Robert Garnier est né à la Ferté-Bernard, dans le Maine (72), vers 1545. Après avoir étudié le droit à Toulouse, où en 1564 et 1566 il a remporté des prix pour la poésie, il fut tout d’abord avocat au parlement de Paris, période où il se lie avec Ronsard, et plus tard lieutenant-criminel au Mans, où il mourut en 1590.
C’est en tant que poète tragique qu’il passera à la postérité, puisqu’il est considéré comme le meilleur du seizième siècle. Ses tragédies sont encore emphatiques, mais on y trouve des vers d’une noble allure et d’une langue ferme ; les chœurs y ont souvent de la grâce et les desseins en sont variés. Enfin, même si ses pièces demeurent plus oratoires que dramatiques, on sent chez l’auteur l’intention d’en rendre l’action attachante.
Porcie (1568) et Cornélie (1574) sont les deux premières tragédies romaines de Garnier, marquées par l’influence du stoïcisme. Porcie est la première tragédie française, et elle s’inscrit totalement dans le contexte des guerres de religion, où la fureur engendre la violence et ouvre la voie à une certaine folie, elle-même amenant au suicide pour sauvegarder sa liberté. Dans Cornélie, le principe majeur est que la mort vaut toujours mieux que la servitude, au sens de l’autonomie de l’esprit et non du corps, parce que la servitude « abatardit les cœurs et dégrade l’individu ».
Entre temps Robert Garnier écrira Hippolyte (1573), pièce où se mêlent l’abomination et l’horreur tragique, et où les femmes sont vues sous leur jour le plus noir (« il n’est méchanceté que n’inventent les femmes »). Dans Marc-Antoine (1578), outre certains passages remarquablement émouvants, par exemple les adieux de Cléopâtre à ses enfants, on retrouve des accents de la future Andromaque de Racine.
En 1579 est publiée la Troade, sans doute rédigée dès 1574, ce qui explique ses résonances dans l’actualité de la France des guerres de religion, et en 1580 Antigone. Cette dernière pièce vaut surtout par l’opposition de ses héros, Créon le tyran inventant ses propres lois pour la cité, au lieu de se soumettre aux lois comme un bon souverain, et Antigone incarnant la piété et la soumission à Dieu.
Bradamante (1582) est une tragi-comédie dont le sujet est pris du Roland furieux de l’Arioste (publié en 1516), mais en s’attachant uniquement à la peinture des caractères, avec des allusions constantes aux luttes politiques et religieuses du temps. Pour nombre de critiques, cette pièce est son chef d’œuvre même si elle n’est pas la plus connue.
Enfin les Juifves, est une tragédie sacrée qui retrace l’histoire de Sédécie, dernier roi de Juda, frappé dans sa paternité et dans sa chair par Nabuchodonosor, après la prise de Jérusalem. L’action est commandée essentiellement par la psychologie des personnages, avec en filigrane la soumission totale à Dieu. C’est aussi une représentation et une interrogation sur la violence du conflit entre catholiques et protestants, lequel venait d’atteindre son paroxysme quelques années plus tôt avec la fameuse nuit de la Saint-Barthélemy (24 août 1572). Or la pièce ayant été éditée en 1583, il est vraisemblable qu’elle ait été écrite peu de temps après cet épisode parmi les plus sanglants de notre histoire.
Michel Escatafal