Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • La littérature espagnole au dix-huitième siècle

    Cette période correspond aux règnes de Philippe V qui était le petit fils de Louis XIV (1700-1746), ses deux fils Ferdinand VI dit le Sage (1746-1759), Charles III (1759-1788), et le fils de ce dernier Charles IV (1788-1808). Ce fut aussi l’époque à la fois de l’influence française et du néoclassicisme. Et de fait à partir de l’an 1700, Philippe V, premier roi de la maison des Bourbons, va favoriser l’introduction de nombreux usages français, en littérature comme dans les autres domaines. Ce sont surtout les classes privilégiées qui vont subir tant et plus cette influence extérieure, au contraire du peuple et du clergé qui restent très attachés à la tradition. La littérature va parfaitement refléter ces attitudes opposées.

    Avec l’appui de l’Etat on essaie d’imposer une rénovation intellectuelle. Ainsi fut fondée la Bibliothèque royale (1711), l’Académie de la Langue (1713), celle de l’histoire (1738), celle de Barcelone (1731), sans compter les autres académies privées. En outre les gens de lettres se retrouvent dans des réunions entre amis, par exemple à l’hôtel de Saint-Sébastien fondé par le poète et dramaturge Moratin. Se créent aussi des périodiques littéraires, le premier d’entre eux étant El Diario de los Literatos (le Journal des gens de lettres) en 1737.

    La poésie

    La poésie est abondante mais la production poétique a peu de valeur. Dans les premières années du règne de Philippe V, les formes décadentes du gongorisme se perpétuèrent. Ensuite, après la publication de la Poética (1737) de Luzàn (1702-1754) inspirée des préceptistes italiens, s’engagea une lutte acharnée entre les rancios (traditionnalistes) et les neoclasicos (néoclassiques). Mais finalement peu de poètes méritent l’appellation.

    Tout au plus peut-on citer Nicolas Fernandez de Moratin (1737-1780), un versificateur châtié dont l’œuvre maîtresse est la Fiesta de toros en Madrid. Il y a aussi les deux fabulistes Tomas de Iriarte (1750-1791) et Félix Maria de Samaniego (1745-1801) qui sont d’honnêtes imitateurs de La Fontaine. Les Fabulas litérarias (fables littéraires) de Tomas de Iriarte et les Fabulas morales de Félix Maria de Samaniego appartiennent au répertoire classique espagnol.

    Juan Melendez Valdés (1754-1817) est un des rares à ressortir de la médiocrité ambiante par ses gracieuses poésies pastorales. Juan Pablo Forner (1754-1797), pour sa part, est un auteur satirique assez caustique. En revanche j’ai gardé pour la fin le grand patriote Manuel José Quintana (1772-1857), auteur d’odes estimables (Odas publiées en 1813), et intelligent compilateur de la poésie classique dans son Tesoro del Parnaso espanol (Trésor du Parnasse espagnol).

    La prose

    Pour ce qui concerne la prose, le dix-huitième siècle aura été marqué par le réveil de l’esprit critique en Espagne. Celui qui représente le mieux ce réveil est le bénédictin Jeronimo Feijoo (1676-1764), avec son Teatro critico (8 volumes entre 1726 et 1739) qui eut un grand succès, et ses Cartas eruditas (entre 1742 et 1760), inventaire critique des préjugés et des superstitions de l’époque à l’origine de débats ardents. A cette époque en effet, les érudits s’adonnaient volontiers à la critique littéraire ce qui occasionnait de nombreuses et incessantes polémiques. Sur un plan général, le principal mérite des prosateurs fut de publier de nombreux textes antiques dont certains sont encore inédits.

    L’œuvre critique qui présente le plus d’intérêts s’appelle les Cartas Marruecas (Lettres marocaines) de José Cadalso (1741-1782), dont le schéma s’inspire des Lettres Persanes de Montesquieu. Il s’agit d’essais originaux et de réflexions pleines d’une sincérité objective de la part d’un patriote intelligent. Intelligent parce que très réaliste, trop même diront certains qui n’auront retenu de son œuvre que ces quelques phrases : « Les Espagnols écrivent la moitié de ce qu’ils imaginent ; les Français plus qu’ils ne pensent à cause de la qualité de leur style ; les Allemands disent tout, mais de telle façon que la moitié des gens ne les comprennent pas ; les Anglais écrivent pour eux seuls ». Chez les historiens, on se rappelle surtout de José Quintana (1772-1857) pour ses Vidas de los Espanoles célebres (Vie des Espagnols célèbres), biographies écrites à la mode de Plutarque.

    Le roman

    Le roman ne vaut que par deux auteurs qui sortent du lot dans un siècle où la production fut très pauvre. Le premier, Torres de Villaroel (1693-1770), écrivain atypique à la fois poète, docteur, mathématicien, professeur, fut avant tout l’imitateur et le continuateur de Quevedo dans son œuvre picaresque. Toutefois, son œuvre majeure, Vida (la vie), publiée dans sa première version en 1743, a donné forme à un nouveau roman picaresque, en montrant un style plus châtié, plus spontané et naturel que celui de Quevedo. Quant au second, le jésuite Francisco de Isla (1703-1781), bien connu comme traducteur de Gil Blas (1783) qu’il considérait comme une œuvre volée à son pays, il sut faire de son roman, Historia del famoso predicator Fray Gerundio de Campazas (1758), une satire divertissante et habilement dissimulée de la vie dans les couvents, ce qui aurait pu lui valoir d’être inquiété puisque le livre fut condamné en 1760.

    Le théâtre

    Le théâtre est l’endroit où s’engage entre les anciens et les mondains francisés (galicistas) la lutte la plus acharnée et passionnée. Cependant, malgré tous les efforts des anciens, et aussi la protection officielle, la tragédie française ne cesse de s’enraciner en Espagne. Pendant ce temps, le public accueille avec des applaudissements bruyants les œuvres de ceux qui confectionnent des « comédies nouvelles » faites sur le modèle « lopesque », au point d’avoir l’impression de revenir au Siècle d’Or. Mais les gens aiment, plus que tout, les ravissantes saynètes dans lesquelles triomphait Ramon de la Cruz (1731-1794), qui ont diverti le « tout Madrid » de l’époque.

    Ces saynètes ressemblent à des petits tableaux ironiques dans lesquels on retrouve l’ambiance de la rue, les réalités sociales et les coutumes de l’époque. A cela s’ajoute le goût excessif pour tout ce qui vient de l’étranger, à commencer par ce qui est français, ce qui nous rappelle l’engouement que l’on connaît de nos jours pour les expressions et le langage des Américains. Parmi ses principales œuvres nous citerons El rastro por la manana (la piste du matin), El fandango de candil (fandango de la lampe à huile), Las castaneras picadas, La Petra ou la Juana etc.). A noter que Ramon de la Cruz a commencé sa carrière littéraire par des traductions et des imitations de tragédies françaises (Racine, Voltaire, Beaumarchais…).

    Le dernier auteur dramatique à la française qui obtint un vrai succès fut Leandro Fernandez de Moratin (1760-1828), un non universitaire dont le classicisme rigide s’atténuait beaucoup dans la pratique, parce qu’il s’appliquait aux thèmes nationaux et à une comédie hautement espagnole. En un mot, Moratin trouva le juste équilibre entre la tradition et les préceptes. Il sut ajouter beaucoup de plaisir à une bonne psychologie et à une certaine portée morale ; il donna une diversité extérieure à un fond simple et ordonné, et greffa dans d’ingénieux enchevêtrements beaucoup de détails pour attirer l’attention du public. Le plus notable dans son œuvre est constitué par El viejo y la nina (1790), La Mojigata en 1804 (en français l’hypocrite), El Si de las ninas (1806), meilleure comédie du dix-huitième siècle, où il évoque les mariages imposés, et ses traductions de Molière et de Shakespeare.

    Michel Escatafal

  • Jean-Baptiste Rousseau, poète à l'humeur satirique et mordante

    littérature,histoireNé à Paris le 6 avril 1670, Jean-Baptiste Rousseau était le fils d’un cordonnier, condition dont il rougissait volontiers bien que son père ait pu lui donner une bonne éducation (collège Louis le Grand chez les Jésuites). Il se fit d’abord connaître par des poésies légères et par des poésies religieuses, et donna sans succès quelques comédies au théâtre, ce qu’il attribua à des cabales montées par ses nombreux détracteurs. En effet sa vanité et son humeur à la fois satirique et mordante lui attirèrent bien des ennemis, et à la suite d’un procès en diffamation, sur les conclusions duquel certains discutent encore de nos jours, le poète dut s’exiler (1712).

    Auparavant il avait refusé un emploi de directeur des fermes que lui avait proposé son mécène, le directeur des finances Hilaire Rouillé du Coudray, parce qu’il estimait que cet emploi n’était pas compatible avec la nécessaire indépendance d’un homme de lettres. En revanche il ne refusa pas les faveurs de puissants protecteurs à l'étranger, le comte du Luc, ambassadeur de France en Suisse, et le prince Eugène à Vienne. Il n’en passa pas moins ses dernières années dans la misère, après avoir une première fois refusé (1717), puis s’être vu refuser (1737), des lettres de rappel, qu’il était allé cette seconde fois solliciter lui-même subrepticement à Paris. Il mourut à Bruxelles le 17 mars 1741.

    Les épîtres de J.B. Rousseau sont médiocres et ses allégories sans intérêt. On a trop vanté ses épigrammes qui sont souvent moins légères qu’on ne le souhaiterait, certains disant même qu’elles sont obscènes. En revanche ses quatre livres d’odes et ses cantates ont autrefois passé pour des modèles, quoique toute cette poésie lyrique manque d’originalité dans les développements, mais aussi de couleur dans les tours et dans le vocabulaire. On peut même douter de la sincérité des sentiments qu’elle exprime. Néanmoins son habileté dans la versification lui attira la protection de Boileau, lequel considérait J. B. Rousseau comme le seul auteur capable de continuer la manière classique.

    Sur le plan de la postérité, ce qui restera surtout de l’œuvre de Jean-Baptiste Rousseau, c’est sans doute l’ode tirée du cantique d’Ezéchias (Odes livre 1, ode X), morceau le plus touchant qu’il ait fait. Ce cantique a été souvent traduit, avant comme après Rousseau, mais nul n’a su s’approprier à ce point le sentiment qui remplit le texte, ni trouver comme lui cette facile harmonie et cette belle langue de la douleur, pour paraphraser Eugène Manuel dans l’édition qu’il avait donnée des Œuvres lyriques de Rousseau (1852).

    Michel Escatafal

  • Regnard : un bon imitateur de Molière

    littérature,histoireNé à Paris en 1655, mort en 1709 au château de Grillon (près de Dourdan), Jean-François Regnard qui a bénéficié très jeune de la fortune laissée par son père, a passé une bonne partie de sa jeunesse à parcourir la moitié de l’Europe entre 1675 et 1683, ce qui lui valut aussi en 1678 d’être pris par des pirates et vendu comme esclave à Alger. Il appartient par ses comédies à ce groupe intéressant d’auteurs comiques, dont les pièces nous représentent fidèlement les changements qui s’accomplirent dans les mœurs sociales, pendant les trente dernières années du siècle de Louis XIV. Cela dit, il n’a produit aucune œuvre qui puisse se comparer, pour l’âpreté satirique et la peinture sérieuse des caractères, avec le Turcaret de Le Sage (1709), ou qui jette autant de lumière sur la société du temps que certaines pièces de Dancourt.

    A propos de Dancourt (1661-1725), notons qu’il fut comédien en même temps qu’auteur de comédies, et qu’il a surtout excellé dans la peinture des bourgeois et de ceux que l’on appelait « les petites gens ». Il y déployait beaucoup de verve et d’aisance, au point qu’on puisse louer comme une œuvre vraiment profonde son Chevalier à la mode (1687), comédie en cinq actes et en prose qui, dans toute la période allant de Molière à Marivaux, ne le cède qu’à Turcaret.

    Pour revenir à Regnard, il a pour lui, avec l’aisance du dialogue et de la versification, une gaieté que rien ne déconcerte. C’est par ces qualités que brillent ses principales comédies, le Joueur (1696), où l’on trouve le caractère le plus approfondi qu’ait tracé Regnard, le Distrait (1697), Démocrite (1700), les Folies Amoureuses (1704), les Ménechmes (1705), le Légataire universel (1708), sans doute son chef d’oeuvre. Regnard a aussi écrit un assez grand nombre de farces pour les Comédiens Italiens, et publié une narration romanesque de ses voyages, notamment la Provençale, roman posthume qui paraîtra en 1731. Autant de raisons d'affirmer qu'il mérite de figurer parmi les meilleurs imitateurs de Molière, lui empruntant des idées, des procédés ou des jeux de scène, mais avec sa note à lui. 

    Un dernier mot enfin, pour souligner que les Comédiens Italiens furent établis à Paris d’une manière permanente à partir de 1662. Quand l’ancienne troupe de Molière et celle de l’Hôtel de Bourgogne se réunirent pour constituer la Comédie Française (1680), les Italiens prirent pour eux la salle de l’Hôtel de Bourgogne. Dès lors s’établit entre les deux théâtres une sorte de rivalité, qui se termina tout d’un coup en 1697, quand les Italiens, pour des raisons qui ne sont pas bien éclaircies, se virent interdire de continuer leurs représentations. Toutefois cette rivalité recommença très vite, les théâtres populaires de la Foire Saint-Laurent et de la Foire Saint-Germain ayant repris pour eux le répertoire et les traditions des Italiens.

    Michel Escatafal