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  • Deux admirateurs de la Pléiade...

    passerat.jpgvauquelin.jpgNé à Troyes en 1534, mort en 1602, Jean Passerat étudia le droit à Bourges. A Paris, il fut professeur d’humanités au Collège du Plessis, puis professeur de poésie latine au Collège Royal en  1572. Il a laissé, outre quelques travaux d’érudition, des poésies latines et françaises, ces dernières comprenant des sonnets, des chansons, des élégies, des quatrains, des épitaphes et quelques pièces plus longues, notamment un petit poème didactique, le Chien courant. A ce propos, aimant sans doute la chasse, il a aussi écrit un autre poème sur le même thème, Le Cerf d’amour. Ces deux poèmes ont été dédiés à Henri IV. Enfin, il ne faut pas oublier que  la plupart des vers français de la Ménippée  sont de lui.

    Il n’a jamais eu les honneurs de la Pléiade(1), bien qu’ayant été parmi les amis de Ronsard et avoir écrit purement à son goût, au même titre que Rémi Belleau ou Baïf. Cependant,  pour beaucoup de ses contemporains,  il eut mérité d’y figurer. D’ailleurs il a laissé une trace supérieure à la leur aux yeux de la postérité, parce qu’il n’était pas qu’un poète. Il ne se contentait pas de céder à la verve lyrique des gens de la Pléiade, mais il allait beaucoup plus loin en faisant partie de ceux qui ont conçu l’idée de la satire des mœurs. Vauquelin suivra son chemin.

    Jean Vauquelin de la Fresnaye est né près de Falaise, aujourd’hui dans le département du Calvados, en 1535. Après avoir fait ses études à Paris et à Poitiers, Il fut avocat du roi au bailliage de Caen, puis lieutenant général  et  président au présidial de Caen. Disciple de Ronsard et ami de Baïf, il a donné des poésies pastorales appelées Foresteries (1555), puis des Idillies, ou suivant la traduction qu’il donne de ce mot traduit du grec, « imagettes », petits tableaux à sujets variés.  A noter que le plus grand nombre des idylles de Théocrite, créateur du genre, ont en effet un caractère pastoral.

    On n’oubliera pas non plus des Satyres françoises, imitées souvent de très près des satiriques latins et italiens, des Sonnets d’un caractère généralement élevé. Cependant son œuvre la plus longue et la plus accomplie est son Art Poétique françois, en trois livres, publié en 1605, rempli d’imitations d’Horace, dont Vauquelin de la Fresnaye délaie souvent la pensée. Du coup, la composition en est parfois confuse, la versification prosaïque et sans grâce.

    Mais, ainsi que celui de Boileau, à un niveau inférieur toutefois, ce poème d’un disciple et d’un admirateur de la Pléiade reste comme un témoignage intéressant du goût et des théories d’une école et d’une époque. Vauquelin, qui mourut en 1607, est un de ceux qui ont revendiqué pour les poètes modernes le droit de traiter suivant les règles classiques des sujets chrétiens, ce qui est une sorte de conciliation de la tradition antique et de celle du moyen âge.

     

    (1)La Pléiade est un groupe de sept poètes français du XVIe siècle rassemblés autour de Ronsard. Les six autres sont Joachim du Bellay, Nicolas Denisot, Jacques Peletier du Mans, Rémy Belleau, Antoine de Baïf et Etienne Jodelle. À la mort de Jacques Peletier du Mans, Jean Dorat prendra sa place.

    Michel Escatafal

  • Terence (vers 190-159 avant J.C.) : le sourire plutôt que le rire

    Térence.jpgAncien esclave venu de Carthage où il est né entre la deuxième et la troisième guerre punique, arrivé à Rome on ne sait comment, Térence a été affranchi très jeune par le sénateur Terentius Lucanus.  Celui-ci ébloui par son intelligence lui permit d’acquérir une éducation très littéraire, lui donna son nom comme c’était l’usage, et l’introduisit dans la société des Scipion dont il devient le protégé attitré. La maison de Scipion Emilien, lui-même de grande culture, est le rendez-vous des lettrés et des hommes du monde. Ils l’étaient tellement d’ailleurs que certains, du vivant de Térence, n’ont pas hésité à dire que ce cercle avait largement participé à la rédaction de ses pièces, ce que le poète réfuta.

     Térence fit représenter sa première  comédie à l’âge de dix neuf ans. Ensuite il en donna cinq autres, et il partit pour la Grèce qui est la terre où vécurent ses modèles. Il y resta un an où il écrivit beaucoup, avant de décider de retourner en Italie. Il mourut pendant le voyage, sans que l’on sache s’il périt dans un naufrage, ou s’il mourut simplement du regret d’avoir perdu, avec ses bagages, tout le fruit de son travail. Il avait tout juste une trentaine d’années. Il ne nous reste de lui que six comédies, dont la succession chronologique nous est connue, ce qui est rare dans les œuvres de l’Antiquité.

    Sa première pièce, la plus célèbre, s’appelle l’Andrienne (166 avant J.C) où l’on découvre le pouvoir de la tentation charnelle face aux préceptes enseignés. Ensuite il y aura l’Hécira (belle-mère) en 165, sorte de drame bourgeois avec un adultère qui finit bien, puis un peu plus tard Heautontimorumenos (bourreau de soi-même) en 163, qui contient nombre de situations curieuses avec un père qui ne supporte pas les folies de son fils mais qui, quelque part, s’en rend coupable au point de souffrir d’une mesure disciplinaire dont il a frappé son fils. Phormion (161) est une pièce dont Molière s’est inspirée pour écrire les Fourberies de Scapin,  qui retrace les aventures d’un parasite complaisant, empressé et dévoué.

    Dans l’Eunuque (161 également), tirée de Ménandre mais tellement bien aménagée qu’elle ressemble à un original, on décrit un jeune homme tiraillé entre sa passion pour une courtisane et le sentiment de sa dignité, ce qui fait penser à certaines pièces de Corneille.  Ce fut son succès le plus populaire qui, en outre, lui rapporta beaucoup d’argent.  Enfin en 160, Térence donna sa dernière pièces, les Adelphes (les frères), dont Molière a emprunté l’idée première de l’Ecole des Maris, avec deux frères très dissemblables, l’un prenant la vie avec bonne humeur et l’autre au contraire constamment dur avec lui-même, en total  désaccord sur l’éducation des enfants.

    Autant de situations ingénieusement inventées qui ne suffisent pas toutefois pour attirer le public comme l’a fait Plaute. Ses pièces sont plus élégantes que celles de Plaute, mais elles font moins rire un public dont on a vu qu’il se plaisait dans le genre vulgaire, et qui admire avant tout les gladiateurs ou les funambules. Le théâtre de Térence lui s’adresse à la haute société des lettrés qui, groupée autour de Lélius et Scipion, formait ce que l’on appelait « les honnêtes gens ».  Plaute avait surtout imité des poètes d’inspiration populaire, alors que Térence suivit surtout Ménandre chez qui il trouvait tout à la fois la mesure et la convenance, qualités qui pouvaient le plus charmer ses illustres amis, et  qui s’accommodaient tout simplement à son talent personnel.

    Cependant, comme je l’ai dit précédemment, Térence ne s’est pas contenté de marcher servilement sur les traces de Ménandre.  Lui aussi comme Plaute, mais différemment, aura toujours grand soin de donner une physionomie romaine aux détails de mœurs. En outre il sera différent de son modèle dans la forme en accélérant l’intrigue, les Grecs plus subtils que les Romains acceptant des monologues ou des tirades avançant  dans une douce tranquillité. Au contraire, il faut aux Romains des personnages qui viendront mettre de l’animation, mais qui n’obligent pas à trop réfléchir. 

    Bref, à partir de textes grecs il veulent des pièces latines, et Térence essaiera de répondre à ces desiderata, au point d’être considéré comme « un profanateur » par le vieux poète Luscius Lavinius, ce que certains ont pris pour de la jalousie. C’était surtout très injuste, car malgré ses efforts pour nourrir ses intrigues avec plus de vivacité, l’action a du mal à s’emballer comme certains l’auraient souhaité, à commencer par César qui regrettait que Térence n’ait pas eu « la verve ». D’ailleurs jusqu’à la fin de l’empire romain, on n’a repris que des pièces de Plaute ce qui est sans aucun doute une faute de goût.   

    Un dernier mot enfin,  le style du grand poète est d’une grande pureté, et cela s’applique à l’ensemble de son œuvre.  Le langage n’est jamais grossier dans ses pièces, y compris celui sortant de la bouche des esclaves. Térence,  qui s’est complu essentiellement dans les scènes de la vie de famille,  fait toujours preuve de sobriété et d’aisance dans son expression. Il circule dans ses écrits une sensibilité exquise, une imagination discrète mais aussi riante et lumineuse. En fait certains ont osé dire que le langage de Térence prépare la prose charmante des lettres de Cicéron (106-43 av. J.C.), et plus loin les plus délicieuses pages de Virgile (70-19 av. J.C.). N’est-ce pas le plus beau compliment dont il eut rêvé ?

    Michel Escatafal

  • Caecilius Statius : le renouveau de la comédie latine

    Caecilius Statius.pngDans mon précédent billet j’ai évoqué la réussite de Plaute, mais le public de Rome réclamait du nouveau. Il allait l’avoir avec Caecilius Statius, né entre 220 et 230 et mort en 168 ou 166  avant notre ère, ami intime et contemporain d’Ennius, ancien esclave de la Gaule Cisalpine qui venait d’être soumise (219). Caecilius Statius  allait en effet  assurer la transition entre Plaute et Térence, en épurant la farce en se rapprochant de celui qu’on appelait le « comique raffiné », le Grec Ménandre (vers 343-292 avant J.C.), dont il fut le traducteur d’après Cicéron et Aulu-Gelle.

    Affranchi à Rome, Statius prit le nom de Caecilius, son patron, qui appartenait sans doute à l’une des plus grandes familles de Rome, les Caecilii Metelli. Cependant, n’oubliant pas qu’il avait été esclave et que la plupart des esclaves étaient appelés Statius, il en fit ensuite un surnom et s’appela Caecilius Statius. C’est sous ce nom qu’il passa à la postérité.

    Nous n’avons de lui que de courts fragments, conservés dans l’œuvre d’Aulu-Gelle qui cite plusieurs passages de son Plocium (collier) traduit de Ménandre, et les titres de la plupart de ses pièces, par exemple Obolostates (Le Peseur d’oboles) ou Nauclerus seu Portitor (Le Patron du Navire)…), ce qui apparaît a priori insuffisant pour que l’on s’intéressât à lui.

    Mais comme l’a dit Cicéron dans le livre 2 du De Finibus, le fait que ses pièces soient désignées par leur seul nom sans référence à l’auteur, est une indication suffisante pour mesurer leur popularité à l’époque. Plus encore, il fut celui qui prépara la voie à Térence, l’auteur qui faisait sourire sans rire, dont j’aurai le plaisir de parler prochainement.

    Caecilius Statius imitait les Grecs plus fidèlement et plus scrupuleusement que Plaute. Les critiques dramatiques anciens, notamment Volcacius Sedigitus et Varron, le plaçaient au premier rang des poètes comiques, et lui reconnaissaient une supériorité marquée dans la conduite de l’intrigue et le pouvoir d’émotion, par comparaison avec Plaute. Son but n’était pas de provoquer des éclats de rire, mais plutôt de respecter la vraisemblance des situations et des caractères, au point qu’il eut à se plaindre parfois des rigueurs du public.

     On raconte enfin, sans que l’authenticité en soit prouvée, que c’est à Caecilius Statius que Térence, envoyé par les édiles, soumit sa première comédie, avec un accueil plutôt froid du vieux poète…en train de dîner. Mais cela ne dura pas, et à la lecture de l’Andrienne il laissa très vite éclater son admiration pour le jeune débutant. Cela étant, contrairement à ce que nous pouvons lire un peu partout, c’est bien Caecilius Statius qui fit figure de pionnier de la seconde génération des littérateurs romains. Ces derniers n’avaient peut-être pas le  courage et l’espérance de ceux qui les ont précédés (Ennius, Plaute), mais leur goût plus formé les engagea à moins attendre d’eux-mêmes que de leurs maîtres.

    Michel Escatafal

  • La comédie à Rome : Plaute (251-184)

    plaute.jpgDes diverses formes de l’art dramatique à Rome, la comédie est celle qui a été la mieux étudiée grâce à deux poètes, Plaute et Térence, dont nous possédons des œuvres entières. Aujourd’hui nous allons parler de Plaute qui a certainement été parmi les plus grands comiques de l’Antiquité. Il naquit en Ombrie, à Sassina, vers le milieu du 3è siècle avant notre ère. Après avoir gagné quelque argent à Rome en se chargeant de construire les installations pour les jeux scéniques,  il se ruina en investissant dans le commerce maritime. Pour vivre il fut contraint de louer ses bras à un meunier, mais comme cela n’était pas très gratifiant il décida de nouveau de revenir vers le théâtre, mais en composant des comédies. Et ce fut le succès. Aujourd’hui il nous reste une vingtaine de pièces considérées comme authentiques par son commentateur Varron, sur les 130 qui lui furent attribuées.

    Le fond des pièces est toujours emprunté à la Grèce, et les intrigues reposent toujours sur des faits anecdotiques. De toute façon il ne pouvait que faire des emprunts à la Grèce parce que la loi lui interdisait d’évoquer la vie politique des Romains, pas plus que la vie privée des citoyens romains. Voilà pourquoi, dans toutes ses pièces, l’action se déroule  à Athènes avec des  personnages portant le manteau grec et non la toge romaine. Cela ne l’a pas empêché toutefois de passer pour un observateur  sincère de la vie de son temps et de son pays. Malgré tout il reste dans l’imitation des Grecs, parfois même en faisant de la traduction pure et simple, sans s'interdire toutefois de retrancher des détails, de changer les caractères, voire même de modifier complètement la fin de l’intrigue quitte à interrompre la pièce.

    Son but était de plaire à son public, et ce public il le connaissait bien ne serait-ce que par ses activités antérieures. Il était essentiellement composé de plébéiens, échappés du travail des champs et essayant d’oublier les dettes qu’ils avaient à rembourser. Devant eux se trouvaient quelques patriciens férus de culture grecque plus ou moins égarés au milieu de cette multitude. Enfin aux derniers rangs se trouvaient les esclaves attirés autant par les galettes fumantes et le vin frais que par le goût de la comédie. Enfin on n’oubliera pas les femmes, avec leur progéniture et les nourrices, qui étaient là essentiellement pour être vues ou pour discuter entre elles des difficultés de la maison conjugale. Avec pareil public, on conçoit aisément qu’il n’était pas nécessaire d’être très regardant quant à l’intrigue elle-même, dont l’action utilise toutes les ficelles du vaudeville, contrairement à ce qui se passait autrefois sur les gradins du théâtre athénien, où ne se pressaient qu’une foule raffinée et nourris de belles légendes.

    Le génie de Plaute aura donc été de faire applaudir ses comédies en se nourrissant des travers de la société romaine à la faveur d’un déguisement étranger. Voilà pourquoi il reste un personnage important dans la lecture de la société romaine de son époque. On voit même avec beaucoup de précision le déclin des anciennes mœurs,  le goût de ses contemporains pour le luxe et le plaisir contrastant avec l’austérité des siècles précédents. On n’oubliera pas non plus l’exacerbation de certains défauts comme l’avarice (l’Aulularia ou si l’on préfère en français La Marmite  qui est devenu l’Avare chez Molière), la ruse et le mensonge y compris chez les dieux (Amphytrion), la friponerie et l’impudence dans Trinummus (L'Homme aux trois deniers) dont Destouches a pris quelques uns des meilleurs traits dans son Dissipateur, ou encore la fanfaronnade dans Miles gloriusus (Le Soldat fanfaron).

    Cependant Plaute ne se veut pas moraliste et n’entend pas davantage  interpeller ses spectateurs, et encore moins les corriger. Son but est  simplement de faire rire, y compris au besoin par la grossièreté, ce qui fait dire à certains qu’à côté d’inventions joyeuses et irrésistibles, plus d’un passage dans ses pièces n’est que trivial et licencieux. Néanmoins si l’on retranche les gros-mots, tribut payé au bas-peuple de l’époque, il reste un langage comique abondant à souhait et très naturel.  Mieux encore, sa langue puisée aux sources populaires nous rend la vieille langue romaine avec toute sa saveur. Pour toutes ces raisons nous comprenons aisément les emprunts de Molière à certaines pièces de Plaute. Après tout l’un et l’autre voulaient plaire au peuple, et chacun à son époque réussit dans son entreprise au-delà de toute espérance.

    Michel Escatafal