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Malebranche : disciple de Descartes et ardent chrétien

Malebranche.jpgNé à Paris en 1638, la même année que Louis XIV, Nicolas Malebranche était d’une complexion délicate. Elevé d’abord dans sa famille et surtout par sa mère, il termina ses études au collège de la Marche (situé près de la place Maubert), puis suivit les cours de la faculté de théologie, et dès l’âge de vingt-deux ans il entra à l’Oratoire, avant d'être ordonné prêtre en 1664. Dès lors, toute sa vie fut consacrée à l’étude et à la méditation. Disciple de Descartes, en même temps qu’ardent chrétien, après avoir reconnu comme son maître la distinction de l’étendue et de la pensée, il dénie à la seconde comme à la première toute puissance active. Dieu seul est cause : cause de l’existence des êtres, cause de leurs modifications, cause enfin des idées que nous en formons, lesquelles ne pouvant ni émaner des corps, ni être créées par notre pensée, ne sont aperçues par nous qu’en Dieu : c’est là ce qu’on appelle la théorie de la vision de Dieu.

En somme Malebranche est un vrai mystique, dont le système, quoi qu’il en ait dit lui-même, n’est pas trop éloigné du panthéisme. Ce système trouva, du vivant même de Malebranche, des admirateurs passionnés, mais au nombre de ses adversaires on compte Arnaud et Bossuet. Son style est sans éclat, mais le mouvement en est toujours naturel, et l’expression est chez lui très simple et très nette. La Recherche de la Vérité, son premier ouvrage, est de 1674-1675, les Conversations chrétiennes de 1677, le Traité de la nature et de la grâce de 1679, les Entretiens métaphysiques de 1688. Ce sont là les principales œuvres de Malebranche, dont aucune ne parut sans provoquer beaucoup d’enthousiasme et donner en même temps naissance aux plus graves discussions. Elu membre honoraire de l’Académie des sciences en 1699, Malebranche mourut en 1715, la même année que Louis XIV.

En relisant une partie de l’œuvre de Malebranche, notamment De la Recherche de la Vérité, j’ai surtout noté les sentiments que lui inspirait Montaigne (ou Montagne comme l’écrivaient La Bruyère et Malebranche), notamment quand il parlait des Essais. En fait ce que Malebranche reproche surtout à Montaigne, c’est la complaisance païenne, avec laquelle il s’observe lui-même  et se propose à l’attention de ses lecteurs, tel que la nature l’a fait. C’est l’usage et l’abus dans son livre de ce moi haïssable, suivant le mot de Pascal dans les Pensées. En cela Malebranche est du même avis que les écrivains de Port-Royal. « Le sot projet qu’il a de se peindre ! » dit Pascal en parlant de Montaigne, regrettant qu’on ne l’ait pas averti « qu’il parlait trop de soi ». Bossuet de son côté (Sermon pour la fête de tous les saints) a aussi attaqué Montaigne, mais par un autre côté : c’est à son système qu’il en veut et au mépris qu’il affiche pour la raison humaine.

La conclusion de l’étude de Malebranche sur Montaigne reprend en gros tous les griefs qui étaient faits à l’auteur des Essais : « J’aime mieux un homme qui cache ses crimes avec honte, qu’un autre qui les publie avec effronterie ; et il me semble qu’on doit avoir quelque horreur de la manière cavalière et peu chrétienne dont Montagne représente ses défauts ». Pour Malebranche, le caractère de l’esprit de Montaigne était marqué par son « peu de mémoire, et encore moins de jugement », ajoutant que « ces deux qualités ne font point ensemble ce que l’on appelle ordinairement dans le monde beauté d’esprit. C’est la beauté, la vivacité et l’étendue de l’imagination qui font passer pour un bel esprit. Le commun des hommes estime le brillant et non pas le solide, parce que l’on aime davantage ce qui touche les sens que ce qui instruit la raison.  Ainsi, en prenant beauté d’imagination pour beauté d’esprit, on peut dire que Montagne avait l’esprit beau et même extraordinaire. Ses idées sont fausses, mais belles ; ses expressions irrégulières ou hardies, mais agréables ; ses discours mal raisonnés, mais bien imaginés. On voit dans tout son livre un caractère d’original, qui plaît infiniment ; tout copiste qu’il est, il ne sent point son copiste ; et son imagination forte et hardie donne toujours le tour d’original aux choses qu’il copie. Il a enfin ce qu’il est nécessaire d’avoir pour plaire et pour imposer ; et je pense avoir montré suffisamment que ce n’est point en convainquant la raison qu’il se fait admirer de tant de gens, mais en leur tournant l’esprit à son avantage par la vivacité toujours victorieuse de son imagination dominante ». Finalement, en lisant entre les lignes, Malebranche avait quand même une profonde admiration pour Montaigne, et son merveilleux talent.

Michel Escatafal

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