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Les moralistes et philosophes, les mystiques et les historiens dans la prose du Siècle d’Or

Teresa de Cepeda.jpgEn plus de Quevedo dont j’ai parlé dans un précédent billet (3-05-09), le plus remarquable des philosophes est le jésuite Baltasar Gracian (1601-1658). C’est lui, quant au style, le disciple le plus fameux de l’inventeur du conceptisme. Il a porté au plus haut degré de perfection cette formule esthétique, dont la théorie  est exposée dans son  Agudeza y arte de ingenio (1648) que l’on peut traduire par Art et figure de l’esprit, mise en méthode dans El Héroe (1637), El Discreto (1646) et l’Oraculo manual (1647) ou en français  l’Oracle manuel. Sa plus grande œuvre, El criticon (1651-1657),  est un inventaire critique du monde. Gracian est l’auteur classique le plus difficile à lire.

Au seizième siècle fleurit  de manière inouïe la littérature mystique. Celle-ci a produit nombre d’œuvres de grande valeur écrites par des écrivains de premier ordre. Parmi eux, Luis de Granada (1504-1588) qui fut le grand diffuseur du mysticisme. Ses œuvres ont remporté un grand succès et leur popularité fut durable. On notera plus spécialement Guia de pecadores (Guide des pécheurs) et Simbolo de la Fé, œuvres qui furent examinées et censurées par l’inquisition centrale. Pour mémoire je rappelle que la censure littéraire fut établie en Espagne le 8 juillet 1502 par la loi des rois catholiques Ferdinand et Isabelle.

Ensuite il faut citer Teresa de Cepeda y Ahumada (1515-1582), plus connue chez nous sous l’appellation de Sainte Thérèse d’Avila, réformatrice de l’ordre du Carmel caractérisé par son dénuement, mystique inspirée et femme d’action douée d’une énergie surhumaine.  C’est à travers elle qu’on a réellement découvert cette mystique espagnole fondée sur la connaissance de soi, dans un rationalisme très rigoureux.  Teresa de Cepeda a écrit pour les Carmélites, ses sœurs, avec une simplicité absolue et dans une langue parlée à la fois dépouillée et élégante, el Libro de su vida (le livre de sa vie), mais aussi des traités d’ascétisme (Las moradas) qui sont des œuvres majeures, particulièrement originales et pittoresques. Certains affirment même qu’elle fut, avec Cervantes, parmi les tous meilleurs prosateurs de la littérature espagnole.

Fray Luis de Leon (1527-1591), un des plus fameux professeurs de théologie de l’Université de Salamanque, évoqué par le grand Miguel de Unamuno dans Salamanca, traduisit notamment le  Cantar de los Cantares, un des livres de la Bible, ce qui lui valut les plus grands éloges. Fray Luis, autant moraliste que mystique, est à la fois grand poète et  amateur de musique dont il disait qu’elle est le commencement de la poésie, et qu’elle donne accès à la création divine. Son traité, La Perfecta Casada (L’Epouse parfaite) publié en 1583, qui est une réflexion sur ce que doit être la femme, exprimée au travers de sa place dans la famille et dans la société de son temps selon les préceptes de la Bible, est avec  Los nombres de Cristo (Les Noms du Christ) un des plus merveilleux modèles de la prose en castillan, que l’auteur aimait à mettre sur un pied d’égalité avec le latin.

San Juan de la Cruz (1542-1591), bien connu chez nous en tant que Saint Jean de la Croix, a lui aussi sa place parmi les plus grands auteurs mystiques de la littérature espagnole. Ses œuvres maîtresses sont El cantico espiritual, la Llama de amor viva (la flamme vive de l’amour),  la Subida del Monte Carmelo (l’Ascension du Mont Carmel) et la Noche oscura del alma (la Nuit obscure de l’âme), les deux  dernières n’ayant pas été achevées.  Cependant ces quelques ouvrages ne sont qu’une infime partie de ce qu’il a écrit, puisqu’il a lui-même détruit la presque totalité de son œuvre. Il ne reste en tout que cinq poèmes avec les commentaires et explications qu’il en a donnés, et dix romances. Cela suffit pour affirmer que son message transcende les temps.

Enfin, on n’oubliera pas dans ce riche tableau de la prose classique l’historien le plus éclairé de son temps, le jésuite Juan de Mariana (1535-1624), dont l’œuvre monumentale (Historia de Espana) a une grande valeur littéraire, au point que l'auteur ait été appelé le « Tite-Live » de l’Espagne, pays pour lequel il a toujours eu les yeux pleins d’admiration. D’ailleurs, pour lui, la vraie richesse d’un pays ne peut être que l’amour de ses fils. Il est aussi célèbre pour  son De rege et regis institutione (Sur le Roi et les institutions royales), qui consacre le droit de révolte légitime une fois toutes les voies de recours institutionnel épuisées, y compris la déposition du roi. Autre historien qui mérite la citation, Antonio de Solis (1610-1686) qui a écrit l’histoire de la conquête du Mexique (Historia de la Conquista de Méjico), publiée en 1684. Pour l’anecdote, on y relate aussi le magnifique exploit de Diego de Orlaz, premier homme qui gravit le Popocatépetl, volcan proche de la cité de Mexico. Ces livres de Mariana et Solis figurent parmi les monuments de la prose classique castillane.

 Michel Escatafal

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