vraies tragédies à Rome. Au contraire, nous savons par Cicéron que la tragédie a longtemps excité l’enthousiasme populaire. Il nous reste encore les noms de nombreux auteurs tragiques et nous possédons les titres de près de cent cinquante tragédies. A ce propos, comme pour la comédie, on peut s’étonner encore une fois que les Romains se soient intéressés à des œuvres qui ne mettaient sous leurs yeux que des légendes étrangères, mais ces poètes ont plus ou moins toujours choisi leurs sujets dans le cycle troyen. En outre, comme  Plaute et Térence, ils prirent quelques libertés dans l’imitation de leurs modèles grecs.

En effet, devant la simplicité extrême des tragédies grecques, les poètes tragiques n’ont jamais hésité à augmenter le nombre de leurs personnages pour donner à l’intrigue davantage de mouvement et de complications. Ils inventaient aussi des incidents ou des développements pris au besoin dans d’autres œuvres écrites sur le même sujet. En outre, pour plaire à un public ayant un goût évident pour le clinquant, ils transformaient en héros les personnages quelque peu falots du théâtre grec. Bref, il fallait à tout prix intéresser le spectateur, et finalement la tragédie romaine y est assez bien parvenue, même si certains ont été loin de lui trouver les vertus attribuées aux Grecs.

En résumé la tragédie romaine a été l’objet de jugements sans doute trop sévères, moins d’ailleurs pour les défauts qu’on lui attribue que parce qu’on ne peut guère connaître ses qualités, aucune tragédie d’un auteur latin ne nous étant arrivée dans son entier. Nous n’avons que des fragments plus ou moins étendus, plus ou moins nombreux, sur lesquels il serait aventureux de vouloir juger en toute objectivité les hommes et les œuvres. Et parmi ces hommes, les deux principaux représentants du genre s’appelaient Pacuvius et Attius.

Pacuvius était le neveu d’Ennius par sa soeur, et il voulut devenir son émule. Il naquit à Brindes (vers 220 av. J.C.) et vint très tôt à Rome, où il se fit connaître d’abord comme peintre en décorant le temple d’Hercule vainqueur (le plus ancien qui se soit conservé jusqu’à nos jours). Ses talents, mais aussi l’appui de son oncle, lui ouvrirent la célèbre maison de Scipion. Il y fut tellement bien accueilli que Lelius, consul romain, l’appelait « son hôte et son ami ». La vie de Pacuvius s’est semble-t-il écoulée dans l’étude et la retraite, ce qui lui réussit puisqu’il mourut à un âge canonique pour l’époque (90 ans) à Tarente. Avant de mourir, il écrivit une épitaphe à la fois touchante et modeste à mettre sur sa tombe : «  Jeune voyageur, si pressé que tu sois, cette pierre t’invite à la regarder et à lire ce qu’on y a gravé. Ici sont les os du poète Pacuvius. Je ne voulais pas te le laisser ignorer. Adieu ! »

Globalement il a peu produit, et son style qu’il travaillait beaucoup était plutôt laborieux, sans aucune délicatesse. Cependant les anciens le proclamaient « le poète docte entre tous ». Parmi les titres de ses œuvres les plus connues on peut citer Antiopa, issue d’Euripide, Armorum judicium,  et la seule qui soit à personnages romains, Paulus, qui mettait en scène le vainqueur de la bataille de Pydna (168 av. J.C.), lequel était le fils de Paul-Emile, le vaincu de Canne face à Hannibal en 216 av. J.C. Cette pièce est une des plus représentatives de ce qu’on a appelé la tragédie nationale (prétexte)  qui, en réalité, exaltait la romanité en célébrant les victoires sur des ennemis de toutes sortes.

Plus jeune que Pacuvius, Attius naquit à Pissarum (Pesaro) vers 180, d’un riche affranchi. A ses débuts il alla trouver son prédécesseur et lui lut ses vers. Pacuvius apprécia,  même s’il trouva cette poésie un peu âpre, ce qui lui valut cette réplique d’Attius : «  Tant mieux, les fruits verts peuvent mûrir ; ceux qui sont doux dès l’abord, pourrissent d’habitude ». On retrouvait là tout le caractère d’Attius qui, comme son talent, avait pour marque la fierté. On raconte que lorsque Julius Cesar Strabon (130 av. J.C.-87), politicien romain bien connu et auteur lui-même de trois tragédies,  entrait dans le collège des poètes, Attius ne se levait pas à son approche, parce qu’en ce lieu l’affranchi était par ses œuvres l’égal du grand seigneur.

Dans sa longue carrière Attius donna plus de cinquante tragédies qu’on a perdues, mis à part quelques fragments, et qui étaient presque toutes empruntées aux Grecs. Deux  surtout, le Brutus et le Decius furent accueillies avec transport parce que représentatives elles aussi de la tragédie prétexte, où le poète avait pu mettre la flamme de son âme ardente et pleine de patriotisme.  Le Brutus racontait apparemment la révolution de 509 qui a chassé le dernier roi pour instaurer la république, avec pour héros un certain Brutus, mais honorait en réalité un descendant lointain de ce Brutus, nommé Junius Brutus, consul en 138 et protecteur d’Attius. C’est d’ailleurs cela qui fait dire que chez Pacuvius comme  chez Attius, si l’imitation des Grecs a dominé il y avait aussi le désir de flatter de puissants protecteurs. Décidément le monde ne changera jamais !

Michel Escatafal

Commentaires

  • Je vous vante pour votre recherche. c'est un vrai travail d'écriture. Développez .

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