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cléanthe

  • L’étude de la philosophie ne fut pas un goût romain

    Les Romains ont eu pour particularité de n’avoir jamais manifesté un goût particulier pour l’étude de la philosophie, y compris à l’époque de Cicéron ou de Sénèque. Malgré tout son talent, Cicéron n'a jamais pu la rendre populaire. Ainsi quand il parle du succès de ses ouvrages philosophiques,  il entend l’approbation qu’ils reçurent dans le monde des lettres et dans la société distinguée. Encore, quand il s’occupait des grands problèmes, avait-il soin de les traiter avec des préoccupations pratiques, car en elles mêmes les hautes questions n’intéressaient guère les Romains. Ils étaient assurément fort religieux, mais s’attachaient surtout aux formules du culte et, la cérémonie faite, ne sentaient guère d’aspirations curieuses.

    En revanche ils étaient forts soucieux de tout ce qui touchait à la conduite de la vie. Ainsi, après les grands bouleversements de la fin de la République qui entraînèrent la mort de la tradition des mœurs antiques, la religion ne se trouvant pas prête à prendre la direction morale des âmes, la philosophie s’empara de ce rôle. Elle renonça résolument à toute ambition spéculative, et se confina dans la morale restreinte à la morale pratique. « Pour avoir une âme saine, disait  Sénèque, il ne faut guère d’étude; en toute chose, et même en philosophant, nous nous dépensons en superfluités; nous portons notre intempérance générale jusque dans les travaux de l’esprit et nous n’étudions pas pour devenir des hommes, mais pour rester des écoliers ».

    Les philosophes, qui ont vécu au commencement de l’empire, sous Auguste et les premiers Césars, n’ont donc point tant songé à satisfaire l’intelligence, qu’ils ont voulu agir sur les âmes. Plus de recherche scientifique, mais une application constante à trouver des moyens pour guider les mœurs. Ils étudieront l’éloquence, parce qu’elle aide à persuader le bien, et deviendront parfois de véritables prédicateurs.  Ils pénètreront les mouvements secrets du cœur, non par curiosité de connaître les passions, mais par désir de les combattre avec tous les avantages. Ils se feront directeurs de conscience : tels furent les deux Sextius, Fabianus au temps d’Auguste, et, plus tard, sous Néron, ce Cornutus que Perse aima tant.

    Dans ce mouvement, les grandes écoles philosophiques du passé disparaissent sans laisser d’héritiers : « Les branches de la grande famille philosophique meurent, dit Sénèque, et ne poussent plus de rejetons. Les deux académies, l’ancienne et la nouvelle, n’ont plus de pontife. Chez qui puiser la tradition de la doctrine pyrrhonienne relative au pyrrhonisme (doctrine de Pyrrhon caractérisée par un pur scepticisme) ? L’illustre école de Pythagore n’a point trouvé de représentant. Celle des Sextius, qui la renouvelait avec une vigueur toute romaine, suivie à sa naissance avec enthousiasme, est déjà morte ».

    Au milieu de ces ruines, seule une secte subsiste, et attire à elle une foule d’adhérents : le stoïcisme. Non pas le stoïcisme de Zénon et Cléanthe, qui prétendait fournir une explication du monde, mais une doctrine purement morale qui, comme disait Diderot, « détache de la vie, de la fortune, de la gloire, de tous ces biens au milieu desquels on peut être malheureux, qui inspire le mépris de la mort et donne à l’homme et la résignation qui accepte l’adversité et la force qui la supporte ». De cette école le représentant sinon le plus rigoureux et le plus pur, du moins le plus brillant et le plus actif, a été Sénèque, que j’ai souvent évoqué sur ce site.

    Michel Escatafal