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  • Vincent Voiture, flagorneur patenté

    voiture.jpgLa mode des  flagorneurs patentés  qui ne pensent qu’à servir le pouvoir ne date pas d’aujourd’hui. Avec Vincent Voiture (1598-1648), contemporain de Richelieu, on atteint même des sommets. Cela lui valut de faire partie de l’Académie française dès sa fondation,  et d’être l’écrivain le plus admiré et écouté de l’hôtel de Rambouillet. C’est d’ailleurs pour cela que la postérité n’a voulu retenir que quelques bribes de son œuvre, ses Lettres et ses poésies,  pourtant tellement vantées de son vivant.

    La meilleure illustration de cet éloge au pouvoir est contenue dans l’Apologie de Richelieu. Bien qu’il s’en défende, Vincent Voiture porte ses louanges à l’action du Cardinal au-delà de l’entendement. A l’écouter Richelieu ne cesse de faire des miracles. Et pour convaincre ses lecteurs, il n’hésite pas à s’inventer un correspondant adversaire de la politique de Richelieu, afin d’avoir lui-même un prétexte apparent pour mieux la défendre.  Il va même tellement loin dans la flatterie qu’il n’hésite pas à dire que deux cent ans après, tout le monde ne parlera du Cardinal « qu’en l’affectionnant ».

    Pourtant, contrairement à ce que prétend Voiture, si Richelieu vivait à notre époque il serait sévèrement jugé, car les finances de l’Etat furent dans une situation beaucoup moins prospère qu’à l’époque de Sully, au point que le peuple  accablé d’impôts et poussé par la misère se révolta dans plusieurs provinces du Royaume. Cela n’empêcha pas Voiture d’affirmer péremptoirement : « toutes les grandes choses coûtent beaucoup ».  Et il ajoutera : « quand tout ce qui doit être fait le sera, il (le Cardinal) ne s’occupera désormais qu’à rétablir le repos, la richesse et l’abondance ».

    Ainsi après avoir loué Richelieu de ses mérites, Voiture lui octroie par avance ceux dont il ne doute pas que son héros en fasse preuve bientôt.  C’est habile,  mais la flatterie a ses limites, car cela veut dire que les vertus dont le Cardinal fera preuve à l’avenir  lui ont manqué jusque là, et qu’il serait désirable qu’il les acquît enfin.  A vouloir trop en faire ou en dire, on finit par tomber dans l’affectation et le vide. C’est dommage parce que Voiture est capable d’idées intéressantes et de sentiments sincères.

    M.E.

  • Madame de Sévigné, un des écrivains français les plus originaux

    mme de sévigné.jpgNée en 1626, morte en 1696, orpheline dès son plus jeune âge, veuve à vingt-cinq ans, après seulement sept années de mariage, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, qui avait reçu elle-même par les soins de son oncle, Monsieur de Coulanges, les leçons des maîtres les plus illustres, se consacra toute entière à l’éducation de ses enfants, Charles et Françoise-Marguerite.  C’est surtout de cette dernière, qui devint en 1669 Madame de Grignan, qu’elle s’occupa plus particulièrement. Les lettres qu’elle écrivit à cette fille chérie, après son mariage et son départ pour le gouvernement de Provence, dont son mari était lieutenant général, forment la plus grande partie de cette correspondance célèbre.

    Quelques unes étaient déjà connues dans la société polie, et avaient  acquis une renommée du vivant de Madame de Sévigné, en précisant toutefois que la plupart n’ont été écrites que pour l’intimité. La variété du ton aussi bien que des sujets n’est d’ailleurs pas le moindre mérite de ces lettres. Celles-ci en effet nous racontent  les plus grands et les plus menus faits qu’elle ait  vus s’accomplir sous ses yeux ou dont elle a entendu parler.  Madame de Sévigné se peint surtout elle-même, avec ses vertus et ses faiblesses, ses hautes qualités et ses petits travers, prenant place ainsi, sans l’avoir cherché, parmi les écrivains français les plus originaux, parmi ceux qu’on égale peut-être mais qu’on n’imite et qu’on ne surpasse pas.

    En lisant ou relisant ces lettres, on en apprend évidemment beaucoup sur la grande et la petite histoire de France, sur le rôle de la religion à cette époque, et aussi sur la manière aussi dont on opérait à l’époque pour obtenir certaines faveurs, sans parler de l’incompréhension qu’ont parfois les parents vis-à-vis de leurs enfants, autant de choses qui finalement n’ont pas tellement changé depuis ce temps, sauf peut-être en ce qui concerne la religion. Parmi ces lettres j’en ai retenu quelques unes qui expriment tous ces sentiments à la fois.

    La première est une lettre écrite le jeudi 28 décembre 1673 à Madame de Grignan, et intitulée Déception. Elle a été écrite parce qu’un différend s’était élevé entre Monsieur de Grignan, gendre de Madame de Sévigné, et l’évêque de Marseille Forbin-Janson. Madame de Sévigné avait exprimé le désir que sa fille et son gendre viennent eux-mêmes à la cour pour plaider leur cause. Madame de Grignan s’y était refusé pour diverses raisons. C’est sur ce refus que la lettre de Madame de Sévigné, qui s’était réjouie d’avance à la pensée de voir de nouveau sa fille auprès d’elle, est écrite.

    Et au vu de cette lettre, elle ne lésina pas sur les moyens pour obtenir que son gendre, accompagné de sa femme, demande et prenne un congé, faisant intervenir un gentilhomme provençal, Monsieur du Janet, lequel s’adressa au ministre des Affaires étrangères, Arnaud de Pompone, lui-même ami de Madame de Sévigné. Cela étant, malgré ces interventions, malgré aussi les suppliques personnelles de la mère à sa fille, celle-ci ne céda point, allant jusqu’à invoquer des raisons financières pour mieux expliquer ce refus. Voyant  que ses efforts étaient inutiles, Madame de Sévigné se résigna prenant « cette douleur, qui n’est pas médiocre, comme une pénitence de Dieu ».

    Une autre lettre célèbre a été écrite aux Rochers, le mercredi 16 novembre 1689, concernant les lectures de Pauline de Grignan, petite fille de Madame de Sévigné (1674-1757), qui écrivit comme sa célèbre grand-mère quelques lettres assez agréables. En outre elle prit une grande part à la publication de celles de son illustre aïeule en 1726. Madame de Sévigné fut toujours remplie d’une grande tendresse pour cette jeune personne charmante, louée pour son caractère et son esprit, dont elle prit grand soin de diriger à distance son éduction et ses lectures.

    On retrouve d’ailleurs dans le recueil des lettres de Madame de Sévigné, nombre de pages parmi les plus délicieuses que la grand-mère ait consacrées à sa petite-fille. En tout cas elle a fait d’elle une dévoreuse de livres, en lui recommandant toutefois  de ne pas laisser tourner son esprit « du côté des choses frivoles ».  Au passage elle en profite pour lui recommander l’Histoire de l’Eglise de Monsieur Godeau, ce dernier ayant été l’un des écrivains qui fréquentèrent assidûment l’hôtel de Rambouillet, membre de l’Académie française dès sa fondation, évêque de Grasse, puis de Vence, auteur de Poésies sacrées et profanes, et de plusieurs ouvrages de piété.

    Enfin, vers la fin de sa vie, elle écrira quelques lettres où elle évoquera la mort et la manière de s’y préparer. Parmi celles-ci il y en a une, très émouvante, envoyé à Monsieur de Coulanges (1633-1716), son cousin germain, au moment de la mort subite de Louvois (16 juillet 1691), « ce grand ministre, cet homme si considérable qui tenait une si grande place, dont le moi, comme dit M. Nicole, était si étendu, qui était le centre de tant de choses » ! Elle profite de l’occasion pour réaffirmer avec force une foi très vive, demandant aux hommes de lire Saint-Augustin dans la Vérité de la Religion, traduction du  De Vera Religione, ouvrage dirigé notamment contre les philosophes et les hérétiques, mais aussi le théologien protestant Jacques Abbadie (1657-1727), plus particulièrement le livre La vérité de la religion chrétienne écrit en 1684 (un an avant la révocation de l’Edit de Nantes), ce qui paraît plus surprenant. Cela dit, la marquise de Sévigné avait une personnalité assez affirmée pour ne pas hésiter à montrer son enthousiasme pour les lectures qu’elle appréciait. En cela elle ne faisait que confirmer le courage qu’elle mettait à rester fidèle à ses amis, fussent-ils en disgrâce, comme par exemple le surintendant Fouquet.

    Michel Escatafal

  • Salluste l’écrivain

    Ceux qui évoquent l’autorité historique de Salluste ont parfois fait suspecter les témoignages de Salluste, parce qu’il prit une part active aux luttes politique de son temps, et parce son immoralité était trop peu douteuse.  De fait on n’a voulu voir dans son œuvre que des pamphlets contre l’aristocratie, ce qui est profondément injuste, en oubliant que s’il s’est effectivement attaqué à de grands personnages comme Cicéron, il avait quand même une haute idée  de l’histoire comme il le confirme dans cette phrase : « Parmi les occupations qui sont du ressort de l’esprit, il n’en est guère de plus importante que l’art de retracer les évènements passés ». En outre il faut noter qu’il ne composa ses divers ouvrages qu’aux heures où il vécut dans la retraite, loin des luttes du pouvoir, ce qu’il transcrit dans le Catilina en disant : « Je conçus d’écrire l’histoire du peuple romain, et je pris d’autant plus volontiers ce parti, qu’exempt de crainte et d’espérance, j’avais l’esprit entièrement détaché  des factions qui divisaient le République ». Pourquoi douter de la sincérité de ces paroles, d’autant qu’on ne peut guère lui contester l’exactitude matérielle sur laquelle il était assez pointilleux ?

    En tout cas, pour son Jugurtha, il avait pris la peine de s’entourer de tous les documents dont il pouvait disposer, à commencer par les mémoires de Sylla (138-78 av. J.C.), de Sacaurus (163-88 av. J.C.), de Rutilius Rufus (158-78 av. J.C.), mais aussi l’histoire de Sisenna (mort en Crète en 67 av. J.C.), et les manuscrits puniques trouvés dans la bibliothèque d’Hiempsal II (roi de Numidie et quasi contemporain de Salluste).  Bien sûr, même en s’efforçant d’être impartial, il est compréhensible que Salluste ne fût pas toujours juste, d’autant que sa vie n’ayant pas été exemplaire, sa vieillesse fut pleine d’amertume, et cela ressortait dans ses ouvrages au point que certains y ont trouvé une bonne dose de misanthropie. D’ailleurs lui-même n’était pas dupe, puisque dans le préambule de Jugurtha il écrit : « Dans mon allure trop franche, je me laisse emporter  un peu loin par l’humeur et le chagrin que me donnent les mœurs de mon temps ». De vrais paroles de repenti !

    Il n’empêche, le mérite de Salluste comme écrivain est au-dessus de toute discussion, ne serait-ce que par son désir de faire de l’histoire une œuvre d’art, et non un simple répertoire des évènements passés. En plus, par rapport à quelqu’un comme Caton, il ne se contentait pas de vouloir être utile à ses concitoyens, mais voulait faire avant tout un travail de qualité, ce qui lui fit dire : « Il est beau de bien servir sa patrie ; mais le mérite de bien dire n’est pas non plus à dédaigner ». Et le fait est qu’il disait bien ! Cette préoccupation se retrouve dans le choix de ses sujets, puisqu’il se contenta d’embrasser quelques uns des plus brillants épisodes de l’histoire romaine, ce qui lui permettait aussi d’en resserrer l’intérêt et de mettre en plus vive lumière les évènements et les hommes qu’il avait choisis.

    Ses préambules sont tous intéressants, et sans doute le furent-ils encore plus pour les Romains que pour nous, car certaines idées aujourd’hui banales avaient pour ses compatriotes l’attrait de la nouveauté. Tous les portraits que Salluste a tracés sont d’une justesse remarquable, se contentant de décrire « l’âme incorruptible, éternelle, souveraine du genre humain ». Quand il écrit des harangues son but est de dessiner nettement la situation et les acteurs. Contrairement à Tite-Live qui se complaisait à développer des idées générales avec toutes les ressources de la rhétorique, Salluste veut tout simplement éveiller l’intérêt du lecteur. Ses héros s’y peignent par leurs paroles, après les avoir peints par leurs actes.

    Son style est très caractéristique. Plus qu’aucun autre prosateur romain, Salluste a apporté dans son travail un soin infini, et ce que nous appellerions de nos jours du professionnalisme. Pour exprimer la politique très complexe de son temps, pour rendre les nuances déliées qu’il savait saisir dans les caractères, il lui fallait assouplir et enrichir la langue latine qui, jusqu’alors, n’avait pas servi à des observations aussi délicates. Sans faire des mots nouveaux, mais en transposant habilement les termes usuels à l’aide de métaphores exactes et énergiques, Salluste arrive à exprimer sa pensée toute entière. Ses analyses ont vraiment l’éclat d’un tableau : « Les patriciens altiers, la tête haute, défilent faisant sous les yeux du peuple étalage de leur dignité…Catilina a le pied sur la tête de l’Italie ; il la tient à la gorge…la cupidité, comme imprégnée d’un venin dangereux, énerve le corps et l’âme la plus virile ». Cela me fait penser à certaines tirades de Racine, ce qui est logique compte tenu du goût de ce dernier pour l’histoire, et de l’art avec lequel il enrichissait ses tragédies de tout ce que les anciens pouvaient lui apporter.

    Pour frapper davantage l’esprit du lecteur Salluste s’étudie à concentrer sa pensée, à lui donner la forme la plus rapide et la plus brève. Contrairement aux habitudes de la langue latine, volontiers périodique, Salluste affectionne et même affecte parfois des phrases courtes, hachées, qui donnent à la pensée l’allure d’une sentence. Cette concision de Salluste est la qualité qui a le plus frappé tous les lecteurs. Il lui arrive aussi parfois d’être coupable de négligences, mais celles-ci sont généralement voulues, l’artiste craignant que son œuvre si élaborée ne paraisse laborieuse. Cela dit chacun reconnaît en Salluste « une manière », sa réelle originalité ne l’ayant pas préservé de la singularité. En fait Salluste a surtout écrit pour faire valoir son esprit, et son art pèche parce qu’il se laisse trop voir. Son oeuvre est plus intéressante qu’émouvante. Il lui manque les généreuses inspirations de l’amour de la patrie et de l’humanité, et sa lecture laisse une impression de dureté et de sècheresse. Salluste en somme n’a pas eu l’âme de l’historien mais le premier il en a eu le talent, et par là, il justifie l’éloge de ceux qui l’ont appelé « le fondateur de l’histoire romaine ».

    Michel Escatafal