Nous avons déjà évoqué dans une note précédente deux formes de roman, pastoral et picaresque. Le roman pastoral, distingué, sentimental a pour particularité d’être aussi quelque peu ennuyeux. Le modèle du genre fut la Diana de Jorge de Montemayor (vers 1550). Cervantes écrivit la Galatea (1585) et Lope de Vega la Arcadia (1598).
Le roman picaresque, pour sa part, a des caractères bien définis : forme autobiographique du récit, celle-ci étant la seule relation entre des épisodes isolés, environnement populaire ou règne l’oisiveté et la lutte pour la vie. Cette forme de roman est aussi marquée par un certain cynisme, une forme de stoïcisme et une férocité non dissimulée que l’on retrouve à travers une satire sociale impitoyable. En fait, ce genre d’œuvre est la continuation en prose des poèmes satiriques et autres « danses de la mort » du Moyen-âge.
Le prototype du genre après la Celestina est le fameux Lazarillo de Tormes (1554) d’auteur inconnu. Il est particulier par son réalisme puissant, la sobriété des moyens et des effets, l’exactitude et la sûreté des traits, la simplicité élégante du style, le relief de tableaux peints avec une admirable assurance.
Le second roman picaresque par ordre chronologique est la Vida del picaro Guzman de Alfarache (1599) de Mateo Aleman (1547-1614), roman remarquable où s’entremêlent de longs passages moralisateurs et d’interminables histoires, sans parler des multiples digressions dans lesquelles l’auteur se complaît. La langue qui abonde en idiotismes populaires est très belle.
En 1605, Francisco de Ubeda publie La picara Justina, au style à la fois très recherché et présomptueux.
El Buscon (aventurier) de Quevedo, écrit en 1603 et publié en 1626, à la fois spirituel et cynique, amer et sans la plus petite mesure, où abondent les épisodes burlesques et les traits les plus audacieux, tout cela donnant de cette caricature géniale, une des œuvres maîtresses de l’auteur et du genre.
Quelques unes des Novelas ejemplares (1613)de Cervantes pourraient figurer dans la présente notice. Toutefois, « ces romans exemplaires » contrastent notablement avec les précédents par un humour souriant, un ton à la fois optimiste et frondeur, mais aussi une grande sobriété dans l’expression.
La Vida del escudero Marcos de Obregon (1618) de Vicente Espinel (1550-1624), à la fois romancier, poète et musicien, est une autobiographie de l’auteur, authentique héros de l’époque picaresque. Ce récit très mesuré, entrecoupé de contes s’acheve par un éloge de la conformité ou la résignation stoïque, la plus picaresque des vertus. Cette oeuvre est un des meilleurs romans picaresques.
Il faut aussi mentionner entre autres, El donado hablador au ton très sarcastique et Alonso mozo de muchos amos (1626) de Jeronimo de Alcala (1563-1632), mais aussi El Diablo Cojuelo (1641) de Luis Velez de Guevara (1579-1644), modèle du Diable boiteux de Le Sage, et le fameux Estebanillo Gonzalez, hombre de buen humor (1646), autobiographie fantastique de l’auteur Esteban Gonzalez, dernier roman picaresque présentant un intérêt.
Enfin, beaucoup de textes, et entre tous le très formel Guia y Aviso de forasteros (1620), œuvre de mœurs attribuée à Linan y Verdugo, ont été écrits pour prévenir les candidats des pièges de tout ce qui est « picaresque ». El dia de fiesta por la manana y por la tarde (1660) de Juan de Zabaleta, est un échantillonnage notable des genres de l’époque où la coquinerie se manifestait partout y compris dans les églises, qui étaient devenues de véritables lieux de rencontre.
Michel Escatafal