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  • La littérature au siècle d’Auguste

    littérature,histoire,romeLa littérature au siècle d’Auguste représente le moment où elle atteint sa maturité, grâce à un ensemble de circonstances favorables qui permit aux écrivains de profiter pleinement du long travail de préparation qui s’était accompli aux époques antérieures. Cela me fait un peu penser à ce qui s’est passé en France au dix-septième siècle, époque ô combien dorée dans l’histoire de la littérature de notre pays.

    Après les dernières années de la République à Rome, pendant lesquelles l’activité politique avait été tendue à l’extrême, le calme était devenu une nécessité, comme à la fin de chaque période où règnent le  conflit violent des idées, des intérêts et des passions. Les révolutions, en effet, sont pareilles aux flots qui ne fécondent le sol que lorsqu’ils s’en sont retirés. Ainsi, à ce moment de l’histoire romaine, la littérature s’est surtout attachée à ce qu’il y avait de plus général, étudiant l’homme dans ce qu’il a de permanent, ses créations acquérant le caractère d’intérêt éternel, qui est la marque des œuvres classiques.

    C’est d’ailleurs dans ce contexte que les Romains, ayant avant tout besoin de calme, ont souhaité et accepté  volontiers un pouvoir fort leur garantissant le repos, pour peu que celui-ci soit relativement modéré, ce qui n’était  pas nécessairement antinomique à cette époque. C’est ce que comprit Auguste qui,  bien qu’exerçant un pouvoir absolu, l’exerça avec une certaine mesure, au moins pendant les premières années de son long règne (27 av. J. C. à  14). Et cette modération s’étendit des choses du gouvernement à celles de l’esprit, avec des écrivains qui, se trouvant indépendants, mirent dans toutes leurs conceptions un heureux et harmonieux équilibre.

    Auguste eut même l’habileté de laisser au peuple romain l’illusion que la perte de sa souveraineté ne coûtait rien à son orgueil.  Il sut conserver les formes républicaines, allant même jusqu’à laisser croire que l’empire naissant était le vrai restaurateur de la république. Dans ce cadre, il marqua nettement son désir de respecter les traditions du passé, rendant sans cesse hommage au génie et aux vertus de la civilisation romaine. Cela ne l’empêcha pas de rendre plus visible la grandeur de Rome, maîtresse de l’univers connu à l’époque, par la construction de superbes édifices, comme le théâtre de Marcellus, le Panthéon d’Agrippa, le temple d’Apollon Palatin, sans parler de l’ouverture de magnifiques promenades qui donnaient à la ville un aspect digne de la capitale du monde.

    Dans un tel cadre, l’inspiration patriotique ne manquait pas aux grands artistes, ces derniers célébrant le passé pour mieux préparer l’avenir éclatant qui se préparait. Les écrivains furent ainsi les grands bénéficiaires de cette paix publique, qui leur assurait à la fois leur entrée dans la postérité et le public, pour récompenser au présent la qualité de leurs travaux. Les Romains en effet, se désintéressant de plus en plus de la politique, finirent par se passionner pour la littérature, du moins dans les hautes classes de la société, qui appréciaient d’autant plus de se livrer au plaisir des arts qu’elles étaient  réduites à l’inaction civique.

    Auguste traitait les grands écrivains, Virgile, Horace, Tite-Live, avec une familiarité spirituelle et affectueuse. Mécène (70-8 av. J.C.), très proche d’Auguste qui était aussi l’amant de sa femme,  réunit autour de lui une sorte d’académie de beaux-esprits où l’on cherchait à découvrir et à recommander le mérite. Ce surintendant des beaux-arts allait ainsi regrouper les talents autour du pouvoir. Quant aux aristocrates, y compris ceux qui sont méfiants vis-à-vis du nouveau régime, ils croient s’honorer en imitant la faveur que le nouvel homme fort témoigne aux lettres. Simplement ils étaient peut-être encore plus exigeants en termes de qualité que les autres. Bref, il fallait pour  plaire à tout ce joli monde, ce qu’on nommait à Rome l’urbanité.

    Avec eux « il faut que la précision donne des ailes à la pensée, pour qu’elle ne s’empêtre pas dans un verbiage dont l’oreille se fatigue ; il faut savoir passer du sévère au gracieux, se montrer tantôt orateur, tantôt poète, et quelquefois avec le tact d’un homme du monde, ménager ses forces et en cacher à dessein la moitié » ( Horace, Satires, 1,10). Dit autrement, ce que réclame un tel public, c’est surtout le soin, la justesse, la souplesse, la variété, le goût en un mot, et ce sont ces qualités en effet que les grands écrivains de cette époque possédèrent en perfection.

    Toutefois ce moment de grâce si brillant fut finalement très court et, très vite, on commença à déceler les premiers symptômes de quelques uns des défauts qui marquent le déclin des lettres latines. Tout d’abord, faute de vie et de réelles discussions, l’éloquence du Forum ne pouvait survivre, même si le goût des Romains pour la parole vivante continuait à maintenir, ça et là, des écoles où la jeunesse pouvait se livrer à des exercices oratoires. On y apprenait à partir d’un fait imaginaire à discuter et à appliquer un texte de loi, ces controverses (comme on les appelait) préparant au barreau. On faisait même débattre des questions politiques…empruntées à l’histoire (suasoriae), la déclamation devenant de l’art pour l’art.

    Mais il n’y avait pas que des jeunes gens pour se livrer à ces exercices, car pour certains c’était devenu une profession où la subtilité côtoyait l’emphase. Parmi ceux-ci il faut citer  Asinius Pollion (76 av. J.C.- 4 de notre ère), à la fois orateur, historien et poète, Albucius Silus (60 av. J.C.-10 de notre ère), écrivain-déclamateur, mais aussi Porcius Latro, originaire de Cordoue comme le père de Sénèque (60 av. J.C.-39 de notre ère), les deux hommes ayant terminé leurs études à Rome sous la direction d’un de leurs compatriotes, Marullus, qui tenait une école de rhétorique.

    Ensuite, avec Horace et Virgile, la poésie donna des modèles accomplis, mais elle se ressentait du divorce de plus en plus grand entre la plèbe et les classes supérieures, déjà perçu dès l’époque précédente.  Le peuple n’était plus que la populace, et les genres populaires disparaissaient presque entièrement. Il n’y avait plus de théâtre, et le mime cède alors la place à la pantomime, qui n’était rien d’autre qu’un spectacle. Quant aux tragédies, elles ne se font tolérer qu’au prix d’un grand déploiement de mise en scène. Horace en avertit ses lecteurs, en affirmant « qu’on ne va plus au théâtre pour charmer les oreilles, mais pour n’y goûter que le plaisir des yeux ». Quand aux œuvres qui s’adressent au public distingué, la plupart laissent voir qu’elles sont faites pour un public restreint, donc pour une élite. Résultat, elles s’arrêtent au cénacle et à la coterie.

    Conclusion, les artistes n’écrivent plus que pour des petits groupes qui ont leurs engouements et leurs manies, recherchant avant tout les habiletés de métier ou les tours d’adresse, qui seront applaudis par les cercles d’amateurs. Or, si l’on en croit Horace, le goût pour les vers dégénéra assez vite en métromanie, et la sincérité du goût se perdit dans ce milieu devenu très artificiel, où on ne lisait plus que des poèmes devant un auditoire choisi et, disons-le, conquis d’avance. On retrouve l’influence fâcheuse de ces lectures publiques, comme on les appelait, non seulement chez des auteurs de second ordre, mais aussi chez Ovide.

    En contrepartie, elles ont permis aux auteurs de s’affranchir de l’arbitraire et même de la tyrannie des libraires, si l’on en croit Juvénal dans ses Satires, et d’échapper au contrôle de la production littéraire, car les successeurs d’Auguste n’ont pas eu tous la sagesse dont ce dernier a fait preuve pendant la première partie de son règne. D’ailleurs Sénèque (2-65), le philosophe, mais aussi Tacite (35-120) et Juvénal (42-125), ont attesté de la vitalité de la littérature latine grâce à ces lectures publiques.

    Michel Escatafal

  • Le Sage, l'auteur de l'histoire de Gil Blas de Santillane et bien plus encore

    Le Sage.jpgAlain-René Lesage est né à Sarzeau (Morbihan) le 6 mai 1668 et mort à Boulogne-sur-Mer le 17 novembre  1747. Après s’être essayé à divers métiers et avoir traduit, pour gagner de l’argent, plusieurs pièces espagnoles, il obtint son premier succès en 1707 avec la petite comédie de Crispin rival de son maître. Ensuite il donna, la même année, un roman imité d’un auteur picaresque espagnol, le Diable boiteux. Pour mémoire je rappellerais que l’adjectif picaresque vient de l’espagnol picaro (vaurien), et se dit d’un genre de romans, fort nombreux en Espagne, et consacrés à la peinture des mœurs de la partie la moins recommandable de la société.

    Fermons la parenthèse, pour noter qu’en 1709 Lesage fait représenter Turcaret ou le Financier, comédie en cinq actes et en prose, un des chefs d’oeuvre de la scène française, et la comédie de mœurs la plus forte qui ait été écrite dans toute cette période si curieuse, qui comprend à peu près les trente dernières années du règne de Louis XIV. Mais le meilleur était encore à venir avec l’Histoire de Gil Blas de Santillane, publiée en trois fois (1715-1724-1735), et qui est  restée le titre définitif de Le Sage à l’admiration de la postérité.

    Cet ouvrage marque en effet  avec éclat une sorte de renouvellement du roman. Ce genre, qui s’était complu presque uniquement dans le récit des aventures et dans la description des passions héroïques ou héroï-comiques, revendiquait enfin pour lui la peinture des caractères et des mœurs, jusque-là réservée à la comédie et aux livres des moralistes. Le Sage n’oublie de dépeindre personne,  qu’il s’agisse des médecins,  poètes, comédiens, pédants, valets, voleurs, bourgeois, petits-maîtres, hommes d’Etat, hommes de loi ou hommes d’église. Mais il n’y a pas non plus une condition sociale par laquelle il néglige de faire passer son héros, dans cet ample récit constamment gai, même si cette gaieté est parfois un peu âpre et tendue, dont le style est un modèle de pureté, de vivacité et de malice.

    Le Sage a aussi composé quelques autres comédies et romans, notamment le Bachelier de Salamanque (1736), sans oublier une centaine de pièces pour le théâtre de la Foire avec Fuzelier (à la fois poète et chansonnier) à l’époque où ce dernier était un des principaux rédacteurs du Mercure de France. Ces pièces  contiennent souvent des scènes parfois très amusantes et finement satiriques.

    Toutefois, quelle que soit la qualité de toutes ces pièces, c’est quand même dans l’œuvre maîtresse de Le Sage, l’Histoire de Gil Blas de Santillane, que son génie s’exprime le mieux. Dans ce roman il peint effectivement les travers généraux de l’humanité, mais il a aussi attaqué à plusieurs reprises les défauts et les ridicules de ses contemporains. Il lui est même arrivé de faire des portraits, ce qui nous permet de reconnaître Voltaire dans le poète tragique Triaquero, dont il est question dans le livre X, que Le sage oppose, pour le rabaisser à Lope de Vega (Corneille) et à Calderon (Racine).

    Sous le nom de la marquise de Chaves, chacun savait qu’il voulait parler de Madame de Lambert (1647-1733), l’auteur des Avis d’une mère à sa fille et des Avis d’une mère à son fils, femme remarquable dont Fontenelle a écrit l’éloge, et dans le salon de laquelle se réunissaient les hommes les plus distingués de l’époque. Ses envieux et ses ennemis  reprochaient à ce salon de rappeler un peu trop ceux des anciennes précieuses, et c’est un sentiment que Le Sage ne paraît pas éloigné de partager.

    Dans le livre IV il est écrit : « La marquise de Chaves était une veuve de trente-cinq ans, belle, grande, et bien faite. Elle jouissait d’un revenu de dix mille ducats, et n’avait point d’enfant. Je n’ai jamais vu de femme plus sérieuse, ni qui parlât moins. Cela ne l’empêchait pas de passer pour la dame de Madrid la plus spirituelle. Le grand concours de personnes de qualité et de gens de lettres qu’on voyait chez elle tous les jours contribuait peut-être plus que son mérite à lui donner cette réputation. C’est une chose que je ne déciderai point. Je me contenterai de dire que son nom emportait une idée de génie supérieur, et que sa maison était appelée par excellence, dans la ville, le bureau des ouvrages d’esprit. Effectivement on y lisait chaque jour tantôt des poèmes dramatiques et tantôt d’autres poésies. Mais on n’y faisait guère que des lectures sérieuses ; les pièces comiques y étaient méprisées. On y regardait la meilleure comédie, ou le roman le plus ingénieux et le plus égayé, que comme une faible production qui ne méritait aucune louange ; au lieu que le moindre ouvrage sérieux, une ode, une églogue, un sonnet, y passait pour le plus grand effort de l’esprit humain. Il arrivait souvent que le public ne confirmait pas les jugements du bureau, et que même il sifflait impoliment les pièces qu’on y avait fort applaudies ».  

    C’est bien dit, c’est fin, mais c’est aussi assez mordant. Cela dit, tout ce roman est aussi admirable par  la façon dont Le Sage a su faire passer ses messages, en contournant la censure de l’époque. Il est vrai que le cadre tout espagnol du roman était un bon moyen pour apporter une satire sociale sans que celle-ci fût trop voyante.

    Michel Escatafal

  • Destouches représentait sur la scène les moeurs de son époque

    Philippe Néricault-Destouches, né le 9 avril 1680 à Tours d’un père écrivain et organiste, mort le 4 juillet 1754 à Villiers-en-Bière, mérite une des premières places parmi nos auteurs comiques de second ordre. C’était un homme d’un esprit inventif et chercheur. Chargé, de 1717 à 1723, d’une mission diplomatique à Londres, il connut le théâtre  anglais et sut en apprécier les mérites. D’ailleurs, on trouve dans ses œuvres, en même temps que le Dissipateur (1736), qui n’est pas sans analogie avec le Timon d’Athènes de Shakespeare, une traduction de quelques scènes de la Tempête de Dryden (1631-1700)) et Davenant (1605-1668), qui n’est elle-même qu’un remaniement peu heureux de la Tempête de Shakespeare. A cela s’ajoute une comédie, le Tambour nocturne, imitée d’Addison (1672-1719), homme politique et écrivain anglais, qui fut rendu célèbre plus par les articles qu’il fournit au journal le Spectateur que par ses poésies et ses œuvres dramatiques, trop peu originales.

    Les comédies originales de Destouches sont généralement considérées comme dignes d’attention. Sans renoncer à peindre, à l’exemple de Molière, des caractères généraux, Destouches cherche à représenter sur la scène les mœurs de son époque. De plus, il introduit le premier dans la comédie un élément pathétique et sérieux, et mérite d’être mis au nombre de ceux qui, avec des talents et des succès divers, et malgré les railleries des contemporains, ont contribué à renouveler en France le genre comique. Cependant il prend trop souvent le ton d’un moraliste, et, à part quelques scènes excellentes et sa farce de la Fausse Agnès, ses comédies, bien écrites et sagement conduites, paraissent manquer de gaieté, ce qui est pour le moins gênant. Ses deux meilleures œuvres sont le Philosophe marié (1727) et le Glorieux (1732).

    Dans le Philosophe marié, j’ai apprécié plus particulièrement la scène IV de l’acte I, avec comme personnages Ariste et Finette. Ariste a épousé Mélite qu’il aimait. Mais il redoute d’être déshérité par un oncle qui avait pour lui d’autres desseins. De plus, en sa qualité de philosophe, qui raisonne librement de toute chose, il s’est autrefois moqué du mariage et redoute à son tour les moqueries. Il veut donc  que tout le monde ignore qu’il est marié. Cette situation singulière et, avouons-le, assez invraisemblable, en amène d’autres fort piquantes et dans lesquelles la philosophie d’Ariste, qui est d’ailleurs un honnête homme, reste sans cesse en défaut, quand ses passions ou ses intérêts sont en jeu. Quant à Finette, elle est la suivante de Mélite, femme d’Ariste, et a, comme les servantes de Molière, son franc parler dans la maison.

    Finette en fait preuve,  notamment lorsque Ariste insiste pour qu’elle consente une fois pour toutes à garder le secret sur le mariage, ce qui lui vaut cette réplique : « C’est conscience à vous que de vouloir forcer,/ Pendant deux ans entiers, des femmes à se taire./ Pour moi, j’aimerais mieux vivre en un monastère,/ Jeûner, prier, veiller, et parler tout mon soûl ». Et pour bien se faire comprendre, Finette ajoute un peu plus loin : « Parmi vingt bons ragoûts, la plus grossière viande,/ Que l’on me défendrait constamment de goûter,/ Serait le seul morceau qui pourrait me tenter ». Cette réplique va finir de mettre en colère Ariste qui ira jusqu’à dire : « Quel travers ! Quel esprit de contradiction !/ Quel fonds d’intempérance et d’indiscrétion !.../ Voilà les femmes ». Il n’empêche, Ariste reconnaît bien volontiers que les « discours malins » de Finette « sont remplis de bon sens », et va essayer régler le problème en proposant de l’argent à Finette pour l’apaiser et lui imposer silence…ce que cette dernière accepte par cette remarque : « Tant que vous paierez bien, je vous réponds de moi ». Bien entendu tout s’arrangera à la fin, et chacun y trouvera son compte.

    En résumé, Destouches est assurément le meilleur de tous nos auteurs de comédies en vers, après Molière et Regnard, même si sa versification manque, comme ses inventions, de vivacité et de gaieté. Il aura en outre laissé à la postérité trois expressions que tout le monde connaît : « Les absents ont toujours tort » (l’Obstacle imprévu), « la critique est aisée, et l’art est difficile » (Le Glorieux) et « chassez le naturel, il revient au galop »(Le Glorieux). Et pour terminer cette période si riche en auteurs de théâtre de grand talent, je voudrais mentionner deux comédies qui furent célèbres dans la première partie du dix-huitième siècle, le Méchant (1733) de Gresset (1709-1777), et la Métromanie (1738) de Piron (1689-1773). La première, écrite en vers sans grand relief, mais non sans élégance, met en scène un caractère très général et assez peu net qui se développe à travers les incidents d’une intrigue enfantine. Quant à la seconde, plus vivante et pleine de verve, elle met en scène un caractère très particulier et dans lequel bien peu de gens peuvent se reconnaître, mais généreux autant que plaisant, et par la-même assez original.

    Michel Escatafal