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  • Voltaire était le meilleur ou parmi les tous meilleurs dans tous les genres littéraires

    littérature,histoireAujourd’hui je vais évoquer un auteur dont on dirait de nos jours qu’il figure parmi les « monstres sacrés » de la prose comme de la poésie.  Il y a tant à dire sur cet écrivain qu’on ne peut pas se contenter de faire un résumé de sa vie, ni de son œuvre littéraire. Pour autant je vais essayer de retenir l’essentiel de François-Marie Arouet, né à Paris le 20 novembre 1694, qui prit le nom de Voltaire. Déjà il faut noter qu’il commença très tôt à faire des vers de qualité, à l’époque où il était élève au collège Louis-le-Grand. Il fut aussi, très jeune, secrétaire de l’ambassadeur de France aux Pays-Bas, poste qu’il occupa peu de temps, préférant revenir à Paris, où il fréquenta beaucoup la société du Temple. Pour mémoire on désigne sous ce nom le groupe d’écrivains et de gens du monde qui se réunissaient, pour y parler librement de toute chose, chez Philippe de Vendôme, grand prieur de France, dont l’hôtel était situé dans l’enclos du Temple.

    Soupçonné par deux fois d’avoir publié une satire politique, il fut d’abord exilé à Sully-sur-Loire, puis enfermé à la Bastille (1718). Cette même année il fit représenter son Œdipe, qui renouvelait jusqu’à un certain point le type de la tragédie classique. Lorsqu’à la suite d’une affaire pénible, Voltaire, outragé par le chevalier de Rohan-Chabot, fut arbitrairement obligé de quitter la France et de passer en Angleterre (1726), il mit ce nouvel exil à profit pour étudier les mœurs, la philosophie et la littérature des Anglais. Quand il revint à Paris (1729), un an après la publication de son poème épique la Henriade, il y rapportait, outre l’ébauche d’une tragédie de Brutus (1730), qui est l’une de ses plus fières inspirations, ses Lettres philosophiques ou Lettres sur les Anglais, dont la forme est si agréable et le fond si riche (1734). L’Histoire de Charles XII, cette brillante et exacte monographie, la tragédie de Zaïre, son chef d’œuvre dramatique, sont du même temps (1731-1732).

    Des inimitiés puissantes, que des œuvres comme le Temple du goût, cette  piquante critique de tant d’écrivains médiocres, n’étaient pas faites pour apaiser, forcèrent encore Voltaire à quitter Paris : de 1734 à 1749, il demeure pour la plupart du temps à Cirey, en Champagne, chez Madame du Chatelet, et produit alors les tragédies de la Mort de César (1735), d’Alzire (1736),  de Mahomet (1741), de Mérope (1743), que devaient suivre plus tard l’Orphelin de la Chine (1755) et Tancrède (1760), sans oublier  les Discours sur l’homme (1734-1737) en vers,  et un grand nombre d’épîtres, d’odes et de fantaisies diverses. Tout cela lui vaudra d’entrer à l’Académie française en 1746.

    En 1752, pendant un séjour à la cour du roi de Prusse, qui fut plus agité et qui se termina plus tôt que Voltaire ne l’eût pensé et souhaité (1750-1753), il publia, outre son Poème sur la Loi naturelle, le Siècle de Louis XIV. Ce livre célèbre se rattache à cette histoire universelle des temps modernes, histoire des progrès de la civilisation depuis le neuvième jusqu’au milieu du dix-septième siècle, à laquelle Voltaire donna le titre d’Essai sur l’esprit et les mœurs des nations (1758), et qui serait une œuvre de premier ordre, si le souci de faire servir le récit des faits à la démonstration d’une thèse y était moins apparent. Plus tard devaient paraître l’Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand (1759-1763) et  le Précis du siècle de Louis XV (1768).

    Quand à partir de 1770, Voltaire s’est fixé dans sa terre de Ferney, autour de laquelle il s’occupe efficacement, pour le bonheur des habitants de tout ce pays, de relever l’agriculture et l’industre, il est véritablement roi, roi de la pensée en Europe : les savants, les hommes de lettres, les grands seigneurs, les souverains de tous les pays correspondent avec lui. En outre, il élève victorieusement la voix dans toutes les affaires qui passionnent l’opinion publique. Enfin les lettres, les traités, les opuscules satiriques et philosophiques, les romans, les poésies légères, madrigaux, épigrammes, les satires mordantes, les épîtres pleines de finesse et d’élévation se multiplient sous sa plume, et son théâtre s’accroit encore d’un grand nombre de productions nouvelles.

    On sait que la sixième représentation de sa dernière tragédie, Irène, fut pour les Parisiens l’occasion de le faire assister vivant à sa propre apothéose (31 mars 1778). Il mourut un peu plus de trois mois après être rentré à Paris, dans la nuit du 30 au 31 mai 1778, laissant l’exemple d’une activité intellectuelle qu’on ne retrouve au même degré  chez aucun autre écrivain, pas même chez un Cicéron, un Bossuet ou un Goethe. Mais gardons-nous de croire que l’universalité de son esprit et de ses aptitudes soit son seul titre de gloire. La multiplicité seule des ouvrages de Voltaire nuit à leur popularité. La vérité c’est que nul, à l’exception de Corneille et Racine, ne peut lui être préféré dans la tragédie, que sa Henriade même est supérieure à tout ce que notre littérature classique a produit dans le genre épique, que si certains l’égalent, nul ne le dépasse dans la satire et dans l’épître, qu’enfin comme prosateur il est aussi grand que Bossuet, auquel d’ailleurs il ne ressemble en rien.

    Les narrations  de ses ouvrages historiques, ses Lettres sur les Anglais, quelques-uns de ses opuscules satiriques ou philosophiques, et, par-dessus-tout, ses romans et sa correspondance sont d’inimitables chefs d’œuvre. Enfin, sans parler de tant d’idées neuves en littérature, et sans chercher à le défendre contre les reproches trop souvent mérités de servilité, de mesquinerie, de fourberie même et d’impudence, sans refuser de déplorer, avec tous les bons esprits, la légèreté et l’injustice de ses attaques contre les croyances religieuses, il faut lui laisser la gloire suprême d’avoir , quoi qu’on en ait dit, passionnément aimé l’humanité et contribué, plus que personne, à répandre dans le monde quelques-uns des principes fondamentaux sur lesquels repose la société moderne.

    Michel Escatafal

     

  • Marivaux fait de la peinture de l'amour l'objet même de la comédie

    littérature, histoire de la littératureNé à Paris le 4 février 1688, mort le 12 février 1763, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux a commencé par écrire des oeuvres fort médiocres. Ensuite il se rattrapa en  écrivant des comédies et des romans, sans oublier les recueils périodiques qu’il a rédigés. Dans ces recueils, le Spectateur français, l’Indigent philosophe, le Cabinet du philosophe, les Pièces détachées, comme dans ses romans, Marianne (1731-1736) et le Paysan parvenu (1735) , on trouve des peintures de mœurs et de caractères intéressantes et fortes, même si elles manquent de cette légèreté, de cette vivacité mordante et un peu âpre, qui fait le premier charme des romans de Le Sage.

    Comme auteur dramatique, Marivaux ne mérite qu’un seul reproche : ses comédies manquent de variété. Il semble qu’entre la Surprise de l’amour (1727), le Jeu de l’amour et du hasard (1730), les Fausses confidences (1736), le Legs (1736), l’Epreuve (1740), il n’y ait d’autre différence que celles des circonstances extérieures au milieu desquelles l’action se déroule, et que cette action soit toujours la même. D’ailleurs Marivaux le premier fait, non plus de l’étude des caractères généraux, mais de la peinture de l’amour, l’objet même de la comédie. Toutefois ce sentiment, toujours sérieux et profond, n’a rien ici de la violence avec laquelle il se déchaîne ordinairement dans la tragédie.

    Marivaux ne met en scène que des personnages dans l’âme desquels la passion qui doit les animer pendant tout le cours de la pièce est, dès l’exposition, déjà née où tout près de naître. Un très léger obstacle seul la contrarie et l’empêche de se déclarer : comment arrivera-t-elle à en triompher, par quels états successifs passera-t-elle pendant cette très courte crise? C’est là ce qu’étudie notre auteur, et l’on voit assez quelle prodigieuse finesse d’analyse il faut déployer dans de pareils sujets. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que personne n’ait réussi à imiter Marivaux, qui n’avait lui-même imité personne, et qu’il y ait lieu de le regarder comme le plus grand  des auteurs comiques que la France a produits, depuis la mort de Molière jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle, à l’exception peut-être de Beaumarchais  qui l’a parfois égalé.

    J’avoue que c’est en lisant l’Epreuve, représentée pour la première fois le 19 novembre 1740 par les Comédiens Italiens au théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, que j’ai ressenti tout le talent de Marivaux, et plus particulièrement la scène même de l’épreuve. Pour résumer, Lucidor, jeune seigneur de Paris, aime Angélique et il est aimé d’elle. Cela se ressent, mais Lucidor n’est pas absolument sûr de l’affection d’Angélique, craignant que cette dernière ne l’aime d’abord que pour sa fortune. C’est la raison pour laquelle il a résolu de l’éprouver avant de demander sa main. Alors il essaie de se faire passer pour un autre, ce qu’Angélique devine tout de suite. Néanmoins Lucidor insiste en faisant passer son valet Frontin, habillé avec des habits de maître, comme le prétendant à la main d’Angélique.

    C’est par cette ruse qu’il éprouvera  Angélique, lui demandant après lui avoir présenté le faux prétendant : « Jetez les yeux dessus : comment le trouvez-vous ?  Angélique répliquera en repoussant le faux prétendant par cette expression : « Je n’y connais pas », manifestant ainsi son courroux contre tout le monde, à commencer par Lisette sa servante, mais aussi sa mère indignée que sa fille refuse le bon parti qu’on lui offre, et enfin contre Lucidor parce qu’il ne lui a pas fait confiance. Elle est tellement en colère qu’elle consent à épouser le personnage qu’on lui a présenté en essayant de l’aimer. Heureusement tout est bien qui finira bien, et Angélique épousera l’homme qu’elle aime, lui-même ayant pu constater que sa bien-aimée l’aimait d’un amour sincère.

    Au passage on peut admirer la simplicité et le naturel parfait des attitudes et du style dans cette scène, qui va nous amener au plus touchant et au plus imprévu coup de théâtre. Et là on retrouve l’immense talent de Marivaux qui sait produire de grands effets par des moyens très simples, ce qui est toujours le propre des écrivains de premier ordre, catégorie à laquelle Marivaux appartient.

    Michel Escatafal

  • Les Mémoires de Saint-Simon sont l'oeuvre d'un mécontent de génie

    Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, est né à Versailles le 16 janvier 1675, d’un père âgé qui n’hésita pas à se remarier pour avoir un fils afin que son duché (octroyé par Louis XIII) ne soit pas perdu. Très fier de sa haute naissance, au point qu’il se maria en 1695 avec une petite nièce de Turenne, cousine avec le roi d’Angleterre,  il fut de ceux qui regrettaient de voir que la noblesse eût conservé si peu de part au gouvernement de l’Etat, pensant  que son influence était propre à tempérer l’autorité absolue des rois, tandis que des ministres de naissance médiocre ne pouvaient être que leurs serviles créatures. La rigidité honorable, mais hautaine, de son caractère et de ses principes, nuisit peut-être à sa fortune militaire ou politique. En 1702 il quitta l’armée, se croyant victime d’injustices répétées et, sous la Régence, renonça à la fois à l’amitié du duc d’Orléans et aux postes diplomatiques auxquels il avait été appelé, ou qu’il pouvait encore espérer se voir confier.

    Ses Mémoires sont donc avant tout l’œuvre d’un mécontentement, mais ce mécontent fut aussi un homme d’un grand caractère, quoiqu’aveuglé par des préjugés qui ne peuvent paraître que mesquins. Ils sont aussi l’œuvre d’un écrivain incroyablement doué du don de pénétrer les cœurs à travers les visages et, en saisissant les moindres grimaces de ceux-ci, de peindre ceux-là jusque dans leurs replis les plus profonds. Aussi tout chez lui, jusqu’aux règles les plus élémentaires de la correction, est-il sacrifié au pittoresque du tour ou de l’expression, au point que certains affirment que ce très grand et très original écrivain serait le plus dangereux des modèles, s’il n’était inimitable. Au point de vue historique, pourvu qu’on se tienne en garde contre la partialité de Saint-Simon, ses Mémoires sont une source presque inépuisable de renseignements sur la dernière partie du règne de Louis XIV et la première de celui de Louis XV.

    A propos de ses Mémoires, il faut noter que Saint-Simon avait commencé dès 1694 à noter tous les évènements dont il était témoin. En 1730 il connut le Journal de Dangeau, qui va de 1684 à 1720, et l’annota, complétant ses récits ou corrigeant ses jugements avec âpreté. Enfin, en 1740, il se mit, en continuant de profiter du récit de Dangeau comme d’une sorte de trame chronologique, à rédiger définitivement ses Mémoires. Celles-ci ne furent publiées, après la mort de l’auteur en mars 1755, que dans des éditions incorrectes et fragmentaires. Le texte authentique n’en fut donné pour la première fois qu’en1856.

    Parmi les passages que j’ai retenus plus particulièrement  de ces Mémoires, il y a celui relatif au Lit de justice du 26 août 1718. Je rappellerais qu’on appelait lit de justice le siège sur lequel s’asseyait le roi, dans certaines séances solennelles du Parlement, et par la suite la séance elle-même. Il s’agit ici de la séance dans laquelle tout pouvoir et tout droit furent enlevés au duc du Maine, fils de Louis XIV, et qui, en affermissant la régence du duc d’Orléans, donna toute satisfaction à la majorité de la noblesse. Celle-ci ,en effet, ne cacha pas son bonheur d’en avoir terminé avec ce règne de "vile bourgeoisie", appellation donnée au règne de Louis XIV par Saint-Simon, lequel nourrissait  une haine violente contre la bourgeoisie et le Parlement.

    Il y a aussi un magnifique portrait de la duchesse de Bourgogne, qui avait épousé à l’âge de douze ans le duc de Bourgogne, fils du grand Dauphin. Marie-Adélaïde était la fille de Victor-Amédée II, duc de Savoie et de la duchesse de Savoie, Anne d’Orléans, fille de Monsieur (frère de Louis XIV), et de sa première femme, Henriette d’Angleterre. A ce propos, on retrouve dans le portrait de la jeune duchesse de Bourgogne quelques-uns des traits de l’infortunée et charmante Henriette d’Angleterre. Passionnée par le jeu, on découvre qu’elle payait immédiatement à son adversaire l’enjeu qu’il avait tenu, ce qui contraste avec certains comportements de l’époque. Bien que n’étant pas belle, elle savait néanmoins charmer ses interlocuteurs y compris les plus prestigieux d’entre eux, le Roi et Madame de Maintenon, "qu’elle n’appelait jamais que ma tante, pour confondre joliment le rang et l’amitié", si l'on en croit Saint-Simon, qui ajoute un peu plus loin que la duchesse était "admise à tout, entrant chez le roi à toute heure, même des moments pendant le conseil".

    Bien d’autres textes ou pages mériteraient d’être soulignés dans cette œuvre très importante, surtout  si l’on s’intéresse à l’histoire. En tout cas la postérité a considéré Saint-Simon comme un des plus grands écrivains de son époque, une époque charnière entre la fin du règne de Louis XIV et l’avènement de celui de Louis XV. Oublions sa colère et ses rancoeurs, pour ne considérer que la manière dont il  a su se servir de sa langue, mais aussi la servir. A ce propos, et ce sera le mot de la fin, je ne puis résister à l’idée de reprendre ce que dirent les Goncourt : "Il n’y a que trois styles : la Bible, les Latins et Saint-Simon". C’est peut-être lui faire trop d’honneur, mais cela donne quand même une idée de la place qui lui revient dans notre littérature.

    Michel Escatafal