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  • Salluste (86 – 34 av. J.C.), un historien qui a participé à l'histoire

    salluste.jpgC’est dans le pays des antiques vertus, la Sabine (au nord-est de Rome) , que naquit Salluste, mais l’air natal n’eut guère d’influence sur sa conduite. Peut-être quitta-t-il trop tôt Amiterne, son lieu de naissance, pour aller à Rome, ville de tous les excès à son époque. Appartenant à une famille obscure jusqu’à lui,  mais riche certainement, il avait à peine achevé son éducation littéraire qu’il se jeta dans la vie politique et débuta au barreau. Nous étions à l’heure où la conspiration de Catilina (63 av. J.C.) se préparait. Et Salluste avait assez peu de scrupules pour vouloir y jouer un rôle, même si son autorité était encore insuffisante pour y tenir une place importante. Toutefois son orgueil, et plus encore son ambition, l’empêchèrent à ce moment de se compromettre. Cependant il avait assez vu les hommes et assez vécu de la vie politique pour que sa curiosité fût attisée. S’étant mis à l’écart pour un moment, il résolut alors de se donner à l’histoire, et pria son maître l’Athénien  Ateius Praetextatus (vers 100- vers 30 av. J.C.) de faire pour lui un sommaire de l’histoire romaine, où il se réserverait de choisir l’époque la plus capable de l’intéresser.

    Cette retraite ne dura guère, car le parti populaire venait de remporter un triomphe en exilant Cicéron. Clodius est alors tout puissant, et Salluste étant ami avec lui, ce dernier arrive d’abord à la questure, puis au tribunat. Sur le plan politique, les partis ne cherchent même plus à se disputer le pouvoir, mais essaient de se l’arracher. Ainsi la faction des nobles décida de se débarrasser de Clodius (92 – 52 av. J.C.) en le faisant assassiner par Milon, épisode bien connu de l’histoire de Rome. Salluste pour sa part se mit à la tête de la populace qui réclamait vengeance pour le meurtre de son chef, et c’est lui qui guida « les furieux » qui incendièrent deux temples pour en faire un bûcher à Clodius. Malgré ces violences du parti démocratique, ou à cause d’elles, l’aristocratie prit le dessus et Salluste allait en subir les conséquences.

    La vie privée de Salluste fut loin d’être exempte de reproches, notamment en raison des dettes considérables qu’il fit un peu partout, ce qui le contraignit à vendre la maison de son père, lequel en mourut de chagrin. Ce fut là un prétexte idéal pour l’accabler, et le censeur Appius Claudius le raya de la liste sénatoriale et lui infligea la note d’infamie. On ne plaisantait pas à l’époque ! Reste une question qui n’a jamais eu vraiment de réponse : Salluste profita-t-il de ses loisirs forcés pour écrire sa Conspiration de Catilina ?  C’est très peu vraisemblable, dans la mesure où cet ouvrage est généralement daté de 42 avant  J. C. En outre Salluste, en fin observateur de la vie politique, savait tout le parti qu’il pouvait tirer de ses relations avec César, et se mêlait trop aux intrigues du futur dictateur pour pouvoir se livrer à cette étude.

    En tout cas, dès que César eut franchi le Rubicon (11 janvier 49 av. J.C.), Salluste se tint prêt à se faire payer ses services. César lui rendit ainsi son titre de questeur, et lorsqu’il décida d’écraser en Afrique les restes du parti pompéien, il confia à Salluste le commandement de la dixième légion. Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu, car les soldats lassés de guerroyer se mutinèrent et refusèrent de s’embarquer, contraignant leur nouveau chef à s’enfuir. Ils revinrent en désordre à Rome, où César d’un mot méprisant (il les traita de bourgeois) les fit rentrer dans le devoir.  Mais ce ne fut qu’un contretemps pour Salluste qui, par ailleurs, n’avait pas ménagé ses efforts pour faire rentrer  les insurgés dans le rang. Il passa donc finalement en Afrique avec César, se rendit utile en ravitaillant l’armée par un habile coup de main sur l’île de Cercina (aujourd’hui îles Kerkennah), et après la victoire définitive, obtint le proconsulat de la riche province de Numidie où, non content de vivre dans un luxe ostentatoire, il récupéra d’immenses richesses, dépouilles de ses administrés.

    Quand Salluste revint à Rome ces richesses firent scandale, malgré l’appui de César. On le dénonça comme le nouveau Verrès, ancien gouverneur de Sicile contre qui Cicéron remporta un procès pour avoir pillé la province (70 av. J.C.), fut accusé de concussion et ne fut sauvé d’une condamnation que grâce à l’influence du tout-puissant dictateur. Cependant il eut l’intelligence de comprendre qu’il n’était pas acquitté par l’opinion publique, et il rentra définitivement dans la vie privée, exemple qui devrait être suivi beaucoup plus souvent.

    A partir de ce moment  et jusqu’à sa mort, Salluste se consacra à ses travaux historiques dans la somptueuse villa entourée de jardins qu’il s’était fait construire sur le Mont Quirinal, laquelle renfermait un nombre considérable de chefs d’œuvre de l’art antique. Sa première composition historique fut la célèbre Conjuration de Catilina.   Il commença sans doute l’Histoire de la guerre de Jugurtha pendant son gouvernement de Numidie, mais il ne fait aucun doute qu’il l’acheva dans les dernières années de son existence. A cette même époque il écrivit une Histoire romaine, dont il ne nous reste que des fragments, et qui comprenait  le récit des évènements écoulés depuis la mort de Sylla (138-78 av. J.C.) jusqu’aux débuts de Catilina comme propréteur en Afrique (66 av. J.C.). Cela explique pourquoi  l’œuvre de Salluste forme une sorte d’histoire contemporaine, d’autant qu’on lui a attribué en outre deux lettres à César, dans lesquelles est tracé un programme de la dictature, mais aussi une Invective contre Cicéron, morceau déclamatoire de qualité, mais dont on est certain qu’elle n’est pas de lui. On ne prête qu’aux riches !

    Michel Escatafal

  • Cornélius Népos : un homme distingué mais sans génie

    cornélius népos.jpgCornélius  Népos est né en 100 avant J.C., sans doute à Hostilie, petite ville voisine de Vérone. Sa famille était tout pour le moins de condition moyenne, car on le voit lié à Rome avec les hommes les plus remarquables de son temps. Catulle (87-54 av. J.C.) lui dédie son recueil de poésies, Hortensius (114-50 av. J.C.) est son ami, Atticus (109-32 av. J.C.) l’admet dans son intimité, et Cicéron (106-43 av. J.C.) entretient avec lui une correspondance assez régulière. Cela étant on ne sait pratiquement rien de lui, parce qu’il se tint  comme Lucrèce, Catulle et Atticus, à l’écart de la vie publique, ses travaux littéraires suffisant largement à son activité. Il mourut probablement vers l’an 30.

    Il a donc beaucoup écrit, notamment trois livres de Chroniques, un traité sur la Différence du Lettré et de l’Erudit, un recueil d’Exemples, une Biographie de Caton, enfin ses Vies des hommes illustres. De tout cela il n’est resté qu’une partie de ce dernier ouvrage, les Vies des grands capitaines, qui sont de rapides notices sur les plus célèbres généraux de la Grèce, par exemple Miltiade, Thémistocle et Alcibiade, sur le Persan Datame, les Carthaginois Hamilcar et Hannibal. Il faut y joindre quelques pages sur les rois de Sparte et Macédoine, sur Caton le Censeur, enfin une biographie d’Atticus, plus étendue et plus intéressante.

    Cornélius Népos ne peut être considéré à proprement parler comme un historien. Il n’en a d’ailleurs jamais eu la prétention, car s’il avait du bon sens il manquait de génie. De plus ses sources étaient loin d’être fiables, ou plutôt il ne savait pas les choisir. Pour parler de la Grèce, au lieu de tirer profit d’Hérodote et de Thucydide qu’il connaît bien, il préfère puiser ses sources auprès d’auteurs de second ordre comme Ephore, Théopompe ou encore Timée. Pas étonnant dans ces conditions que l’on ait relevé à maintes reprises des erreurs de fait, ou encore des exagérations, voire même des confusions. Enfin, les grands personnages qu’il nous présente, notamment ceux des nations étrangères sont largement romanisés.

    Autant que la science, l’imagination lui fait défaut. Cornélius Népos ne sait pas faire revivre les héros dont il parle. Il catalogue les évènements auxquels ils ont pris part, mais à aucun d’eux il n’a donné une physionomie animée et distincte. On a même l’impression que tous sont loués de la même manière. Les réflexions que l’auteur mêle à ces monotones notices sont judicieuses, mais sans réelle portée. Mais alors, comment Cornélius Népos a-t-il pu être loué et cité par les écrivains anciens ? En fait, malgré toutes ses imperfections, ses compatriotes ont surtout voulu lui témoigner reconnaissance d’avoir essayé de répandre à Rome le goût de l’histoire.

    Plus encore ils lui ont su gré de ne point écrire pour les lettrés, mais pour tout le monde, d’être ce que nous appellerions de nos jours un vulgarisateur. Et sur ce plan il y a fort bien réussi, par la simplicité et la clarté qu’il a données à ses textes. Son style sain ne pouvait que plaire au grand public de son temps, ce qui lui a permis de figurer en bonne place parmi les écrivains de son époque. Il le méritait d’autant plus que, malgré ses lacunes, on ne pouvait pas lui reprocher un excès de mauvaise foi quand il évoquait ses personnages, y compris les pires ennemis de Rome.  Certes il ne cessait d’affirmer que « le peuple romain ait été le plus courageux de l’univers », mais c’était aussitôt pour ajouter qu’on ne saurait nier « qu’Annibal ait été le plus grand capitaine qui ait existé, aussi supérieur aux autres généraux que Rome l’a été aux autres nations ». C’est quand même un bel hommage rendu à un homme qui « conserva jusqu’au dernier soupir cette haine que son père avait juré aux Romains, et qu’il reçut de lui comme un héritage ».

    Michel Escatafal

  • Jules César : un des rares grands écrivains qui ne soit pas homme de lettres

    De ses nombreuses œuvres il ne nous reste de César que ses Commentaires sur la guerre des Gaules et sur la guerre civile, que tous ceux qui ont fait du latin pendant quelques années ont étudiés. La guerre des Gaules est racontée en sept livres. Le premier livre contient les campagnes de César contre les Helvètes et les Germains d’Arioviste, qui menaçaient de s’établir en Gaule et, partant, aux portes de l’Italie. Aux deuxième et troisième livres nous assistons aux luttes du général et des ses lieutenants : au Nord-Est contre les Belges, à l’Ouest en Armorique et en Normandie, au Sud-Ouest en Aquitaine. Pour briser tout lien entre les Gaulois et les barbares du dehors, César va frapper de grands coups en Grande-Bretagne et au-delà du Rhin (quatrième livre). Cependant les Gaulois ont compris que les Romains sont venus chez eux, non pour les défendre, mais en conquérants.

    Du coup Ambiorix et Indutiomar chefs respectivement des Eburons et des Trévires, songent à organiser une révolte d’ensemble et font courir les plus grands dangers à l’armée romaine (cinquième et sixième livres). Bientôt même une ligue nationale s’est formée, et toute la Gaule se lève à l’appel de Vercingétorix. La victoire hésite un instant, et César est obligé de lever le siège de Gergovie. Cela étant Vercingétorix est contraint de s’enfermer dans Alésia, et finit par succomber malgré l’énergie désespérée qu’il met à sa résistance (septième livre). Un huitième livre composé par Hirtius, lieutenant de César, achève le récit de la soumission des Gaules (prise d’Uxellodunum en 51 av. J.C.) et retrace l’accueil triomphal de César à son retour en Italie. Les Commentaires sur la guerre civile ne se composent que de trois livres et comprennent les évènements du début de la guerre en Espagne (livre1), en Afrique(livre 2), jusqu’à Pharsale et au commencement de la guerre d’Alexandrie.

    Si l’on étudie de près les œuvres historiques de César, les Commentaires devraient plutôt s’appeler les Mémoires. En effet, comme nous l’avait appris notre professeur de latin, le mot Commentaires que nous avons francisé et que nous employons généralement pour étudier l’œuvre de César et le titre qu’il lui donna, signifie Mémoires. Si j’apporte cette précision c’est avant tout pour rappeler que ces écrits, composés au lendemain des luttes qu’ils racontent, sont destinés avant tout à la gloire personnelle de César, loin donc de l’impartialité que l’on attend d’un historien quand il traite d’un passé déjà lointain.

    Cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faille pas prendre en compte ce qu’il raconte, mais même s’il ne se laisse pas aller à la vanterie, même s’il ne se met pas en scène constamment, son texte fait sentir partout sa présence. Il sait aussi admirablement présenter les faits de façon à susciter l’approbation du lecteur.  En revanche, même s’il parle sans haine de ses ennemis, il ne manque pas de souligner leurs défauts. Pour lui Vercingétorix et Arioviste sont d’abord des barbares courageux et violents, oubliant l’héroïsme du héros malheureux d’Alésia ou l’habileté du chef germanique. Toutefois si l’impartialité lui fait défaut, il faut en revanche souligner l’exactitude matérielle des faits rapportés, au point que l’archéologie et la science militaire peuvent prendre son livre pour guide.

    En fait César est tout simplement un grand écrivain. Par la grandeur des évènements qu’ils retracent, par le génie de leur auteur, les Commentaires sont une authentique et importante composition historique, même s’ils n’en ont point la forme. Certains disent qu’il a écrit comme il a fait la guerre, en allant droit au but. N’oublions pas que César était d’abord un général et un homme d’Etat, et en aucun cas un peintre ou un moraliste. Chez lui, point de préambule où il explique ses intentions ou ses goûts, pas de portraits longuement étudiés qui nous font rentrer dans l’âme des acteurs de l’histoire, ce qui nous permet d'être tout de suite dans le vif du sujet. 

    La Guerre des Gaules s’ouvre par une description purement topographique du pays, et si au sixième livre il écrit une vingtaine de chapitres sur les mœurs des Gaulois et des Germains, il ne donne point d’autres détails sur ces peuples que ceux qu’il lui importait de savoir avant sa guerre de conquête. Il voit les faits, l’état des institutions, ce qui nous permet de discerner un commencement d’organisation féodale en Gaule. « Non seulement toutes les cités, mais aussi tous les bourgs et toutes les parties de bourg, et même toutes les familles renferment des factions…Ces factions ont pour chefs ceux qui passent, dans l’opinion du pays, pour avoir le plus d’autorité ; c’est à leurs décisions qu’on s’en réfère pour les délibérations et les questions générales. Le but de cette institution, qui est fort ancienne, paraît être d’assurer une protection à tout homme du peuple contre les puissants ». Au passage on peut mesurer la finesse de l’observation !

    Mais de ces faits, il ne tire aucune réflexion sur la destinée ou l’avenir de la nation gauloise. Il se contentera simplement de profiter des divisions amenées par ce morcellement du pouvoir. César sera tout aussi sobre dans la Guerre civile qui, par son sujet même, semblait appeler des considérations politiques. En outre, dans les quelques discours que l’on rencontre dans les Commentaires aucun n’a l’ampleur que ces morceaux prennent d’habitude chez les historiens anciens. En fait ce sont des résumés où ne trouve place que ce qui intéresse directement la situation présente, ou encore ce qui pouvait toucher et convaincre les hommes auxquels il s’adresse. Point de rhétorique, que de l’action ! Et ces actions, aux yeux de César, n’avaient besoin d’aucun ornement. Il est vrai que la matière de l’ouvrage était assez large pour qu’il fût assuré d’obtenir toujours l’intérêt, sans avoir besoin de le solliciter.

    Le style est tout aussi sobre avec essentiellement des phrases courtes. Cicéron est sans doute celui qui l’a le mieux caractérisé quand il en a loué la nudité, la pureté, la beauté sans parure, quand il a dit  à propos des Commentaires « qu’ils sont comme de belles peintures placées dans un beau jour ».  L’expression qu’il cherche et qu’il trouve est toujours la plus propre, la plus simple, et la plus usitée. Dans son traité de l’Analogie, il recommandait particulièrement  « d’éviter, comme un écueil, les expressions nouvelles et insolites ». Enfin, malgré toute sa culture, il ne s’interdisait point les négligences ou les répétitions, pensant que cela pouvait rendre ses textes encore plus captivants. En tout cas, même s’il leur manquait l’émotion et la chaleur, les Commentaires de César sont sans aucun doute une des œuvres la plus accomplie de la prose latine.

    Michel Escatafal